CE QU’IL N’A PAS DIT

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Derrière les attaques récentes contre le champion de Belgique, il y a des tas de choses que l’agent de joueurs inculpé avait cachées et qu’on a découvertes.

P ietro Allatta a repris du poil de la bête. Oublié, l’homme qui, il y a quelques semaines, paraissait au bord de la déprime. Il a récemment forcé des portes pour revenir sur le devant de la scène médiatique et utilise à nouveau l’arsenal qu’on lui connaît : l’attaque à tout crin. Mais au-delà des coups de gueule, il y avait des choses qu’il n’avait pas dites. Alors, nous nous sommes alimentés à plusieurs sources pour apporter les corrections nécessaires.

Le transfert de Proto

Ce que dit Pietro Allatta :

 » Je me suis fait berner dans le dossier du transfert de Silvio Proto. Anderlecht voulait le joueur mais refusait de passer par moi. Parce que le manager général du club Herman Van Holsbeeck préférait travailler avec ses agents attitrés, qui lui auraient permis de se prendre sa petite commission habituelle, comme il l’a toujours fait dans tous les clubs où il a travaillé. Personne n’a été correct dans l’histoire : Herman Van Holsbeeck, le président de La Louvière Filippo Gaone et son avocat Laurent Denis ont chipoté. C’est avec moi qu’Anderlecht devait discuter, pas avec Laurent Denis qui voulait porter trois casquettes : avocat d’Anderlecht, avocat de La Louvière et agent de Proto. Le Sporting devait négocier avec le bon Dieu, pas avec le Saint-Esprit. Au bout du compte, je n’ai pas touché un euro. Ce transfert ne m’a rien rapporté, à part des problèmes. C’est l’agent anglais Peter Louwes qui a tout pris alors que j’avais moi-même tout réglé. Louwes m’avait promis verbalement de me reverser un pourcentage mais je n’ai rien eu. Aujourd’hui, je suis inculpé pour une fausse facture dans le dossier du transfert mais je la conteste. Tout cela ne serait pas arrivé si Anderlecht m’avait versé directement ma commission. J’ai la preuve que c’est moi qui ai tout fait dans ce transfert, pas Louwes : si Van Holsbeeck m’a accepté près de lui à la conférence de presse de présentation de Proto, c’est parce qu’il était conscient que j’avais bossé pour qu’on trouve une solution « .

Ce qu’on a découvert :

Peter Louwes est un agent anglais de gros calibre, il a autrefois géré les transferts de David Ginola et Patrick Vieira, il est un des agents de confiance de l’entraîneur et manager d’Arsenal, ArsèneWenger. Il avait été envoyé en repérage à La Louvière, pour Silvio Proto, par Arsenal et Portsmouth. Allatta, qui débutait dans le métier de manager et ne se sentait pas capable de gérer seul un tel dossier, l’avait présenté à Laurent Denis. Mais Louwes avait vite compris qu’il n’arriverait à rien de bon en travaillant avec Denis et avait laissé tomber le dossier Proto. Il était revenu dans le parcours au moment où Anderlecht voulait Proto mais refusait de traiter avec Allatta. Il n’a rien pris sur le transfert (1 million) mais a gagné sur le long terme : Proto est désormais dans son écurie et c’est à Louwes que reviendront 7 % du premier salaire annuel du gardien en cas de transfert vers un autre club.

 » C’est Allatta qui a tenu toutes les ficelles dans les négociations « , dit Van Holsbeeck.  » Nous n’avions pas le choix, passer par lui était la seule solution si nous voulions le joueur. Louwes est seulement intervenu le jour où j’ai dit que je ne voulais pas me mettre à table avec Allatta pour discuter. En général, nous versons nous-mêmes la commission à l’agent quand nous achetons un joueur. Mais dans ce cas, nous avons laissé à La Louvière le soin de s’en occuper parce que le dossier était très compliqué « .

La commission sur la vente de Proto a bel et bien été versée par La Louvière à Allatta : 350.000 euros. Mais Allatta a facturé sa  » prestation de services  » via une société basée au Luxembourg, dont l’administrateur délégué est un certain René Vitullo, et dont Alison Allatta, fille de Pietro, est administratrice. Nom de la société : Mecanair. Aujourd’hui, cet argent est bloqué par la justice. Dès qu’Allatta s’est présenté spontanément à la police, à son retour de l’Ile Maurice, les enquêteurs ont eu deux types de soupçons : possédait-il bel et bien une licence d’agent FIFA, et avait-il tenté de faire du blanchiment ? Du côté de l’enquête, on nous confirme qu’entre-temps, ces deux suspicions ont été levées.

 » On peut penser ce qu’on veut d’une licence délivrée par le Togo, mais la FIFA la reconnaît officiellement, donc tout est en ordre pour nous à ce niveau-là « , nous dit une personne de la cellule d’enquête sur les matches truqués et les malversations dans le monde du foot belge.

La suspicion de blanchiment a aussi été balayée entre-temps par la justice. La semaine dernière, l’avocat de Pietro Allatta, Olivier Martins, a de nouveau contacté les enquêteurs pour demander que la justice lève la saisie conservatoire sur les 350.000 euros. Cela pourrait se faire prochainement.

Mais il en faudra plus pour qu’Allatta touche ses 350.000 euros. Son grand tort dans le dossier du transfert de Proto a été de ne pas facturer lui-même la commission que La Louvière devait lui verser. S’il l’avait fait, il n’aurait même pas été inquiété par la justice suite aux interrogatoires de Laurent Denis et Filippo Gaone. Mais en facturant à son nom, Allatta aurait dû payer beaucoup d’impôts sur sa commission. Le système fiscal est bien plus avantageux quand on passe par une société.

 » De nombreux agents ont fondé une société « , dit-on du côté de l’enquête.  » C’est légal et plus intéressant pour eux « . Problème pour Allatta : en 2000, la cour d’appel de Bruxelles l’a condamné dans le dossier des négriers de la construction et cette condamnation comporte une interdiction, pendant 10 ans, d’être gérant ou administrateur d’une société. C’est pour cela qu’il est passé par Mecanair, où il n’occupe forcément aucun poste. Et c’est pour cela que la justice l’a inculpé d’abus de biens sociaux. Aujourd’hui, il voudrait que Mecanair lui verse ses 350.000 euros (dès que la saisie aura été levée et que la somme sera de nouveau en possession de Mecanair), mais il doit d’abord prouver qu’ils lui reviennent et c’est là que ça coince. Si Mecanair lui verse cette somme, ses administrateurs seront considérés comme coauteurs d’une malversation financière. Pour résumer, Mecanair a servi de société écran.

La justice continue donc à s’interroger sur le dossier Allatta/Mecanair mais, officiellement en tout cas, pas sur le transfert de Proto. On nous y a dit :  » Pour nous, tout est clair. Nous savons combien Anderlecht a versé à La Louvière et combien La Louvière a versé à Mecanair. La transaction s’est faite dans les règles entre les deux clubs « .

Me Olivier Martins argumente sa demande de déblocage des comptes :  » Faire de l’abus de biens sociaux, c’est par exemple piller une société, s’acheter une Ferrari de fonction alors que l’entreprise vivote. Rien de tout cela dans le cas de Pietro Allatta. Il a simplement eu le tort de facturer à La Louvière sa commission de transfert via une société. Sa seule faute est celle-là. Il ne cherchait pas à dissimuler quoi que ce soit « .

Matches truqués et pollution de la fédé

Ce que dit Pietro Allatta :

 » Vous voyez comment la justice travaille ? On n’est encore nulle part dans l’enquête sur les matches soi-disant truqués. On attend toujours que les enquêteurs révèlent les noms des inculpés dans cette histoire. Moi, je ne le suis pas, c’est tout ce dont je suis certain. C’est scandaleux qu’Anderlecht ait limogé Laurent Delorge et Marius Mitu alors qu’il n’y avait aucune preuve contre eux dans l’affaire des matches truqués. Et ils sont toujours présumés innocents aujourd’hui. Les dirigeants d’Anderlecht s’étaient vite rendu compte qu’ils avaient commis une grosse erreur sportive en les transférant, et donc ça les arrangeait très bien de virer deux gars qui ne leur apportaient rien sur le terrain. Vous croyez qu’ils auraient fait ça avec des titulaires. Non, évidemment « .

Ce qu’on a découvert :

Allatta a raison quand il dit qu’il n’est pas directement inquiété dans l’affaire des matches arrangés.  » Le seul qui est formellement impliqué à La Louvière pour le moment, aux yeux de la justice, c’est Gilbert Bodart « , nous révèle un enquêteur.  » Il est le seul à avoir fait des aveux : il a reçu une enveloppe. Mais il ne dit pas s’il en a redistribué le contenu à des joueurs… alors qu’il parle toujours beaucoup. Et tous les joueurs de La Louvière nient. Filippo Gaone n’est pas non plus inculpé dans ce dossier. Pas plus que Laurent Denis. Ils le sont tous deux dans une autre histoire, purement financière. Gaone a détourné de l’argent du club vers certaines de ses sociétés, dont les magasins Tournesol, pour les sauver de la faillite. C’est de l’abus de biens sociaux. Il s’est aussi rendu coupable de fausses factures. Tout cela avec la complicité de Laurent Denis, qui est donc considéré comme coauteur. Pour ce qui est des matches truqués, presque tous les aveux sont venus du Lierse. Nous en voulons à l’Union Belge, qui a suspendu des joueurs de ce club dès qu’elle a appris leurs aveux. Cette suspension a effrayé les joueurs d’autres équipes qui auraient participé au trucage de matches. La Fédération nous a cassé notre enquête. Notre travail a été pollué par l’Union Belge, par des journalistes qui ont raconté n’importe quoi et par des témoins peu fiables « .

Allatta est donc tranquille dans le dossier du Chinois mais doit encore se dépatouiller au niveau du dossier Mecanair ainsi que des menaces de mort avec ordre ou condition à l’égard de l’agent de joueurs Harald Suain.

Le Chinois s’appelle-t-il Ye ?

Ce que dit Pietro Allatta :

 » Tu sais quoi ? Le Chinois, c’est un type réglo. Il me doit encore un peu d’argent, une commission sur la première tranche de son rachat de La Louvière, mais il est honnête. Je l’avais mis en rapport avec Gaone, il devait racheter le club en versant 4 fois 500.000 euros. Il a fait le premier versement, puis il a été inquiété par la justice et on ne l’a plus revu. Ils pouvaient le coffrer et le cuisiner mais ils l’ont laissé filer « .

Ce qu’on a découvert :

Toute la Belgique du foot reproche encore aux enquêteurs de ne pas avoir enfermé le Chinois lorsqu’il a été interpellé dans un hôtel bruxellois où il se trouvait avec Pietro Allatta et Olivier Suray.  » Nous n’avions aucune base légale pour le faire « , dit-on à la justice.  » Aujourd’hui, nous ne savons toujours pas où il se trouve. Vit-il toujours ? S’appelle-t-il bien Ye ? Nous n’en sommes même plus persuadés « .

Simple fantasme d’un enquêteur ou bombe à retardement ?

Ce que dit Pietro Allatta :

 » Je voudrais rencontrer Roger Vanden Stock en tête à tête pour tout lui expliquer, pour lui révéler ce que Van Holsbeeck a fait – mais que je ne peux pas vous raconter. Et j’aimerais affronter Van Holsbeeck en face à face à la télé. RTL nous l’a proposé mais il refuse car il a peur. Je ne l’ai pas épargné depuis deux semaines parce qu’il ne mérite pas mieux. Je ne regrette qu’une chose : avoir insulté sa mère. Je m’excuse publiquement. J’attends qu’il s’excuse à son tour pour tout le mal qu’il m’a fait. En attendant, je garde pour moi ma bombe. J’ai les moyens de faire exploser Anderlecht à tout moment, de tout faire péter « .

Ce qu’on a découvert :

Allatta ne veut pas en dire plus sur les raisons qui lui permettraient de faire exploser une bombe. Fait-il allusion à la version bis du transfert de Proto qui nous est revenue d’une source très proche de l’enquête ? Selon cette version, la vente de Proto aurait rapporté plus que le million officiel à La Louvière : une grosse enveloppe d’argent noir (entre 250.000 et 500.000 euros) aurait été versée par Anderlecht à Filippo Gaone, qui l’aurait partagée avec Laurent Denis. Allatta privé (provisoirement ?) des 350.000 euros de la facture faite par Mecanair et sans ressources, n’aurait pas pu s’adresser à Gaone et Denis (eux aussi en difficultés) pour avoir son pourcentage sur la commission occulte. Il se serait donc adressé à Van Holsbeeck, qui aurait lui aussi reçu sa part de gâteau. Mais Van Holsbeeck l’aurait envoyé à la gare, d’où le courroux d’Allatta. Simple fantasme d’un enquêteur ? L’avocat de Pietro Allatta fait une remarque étonnante :  » Vous savez comme moi que tout le monde touche quand il y a un transfert : celui qui vend, celui qui achète, l’agent. Ces méthodes ne datent pas du Chinois « …

 » Grâce à la plainte que le Sporting et moi-même avons déposée contre Allatta pour diffamation et/ou calomnie, nous serons confrontés à lui et chacun ira devant la justice avec ses pièces et ses preuves « , lance Van Holsbeeck.  » C’est là-bas que je veux l’affronter, pas sur un plateau de télé. Anderlecht est un livre ouvert. M’excuser ? Ah bon… Qu’est-ce que j’ai dit de mal ? »

Défense de cracher

Ce que dit Pietro Allatta :

 » Je n’ai plus revu Silvio Proto depuis mon retour de l’Ile Maurice, quand on m’avait mis en prison. Cela me fait mal. Mais il est mal pris. Il m’a lâché uniquement sous pression d’Anderlecht. On lui a fait du chantage, du style : -Si tu continues avec Allatta, tu ne joueras plus. C’est mafieux, ça, pire que ce qu’on voit en Italie. Cette séparation me fait plus mal que la séparation d’avec mon ex-femme. Mais je reverrai Proto : il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas. La justice m’avait confisqué ma carte d’agent de joueurs mais je viens de la récupérer. Je dois tout reconstruire car j’ai perdu tous mes footballeurs. Je remonterai la pente. Je travaille encore pour Piacenza. Regarde ma carte, je suis osservatore pour ce club. C’est à cause d’Anderlecht que j’ai perdu tous mes joueurs, ils sont tellement riches au Sporting qu’ils sont hyper puissants, mais qu’ils sachent une chose : ils ne seront jamais les plus riches du cimetière. Et quand tu craches en l’air, ça te retombe toujours sur le nez « .

Ce qu’on a découvert :

Le GSM de Pietro Allatta a sonné au moins dix fois pendant les deux heures que nous avons passées avec lui. Une interview l’attendait juste après la nôtre : l’homme est toujours un client pour la presse, il n’est pas mort. Et il continue à avoir ses adeptes dans le monde du foot. Un de ces coups de fil provenait de Mogi Bayat, qui lui demandait d’intercéder pour placer Majid Oulmers à Piacenza dès le mercato d’hiver. Allatta a calmé les ardeurs du manager des Zèbres :  » Attends un peu, laisse-le jouer de bons matches, ne précipite rien « .

PIERRE DANVOYE

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