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Comment la D1A choisit (vraiment) ses coaches

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Vingt-huit coaches se sont déjà installés sur un banc de l’élite belge cette saison. Certains en ont même eu plusieurs. Parce qu’à l’heure de choisir leur nouveau coach, nos clubs ne sont pas toujours les plus originaux. Encore moins les plus rigoureux. Tour de manège avec une question en refrain: comment les clubs de Pro League choisissent-ils leur coach?

La musique enivrante qui sert de bande-son aux fêtes foraines dissimule parfois mal le drame qui se joue au pied des manèges. Là, les mines tristes de ceux qui attendent désespérément de monter à bord croisent des visages enthousiastes qui, à peine descendus d’une voiture, embarquent dans une autre sans jamais descendre du carrousel. Tout juste invité à laisser son volant courtraisien à Luka Elsner, le chevronné Yves Vanderhaeghe s’est ainsi offert quelques tours de manège supplémentaires en montant dans le véhicule vert et noir du Cercle.

S’il est Belge, s’il parle français, s’il connaît le championnat, tant mieux. Mais pour moi, la philosophie du coach passe en premier. »

Gérard Lopez, directeur sportif de Mouscron

« Si tu te retrouves devant le besoin de choisir un coach un lundi matin, et qu’un coach comme Vanderhaeghe est justement libre depuis quelques jours, c’est logique de s’intéresser à son profil », explique Vincent Goemaere, président du Cercle, dont le casting pour le banc de touche avait des allures de speed-dating. « On avait besoin de quelqu’un qui connaissait bien le championnat, qui pouvait mettre une organisation en place à court terme pour obtenir des résultats. On en est rapidement arrivés à la conclusion que c’était la bonne piste. Évidemment, tout ça s’est fait en concertation avec notre directeur technique. L’époque à laquelle un président choisissait seul son coach appartient au passé. »

La Belgique du football est pourtant adepte du voyage dans le temps. Parce qu’elle s’est moquée copieusement de sa Fédération quand le portrait- robot du futur sélectionneur accompagné d’un appel aux candidatures avait été posté en ligne lors de la recherche du successeur de Marc Wilmots. « Certains coaches ont dit qu’on était ridicules, parce qu’ils jugeaient qu’ils devaient être considérés comme des candidats uniquement grâce à leur CV et leur expérience, et pas parce qu’ils correspondaient à des critères », se rappelle Kris Van der Haegen, directeur de l’École Fédérale des Entraîneurs.

Renvoyé par Courtrai, Yves Vanderhaeghe n'a pas tardé à retrouver de l'embauche au Cercle.
Renvoyé par Courtrai, Yves Vanderhaeghe n’a pas tardé à retrouver de l’embauche au Cercle.© BELGAIMAGE

Au cours des dernières saisons, le coach d’un club important du pays n’a-t-il pas été choisi par un président qui se souvenait avec délectation d’une agréable soirée passée au restaurant avec leurs épouses respectives? L’image a beau sembler surréaliste, elle est un reflet plutôt fidèle d’un paysage footballistique national que résume en une formule Tom Saintfiet, coach baroudeur qui n’a jamais été prophète en son pays: « J’ai le sentiment qu’en Belgique, les gens que tu connais sont plus importants que les choses que tu connais. »

LES CARNETS D’ADRESSES

Casting le plus réussi de l’été belge, Alexander Blessin fait figure d’exception dans un paysage national qui fait la part belle aux têtes connues. Du côté de la Diaz Arena, les nouveaux dirigeants, qui souhaitaient mettre en place un football très moderne à base de gegenpressing, se sont simplement tournés vers les équipes Red Bull, références mondiales en la matière, et ont mis le grappin sur celui qui coachait les U19 de Leipzig. Le mariage réussi raconte l’histoire d’un club qui savait très bien ce qu’il cherchait, et a trouvé la réponse exacte à sa question. Un contrat nuptial qui semble évident, mais est pourtant loin d’être la norme dans un football où les directions ont souvent plusieurs têtes, et donc plusieurs idées. Pas vraiment le choix idéal de Lucien D’Onofrio au Bosuil, Ivan Leko s’est rapidement heurté à de nombreuses divergences d’opinions techniques avec le patron sportif du Great Old, qui ont fortement penché dans la balance à l’heure d’envisager un départ pour la Chine.

« Il faut trouver un profil qui permet une sorte de fusion entre la culture du club, celle du vestiaire et celle du coach », détaille Kris Van der Haegen, qui concède que rares sont les clubs belges qui le contactent pour connaître en détail les idées d’un coach sur la tactique ou la gestion humaine. Le contraste est immense avec D.C. United, dont le directeur technique, issu du monde des datas, a contacté Van der Haegen à plusieurs reprises et s’est aussi adressé à des dirigeants d’autres clubs belges pour connaître Hernán Losada dans les moindres détails. L’Argentin, qui s’interrogeait quelques mois plus tôt sur la manière dont les clubs du top belge choisissaient parfois leur T1, aura pu apprécier les atouts de la méthode à l’américaine.

« En Belgique, de nombreux dirigeants sont convaincus si quelqu’un leur dit: Celui-là, tu dois le prendre, c’est un bon. À l’étranger, je connais des clubs où tu dois passer toute une batterie de tests avant d’atteindre un job », confirme Yannick Ferrera, tombé du carrousel belge et désormais relancé avec succès dans le Golfe. « Recruter un coach, c’est très différent d’un transfert de joueur. Ce n’est pas toujours très formel », admet Matthias Leterme, manager général de Courtrai. « Par contre, c’est un travail permanent. Même quand on n’est pas en recherche active, je vais voir des coaches, je les rencontre, on va manger, on discute… Ce sont des conversations informelles qui visent à élargir notre réseau, et sur lesquelles on peut s’appuyer pour faire le bon choix. On ne parle pas seulement avec les coaches. Parce qu’un agent, un ancien joueur ou même des journalistes peuvent donner des infos. »

ENTROUVRIR LA PORTE

Puisque tout le monde se retrouve dans la même marmite, rares sont ceux qui sont capables d’y ajouter de nouveaux ingrédients. Souvent, l’audace vient d’ailleurs. Au Canonnier, elle sort de l’esprit de Diego Lopez, directeur sportif du projet mouscronnois de Gérard Lopez, qui a surpris le sérail national en confiant la destinée de ses Hurlus perdus à un Jorge Simão qui n’avait ni le passif national ni les cheveux gris habituellement invoqués à l’heure de mener une opération maintien. « Jorge, on le connaissait depuis quelques années suite à son travail au Portugal », raconte le DS des Hennuyers. « À force de scouter des joueurs, on se retrouve aussi inévitablement à scouter des entraîneurs. Parfois même sans le vouloir. Et pour moi, le plus important, c’était que le coach corresponde au profil recherché. »

Mouscron n'a pas suivi l'habituelle recette
Mouscron n’a pas suivi l’habituelle recette « expérience + connaissance du championnat » au moment de confier sa destinée à Jorge Simão.© BELGAIMAGE

Les habitudes de Jorge Simão en 4-4-2, système considéré par les décideurs mouscronnois comme idéal pour faire briller leur noyau, ont donc penché dans la balance, au même titre que son leadership ou ses réussites loin de son Portugal natal. « Après, s’il est Belge, s’il parle français, s’il connaît le championnat, tant mieux. Mais pour moi, la philosophie du coach passe en premier. » C’est ainsi que le Lusitanien de 44 ans s’est retrouvé à la tête des Mouscronnois, pour une opération maintien qu’il mène actuellement à bien malgré un profil différent des standards nationaux.

« Je trouve que le vase est moins clos qu’avant », diagnostique d’ailleurs Bob Peeters dans la foulée de sa défaite boueuse en Coupe de Belgique sur la pelouse carolo. « On donne des occasions aux jeunes coaches, comme Will Still au Beerschot ou Karim Belhocine ici à Charleroi. Mais c’est vrai qu’une équipe qui a des difficultés pour rester en D1 aura plus tendance à retourner vers des entraîneurs qui ont de l’expérience et qui connaissent le championnat. » Recette que n’a donc pas suivie Diego Lopez, directeur sportif de la nouvelle génération du haut de ses trente ans: « La première chose qu’on fait, c’est dresser le profil type du coach en fonction des besoins de l’équipe. Et ensuite, on se demande quel coach correspond à ce profil. »

Il faut trouver un profil qui permet une sorte de fusion entre la culture du club, celle du vestiaire et celle du coach. » Kris Van der Haegen, directeur de l’École Fédérale des Entraîneurs

CHACUN SES CRITÈRES

Si elle réduit le risque, la formule n’est pas pour autant une garantie de succès. Au printemps dernier, c’est avec une minutie inédite que le Standard a passé au scanner de nombreux profils de coaches pour trouver le successeur idéal pour Michel Preud’homme. Sur la liste des critères liégeois, on trouvait ainsi une certaine expérience (prendre la suite de MPH nécessitait des épaules costaudes), ainsi qu’une grande solidité défensive et une efficacité sur les phases arrêtées et les reconversions, points faibles identifiés par Benjamin Nicaise et son équipe auxquels le futur coach devait remédier. Philippe Montanier, qui a lui-même reconnu sa surprise face à « un recrutement comme dans les grandes entreprises, pas habituel dans le monde du foot, mais qui m’a plu, pour savoir si j’étais compatible avec le Standard », n’a néanmoins pas répondu à cette dernière question par l’affirmative au bout de six mois d’un mandat qui avait pourtant bien débuté.

« On a toujours des critères spécifiques qui nous amènent à opter pour un coach en particulier », confirme un Vincent Goemaere qui, s’il ne pousse pas l’analyse dans les mêmes détails statistiques, parle plutôt en termes de profil qui colle à l’histoire que veut raconter le Cercle version monégasque, à savoir une stabilité en milieu de classement assortie à la formation de jeunes talents. « À ce titre, le CV de Paul Clement était idéal pour nous l’été dernier. Malheureusement, les résultats ont fait que l’histoire a dû s’arrêter plus tôt que prévu. » Pour permettre à Yves Vanderhaeghe d’ajouter un nouveau chapitre à la sienne.

« Si ce sont toujours les mêmes entraîneurs qui tournent, c’est parce qu’ils ont acquis une crédibilité qui fait qu’aujourd’hui, on leur fait confiance », pose Vincent Euvrard, grand artisan de la montée au sein de l’élite d’OHL où il s’est retrouvé en solo dans le cockpit après le départ de Franky Vercauteren pour Anderlecht. À 38 ans, les dirigeants louvanistes ont jugé que son expérience serait insuffisante pour piloter le vaisseau brabançon au sein de l’élite. « Un jeune coach doit s’acheter du temps en faisant des résultats. À partir du moment où tu le reçois, tu peux installer un style de jeu, et donc t’offrir une crédibilité. »

Le Standard a passé de nombreux profils de coaches au scanner avant d'opter pour Philippe Montanier. Sans succès.
Le Standard a passé de nombreux profils de coaches au scanner avant d’opter pour Philippe Montanier. Sans succès.© BELGAIMAGE

Pour Euvrard, les résultats n’ont pourtant pas suffi. Issus de l’école anglaise – le club est possédé par King Power, qui dirige également Leicester – les patrons d’OHL ont préféré miser sur l’expérience de Marc Brys, à la grande surprise des joueurs. « On a tous été surpris. On avait travaillé avec lui toute la saison, on a eu du mal à le digérer, mais c’est le football », glisse un Xavier Mercier fataliste. « Je pense qu’un coach peut être prêt à 38 ans, mais ils voulaient un autre profil. Plus expérimenté, surtout », reprend Euvrard. « C’est l’école anglaise, dans laquelle on demande beaucoup à un coach, où on lui donne beaucoup de pouvoir. Et cette responsabilité-là, ils n’étaient pas prêts à la confier à un jeune entraîneur alors que le club espère jouer le titre dans les trois ans. »

ÉLARGIR LE SPECTRE

La quête de profils confirmés est évidemment l’une des sources majeures de l’impression de consanguinité, dans un championnat où chacun s’est déjà plus ou moins retrouvé dans les draps de tout le monde. Pour les nouveaux venus, encore plus s’ils ne sont pas issus du monde professionnel, se faire une place relève de l’exploit. Il faut gravir les échelons à la tête d’un club issu des divisions inférieures, comme Francky Dury, ou recevoir une chance donnée par un dirigeant qui pense différemment, à l’image d’un Felice Mazzù lancé dans le grand bain de l’élite par Mehdi Bayat.

« Dans le choix des profils, j’ai déjà remarqué que beaucoup de clubs avaient peur de prendre des risques », confie Kris Van der Haegen, qui lance quelques ingrédients pour la confection d’un remède: « Si j’étais directeur technique d’un club, j’essayerais sans doute de trouver un ou deux coaches prometteurs au niveau amateur, et je leur confierais des équipes importantes de mon académie, comme les U18 ou les U21, pour leur permettre de s’adapter à l’atmosphère du niveau professionnel et les préparer à éventuellement devenir des coaches de D1. »

Le problème, c’est que ceux-là se heurtent de plus en plus souvent à une concurrence qui ne cesse de croître. Parce que sur les bancs de l’école des entraîneurs, on croise de plus en plus de joueurs professionnels, toujours sous contrat crampons aux pieds, mais se préparant déjà soigneusement à passer de l’autre côté de la ligne de touche au crépuscule de leur carrière de joueur. Une nouvelle génération de coaches potentiels qui aura toujours l’avantage de connaître le championnat, voire la maison, et partira donc avec une longueur d’avance pour séduire les dirigeants dans des négociations qui ressemblent encore beaucoup trop souvent à ces soirées au casino, où le lanceur pense maximiser ses chances de réussir le bon coup en demandant à quelqu’un qu’il connaît bien de souffler sur les dés.

Luka Elsner
Luka Elsner© BELGAIMAGE

Luka Elsner, le profil à la mode

Une demi-finale de Coupe de Belgique, décrochée à la tête d’une équipe de D1B, ouvre-t-elle tant de portes? Depuis son épopée à la tête de l’Union, quand ses hommes avaient successivement éliminé le grand voisin anderlechtois puis le futur champion limbourgeois sur la route du dernier carré, Luka Elsner était devenu un produit convoité.

L’été suivant, le Franco-Slovène avait été très proche de devenir le coach de Charleroi, avant de finalement opter pour de grands débuts en Ligue 1 grâce à l’intérêt d’Amiens. Malgré des résultats difficiles, à la tête d’une équipe qui avait certes l’allure d’un oiseau pour les chats de l’élite française, son nom a encore circulé au Standard cet hiver, dans la course à la succession de Philippe Montanier, avant de finalement faire son retour en Belgique au stade des Éperons d’or, dans le courant du mois de janvier. Une omniprésence qui fait probablement de lui l’un des coaches les plus hots du moment sur le sol belge.

« Je trouvais qu’il avait fait un travail formidable à l’Union », justifie Matthias Leterme, le directeur général de Courtrai qui a finalement mis la main sur l’homme tant convoité. « On s’est rencontrés en octobre, un peu par hasard d’abord, et il m’a tout de suite fait une bonne impression. Tactiquement, dans sa façon de travailler, tu vois que c’est quelqu’un d’intelligent. Le genre de nom que tu retiens et que tu notes quelque part. »

Autour d’une table, le coach doit aussi pouvoir séduire. Charmer un dirigeant avant des joueurs. Une drague qui peut prendre des formes bien différentes. Certains misent tout sur la gouaille, d’autres se présentent avec un support informatique pour exposer leur vision du jeu et de la gestion de groupe, tous espèrent de la sorte décrocher l’un des précieux sésames de l’élite. Les plus chanceux, dont fait visiblement partie Luka Elsner, ont même l’opportunité de se retrouver avec plusieurs clés en mains, et de choisir celle avec laquelle ils s’ouvriront les portes de la D1A.

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