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CASSE-TÊTE CHINOIS

En l’espace de quelques mois, l’Inter et le Milan AC, qui s’affrontent ce week-end dans un nouveau derby passionné, ont été tous les deux vendus à des investisseurs venus de Chine. Un tournant historique dans l’histoire du football milanais mais qui ne sera pas pour autant le remède immédiat à des maux bien trop profonds.

Près de 28.000 ressortissants chinois résident (officiellement) à Milan. L’Empire du Milieu a donc déjà pris ses marques dans la cité lombarde. Et vu l’état de crise dans lequel baignent les deux clubs depuis longtemps, les supporters de chaque bord s’impatientent de voir les Chinois à l’oeuvre. Seule ville européenne pouvant se vanter d’avoir deux équipes vainqueurs de la Champions League (pour un total de 10), Milan a dû attendre l’organisation de la finale de la dernière édition pour entendre de nouveau le fameux hymne retentir dans les travées du mythique Stadio San Siro. Avec trois saisons consécutives sans compétitions continentales pour l’AC et cinq ans d’absence en C1 pour l’Inter, les deux rivaux ne pèsent plus lourd sur la scène européenne. Voilà un challenge à la hauteur de ces investisseurs qui, en procédant de la sorte, ont l’occasion de populariser le football dans leur pays.

Côté nerazzurro, les Chinois ont été devancés par un voisin provenant d’Indonésie. C’est Erick Thohir qui a mis le pied du football milanais à l’étrier asiatique. Cet homme d’affaires a racheté 70 % de l’Inter il y a trois ans. Déjà propriétaire du DC United, équipe militant en MLS américaine, actionnaire des 76ers de Philadelphie (NBA) et président du Comité olympique indonésien, le monde du sport n’a pas de secret pour lui. C’est pourquoi, il décide de définitivement archiver la gestion familiale de Massimo Moratti toujours en possession des 30 % restants. Plus que relancer le club sportivement, l’objectif numéro un est d’assainir ses finances. Un défi quasiment impossible à relever sans l’investissement d’une fortune personnelle. Or, Thohir mise sur une réduction des coûts et des prêts bancaires pour financer des recrues plutôt onéreuses (Miranda, Jovetic, Perisic, Shaqiri, Kondogbia, etc…) sans oublier Mancini et son salaire royal. Lui-même prête de l’argent, mais puisqu’il n’est pas naïf, il se garde bien de fixer un taux d’intérêt frôlant les 10 %. Seule une participation régulière à la Champions League et ses primes généreuses peuvent inverser la tendance. Il n’en est rien. Résultat, 140 millions de déficit lors du bilan financier d’octobre dernier et le fair-play Financier de l’UEFA qui agite un chiffon rouge. Dans le même temps, le Milan est également à deux doigts de changer de patron. Les négociations avec Bee Taechaubol, entrepreneur thaïlandais censé représenter un pool d’investisseurs chinois, démarrent à Noël 2014. Six mois plus tard, Mr Bee s’affiche même publiquement avec Silvio Berlusconi et les deux ex-futurs partenaires s’offrent une révérence. Selon le milliardaire italien, il ne reste que quelques détails à régler pour conclure une opération aux chiffres éloquents. 480 millions pour 48 % des parts et la Fininvest (la holding du Cavalier) toujours actionnaire majoritaire. Trop beau pour être vrai comme le dit l’adage, et c’est le cas. Après de multiples discussions, l’accord, qui se basait en partie sur une cotation à la Bourse de Hong-Kong, capote sans qu’on sache trop pourquoi. Le Thaïlandais s’est en tout cas offert un joli coup de pub confirmant les doutes sur ses réelles intentions.

UN MERCATO À DEUX VITESSES

Au printemps dernier, les deux rivaux se retrouvent ainsi dans l’impasse financière (90 millions de pertes pour le Milan) mais aussi sportive avec le seul Inter capable de se qualifier pour l’Europa League. Thohir mandate alors la banque Goldman Sachs pour trouver un repreneur. Cette recherche se fait en sourdine et porte ses fruits avec l’annonce du 6 juin. Suning, géant de l’industrie chinoise avec 18,5 milliards de chiffre d’affaires, rachète 68,55 % de l’Inter et l’Indonésien conserve le reste. Moratti sort définitivement sans manquer de distiller ses impressions à la presse :  » Thohir a eu du mal à gérer un jouet plus gros que prévu. Je me sens en sécurité avec les Chinois qui ont un important désir de bien faire.  » Cette fois, la puissance financière n’est plus la même, et le temps d’effectuer les différents passages administratifs, 100 millions sont dépensés rubis sur ongle pour le trio Candreva-Gabriel-Joao Mario, ce dernier, tout frais vainqueur de l’EURO avec le Portugal. Mancini est remercié et remplacé par Frank De Boer, libre depuis la fin de son expérience à l’Ajax. Les joueurs clés sont conservés. Pour beaucoup, l’Inter est l’équipe la mieux armée pour mettre fin à l’hémorragie turinoise en Serie A. Tout le contraire du Milan AC contraint à un mercato profil bas en l’absence de clarté sur son futur. Après avoir annoncé son retour aux affaires dans un dernier relent d’orgueil, Berlusconi se résigne et met cette fois toutes ses parts en vente.

Là où le rival a procédé en catimini, les Rossoneri font tout au grand jour. Le 10 mai, la Fininvest révèle publiquement les négociations avec le fonds GSR Capital de matrice chinoise. Un accord exclusif est même signé, mais l’hospitalisation de l’ancien Premier ministre italien ralentit le processus. Un seul nom filtre, celui de Sonny Wu,  » seulement  » 77e Chinois le plus riche. Le 1er août, et après plusieurs reports, l’exclusivité des tractations n’est plus valable. Dans la foulée, le nom de Jorge Mendes est cité, l’influent agent portugais serait chargé de reprendre le club en compagnie du colosse chinois Fosun. La confusion règne. L’éclaircie vient de Sardaigne, là où les représentants de Sino-Europe Sports Investment Management Changxing Co.Ltd. (créé spécialement pour l’occasion) posent avec un Berlusconi tout sourire. Il s’agit d’un fonds d’investissement à la fois public et privé et dont le chairman est un certain Yonghong Li. Le flou reste total sur l’identité de ces financiers mais cette fois c’est la bonne. Un communiqué officialise même les chiffres : 740 millions (pour 99,3 % des parts, le 0,7 % restant aux petits actionnaires) dont 220 pour couvrir les dettes, et 350 millions garantis sur les trois prochaines années.

L’INTER DÉÇOIT, L’AC SURPREND

Entre-temps, le football a repris ses droits. A l’Inter, le nouvel entraîneur, Frank de Boer, n’a été nommé qu’à dix jours du début du championnat. Et l’équipe est trop dépendante des buts de Mauro Icardi, mais aussi de son comportement en dehors du terrain. A 23 ans, l’avant-centre publie déjà son autobiographie dans laquelle il menace de déclencher une expédition punitive formée de délinquants argentins afin de régler un vieux différend avec les ultras de son club. Une situation grotesque se crée. La Curva Nord le conteste, la direction le descend en public, son capitanat est remis en question. Au milieu de tout ça, un penalty loupé lors de la défaite à domicile contre Cagliari. Résultat. Livre ré-imprimé sans le passage incriminé, amende salée et environnement déstabilisé. Les quelques acquis sont fragilisés. Sur le terrain, ça ne va pas mieux. Après 11 journées, l’nter occupe la douzième place. Et ce n’est pas plus brillant en Europa League. Le C4 de Frank de Boer après seulement 84 jours dans le costume du coach n’étonne donc pas. Il est remplacé par l’Italien Stefano Pioli.

Voilà pourquoi, en attendant de pouvoir lui aussi bénéficier de la générosité orientale, Vincenzo Montella a choisi de prendre de l’avance sur le chantier. Nommé fin juin, il choisit de snober un recrutement bas de gamme (Pasalic, Matias Fernandez, Lapadula, Sosa, Vangioni, Gomez), préférant travailler la matière première déjà à disposition à son arrivée. Les ingrédients sont là, il fallait le bon cuistot, et pas forcément un spécialiste en rouleaux de printemps. Et l’ancien coach de la Fiorentina surprend. Réputé pour bien faire jouer ses équipes, il mise avant tout sur la solidité via un 4-3-3, une équipe-type rapidement définie et la fougue de la jeunesse encadrée par quelques éléments expérimentés dont Carlos Bacca plus que jamais infaillible.

Sans faire se lever les foules donc, le Milan enchaîne les bons résultats après un départ laborieux (une victoire et deux défaites). Son secret ? Avoir enfin accepté son redimensionnement et cessé de se fixer des objectifs irréalistes. Une qualification en Europa League d’abord et tout ce qui viendra sera considéré comme du bonus. Les joueurs jouent ainsi libérés, aspect fondamental pour l’équipe affichant la moyenne d’âge la plus basse de la Serie A. Même pas 25 ans. Le phénomène Donnarumma dans les buts n’est toujours pas majeur, Romagnoli dirige la défense du haut de ses 21 ans, l’ailier français Niang va sur ses 22. Enfin, c’est Locatelli, 18 ans, qui a été chargé de suppléer le capitaine Montolivo gravement blessé. Il marque notamment deux superbes buts en octobre dont le seul de la rencontre face à la Juve.  » Montella est notre valeur ajoutée, je pensais qu’il aurait tout chamboulé, mais il procède graduellement et cela a permis de maintenir un climat serein. Il a réglé les problèmes sur le terrain et est en train de changer notre mentalité, une belle surprise « , témoignait Giacomo Bonaventura dans la Gazzetta dello Sport. L’aisance financière des Chinois est évidement la bienvenue mais elle ne devra pas balayer d’un revers de la main le bon travail effectué jusqu’à maintenant.

MARCHÉ CHINOIS

En fait, que ce soit pour l’Inter ou le Milan, ces nouveaux investisseurs devront surtout se concentrer sur ce qu’ils savent faire le mieux, développer le marketing et augmenter les revenus commerciaux. Michael Bolingbroke, l’administrateur délégué interiste, en parlait dans une conférence à Londres :  » Nous sommes le quatrième club le plus populaire en Chine, grâce à Suning, nous réussirons à intégrer un marché beaucoup plus important, en entrant en contact avec un 1,3 milliard de personnes.  » Le marché européen étant saturé, c’est vers l’Asie qu’il faut se tourner. Zhang Jindong pourra compter sur son expérience à la tête du Jiangsu Suning Zuqiu Julebu, actuel second de la Chinese Super League, et appartenant à son empire depuis près d’un an. De ce point de vue, il a un temps d’avance sur ses compatriotes qui prendront prochainement leurs quartiers chez l’ennemi. Un problème de know-how toutefois déjà réglé par la venue de Marco Fassone, manager italien passé par le Napoli, la Juve et l’Inter et qui succédera à l’historique Adriano Galliani. Il aurait d’ailleurs pu être épaulé par un certain Paolo Maldini qui vient d’enchaîner sur sa septième année sabbatique depuis sa retraite sportive. Néanmoins, craignant de passer pour le bouc émissaire de service en cas d’échec sportif, le légendaire défenseur italien a refusé les avances des futurs propriétaires, motivant sa décision via un long communiqué sur sa page Facebook :  » J’aurai aimé entendre de la voix de Monsieur David Han Li, directeur Exécutif de Sino Europe Sports que je n’ai rencontré que quelques minutes, les objectifs préfixés et les investissements qu’ils ont l’intention de faire.  » Là encore, l’argent ne fait pas de miracle, mais tout vient à point à qui sait attendre… dit un vieux proverbe oriental.

PAR VALENTIN PAULUZZI – PHOTOS BELGAIMAGE

L’argent ne fait pas tout. Malgré l’argent dépensé lors du mercato, l’Inter est à la peine.

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