» CE QU’IL FAUT AUX DIABLES ? L’INSTINCT DE KILLER « 

Ancien extérieur droit, l’ex-Ajacide était sur le point de devenir une des figures de proue de cette génération de Diables Rouges. Mais alors que ses camarades vont bientôt monter sur le terrain, Tom De Mul tente de se construire une nouvelle vie en-dehors du terrain.

Il y avait du beau monde sur la photo de l’équipe belge, avant son tout premier match aux Jeux olympiques de Pékin, contre le Brésil. Logan Bailly dans le but, Sepp De Roover derrière mais aussi Vincent Kompany, Thomas Vermaelen, Jan Vertonghen, Sébastien Pocognoli, Marouane Fellaini, Maarten Martens, Kevin Mirallas, Moussa Dembélé et… Tom De Mul.

Sept ans plus tard, la majorité de ces joueurs s’apprête à disputer deux matches contre Andorre et Israël. Tom De Mul sera certes à Bruxelles pour le match contre Israël mais comme agent, représentant son nouveau bureau, A Group Management et Consultancy, et en sa qualité d’intime de plusieurs internationaux et conseiller de Jan Vertonghen, qui est son meilleur ami. Il est également resté proche de Thomas Vermaelen et Moussa Dembélé qui sont aussi partis du Beerschot pour les Pays-Bas.

En 2011, De Mul a été contraint de raccrocher les crampons, suite à une tenace blessure. Il n’a même pas joué une minute pour le Standard, auquel Séville l’avait loué en 2010.

Depuis plus d’un an, il gère à Anvers le bureau de management, avec un ami, Yama Sharifi, qui a quitté l’Afghanistan à sept ans, avec sa famille et qui, comme De Mul, a été transféré du Germinal à l’Ajax, sans succès toutefois.

Quand tu revois la photo d’équipe des Jeux olympiques, tu es surpris par un joueur en particulier ?

TOM DE MUL : Marouane Fellaini, dans le bon sens. On remet toujours ses qualités en doute mais il se rend toujours utile et évolue dans une des plus grandes équipes d’Europe. A l’époque, j’attendais par contre beaucoup plus de Vadis Odjidja.

En 2008, vous étiez conscients que la Belgique allait émarger à l’élite mondiale ?

DE MUL : Cette prise de conscience a débuté en 2008. De plus en plus de joueurs signaient pour de grands clubs. Cet été-là, Kompany a quitté Hambourg pour Manchester City et moi, j’étais déjà à Séville. Nous nous sommes tirés mutuellement vers le haut. Quand l’un d’entre nous faisait son trou dans un grand club, les autres se disaient qu’ils en étaient également capables.

Jan Vertonghen est ton meilleur ami. Tu t’attendais à ce qu’il signe un parcours pareil ?

DE MUL : Oui. Jan a toujours été stable et s’est toujours distingué par une technique de frappe exceptionnelle. Jan est un des meilleurs défenseurs d’Europe à la relance. Durant sa dernière année à l’Ajax, on voyait bien qu’il devait franchir un palier supplémentaire pour continuer à progresser et il l’a fait. Il est l’exemple parfait de la manière d’aller de l’avant au bon moment. Moi, j’aurais dû attendre un an de plus. J’étais encore trop irrégulier. L’Ajax était prêt à m’offrir un meilleur contrat mais je rêvais d’Espagne. C’est pour ça que j’ai refusé le Dynamo Kiev et le Spartak Moscou, qui me voulaient à tout prix. J’aurais pu gagner davantage en Ukraine ou en Russie mais ça ne m’attirait pas. Donc, j’ai mis le cap sur l’Espagne et pas sur l’Atlético Madrid, qui me convoitait aussi, mais sur Séville, qui me suivait depuis mes quinze ans et qui m’a soumis un plan de carrière très détaillé. Je n’étais pas encore assez bon pour Barcelone, le club de mes rêves. Thomas Vermaelen a maintenant ce niveau. A mon arrivée à Séville, je ne parlais pas un mot d’espagnol. Chez le boucher, le boulanger, je devais me faire comprendre par gestes. Au club, on ne parlait qu’espagnol. Je le maîtrise très bien maintenant.

LE REAL ET DEMBÉLÉ

Yama, beaucoup d’anciens internationaux disent que Moussa Dembélé, ton meilleur ami, est le meilleur footballeur avec lequel ils ont évolué en équipe nationale. Pourquoi n’est-il pas devenu un tout grand joueur ?

YAMA SHARIFI (SON PARTENAIRE DANS LA BOÎTE DE MANAGEMENT) : Parce que les statistiques sont devenues très importantes dans le football contemporain. Moussa y travaille mais pour le reste, il a tout. Ballon au pied, il est un des meilleurs au monde. Il est également très ambitieux, sans jamais le montrer. Il est modeste, un peu introverti. Il faut du temps pour le découvrir. Il reste les deux pieds sur terre. Toujours.

DE MUL : Moussa dégage une certaine nonchalance alors qu’il n’a pas ce trait. Depuis un an, il travaille d’arrache-pied avec un performance coach, en plus de son programme d’entraînement. Il surveille son alimentation et se soigne parfaitement. Impossible d’être plus professionnel. Il a certainement le niveau pour être l’un des meilleurs en Premier League.

SHARIFI : Le Real le suivait il y a deux ou trois ans. Ce n’était sans doute pas pour rien.

Que manque-t-il à l’équipe nationale, à part un bon Tom De Mul ?

DE MUL : Elle doit apprendre à plier un match. Elle n’a pas l’instinct du killer.

Sans cette blessure, tu aurais eu ta place dans cette équipe-là ?

DE MUL : J’aurais pu.

Ça fait mal ?

DE MUL : Plus depuis que j’ai un nouveau job. Avant bien.

Quels sont tes objectifs dans ta nouvelle carrière ? A 28 et 29 ans, vous êtes plus jeunes que la plupart des présidents et des managers de club auxquels vous être confrontés et le milieu grouille d’agents.

DE MUL : Nous offrons un suivi complet, de A à Z. Nous proposons un concept unique, qui s’appuie sur nos propres expériences : la mienne, qui suis arrivé au sommet, et celle de Yama, qui était un grand talent mais qui n’a pas réussi. Nous pouvons aider les autres grâce à ce qui nous a fait défaut.

Qu’est-ce qui vous a manqué le plus, quand vous étiez des jeunes talents ?

YAMA : J’ai échoué faute d’un bon accompagnement. Une personne compétente peut faire la différence entre la réussite et l’échec. A Amsterdam, j’ai craqué sous le poids de la nostalgie. Je me sentais terriblement seul et du coup, j’ai mal joué. Avant, au GBA, je pouvais toujours m’adresser à Urbain Haesaert. Il était notre Dieu. L’Ajax s’occupait beaucoup de l’ensemble, de l’équipe, mais moins du suivi individuel. J’y ai appris ce qu’était la solitude.

Un jour, les cars étaient prêts pour le retour et j’ai vu Urby Emanuelson (ex-Milan et AS Rome) parler à quelqu’un, qui lui a donné des conseils, pour le football comme pour le reste. Je regrette de n’avoir connu personne qui me demande ce dont j’avais besoin, qui puisse me conseiller, qui soit là quand c’était nécessaire pour moi. Mais je n’avais personne.

DE MUL : Pris par mon propre développement, je n’ai pas remarqué que Yama était perdu. S’il avait eu quelqu’un pour l’épauler, sportivement et mentalement, il jouerait toujours en D1. Il n’aurait jamais dû revenir au Beerschot, il aurait dû serrer les dents et rester à l’Ajax.

LE TROU NOIR

Tu aurais eu la même carrière si tu étais resté en Belgique, Tom ?

DE MUL : Non. L’Ajax propose une formation fantastique. C’est une école très dure car il attend de vous des prestations même quand vous êtes jeunes. Je n’aurais pas voulu louper cette formation pour tout l’or du monde. J’ai été entouré par de meilleurs joueurs, de meilleurs entraîneurs, l’encadrement était supérieur et il y avait ces automatismes, simples, qui revenaient tous les jours à l’entraînement.

De temps en temps, j’avais besoin qu’on me ramène les pieds sur terre. J’avais le sentiment que tout se déroulait trop facilement jusqu’à ce que je me retrouve à l’Ajax. Là, j’ai compris que je ne pouvais plus m’appuyer sur mon seul talent. Pour la première fois, j’ai été à mes limites. Jusqu’à 17 ans, je me suis reposé sur mon talent.

Tu as commis des erreurs durant ta carrière ? Tu donnais l’impression de ne vivre que pour le football, à Séville.

DE MUL : En effet mais j’aurais peut-être pu éviter mes problèmes médicaux en effectuant quelques checkups. Il y a une différence entre traiter une blessure et préparer, préventivement, son corps à une carrière sportive professionnelle. Avant, l’entraînement était surtout un événement de groupe. Le suivi individuel est un phénomène plus récent. Les jeunes que nous suivons sont testés et accompagnés de ce point de vue à partir de seize ans. Nous collaborons avec un performance coach pour les renforcer et éviter les surcharges prématurées. Il faut tenter d’agir avant l’apparition de problèmes. De la même façon, il faut aider très tôt les jeunes sur le plan financier.

Tu as vu beaucoup de footballeurs déraper ?

DE MUL : Oui. Beaucoup d’entre eux ont dépensé trop d’argent et ont fait des folies, surtout à la fin de leur carrière, quand ils ont essayé de conserver le même train de vie.

Moi aussi, j’ai pris cet aspect par-dessus la jambe, un moment donné. C’est à Séville, alors que je n’étais pas titulaire, que je me suis demandé combien je devais économiser, comment je devais investir. Une fois ces deux aspects en ordre, il reste encore largement assez pour mener une vie agréable. Il faut trouver le bon équilibre le plus vite possible. Je me suis débrouillé tout seul mais maintenant, nous essayons de trouver de bons conseillers à nos joueurs. Il faut qu’ils conservent quelque chose pour leur après-carrière, afin d’éviter le trou noir et la précarité.

Tu es tombé dans un trou noir ?

DE MUL : Oui. Parce que j’ai dû arrêter beaucoup trop tôt et que je n’y étais pas préparé. D’un coup, j’ai dû me demander que faire alors que toute ma vie avait tourné autour du football. Tout le monde a besoin d’objectifs dans la vie mais les miens se sont envolés d’un coup. Par moments, j’étais déprimé. Je n’avais pas la moindre idée de ce que je voulais faire de ma vie.

Ce vide s’est comblé quand j’ai décidé de travailler avec Yama. Maintenant, je suis énormément de matches, mais d’une manière neutre. Je n’ai plus envie de monter sur le terrain car je sais que je suis là avec un objectif : faire mon travail. Mais cette période difficile, cette quête de moi-même, a duré un an. Depuis la Coupe du Monde, je peux enfin regarder les matches sans penser que j’aurais dû en être.

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS BELGAIMAGE

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