« Cela ne s’arrêtera jamais »

Les grosses bagarres d’Anderlecht ont servi de rappels. Les hooligans sont toujours là ! Rencontre avec le Brussels Casual Service (BCS), le noyau dur d’Anderlecht.

On en était débarrassé. Du moins, on pouvait le croire. En l’espace de dix ans, la loi football promulguée en 1998 avait fait ses preuves et diminué fortement les scènes de violence autour des stades. Et pourtant, les dernières émeutes ou violences urbaines – c’est selon – à Anderlecht fin mai ont réinstallé dans les médias le terme hooligan.  » Des skinheads supporters des Mauves face aux allochtones du quartier, rejoints par ceux des communes avoisinantes « ,… voilà, pour résumer très rapidement, ce qu’on a pu lire ou entendre suite à la dernière  » guerre des clans  » qui a frappé la Belgique. Vendredi dernier, au café L’Occasion, lieu de ralliement des BCS, situé à deux jets de pierres de la place de Linde, on a voulu en savoir plus sur un mouvement de violence qui connut son apogée en Belgique dans les années 80, jusqu’au début des années 90. Marco, co-fondateur du Brussels Casual Service, A. A, P. A, E.V., rejoints durant la soirée par d’autres membres, tous s’expriment sur leurs actions, leurs motivations à propos d’une scène qu’ils fréquentent depuis deux décennies, voire plus. Tous ont des noms d’emprunts, tous ont connu des problèmes avec la justice, en connaissent toujours pour certains. Sans faux-fuyant, ils s’expriment sur leur réalité. Totalement décomplexés. Ce qui suit est une retranscription quasi brute, à certains égards extrêmement violente voire provocatrice, d’une rencontre avec les hooligans d’Anderlecht.

Associer le hooligan à un type socialement dés£uvré avec un penchant pour la bouteille, on nage en plein cliché ?

P.A. : Evidemment. Ce sont des conneries. Chez nous, on retrouve tous les milieux socioprofessionnels.

A. A : Cela va du plus simple métier à avocat.

P.A. : Moi, je travaille dans une firme comme Field Executif Retail, un travail de marketing. AA est chauffeur. EV est directeur technique dans une société de déménagement. Rien qu’autour de cette table, on est très différents. On a par exemple un gars du BCS qui est un gros patron de société… Et qu’on peut entendre régulièrement au journal télévisé ( rires).

Quand est né le BCS ?

Marco : Je dirais que le BCS a débuté au début des années 2000. Là on a commencé, à s’organiser, à former un bon groupe.

D’où sont issus les membres ?

Marco : Le gros du noyau vient de Bruxelles et de ses environs. Mais on compte des gars d’Anvers, d’Hasselt, de Courtrai, etc.

A. A : Et dès le moindre problème, il débarque en renfort. Le BCS, c’est une grande famille.

 » Aucun lien avec la politique, d’ailleurs on ne peut pas voter. « 

En parlant de famille, on a évoqué lors des dernières émeutes à Anderlecht, l’  » aide  » d’autres groupes de hooligans. Les noms du Germinal Beerschot, Bruges, Alost, Racing Malines, etc. ont été cités. Existe-t-il en certaines occasions une forme de solidarité entre noyaux durs ?

Marco : Non, c’est totalement faux. On a seulement noté la présence d’une dizaine de gars du Charleroi R.C.F. C Boys97 et de Molenbeek.

A. A : On a par exemple refusé la présence de skinheads de Bruges. Il y avait aussi 200 skins de Liège qui étaient prêts à venir. Ça ne nous intéressait pas. Et cela aurait renforcé l’image de racistes que les médias veulent nous donner.

BCS = extrême droite, ce serait erroné ?

A. A : Notre groupe n’a rien de raciste. Les médias ont voulu nous présenter de cette manière parce qu’en face on retrouvait des Arabes. Et que ça donnait une image forte, de guerre ethnique. Mais c’est de la foutaise. Il suffit de me regarder pour comprendre qu’on n’est pas une bande de néo-nazis ou de skinheads comme on a pu le lire. Au BCS, il y a des blacks, comme moi, des personnes d’origine albanaise, marocaine, turque, etc. Il faut remonter aux années 80 et à l’O-Side (ndlr, nom du noyau dur d’Anderlecht dans les années 80 qui perdura jusqu’au milieu des années 90) pour retrouver la trace de skinheads.

Marco : Au BCS, il y a 200 membres actifs, et on est arrivé à 400 avec les suiveurs. Et bien, il y en a environ 10 que l’on peut considérer comme skins tendance extrême droite. Mais ils ne viennent jamais parler de leur opinion politique. D’ailleurs, de la politique, on n’en fait pas. Y’a beaucoup de choses bien plus intéressantes. De plus, on ne peut même pas voter.

C’est-à-dire ?

Marco : Ici, on nous a tous retiré notre droit de vote. On a tous des casiers judiciaires.

Pour des faits uniquement liés au foot ?

Marco : Moi, il y a un peu de tout. Des histoires de drogues, de bastons, etc. Ce qui m’a amené à faire quatre fois de la prison pour des peines plus ou moins longues.

A. A : J’ai fait deux ans pour braquage, mais c’était il y a quinze ans, quand j’en avais 22.

 » Tout a commencé avec Anderlecht-West Ham en 1976 « 

Quand avez-vous intégré le mouvement hooligan ?

E. V : J’ai 50 ans. ça fait donc une paye. Mais ma première vraie bagarre date de 1976 en finale de la Coupe des Coupes face à West Ham au Heysel.

A. A : La mienne, c’était face à Nottingham Forest en 84. La grande majorité suit le club depuis très jeune. J’avais 12-13 ans quand j’ai commencé à aller au stade et je n’ai pas mis longtemps à rejoindre le O-Side. J’en ai 37 aujourd’hui. Faites le compte : ça fait un petit temps que je traîne dans le milieu.

A choisir : une victoire de votre club ou la baston liée au match ?

Marco : Pour ma part, le foot, ça ne m’intéresse pas. Moi, je viens pour voir mes potes, faire la fête et la baston.

E. V : Mais lui, c’est l’exception. Je crois qu’on peut dire qu’on est tous de vrais supporters d’Anderlecht.

A. A : J’ai fait les quatre coins de l’Europe pour suivre mon club. En 90, j’avais été jusqu’à Malmö en bagnole. Pour faire des trucs pareils, t’es obligé d’être supporter. D’ailleurs à 13 ans, j’avais déjà mon tatouage d’Anderlecht sur l’épaule.

Marco : Au départ, j’étais supporter, mais j’ai vite été pris par ce qui se passait en tribunes.

L’image du hooligan a-t-elle évolué par rapport aux années 80 ?

Marco : Oui, on peut dire ça. A l’époque du drame du Heysel, on percevait le hool’s comme une brute épaisse qui débarquait avec 300 de ses gars pour tout piller, tout casser. Maintenant le mouvement est devenu plus organisé, avec des codes, etc.

A. A : Dans les années 80, dès qu’il y avait un match, le hooligan se battait contre n’importe qui. Maintenant, ça a totalement changé. On ne va pas aller taper un père de famille par exemple. On va se battre contre ceux qui recherchent la même chose…

Vous parlez de code. Est-ce que, par exemple, les armes sont interdites lors d’affrontement ?

Marco : Normalement. Mais, faut être honnête, quand on débarque à 200, on ne vérifie pas si quelqu’un cache un couteau ou autre chose.

Vous répétez que vous avez une vie normale en dehors du BCS avec femme et enfants. Est-ce que plus tard, vous souhaitez, par exemple, que votre fils suive votre voie ?

E. V : Moi, c’est déjà le cas (rires).

Marco : Moi pas spécialement. J’aurais toujours la crainte du mauvais coup.

P.A. : Moi bien. D’ailleurs, mon gosse de huit ans a reçu pour son anniversaire un maillot du Sporting avec BCS marqué en petit.

Vos compagnes sont-elles au courant de vos activités ?

Marco : Elles le savent et n’aiment évidemment pas ça.

A. A : Mais on ne sait pas le cacher. A l’étranger, d’autres hool’s m’ont déjà reconnu quand je me baladais en rue avec ma femme. Alors comment veux-tu qu’elles ne le sachent pas ? Je suis dedans depuis tout petit. Et ça ne s’arrêtera jamais.

Les mesures de sécurité de plus en plus renforcées et la loi football ont quand même réussi à entraver vos besoins d’affrontements, non ?

Marco : Entre 2000 et 2003, il y avait des histoires quasi toutes les semaines. C’était les années fastes pour le BCS. Pour te donner un exemple précis, lors d’un Anderlecht-Standard, on a été jusqu’à Liège pour les attaquer. Et puis, il y a eu cette descente le 5 octobre 2003 dans le café de supporters brugeois de Diegem. Depuis lors, on est tous extrêmement surveillés. Les interdictions de stades et peines d’emprisonnement ont commencé à pleuvoir pour beaucoup d’entre nous.

 » Plus personne n’ose venir à nos rendez-vous « 

Est-ce que les faits de hooliganisme en Belgique diminuent ces dernières années ?

A. A : Non. Je crois justement qu’il y a une recrudescence.

Marco : Après l’épisode à Diegem, on a été sévèrement puni. J’ai fait un mois et demi de taule, on m’a infligé une amende de 2.500 euros et je continue à purger une peine de sept ans d’interdiction de stade. Et c’est vrai que la loi football nous freine un peu.

P.A. : C’est pour ça qu’on s’amuse quasiment plus qu’en Europe. Comme cette année, à Aalborg, où on a eu une belle confrontation avec 50 Norvégiens.

Marco : Mais je ne dirais pas que le hooliganisme est retombé en Belgique pour autant. Notre groupe, il vit et même très bien. Pour preuve, lors de la finale de la Coupe de Belgique, on était entre 300 et 400 personnes. Contre Tottenham, cette année en Coupe de l’UEFA, on était 200. Notre noyau est même devenu trop grand pour la Belgique…

Mais votre finalité, à savoir la baston, n’est pas autant assouvie qu’avant ?

Marco : Pour être dans le hooliganisme depuis 20 ans, je peux te dire qu’à une époque, on pouvait faire tout et n’importe quoi. Je me souviens de pavés balancés sur des flics, de camionnettes retournées ou des magasins pillés, je n’avais jamais aucun problème. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Même quand je ne me bats pas, j’ai des problèmes. On en arrive à t’interdire de stade pour un doigt d’honneur…

En dehors du BCS, quels sont les autres groupes belges importants ?

Marco : En Belgique, on est les plus costauds. Tu peux penser que c’est de la vantardise, mais je crois que même ceux de l’Antwerp, le seul autre noyau encore sérieux en Belgique, te le diraient. Certains du Hell-Side au Standard aussi. En Belgique, plus personne n’ose venir à nos rendez-vous… Même en Europe, on nous connaît très bien. On a pris le dessus sur les hooligans de Chelsea dont la réputation n’est pourtant plus à faire. A Prague, à Brême, à Manchester, chez nous face à Everton, à chaque fois, on s’est montrés à la hauteur.

Lucas (108 kilos de muscles se joint à la discussion) : Le problème ici en Belgique, c’est que plus personne n’ose venir à nos rendez-vous. Car même avec la sécurité présente, si les deux parties sont motivées, on sait se rencontrer. Aujourd’hui, il n’y a plus que les Anglais pour ne pas se débiner.

Marco : Avec internet et le GSM, le hooliganisme a évolué mais pas nécessairement en bien. Avant, on faisait le tour du stade et ça s’affrontait comme dans Astérix et Obélix : 300 personnes contre 300. Maintenant, c’est bien plus organisé.

Comment faites-vous pour fixer vos rendez-vous quand on connaît le déploiement policier des matches européens ?

P. A. : On a un spécialiste qui a un bottin de téléphone avec des hooligans de toute l’Europe. Il a sillonné presque tous les championnats européens et entre en contact avec des membres de noyaux durs.

Qu’est-ce qui vous plaît tant dans ce mode de vie dangereux et qui accapare tellement de temps ?

E. V : L’adrénaline.

Marco : Ne pas avoir la même vie que le citoyen lambda : métro, boulot, dodo.

A. A : Le fait de savoir que si l’un d’entre-nous a un problème, les autres sont là pour l’aider, ça te rend plus fort.

Marco : Le BCS, c’est une famille. Si un jour, je me fais taper dans une boîte de nuit par dix types, je sais que mes amis seront là pour aller les corriger à leur tour.

 » Si c’est un gars du Standard, je ne le laisse pas se relever. « 

On dépasse le cadre du foot, vous vous approchez plus du gang.

A. A : Oui, on peut dire ça. Mais il n’y a pas de hiérarchie. Certains membres sont juste plus respectés en fonction de la gravité des faits qu’ils sont commis. Je préfère le terme famille comme l’a dit Marco, une grande famille. Il peut être n’importe quelle heure de la nuit, si quelqu’un a un problème, je débarque pour l’aider. Et je ne serai pas le seul.

Lucas : Depuis gamin, je n’ai jamais calculé, j’ai toujours foncé. Et dans le football, c’est aussi comme ça. On verra ce qui arrive.

Vous n’avez pas peur des conséquences physiques ou même plus graves ? Aux Pays-Bas et dans d’autres pays, des rixes entre hooligans ont été jusqu’à entraîner la mort.

A. A : Il ne faut pas y penser.

Lucas : Quand tu meurs, la lumière s’éteint, tu ne t’en rends même pas compte.

A. A : J’ai grandi dans la rue et je sais que la mort, ça peut t’arriver n’importe où. J’ai pris un coup de couteau à 14 ans. Voilà, j’ai connu ça très tôt. La semaine passée, on m’a tiré dessus. La vie, elle est dangereuse. Voilà tout.

Lucas : Très vite, j’ai connu la violence. Et je la cherchais même. C’est pour ça que j’ai atterri dans le hooliganisme. Je fais du sport de combat depuis 20 ans, de la boxe thaïe, du Krav-maga ( ndlr, un sport de combat créé au départ pour les besoins de l’armée israélienne). J’ai toujours aimé cette violence. Moi je suis issu de la rue, je suis un voyou. Quand je me bats, c’est pour aller jusqu’au bout. Quand le type est à terre je passe au suivant. Si c’est un gars du Standard, c’est différent : je ne le laisse pas se relever.

E. V : Pour nous, le Standard, c’est l’ennemi suprême. On n’a jamais su les voir.

 » On est tombé dans la violence pour défendre Bruxelles « 

Vous pratiquez tous un sport de combat ?

P. A : Je fais aussi du Krav-maga.

A. A : J’ai été para commando mais mon truc, c’est la bagarre de rue, depuis très jeune.

E. V : De toute façon à 100 contre 100, ton sport de combat, tu l’oublies.

La drogue et l’alcool font partie intégrante des affrontements ?

Marco : ça dépend. Si on sait qu’il va se passer quelque chose, certains s’abstiennent de prendre des trucs. Mais quand tu vas à Mouscron… Tu sais, la cocaïne, elle est présente partout. Sur 200 de nos gars, il y a peut-être la moitié qui n’en prend pas, mais d’autres qui en prennent pour trois personnes.

Quelle est votre relation à la violence ?

Marco : La violence dans le foot, elle était là avant nous et continuera après nous. Nous, on est tombé dedans pour défendre Bruxelles face aux autres clubs. On n’est pas des ultras. On ne dépense pas notre argent dans des papiers WC. Notre but, c’est de défendre notre territoire. Montrer qu’on est bien là.

E. V. : Je déteste le mode ultra, ces inspirations latines. Notre philosophie est proche de l’anglo-saxonne.

Allez-vous vous rendre à l’EURO malgré l’absence de la Belgique ?

P. A : Non. En Belgique, il n’y a pas de sentiment nationaliste comme on en connaît en Angleterre. Chez nous, les coalitions entre différents groupes belges sont impossibles.

E.V. : On a pourtant déjà essayé de se réunir pour créer une sorte de front belge. Comme la dernière fois à Hasselt, il y a deux ans. Mais ça s’est terminé en baston…

par thomas bricmont

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