« Ce dixième but m’obsédait »

Bruno Govers

Auteur de trois goals contre St-Marin, il est prêt à mettre la tête contre l’Ecosse, samedi, à Hampden Park.

Si avec deux buts et six assists, Bart Goor fut le grand artisan de la victoire de la Belgique contre St-Marin, un autre Diable Rouge se mit particulièrement en évidence aussi cette fois-là : Bob Peeters qui réussit la gageure d’inscrire trois buts après son entrée au jeu dans le dernier quart d’heure. Un réalisme qui contraste singulièrement avec ses prestations à Vitesse Arnhem, en perte de vitesse ces derniers temps après un début de campagne mené pourtant tambour battant.

Bob Peeters : Avant notre déplacement au RBC Roosendaal, le week-end passé, nous totalisions un maigre bilan de quatre points en l’espace de huit matches depuis l’entame du second tour de la compétition. C’est peu, évidemment, pour une équipe qui nourrissait des aspirations européennes en début de campagne. Rien n’est joué, pour autant, dans la course aux places qualificatives, puisque nous ne nous situons qu’à un fifrelin des prétendants à la Coupe de l’UEFA. Pour parvenir à cette fin, il faudra infléchir la tendance actuelle, toutefois.

La deuxième épreuve continentale ne fait-elle pas office de pis-aller, aujourd’hui, pour une formation de Vitesse Arnhem qui a très longtemps détenu la pole-position lors du premier volet de la compétition?

Il a effectivement suffi que nous détenions le leadership, en tout début de saison, pour que certains, en haut lieu, nourrissent subitement des aspirations pour ce qui concerne la Ligue des Champions. Personnellement, j’avais le sentiment, dès le départ, que cet objectif n’était pas raisonnable dans le chef d’une phalange dont la moyenne d’âge est peu élevée. A fortiori dans ce secteur-clé qu’est l’entrejeu qui repose, chez nous, sur les frêles épaules d’un trio dont chacune des composantes a tout juste vingt ans : le Malien Mahamadou Diarra, le Ghanéen Matthew Amoah et, enfin, le Néerlandais Theo Janssen. Tous, sans exception, avaient évolué en surrégime lors des mois de septembre et octobre, avant de perdre consistance, petit à petit. Et depuis la reprise, ils recherchent leur deuxième souffle, tout bonnement.

Vous-même aviez commencé le championnat sur les chapeaux de roues avant de rentrer progressivement dans le rang, à tel point d’être rétrogradé comme doublure à l’occasion d’un récent match au sommet contre Feyenoord. A vingt-sept ans fraîchement sonnés, l’âge ne sert plus d’excuse pour vous. Comment expliquez-vous cette moindre passe?

Mon fléchissement a coïncidé avec le retrait, pour cause de blessure, de Didier Martel. Le Français était ni plus ni moins mon pourvoyeur attitré, au cours des rendez-vous initiaux, l’été et l’automne derniers. Grâce à son précieux concours, j’avais eu tôt fait de m’envoler au classement des buteurs, avec cinq goals en une poignée de matches à peine. Depuis lors, je n’ai plus marqué qu’à deux reprises. Pourquoi? Tout simplement parce que les ailiers, Victor Sikora et Mamadou Zongo, n’avaient pas cette même faculté que lui à distiller des services au cordeau. Or, comme centre-avant dans une disposition à trois, dans la ligne offensive, je suis évidemment largement tributaire des ballons qui me parviennent des flancs. Et c’est là que le bât aura blessé, précisément. A présent, toutefois, l’ancien Auxerrois est revenu dans le parcours. Aux entraînements, j’ai remarqué que les sensations revenaient. C’est pourquoi je suis confiant dans la suite des événements.

La transition fut-elle grande, pour vous, après trois années à Roda?

J’ai dû repartir pour ainsi dire de zéro en ce sens qu’à Kerkrade, j’évoluais dans un système à deux en pointe, avec Peter Van Houdt à mes côtés. C’était l’association quasi idéale entre le target man grand et solide, comme moi, et un attaquant vif-argent, comparable, à l’échelon du club hollandais, au tandem formé de Tomasz Radzinski et Jan Koller à Anderlecht. A mes yeux, il s’agissait de la configuration idéale et, grâce à cette occupation-là, mes prestations ont incontestablement suivi une courbe ascendante : onze buts lors de mon arrivée en 1997-98, treize l’année suivante, et finalement quinze la saison passée. A Vitesse Arnhem, le coach Ronald Koeman, ne jurait que par un schéma à trois devant. En dépit du recul ces dernières semaines, il n’a jamais dérogé à ses principes. A quoi bon, d’ailleurs, puisque cette conception avait fait ses preuves en début de saison. Je m’y étais même rapidement adapté. Malheureusement, dans cette approche, l’approvisionnement est essentiel. Et quand les ailes sont coupées, il n’est évidemment plus possible de s’envoler.

Vous aviez été acquis pour quelque 275 millions. Compte tenu de votre baisse de productivité, ce montant représente-t-il un fardeau de plus en plus lourd à porter?

L’euphorie du début s’est muée, comme bien l’on pense, en critiques acerbes. Durant les premières semaines, chacun se félicitait que Vitesse Arnhem ait trouvé, en moi, le digne successeur de Pierre Van Hooijdonk. Aujourd’hui, ces mêmes personnes ne manquent pas de signaler que le contraste est important entre mes réalisations et les vingt-cinq de mon devancier chez les Jaune et Noir. C’est vrai mais il convient de relativiser ces chiffres dans la mesure où quinze de ces buts furent marqués sur des phases arrêtées. Et moi, je laisse invariablement à d’autres le soin de s’acquitter de ces tâches, aussi bien sur penalty que sur coup franc. Abstraction faite de ceux-là, la différence n’est plus aussi sensible. Il n’empêche que beaucoup font, effectivement, une fixation sur la somme très importante déboursée pour mon acquisition. Moi, elle ne m’empêche pas de dormir. Qu’y puis-je, finalement, si ma tête a été fixée à ce prix? Quand Ipswich Town a voulu m’acquérir pour 180 millions et que Roda a refusé, sous prétexte qu’il s’agissait d’un montant dérisoire, je me suis dit qu’il fallait être fou pour refuser un tel deal. A fortiori pour un joueur qui n’avait pas coûté le moindre franc lors de son engagement. Avec le recul, les dirigeants avaient donc vu juste, puisque j’ai finalement été cédé pour 100 millions de plus à Vitesse Arnhem. Et peut-être ce club réussira-t-il une bonne opération, lui-même, le jour où il me revendra, qui sait?

Votre prix de transfert, ainsi que les 220 millions offerts par le Celtic Glasgow en échange des services de Joos Valgaeren auront permis à Roda d’amortir sérieusement les coûts de sa nouvelle enceinte?

Joos et moi plaisantons parfois en disant que la moitié du stade nous appartient (il rit). A Riga, où nous faisions chambre commune à l’occasion du dernier déplacement des Diables, nous avertissions d’ailleurs chaque coéquipier, venu nous rendre visite, qu’il pénétrait dans une pièce d’un demi-milliard (il s’esclaffe). Mais nous n’en conservons pas moins, tous deux, le sens des réalités. Joos, par exemple, est encore plus radin en Ecosse qu’il ne l’était au contact des footballeurs de Roda, connus pour être particulièrement pingres. C’est bien simple, quand il prend un taxi à Glasgow, c’est toujours un véhicule de couleur noire. Car ils sont moins chers que les jaunes (il rit).

Comment expliquer qu’il vous ait fallu attendre tous deux de jouer aux Pays-Bas pour voir enfin votre talent reconnu?

Joos avait des qualités évidentes, au stoppeur, en Belgique déjà. Mais elles se sont encore bonifiées au contact d’un football qui fait la part belle aux duels. Et ce constat est valable pour moi aussi. Je me suis tout simplement étoffé dans un championnat à inclination plus offensive qu’en Belgique, même si la norme semble avoir changé ces dernières années, sous la forme d’un football plus attrayant. Compte tenu de cette évolution, je me dis que j’aurais pu m’épanouir quand même à bon escient aussi sur le sol belge. Même si mon processus de croissance se serait peut-être avéré plus lent.

A Riga, vous aviez inscrit votre premier but pour le compte de l’équipe nationale. Vous en étiez à votre quatrième sélection à ce moment, après une entrée en matière en 1998, face aux USA d’abord, puis contre le Luxembourg. Est-ce en Lettonie que tout a réellement débuté pour vous?

Les matches contre les Etats-Unis et l’équipe représentative du Grand-Duché n’étaient pas vraiment des paramètres. A la limite, je crois même que la joute au Luxembourg m’a desservi, dans la mesure où la Belgique avait réalisé un nul de bien piètre facture. Je n’étais d’ailleurs plus parvenu à me racheter, ensuite, et c’est sans doute la raison pour laquelle il m’a fallu faire l’impasse sur l’EURO 2000. Depuis lors, toutefois, j’ai le sentiment d’avoir remis les pendules à l’heure. Non seulement en Lettonie mais à la faveur du rendez-vous précédent, déjà, contre la Croatie. Cette fois-là, quoique je le dise moi-même, je m’étais relativement bien tiré d’affaire comme remplaçant de Branko Strupar et j’avais probablement jeté les bases, à cette occasion, de ma bonne performance ultérieure à Riga.

Face à St-Marin, vous aurez été plus sensationnel encore en scorant à trois reprises en l’espace d’un bon quart d’heure à peine, en fin de partie. Etait-ce votre réplique aux critiques qui se sont abattues sur vous, à Roda, et qui paraissaient même compromettre votre sélection, à un moment donné?

C’est vrai que je me posais des questions à ce sujet, entendu que mes dernières prestations avaient laissé à désirer à Kerkrade. Le passé a toutefois prouvé que le coach fédéral, Robert Waseige, n’est pas homme à chambouler de fond en comble son groupe, sortie après sortie. Et cette ligne de conduite-là m’a indéniablement valu de ne pas devoir passer mon tour. Cette confiance-là, au départ, fut déjà très importante pour moi. Par la suite, je me suis vraiment senti pousser des ailes quand le public m’a chaleureusement applaudi au moment où je m’échauffais le long de la piste. Vu la trame de la rencontre, je me disais qu’avec un peu de chance, je marquerais sans doute mon petit but, moi aussi. En définitive, j’en ai inscrit trois. Un du gauche, un du droit et un de la tête. La totale, quoi (il rit). Je ne vais pas bouder mon bonheur dans ces conditions.

Les esprits chagrins diront qu’il ne s’agissait que des modestes amateurs de St-Marin.

D’accord, l’opposition n’était pas forte. Mais ces mêmes personnes se seraient acharnées sur nous si d’aventure nous ne l’avions emporté que par deux, voire trois buts d’écart, j’en suis sûr. Le problème chez nous, en Belgique, c’est qu’on trouve toujours quelque chose à redire, en toutes circonstances. Que l’on marque deux buts ou dix, ce n’est jamais bon. Mais que je sache, les Ecossais ne sont pas parvenus à tromper plus de deux fois la vigilance du gardien de St-Marin. Y a-t-il eu, pour autant, un seul commentaire acerbe dans nos journaux, arguant que les Britanniques n’avaient pas été à la hauteur? Et ces mêmes joueurs ont-ils été montrés du doigt après avoir obtenu, à l’arraché, la victoire à Riga? Non. Mais il suffit que nous empilions les goals, dans les mêmes circonstances, pour que chacun fasse subitement la moue. Moi, je le dis et je le maintiens : quatorze buts en deux matches, il faut le faire. Même contre des prétendus sans-grade.

Au vu de votre propre détermination sur le terrain, on comprend mal la rumeur qui veut qu’on vous ait exhorté à ménager l’adversaire, histoire de ne pas le ridiculiser.

Honnêtement, je n’ai jamais perçu la moindre indication en ce sens. Dans le feu de l’action, de toute façon, je l’aurais allègrement oubliée. Car après ce premier but, mon propos était d’essayer d’en mettre un deuxième. Et quand j’ai entendu le public scander le chiffre dix, je me suis fait fort de répondre à cette demande. J’étais obnubilé par ce dixième but. Et sûr de le mettre, de surcroît. Car mon garde-chiourme ne se souciait que du premier piquet alors que je me plaçais invariablement au deuxième (il rit).

A présent, c’est l’Ecosse qui se dresse sur le chemin des Diables Rouges. Qu’attendez-vous de ce match-là?

Pour nous, il importera de rapporter au moins un point de ce déplacement à Hampden Park. Et nous en sommes tout à fait capables. Tout d’abord, depuis le voyage en Lettonie, l’effectif ne pense qu’à gagner. Les deux derniers succès que nous avons obtenus ont à la fois dopé notre enthousiasme et décuplé la foi en nos possibilités. D’autre part, certains éléments seront tout particulièrement motivés à l’idée de jouer là-bas. Je songe à Joos Valgaeren, par exemple, qui aura à coeur de se sublimer face à des joueurs qu’il connaît comme le fond de sa poche.

A condition qu’il joue, bien sûr, car Daniel Van Buyten ne s’est pas mal tiré d’affaire contre St-Marin. Et le même raisonnement est d’application pour vous car Robert Waseige a l’embarras du choix aux avant-postes…

Même si je suis conscient d’avoir effectué une bonne entrée au jeu contre St-Marin, je ne revendique absolument rien. Mon seul souci, c’est de mettre tout en oeuvre pour compliquer la sélection du fédéral. S’il a besoin d’emblée de mes services, je tâcherai de répondre à l’attente. Dans le cas contraire, je jouerai le mieux possible mon rôle de joker. Face aux rugueux Ecossais, je crois quand même que ma taille pourrait constituer un atout précieux. Et ce, à quelque moment que ce soit.

Bruno Govers

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