» Ce n’est pas une surprise ! « 

Pourquoi le gardien de but bruxellois et son club chypriote font-ils sensation en Ligue des Champions ?

Tous les médias d’Europe s’intéressent à la magnifique réussite d’Apoel Nicosie. Le David chypriote a toisé des clubs infiniment plus riches, comme Porto, le Shakhtar Donetsk et le Zénith de Saint-Pétersbourg, afin d’émerger la tête haute des poules de la Ligue des Champions.

Au départ, personne ne donnait l’ombre d’une chance à ces Chypriotes qui, on l’a négligé, ont beaucoup progressé grâce à l’apport de bons joueurs étrangers venus des Balkans, d’Afrique et d’Amérique latine. Et un Belge d’origine espagnole s’est glissé parmi eux : Urko Pardo. A 28 ans, il vit des moments exceptionnels :  » Grâce au football, je suis devenu un citoyen du monde. Je voyage, je vis des choses intéressantes, j’ai mûri en Espagne, en Grèce et à Chypre. Mais ce que je vis ici, ce n’est que du bonheur. C’est vraiment exceptionnel… « 

Il y a un homme à la base de ce succès, non ?

Urko Pardo : Oui, le coach. Cette équipe, il l’a construite, étage par étage, brique après brique. La direction l’a soutenu, c’est évident, mais il faut quand même mesurer l’étendue de son boulot. Sans lui, je ne sais pas si Apoel Nicosie en serait là. Probablement pas, il faut bien le dire.

Mais qu’a-t-il d’exceptionnel cet Ivan Jovanovic ?

Je l’avais déjà croisé quand je jouais à Iraklis, en Grèce. Notre coach serbe a effectué toute sa carrière de joueur dans ces contrées. Il connaît parfaitement la mentalité grecque et chypriote. A Iraklis, on ne lui a pas donné le temps de développer ses idées. Ici bien ; d’ailleurs, il était déjà passé avec succès à Apoel Nicosie qui truste les titres à Chypre. Il y a deux ans, mon club actuel s’était déjà qualifié pour les poules de la Ligue des Champions. Et Apoel avait failli surprendre l’Atletico Madrid, Porto et Chelsea où mes camarades arrachèrent même un match nul. Cette campagne réussie rapporta de l’argent, qui fut intelligemment réinvesti dans l’outil de travail et afin de renforcer l’effectif. C’est déjà là qu’on peut deviner la patte de Jovanovic. Il a carte blanche et a l’art de dénicher les renforts qui conviennent à sa philosophie et à la trésorerie du club. Notre coach connaît tout et sait toujours où le club peut dénicher un joueur intéressant.

 » Chypre ne connaît pas la crise « 

Rusé et bien renseigné ?

Certainement : il doit avoir un sacré réseau. Il recrute partout, mais je suppose que le budget de notre club a ses limites

Apoel Nicosie tournerait avec un budget annuel de 8 millions d’euros…

Je ne sais pas mais ce n’est pas la même catégorie financière que Porto, Donetsk et Saint-Pétersbourg. A partir de là, on peut affirmer qu’Apoel a progressé ces dernières années et détient un sacré savoir-faire. Installez Mourinho et Guardiola chez nous et ils ne pourraient pas égaler notre coach. Au vu de notre contexte, il fait plus fort qu’eux. Barcelone, le Real et les géants vont tout de suite à la pêche au gros quand ils décident de se renforcer. Ils peuvent même se tromper,… ce n’est pas trop grave.

Apoel ne recrute pas à Chypre : il n’y a qu’un joueur de champ autochtone, Charalambides, dans cet effectif.

Les étrangers ont haussé la qualité du championnat et l’équipe nationale chypriote en bénéficiera tôt ou tard. J’ai même été étonné par le jeu proposé en championnat. Chez nous, il y a en effet un florilège de joueurs venus de partout : Oliveira, Boaventura, Marcinho, Manduca, Morais, Pinto, Triekovski… Si la crise frappe la Grèce et la Turquie, ce n’est pas le cas de Chypre. Je suis vraiment très heureux d’être ici et c’est aussi le cas de ma femme, Caroline, qui est Espagnole. Cela nous change par rapport à la Roumanie où nous n’avions pas trouvé nos marques.

Jovanovic vous a-t-il arraché à Genk ?

Non, cela ne s’est pas passé comme cela. J’ai passé des tests tout à fait positifs à Genk et l’idée d’enfin jouer en D1 belge m’intéressait. Le dossier n’a pas été bouclé pour des raisons que je ne connais pas. Je n’en veux à personne et je me suis tout simplement tourné vers d’autres solutions. Je savais que le ciel ne tarderait pas à s’éclaircir. J’ai 28 ans et j’aborde mes plus belles années. J’ai un bon bagage et j’ai toujours su faire des choix intéressants pour progresser. A 16 ans, j’ai intégré le centre de formation du Barça et, au fil des années, j’ai fréquenté les Messi, Iniesta, Xavi, etc. Frank Rijkaard m’a parfois retenu sur le banc en Liga.

De bons prêts à Carthage et Sabadell avaient convaincu le Barça de vous offrir un contrat…

Oui mais il a manqué la dernière étape. Même si je ne me suis pas imposé au Barça, j’y ai été formé. C’est déjà formidable, j’en suis fier. Etre un enfant de ce club, c’est un bagage utile. J’en bénéficie encore tous les jours. Quand on n’y a pas prolongé mon contrat, j’aurais pu trouver un club en D2 espagnole. Là, je n’ai pas voulu. Pour moi, en 2007, il était grand temps de jouer en D1, ce qui fut le cas en Grèce. J’ai choisi l’Iraklis de Salonique pour passer ce cap. Ce fut une réussite sur toute la ligne : il était clair que je n’avais pas travaillé tant d’années pour rien.

C’est là que vous avez travaillé avec Jovanovic ?

Tout à fait…

 » MVP d’Iraklis « 

Avant de le retrouver à Nicosie, il y a eu deux autres étapes, non ?

J’ai déjà évoqué la Roumanie où cela n’a pas tourné pour moi. Le Rapid Bucarest, ce n’était pas la bonne trajectoire. A Iraklis, j’ai été élu MVP de la D1 grecque. On a parlé de moi au Standard, à La Corogne et à Olympiacos. A un moment, il ne resta plus qu’une option. Mon président résuma les choses : – Si tu vas là, tu joueras en Coupe de l’UEFA, ici… tu n’auras que le championnat au programme. Je voulais jouer en coupe d’Europe, c’est normal.

Le Rapid Bucarest a déboursé 1,5 million d’euros…

Je ne retiens que mes débuts européens face à Wolfsburg le 18 septembre 2008. Le reste, j’oublie. Enfin, j’avais quand même goûté à l’Europe.

Et si je vous dis Olympiacos ?

Je réponds par  » délivrance  » après un an au Rapid. Je retrouvais la Grèce, un pays qui me convient mieux. Olympiacos, c’est une ambiance, un public qui vit à fond derrière son équipe. Là, j’ai appris à jouer dans une fournaise. Et il y a eu un titre au bout de tout cela.

Cette expérience intéressait Jovanovic pour Apoel ?

Probablement…

Probablement ? Pas plus que cela ?

Ecoutez, quand le contact a été établi pour Apoel, Jovanovic ne m’a rien promis. J’étais son troisième gardien. Dionisis Chiotis était titulaire. Il y avait une hiérarchie en place et il était normal de l’accepter, de travailler en attendant ma chance. L’effectif en place avait entamé la saison et forcé la qualification pour la Ligue des Champions avant mon arrivée.

Le 18 octobre restera une date importante !

Chiotis s’est blessé à Porto et j’ai pris sa place au repos.

Quel fut le discours de Jovanovic ?

Rien de spécial, il me connaissait. Notre réussite n’est pas le fruit du hasard : on ne survit pas par miracle. Avec un peu de chance, nous aurions pu marquer plus de buts.

Apoel s’appuie sur une équipe mûre et défensive, non ?

Oui, il y a du métier à revendre. C’est une des caractéristiques de notre effectif. Il est bien équilibré et tout le monde va au charbon. Personne ne lâche rien et si on peut émerger grâce à la technique en championnat, la donne est différente au top niveau européen. Là, on prend des précautions défensives quand on a des géants en face de soi. Et il ne faut d’ailleurs pas s’appeler Apoel Nicosie pour bien structurer son jeu : tout le monde le fait. Il n’y pas de honte à cela et à revêtir son bleu de travail. Le mental joue un grand rôle dans tout cela…

Nicosie est si solide physiquement ?

Oui, oui…

C’est remarquable quand on émarge d’un petit championnat…

D’abord, je le répète, c’est un bon championnat et Jovanovic insiste beaucoup sur cet aspect des choses. Pour nous, il est primordial d’être parfaitement au point.

 » Il n’y a plus de petites équipes « 

Apoel compte 21 titres nationaux, 19 Coupes et 11 Supercoupes mais une présence en huitièmes de finale de la Ligue des Champions, c’est unique ?

Nous avons mérité notre qualification après cinq des six matches de notre poule. Ce n’est pas une surprise pour moi. Cela souligne assez la qualité de notre parcours. En Ligue des Champions, on ne fait pas de cadeaux.

Quelles impressions retenez-vous de Porto, du Shakhtar Donetsk et du Zénith de Saint-Pétersbourg ?

Pas plus forts que nous. Le classement le prouve. Ça, c’est une chose mais il y a eu d’autres réalités sur le terrain. Apoel a vécu des moments difficiles mais n’a pas cédé. Apoel prouve qu’il n’y a plus de petites équipes et d’autres peuvent nous imiter.

C’est la surprise du chef mais de là à la répéter…

On verra. Un tel pas en avant apporte de l’argent. Ce club a prouvé qu’il savait investir.

Pour le même prix, vous étiez une cible facile comme gardien de Genk !

Ah ? Là, ce n’est pas mon problème.

Si je vous dis Anderlecht ?

Ma jeunesse, mon premier club. J’ai débuté comme attaquant avant de remplacer un gardien de but blessé. Je n’ai plus quitté cette place et j’ai eu de bons entraîneurs, dont Philippe Van Wilder. On ne fait pas mieux en Belgique ; mais quand le Barça se manifeste, c’est autre chose.

Et si je vous dis… Union Saint-Gilloise ?

Ma famille habite à Forest. Mon frère y a joué en équipes de jeunes. Mon père a flirté avec l’équipe première. Il nous en parle de temps en temps et d’un de ses équipiers, Daniel De Cubber, qui a aussi joué une finale avec le Club Bruges.

Bon, l’Union ne peut que rêver de vous : où irez-vous après avoir tout gagné avec Apoel Nicosie ?

Je profite du moment présent. Plus tard ? On y pensera plus tard. J’ai vécu des moments difficiles mais… quel beau métier !

PAR PIERRE BILIC

 » J’ai vécu des moments difficiles mais quel beau métier ! « 

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