« Ce match, je l’ai donné »

Elle fut toute proche de battre Kim Clijsters et de se qualifier pour la finale mais n’en a pas eu la force.

« Il y a trois semaines », raconte Justine Henin après sa défaite en demi-finale de Roland Garros contre Kim Clijsters, « je me suis blessée à la cheville en demi-finale de Berlin, contre Jennifer Capriati. Une demi-finale à Roland Garros me paraissait si lointaine. C’est sûr que j’aurais signé à deux mains pour jouer une demi dans ce Grand Chelem qui me tient à coeur et pour faire mon entrée dans le Top 10. Mais maintenant, c’est la déception qui a pris le dessus car j’étais toute proche de réaliser mon rêve: disputer la finale des Internationaux de France. »

Pour la première fois de la quinzaine de Roland Garros, Justine Henin laisse entrevoir ses sentiments. Après sa défaite contre Clijsters, elle apparaît triste et déçue à la presse pour expliquer sa défaite. Le visage de la Rochefortoise est blême. Ses yeux brillent. Elles retient ses larmes. Sa gorge est nouée. D’ordinaire si sûre d’elle et si professionnelle, elle apparaissait toujours sereine et analysait ses prestations avec beaucoup de recul, ce qui ne manquait pas d’impressionner ceux qui ne la connaissaient pas. Mais cette fois, la déception est trop forte, elle ne peut cacher ses sentiments.

« Ce match, je l’ai donné. Je crois que je réalisais le match parfait. J’étais vraiment bien dans la partie, c’est moi qui menais la danse et j’ai facilement remporté la première manche. »

Il est vrai qu’à ce moment, Henin développait un tennis de rêve. Elle était apparue très tonique et décontractée dès l’entame de la partie. Clijsters commettait certes de temps à autre une faute directe, mais son niveau de jeu était bon. « C’est vraiment Justine qui était trop forte », dira la Limbourgeoise.

« Puis, à 4-2 en ma faveur dans le deuxième set », poursuit Justine, « j’ai bénéficié de deux balles de break, pour mener 5-2 et servir pour le match, pour une finale à Roland Garros. »

Un rêve de gosse. Quand Justine était venue à la Porte d’Auteuil en 1992, pour assister aux exploits de Steffi Graf, elle avait glissé à l’oreille de sa maman, aujourd’hui décédée: « Tu verras maman, moi aussi un jour, je jouerai sur le Court Central de Roland Garros. » Elle a depuis réalisé cette promesse à plusieurs reprises, mais n’est pas encore parvenue à se qualifier pour la finale.

« A 15-40 dans ce septième jeu, je n’ai pas réussi à saisir ma chance. J’ai eu peur et je n’ai pas réussi à faire le point. Je crois que si la fille de l’autre côté du filet n’avait pas été Kim, j’aurais gagné en deux sets. »

Puis, à 30-40, Kim Clijsters a fait un grand service gagnant pour égaliser. Justine obtint encore une autre balle de break pour mener 5-2, service à suivre, mais elle ne put saisir sa chance.

« A ce moment-là », dira Kim, « j’ai commencé à croire en mes chances. J’ai vu qu’elle commettait plus d’erreurs et qu’elle était moins fraîche physiquement, sans doute à cause de son match de double de la veille, qui avait duré près de trois heures. »

Mais Justine n’analyse pas la situation de cette manière: « Tout s’est joué dans ma tête. Ce n’est pas une question de physique, mais de mental. Lorsque j’ai perdu ce jeu après avoir eu trois balles de break, j’ai senti que quelque chose venait de basculer en moi. J’aurais dû me dire: -Oui, j’ai perdu ce jeu, mais ce n’est rien. On repart de zéro et on recommence. J’avais d’ailleurs encore un break d’avance. »

Mais au contraire, Justine s’est crispée et c’est Kim qui est revenue dans la partie, en remportant le deuxième set 7-5. Ce qui rappela de mauvais souvenirs à la Rochefortoise: « Cette demi-finale, c’est le remake parfait de notre rencontre à Indian Wells cette année. Là aussi, je dominais de la tête et des épaules mais je n’étais pas parvenue à conclure contre Kim. »

Comme ici, elle avait remporté le premier set et menait dans le deuxième, avant de laisser son adversaire revenir. Kim Clijsters estime aussi que le scénario de la demi-finale était semblable à celui d’Indian Wells, mais elle n’y a pas pensé pendant la rencontre: « Durant le match, je ne pense pas à ce genre de chose. Je suis concentrée sur la partie en cours. »

La suite du match tourna à l’avantage d’une Clijsters qui sembla beaucoup plus fraîche que son adversaire et ne trembla pas au moment de conclure. C’est un trait de caractère de la fille de Lei

« C’est vrai que Kim est beaucoup plus décontractée que moi, presque insouciante. Mais moi, je ne peux pas être insouciante, cela fait partie de mon caractère, qui a été forgé par les événements que j’ai vécus dans ma jeunesse. »

En trois manches, Justine Henin s’inclinait donc en demi-finale de Roland Garros, le tournoi qui la fait rêver depuis qu’elle est toute petite. Sa déception est immense et légitime, mais après quelques minutes, elle analyse déjà la situation avec plus de recul et retrouve le discours posé qui la caractérise.

« J’ai quand même joué les demi-finales de Roland Garros et j’ai fait mon entrée dans le Top 10, c’est fabuleux. J’ai engrangé beaucoup d’expérience, positive ou négative, qui me servira par la suite. Je réalise que ce que j’ai fait est super. »

Après sa victoire sur Lina Krasnoroutskaya, la jeune Russe, en quart de finale, Justine faisait part de ses sentiments: « Je suis bien consciente de l’importance de ce que je suis en train d’accomplir, je sais que c’est formidable, surtout vu l’état de ma cheville il y a peu. Mais je ne digère pas encore tout à fait les événements, parce que je dois rester concentrée sur mon tournoi. Il y a encore deux matches à jouer, Roland Garros n’est pas encore terminé et je veux aller au bout. Je suis là pour la victoire finale et je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour y arriver. »

Pourtant, ce n’est pas toujours facile de se concentrer à 100 % sur sa tâche. Plus les tours passent, plus on se rapproche de la finale, plus les journées sont longues et les obligations nombreuses. « Je ne quitte jamais le stade avant 19 heures. C’est vraiment très fatigant. Après les matches, il y a le stretching, les soins, les interviews avec la télé et la radio, les conférences de presse. Sans compter que je joue aussi le tournoi de double avec Tatarkova. Tout cela est très fatigant. »

Les moments où Justine peut décompresser sont dès lors précieux, mais ils ne sont pas très nombreux: « Pour décompresser, j’ai deux moments privilégiés: les massages et les soirées avec les proches. Les massages, j’adore! Après la rencontre, c’est vraiment le pied de se retrouver allongée, à se faire masser, à ne penser à rien. Puis, il y a aussi le repas du soir, à quatre ou cinq. J’ai une sorte de rituel. Au soir de chaque victoire, nous allons manger au Planet Hollywood sur les Champs-Elysées. Invariablement, je choisis le même menu. En entrée, je prends des chicken crunch, comme plat, des fajitas et, très souvent, je termine par une glace. Je sais, ce n’est pas très diététique, mais je m’en fous. De toutes façons, je dépense les calories rien qu’avec le stress. »

Et puis, comme le dit Jean-Louis Caverenne, le kiné de la fédération belge: « Ce qui compte, c’est de manger quelque chose que l’on apprécie. C’est toujours plus facile à digérer. Prenez les bananes par exemple, que tous les joueurs de tennis glissent dans leur sac avant de jouer un match. Elles contiennent plein de potassium, mais ce n’est pas de cela qu’un joueur de tennis a besoin durant l’effort. Mais bon, si c’est un aliment qui leur plaît, pourquoi pas. »

Le 1er juin, c’était l’anniversaire de Justine: « Au Planet Hollywood, j’ai eu doit à un gâteau d’anniversaire. J’ai dû me lever devant tout le monde pour souffler les dix-neuf bougies. Je n’aime pas vraiment ce genre de choses, mais bon, vu que c’était une surprise de mon coach Carlos Rodriguez.  » Encore des calories! Néanmoins, ce qui compte pour Justine, c’est de se retrouver autour d’une table, à décompresser, à discuter de tout et de rien avec ses proches. Justement Justine, qui sont ces proches?

« Il y a bien sûr Pierre-Yves, mon copain, avec qui nous avons projeté de nous marier. Si tout va bien, ce sera pour l’année prochaine. Ou bien début 2003, si on n’a pas le temps avant. Ensuite, il y a Carlos qui, depuis cinq ans exactement, partage mes bons et mes mauvais moments, m’accompagne dans tous les tournois. J’ai aussi encore des contacts avec mes tantes, qui sont venues me voir jouer contre Barbara Schett. Enfin, il y a ma petite soeur, avec qui j’ai encore dîné avant de venir à Paris. »

Pendant la rencontre de quart de finale contre Lina Krasnoroutskaya, on avait vu dans la tribune une banderole sur laquelle était inscrit: « Justine, les Henin sont avec toi. »

Commentaire de l’intéressée: « Oui, peut-être. Mais j’ai pris des décisions importantes – NDLA: Justine ne parle plus à son père. J’ai fait une croix sur certaines relations. Je suis maintenant très bien dans ma peau et je veux désormais prendre soin de moi. Je veux me protéger. J’ai connu tellement de moments cruels dans ma vie, avec la mort de ma maman quand j’avais 12 ans, ou bien l’année passée, quand j’étais clouée au lit, à cause de maladies ou de blessures, et que j’étais redescendue aux environs de la centième place mondiale. Maintenant, je suis heureuse et je veux profiter du moment présent. »

Justine veut clairement tourner la page et se tourner vers l’avenir: « Je crois que j’ai mangé mon pain noir. Je ne considère pas cette demi-finale à Roland Garros comme une revanche sur le passé ou sur quiconque, mais bien comme une récompense pour le travail accompli. Cette demi-finale, je la dédie à ma mère, bien sûr, qui m’a avait ouvert la voie. Elle est encore en moi et je sais qu’elle m’a vu jouer et qu’elle était fière de moi. Mais ce parcours à Roland Garros, c’est surtout à moi-même que je le dédie. C’est quand même moi qui m’entraîne aussi dur, qui dispute les matches… En outre, je le dédie aussi à mes proches d’aujourd’hui, à Carlos et à Pierre-Yves qui me soutiennent chaque jour. Ils ne s’en rendent pas toujours compte, mais ils m’apportent énormément. Sans eux, je n’aurais pas fait tout ce que j’ai fait. Ils ont toujours cru en moi, même il y a un an, quand j’étais au plus mal et que moi-même, je n’étais plus toujours motivé, quand je me posais des questions. Pierre-Yves est toujours derrière moi et il vit mes matches avec passion. Il n’a plus d’ongles à la fin d’un tournoi. »

Au point de vue financier également, elle n’aura pas perdu son temps à la Porte d’Auteuil. « Oui, c’est vrai que j’ai gagné beaucoup d’argent, mais l’aspect financier est secondaire. L’argent n’est pas ma motivation première. Je ne sais d’ailleurs pas encore ce que je vais faire avec cet argent. Je ne suis pas radine, mais je ne suis pas très dépensière non plus. Pierre-Yves et moi venons de déménager à Marloie, mais j’aimerais bien un jour faire construire ma propre maison. Peut-être que cet argent servira à cela. Sinon, je n’ai pas encore de projets bien précis. Peut-être qu’à la fin de la saison, je m’offrirai des belles vacances. »

Au niveau de la popularité, Justine aura évidemment aussi gagné beaucoup. A Paris, « Pupuce », comme certains l’appelaient, a pris une nouvelle dimension. En Belgique, elle est désormais une star: « Mais je ne me rends pas encore bien compte de l’impact que notre parcours à Kim et moi-même a eu sur la population belge. Je parcours certes la revue de presse qui se trouve dans les vestiaires, mais je ne suis pas très au courant. Quand je rentrerai en Belgique, sans doute que je réaliserai mieux cet impact. »

Laurent Gérard

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