« Ce serait la mort du foot ! »

Le président de l’UEFA explique ses raisons et propose d’augmenter le nombre des arbitres.

Vous êtes toujours opposé à l’arbitrage video ?

Michel Platini : Plus que jamais ! Depuis qu’un nombre croissant de médias s’intéressent au football, il y a naturellement beaucoup plus de polémiques autour de l’arbitrage que dans les années 70, 60 ou 50. Aujourd’hui, on parle systématiquement des erreurs d’arbitrage…

Mais ces erreurs sont bien réelles !

Attendez… Je suis conscient que l’arrivée des caméras dans les stades a provoqué un vrai problème puisque les erreurs d’arbitrage sont systématiquement montrées et analysées. Cela fait des années que je vis cette évolution au quotidien. Quand je jouais à la Juventus, la télévision italienne décortiquait toutes les actions litigieuses à chaque journée de championnat. Et même avec les images, ils se trompaient régulièrement. Je peux vous le dire avec certitude puisqu’il s’agissait souvent de fautes commises sur moi…

C’est ce qui a guidé votre réflexion sur ce sujet ?

D’une part, il y a mon expérience de footballeur. Et en tant que président, je ne peux pas être favorable à la vidéo. C’est la plus mauvaise solution pour le football car elle ne règle rien ! C’est la solution de facilité ! On me dit que dans le tennis, chaque joueur peut utiliser la vidéo deux fois par set, mais ce n’est pas comparable. Au tennis il n’y a pas de contact entre les joueurs. Il est impossible d’appliquer la vidéo au hors-jeu sans l’appliquer au reste du jeu. Ce qui rendrait les matchs injouables ! Dans le rugby, on utilise la vidéo uniquement pour savoir si le ballon a franchi la ligne ou pas, pour savoir s’il y a essai ou pas. Dans le football, vous retrouvez aussi le cas du ballon qui aurait franchi la ligne du but, mais cette situation est extrêmement rare. On ne va pas dépenser des sommes folles pour un cas de figure qui ne se produit qu’une fois tous les 10.000 matchs ! N’oublions pas une chose : si le football est le sport le plus populaire, si c’est le jeu le plus aimé, si c’est le sport dont on parle le plus, si c’est celui qui brasse le plus d’argent et attire le plus de spectateurs dans les stades, c’est peut-être aussi parce que le football n’est pas aussi chloroformé qu’on voudrait le faire devenir. Ecoutez, le football est un sport magnifique. Il faut en accepter les règles, c’est tout. Moi, j’ai bien accepté de perdre deux demi-finales de Coupe du monde sur des erreurs d’arbitrage… ! (*)

Que répondez-vous à ceux qui jugent votre position dogmatique ?

Que j’aimerais bien être convaincu mais que je ne peux pas l’être ! Je vais vous dire une chose, cela fait quarante ans que j’y pense. La vidéo est un vieux débat dans le football, et je reste intimement convaincu que la vidéo tuerait le football que l’on aime en provoquant l’interruption du match toutes les dix secondes. Qu’on arrête de dire que Platini est contre. Je ne peux pas être convaincu… Le jour où je ne serai plus président de l’UEFA, peut-être que d’autres instaureront l’arbitrage vidéo. Mais c’est surtout ceux qui ne sont pas dans le foot qui le mettront. Ceux qui sont simplement attirés par le beau produit. Parce que ces gens-là ont bien d’autres centres d’intérêt que le jeu lui-même. Mais les footballeurs, eux, ne sont pas pour la vidéo. Demandez-leur ! Les commissions techniques de la FIFA où figurent les plus grands joueurs de l’histoire, comme Bobby Charlon, Franz Beckenbauer ou Pelé sont opposés. Ils savent bien que la vidéo ne résoudra pas les erreurs d’arbitrage. Elle n’est d’aucun secours quand il faut juger d’un hors-jeu pour quelques centimètres. Une caméra de télévision ne peut saisir cette infime différence, alors que sur le terrain on peut la ressentir. Que faut-il faire s’il y a un hors-jeu douteux. On laisse marquer le but et puis on attend ensuite pour savoir s’il y a but ou pas ? Les matchs vont durer 4 heures. C’est sûr, ce sera très bon pour la publicité ! Il y a beaucoup d’intérêts dans le football mais ceux qui n’acceptent pas les règles de l’arbitrage telles qu’elles existent aujourd’hui n’ont qu’à quitter notre milieu…

 » Devant la TV, je bois du petit lait « 

Ne croyez-vous pas que des erreurs d’arbitrage pourraient être évitées ?

Quand je regarde les TV qui débattent des erreurs d’arbitrage, je bois du petit lait ! Des arbitres sont souvent en désaccord sur une position de hors-jeu. Instaurons la vidéo et mettons-en deux devant les images d’un hors-jeu pour décider s’il y a but ou pas but. Qu’est ce qu’ils vont faire ? Tout le monde attend gentiment pendant qu’ils prennent leur décision ? C’est quelque chose d’impossible à organiser. Le football est un jeu fluide que l’on ne peut pas interrompre tout le temps, au rugby ou au tennis, c’est différent.

Je peux aussi prendre l’exemple des penalties. La décision de siffler penalty dépend de l’interprétation de l’arbitre, ce qui n’a rien à voir avec de la vidéo ! Mais si vous donnez des images vidéo d’un contact ballon-main, l’arbitre dira souvent qu’il y a faute de main et donc penalty…

La vidéo ne pourrait-elle pas être utilisée uniquement dans les 18 mètres ?

Non, je ne le pense pas. Imaginer une situation de jeu avec un ballon qui aurait franchi la ligne de but, avant qu’un autre joueur ne reparte de l’autre côté, sur lequel le gardien fait faute alors qu’il était peut-être hors-jeu. Sur quelle phase de jeu met-on la vidéo ? Le ballon sur la ligne de but, le hors-jeu ou la faute du gardien ? Bonne chance… ! ( sourires) C’est cela que je déplore dans l’usage de la vidéo. Maintenant, qu’il y ait des erreurs, je le dis depuis toujours. Je suis conscient du malaise qu’il y a autour de l’arbitrage et je reconnais qu’il faut limiter le nombre d’erreurs.

Dans ce cas, comment améliorer la qualité de l’arbitrage ?

D’abord en augmentant le nombre d’arbitres. Il faut des arbitres pour surveiller uniquement les actions dans les 18 mètres parce que l’arbitre central ne peut pas tout voir ! C’est pour cela que je demande à la FIFA d’augmenter le nombre d’arbitres. Le foot est le sport où le terrain est le plus grand et le sport où il y a le moins d’arbitres. Avec deux paires d’yeux supplémentaires, on limitera les erreurs. Personne n’est dupe, pendant 20 ans, quand l’arbitre était au milieu du terrain et qu’un joueur filait au but, la plupart du temps, il n’était pas certain du hors-jeu ou de la faute sifflée. Avec deux arbitres qui auront deux angles de vue différents, les décisions seront beaucoup plus sûres. Et puis, les arbitres centraux ne seront pas poussés à la retraite à 38 ans car ils devront courir beaucoup moins. Ils pourront faire carrière jusqu’à 50 ans !

Deux arbitres derrière chaque but, c’est aussi votre idée.

Des tests vont être effectués. On devra déterminer si les deux arbitres supplémentaires doivent se positionner sur le terrain ou derrière les buts pour se concentrer au mieux sur le jeu dans les derniers dix-huit mètres.

Pourquoi avoir attendu si longtemps pour faire ce type de proposition ?

Parce que je ne suis pas le patron de l’arbitrage, les Lois du jeu dépendent de l’International Board et de la FIFA. C’est à Monsieur Blatter de prendre la décision de faire des essais et d’avancer.

Ne redoutez vous pas qu’une augmentation du nombre d’arbitres ne provoque une certaine confusion au moment de prendre la décision finale ?

Pas du tout, ils doivent en référer à l’arbitre central, en expliquant ce que chacun des autres arbitres a vu pour l’aider à prendre la bonne décision.

Pourtant, il arrive régulièrement qu’un arbitre central se déjuge en fonction de ce qu’a vu l’arbitre de touche ?

Si on passe à cinq arbitres, comme je le souhaite, l’arbitre de touche sera uniquement chargé des hors-jeu, c’est le plus important. Les deux autres arbitres assistants s’occuperont d’observer le jeu dans les 18 mètres pour aider l’arbitre central.

On peut imaginer un système avec un arbitre qui intervient seulement en cas d’erreurs de l’arbitre central ?

Oui, donc on peut mettre les arbitres dans les tribunes…

Où en sont les tests pour déterminer si le ballon a franchi la ligne au moyen de puces électroniques ?

Les tests n’ont pas été concluants, notamment parce que l’information doit être instantanée. Au rugby, le match est arrêté, mais dans le football le ballon peut repartir de l’autre côté, donc l’exigence d’une information instantanée est impérative. Et le système de câblage sous la pelouse et sous les tribunes est très lourd à installer. Alors, imaginez le désordre en cas de panne du système si une contre-attaque se termine en but, je vois bien ce qui peut se passer dans les tribunes en cas d’incident…

 » D’accord pour les écrans géants dans les stades « 

N’existe-t-il pas déjà aujourd’hui un arbitrage vidéo qui ne dit pas son nom, comme lorsque l’arbitre de la finale de Coupe du Monde 2006 expulse Zidane après avoir vu le ralenti de son coup de tête sur l’écran géant du stade ?

Pas du tout, puisque ce n’est pas l’écran géant mais le 4e arbitre qui a informé l’arbitre central de ce qu’avait fait Zinédine Zidane. Les écrans géants des stades sont là pour le spectacle. C’est moi qui ai instauré cette mesure au niveau de l’UEFA parce que c’était interdit auparavant. Mais, on n’a rien à cacher. On peut montrer des ralentis pendant les matchs comme ce fut le cas pendant l’Euro 2008. Certains sont opposés à ce que les actions litigieuses soient montrées au motif que cela crée des problèmes, d’autres affirment le contraire. Mais le public de l’EURO n’est pas le même que le public des clubs. On va donc réfléchir encore à tout ça avant le prochain EURO, mais je suis favorable aux ralentis dans les stades.

Vous êtes opposé à l’arbitrage vidéo pendant les matchs, mais vous restez favorable à l’arbitrage vidéo a posteriori comme pendant l’Euro 2008 ?

Il est tout à fait possible de recourir à la vidéo pour des problèmes disciplinaires, afin de pouvoir sanctionner les tricheurs a posteriori. Les règlements permettent de suspendre un joueur qui a simulé ou triché. Mais au fond, c’est avant tout aux arbitres d’être meilleurs…

Le football sans polémique ne serait plus le football ?

Mais si on ne parle plus d’erreurs d’arbitrage, autant tout arrêter alors ! On va fermer tous les cafés en Belgique, en France et dans le reste de l’Europe ( sourires). Les gens ne discuteront plus de football. Il n’y aura plus de journaux, ni d’émissions de football.

Mais c’est aussi le beau jeu qui attire le public vers le football, pas la polémique ?

Dans la presse, je ne suis pas convaincu qu’on parle beaucoup de beau jeu ; les thèmes essentiels tournent surtout autour des erreurs d’arbitrage. Un journaliste de L’Equipe, disait que je devais vivre avec mon temps. Dans ce cas, je n’achète plus L’Equipe, mais je lis l’equipe.fr… ( sourires). Voilà, je n’achète plus les journaux et je vais sur Internet. Alors que je sais très bien que les journaux sont nécessaires car ils apportent un certain recul sur l’information. Aujourd’hui si on enlève les débats concernant l’arbitrage aux consultants de télévision, qui sont très compétents, ils n’auront plus rien à dire. Parce qu’on ne parle que de cela maintenant. C’est un débat qui ne sera jamais clos… à moins que les télévisions arrêtent de montrer les erreurs d’arbitrage. Ce que je ne souhaite pas car les arbitres sont pros, à eux d’être bons. Et à nous aussi de les aider avec deux arbitres supplémentaires…

(*) Demi-finale Mondial 1982. France-Allemagne : agression du gardien de but allemand Harald Schumacher sur le défenseur français Patrick Battiston, valant expulsion et penalty selon Michel Platini, mais faute non sifflée. Demi-finale Mondial 1986. France-Allemagne, toujours : but de Michel Platini refusé pour hors-jeu…. imaginaire selon l’intéressé.

par sébastien binet-décamps- photos: reuters

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