» Ce que j’ai appris… « 

Si Courtrai dispute la finale de la Coupe pour la première fois de son histoire, c’est en grosse partie dû à l’évolution de son coach.

Le 24 mars, pour cet événement historique, Hein Vanhaezebrouck veut mobiliser 18.000 supporters. Pourtant, lors de la demi-finale contre Mons, seules 4.792 personnes ont acheté un billet.  » Cette finale peut nous faire grandir. Un nouveau stade de 12.000 places aussi mais d’abord, il faut que le club soit plus stable. « 

Votre succès actuel vous surprend-il ?

Hein Vanhaezebrouck : Un peu. Nous avons 14 nouveaux joueurs et seuls quatre ou cinq titulaires de la saison passée jouent. En fait, même une huitième ou neuvième place constituait un objectif ambitieux.

Car vous aviez perdu des talents…

C’est un fait. Verbauwhede dans le but, Belhocine, Kums, De Beule puis en janvier Gershon et Rossini, sans oublier Mboyo, parti il y a un an.

Pourquoi Courtrai est-il meilleur que la saison précédente, alors ?

Le club a bien fait son travail. Le noyau est plus fort, les positions de 12 à 21 sont mieux occupées, ce qui me permet d’effectuer plus de changements.

Et les positions 1 à 11 ?

Certaines étaient peut-être un rien mieux loties. D’ailleurs, cette année, on ne trouve aucun Courtraisien parmi les meilleurs buteurs, les meilleurs passeurs ou les joueurs les plus méritants. Par contre, à sept reprises, un remplaçant a marqué. Notre noyau est plus riche en profondeur. Nous avons aussi gardé le zéro derrière douze fois. Si Mboyo était resté jusqu’en fin de saison, nous aurions aussi lutté pour les PO1 il y a un an. Hélas, Courtrai reste fidèle à lui-même : au lieu d’engager un bon avant pour épauler Mboyo et Rossini, il en a vendu un. C’est pour ça que le club reste exposé à une situation comme celle que vit Westerlo, contrairement à Zulte Waregem, qui a acheté des footballeurs coûteux comme Leye et Berrier. Les résultats suivent et ils pourront jouer un rôle en vue la saison prochaine. Mons a fait pareil en engageant Nong et Jarju. Cela n’est plus arrivé depuis quatre ans mais que ferions-nous en cas de pénurie au Nouvel An ?

 » Sans Devroe, Meunier aurait joué pour Courtrai « 

Quelle est la part de Jean-Marc Degryse, l’actionnaire principal décédé en janvier, dans ce succès ?

Il a mis sur pied un réseau international, s’est informé sur chaque joueur et a impliqué l’entraîneur dans tous les transferts. Peu de clubs atteignent un tel pourcentage de réussite.

Ne vous-êtes vous pas plaint de ne pas toujours avoir été mis au courant ?

Je parlais des départs. Seuls deux joueurs, Boutabout et Scepovic, sont arrivés à mon insu, le second suite à un sentiment de panique après le départ de Mboyo. Sinon, j’ai eu un entretien avec presque chaque joueur avant qu’il ne signe. L’année dernière, Meunier appréciait notre vision et la position qui lui était destinée. Sans Luc Devroe, il serait à Courtrai. Je n’ai pas discuté avec Monrose mais Jean-Marc m’avait assuré que c’était superflu car il le connaissait depuis quatre ans. Il piétinait à Lens, sous la férule de Bölöni, mais il a repris sa progression ici car il n’est pas obligé de suivre son arrière jusqu’au rectangle. Un cran plus haut, il défend tout aussi bien tout en exerçant un bon pressing en possession du ballon. Il parvient à très bien se concentrer sur son match. C’est un transfert de Jean-Marc à 100 %.

On a aussi reproché à Degryse, il y a cinq ans, de se mettre en travers d’une restructuration et d’une augmentation de capital alors que des investisseurs s’étaient présentés. Ne vous étiez-vous pas opposé à lui ?

Il était le patron, comme Roger Lambrecht l’est à Lokeren, même si la situation est différente : là, le patron possède tout le capital. Mais voilà, Jean-Marc était le patron. C’était son stade. En semaine, il était souvent dans la tribune et il organisait même des réunions au stade. Courtrai était tout pour lui, il n’était pas question qu’un autre y touche. On n’a pas toujours été d’accord mais il n’a quand même pas mené le club au bord du gouffre. Au contraire, il lui a permis de survivre il y a onze ans et regardez notre classement actuel…

Est-ce lui qui est venu vous chercher au White Star Lauwe, en 2007 ?

Oui. Quand il m’a contacté, j’étais sur le point de signer chez un autre club de D2. Courtrai avait deux candidats, Gerrit Laverge et moi. J’ai discuté avec le président et Jean-Marc, qui me soutenait.

 » J’attends avec curiosité la réunion de la cellule scouting « 

Est-ce aussi lui qui vous a récupéré en 2010 ?

Oui. C’était une initiative personnelle.

Qu’y avait-il entre vous ?

Nous étions tous deux convaincus d’avoir raison et nous nous disputions mais nous riions aussi souvent. Nous nous soutenions, sachant qu’il fallait construire une équipe. Jean-Marc ne se mêlait jamais du terrain. Une fois, après une réunion, il m’a fait une remarque -En tant que supporter, a-t-il précisé. J’ai répondu que je n’en tiendrais donc pas compte ! Il y avait deux porte-parole : le président pour la direction et l’entraîneur pour le sportif. Son décès constitue une perte énorme pour le club, à tous les niveaux.

Que va-t-il advenir du club ?

Je ne sais pas. Je ne pense pas que Jean-Marc ait expliqué notre méthode de travail et de communication pour les transferts aux autres actionnaires. On ne m’a pas encore posé la question. Est-ce que je pourrai avoir des discussions aussi dures avec les autres dirigeants ou est-ce que ça va les choquer ? J’attends avec curiosité la réunion de la cellule scouting. J’attends des noms, des options et des pistes pour la saison prochaine. Il faut faire ses devoirs en mars, surtout quand les scouts ne travaillent pas à temps plein.

On ne tarit pas d’éloges à votre égard. Vous devez vivre une période fantastique ? Quelle est votre plus grande satisfaction ?

Pas la finale de la Coupe. Plutôt le fait qu’un noyau quasiment neuf soit si soudé, comprenne toutes mes consignes et parvienne à se concentrer sur chaque match.

Et le fait que malgré votre préférence pour un football dominant, votre défense encaisse peu de buts ?

Préserver ses filets aussi souvent n’est pas un objectif premier mais c’est fantastique.

 » J’ai beau crier aux joueurs de plonger dans le rectangle « 

Mais vous marquez peu, malgré votre pléthore d’attaquants – Nfor, Monrose, Veselinovic, Chavarria.

D’accord, j’ai le choix dans ce secteur mais le sens du but est une qualité innée. Je n’ai pas un joueur comme Perbet, qui marque les yeux fermés.

N’est-ce pas lié au style de jeu, axé sur le contrôle de l’entrejeu ?

Oussalah a inscrit quatre buts et a raté plein d’occasions. Il n’a pas marqué sur penalty ni sur coup franc mais suite à des actions. Il n’y a pas beaucoup d’équipes qui permettent à leur arrière gauche de se présenter aussi souvent devant le but adverse.

Mais vous manquez de présence devant le but : sur les centres il n’y a pas assez d’hommes dans la zone de vérité. Pourquoi ?

J’ai beau crier aux joueurs de plonger dans le rectangle, ils préfèrent attendre et spéculer sur le deuxième ballon. Perbet, Vossen et Ogunjimi vont toujours dans le rectangle. Ils veulent y être en premier car s’ils ont le ballon, ils vont le dévier et marquer. Je n’ai pas ce type de joueurs.

Vous êtes prêt pour une nouvelle chance dans un grand club ?

Si je décide de partir, je devrai effectuer un meilleur choix que Genk ! C’est un chouette club mais je dois mieux jauger le moment et les possibilités.

Gunter Jacob, votre agent, y est maintenant DT. Un retour est possible ?

Non. D’ailleurs, nous devons nous voir et je pense que nous allons mettre fin à notre collaboration, son nouveau rôle n’étant pas compatible avec la défense des intérêts d’un entraîneur.

 » Je suis toujours dominant, même un peu trop « 

Le poste de DT de l’UB vous aurait-il tenté ?

C’est un job génial.

Pourquoi n’avoir pas posé votre candidature ?

Parce que j’entraîne Courtrai. Il faudrait qu’une autre personne soit à même de reprendre la direction de l’équipe mais pour le moment, je n’ambitionne pas ce poste.

Dans quelle mesure avez-vous changé depuis votre passage à Genk ?

Je suis plus serein dans la victoire comme dans la défaite mais je n’ai pas perdu ma motivation. En voyant ce qui se passe ailleurs, en réalisant moi-même des expériences, j’ai pris conscience qu’il fallait gérer les événements plus calmement, plus sagement. Parfois, je réalise que je suis encore en train de m’exciter et je tente de me calmer. Il faut parfois fermer les yeux, laisser faire le temps.

Vous êtes moins combatif ?

Avant, je passais mon temps à me disputer. J’ai compris que ça n’avait aucun sens. Je n’essaie plus d’imposer ma vision à chacun. Je ne discute plus qu’avec ceux qui comptent, plus avec les autres. Cette saison, il s’est passé des choses au club sans qu’on ne m’en parle mais je n’ai rien dit. J’en ai observé le déroulement à distance et j’ai constaté qu’il aurait été inutile de réagir. Cette approche me donne plus de sérénité, ça me permet de mieux me concentrer sur ce que je dois faire. Je laisse les gens parler, je continue à travailler en pensant que ce sera rentable à terme et que cela me vaudra les compliments de ces mêmes personnes alors que je n’aurai rien changé à mon travail.

Vous avez adapté votre communication à celui auquel elle est destinée ?

Non car j’ai toujours procédé ainsi et même à Genk, ma méthode avait très bien fonctionné pendant la préparation. Tout se déroulait parfaitement puis le championnat a débuté. Je n’ai pas obtenu de résultats immédiats, la direction a critiqué publiquement ma tactique et la composition de l’équipe, suivie, comme toujours dans ce cas, de certains joueurs. Je ne dirai qu’une chose : on parle beaucoup d’accompagnement mental mais je ne travaille pas avec un coach mental car Courtrai ne peut se le permettre financièrement. Pourtant, on dirait que je suis un des rares entraîneurs capables de travailler avec Nfor. Beaucoup de collègues se sont cassé les dents sur lui. Finalement, chaque entraîneur peut fournir des exemples d’hommes avec lesquels il a réussi ou pas.

Etes-vous toujours dominateur ?

Même un peu trop… C’est aussi un aspect sur lequel je travaille même si c’est une qualité indispensable pour un entraîneur : il faut l’être pour pouvoir forcer quelque chose. Je le suis moins quand je suis confronté à de fortes personnalités comme Sven Kums. Je reste sans doute trop autoritaire mais d’un autre côté, regardez notre classement. Notre style de jeu est également dominateur car je m’appuie sur des schémas et des positions très reconnaissables. Les joueurs peuvent prendre des décisions car je suis capable de leur en accorder la liberté quand ils sont prêts à le faire.

 » Je dois mettre mes joueurs en garde contre les provocations « 

Vous avez la réputation d’être tactiquement fort et de tout vouloir connaître de votre adversaire. Vous voulez, comme José Mourinho, savoir comment provoquer chaque joueur adverse ?

Non. Je les connais. Il m’arrive d’émettre une remarque mais malheureusement, je dois surtout mettre mes joueurs en garde contre les provocations inutiles.

Courtrai est premier au classement des cartons rouges.

Oui mais aucun club n’a pris aussi peu de cartes jaunes. Nous avons reçu ces cartes rouges parce que nous nous sommes laissés entraîner à pousser ou tirer…

Arnar Vidarsson nous a confié après que vous l’ayez qualifié de provocateur :  » Tous les trucs que Vanhaezebrouck m’a appris à Lokeren se retournent contre lui dix ans plus tard « .

Cela fait également partie du jeu, même si c’est parfois méchant. J’ai certainement appris beaucoup de choses à Arnar mais pas tout. Par exemple, ce n’est pas de moi qu’il tient cette façon de provoquer ses adversaires avant de se laisser tomber à la moindre réaction. Comme entraîneur, je dois dispenser des conseils sur la manière d’entrer en duel, s’imposer face à un adversaire plus grand ou meilleur de la tête ou susciter une faute.

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE – PHOTO: KOEN BAUTERS

 » Ma plus grande satisfaction ? Qu’un noyau quasiment neuf soit si soudé. « 

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