Carrière sans rallongi

Longtemps, le plaisir a été le fil rouge de la carrière du jeune médian international. Et si son père Mahamat avait tenu bon, il en serait resté là.

Sans l’entêtement de son grand-père venu du Tchad, le nom de Haroun aurait été connu du milieu footballistique belge une génération avant Faris (22 ans). Son oncle Ahmet était suffisamment doué pour qu’Anderlecht souhaite l’enrôler mais son père n’avait pas apprécié cette idée. D’une phrase, il a brisé ses rêves :  » Je ne suis pas venu en Belgique pour que mon fils tape dans un ballon « . Mahamat expliquae :  » La situation était différente. Il a travaillé dur pour que mes frères et moi puissions étudier. Nous avons ainsi pu nous établir en Belgique et nous avons même bénéficié du luxe de pouvoir aborder la vie l’esprit ouvert. Un moment donné, nous avons compris que Faris était doué. Nous avions aussi les moyens de lui permettre de tenter sa chance. Tout le monde ne doit pas devenir médecin.  »

Chronologie d’une décision, en quatre chapitres, avec trois conteurs : la mère Patricia De Vrieze, le père Mahamat Haroun et un ami, Trésor Diowot Emango, qui évolue en D2 avec l’Union.

Les parcs de Bruxelles

Les racines footeuses de Faris Haroun se trouvent dans les parcs bruxellois. Il a effectué ses premières passes au pied de l’Atomium. Son père Mahamat se rappelle avec nostalgie l’époque où il était à la fois joueur, surveillant, arbitre et directeur de tournoi :  » Une fois les devoirs achevés, j’allais au parc avec Trésor et Faris. Je composais les équipes et nous jouions un match. Le plaisir était la seule chose qui comptait. Je veillais à ce que les équipes soient équilibrées, en nombre et en gabarit. Le reste coulait de source, sans trop de règles. Si nous n’avions pas un nombre pair de joueurs, nous devions attendre qu’un candidat se présente mais il n’y avait pas de banc des réserves ! « 

Trésor :  » Je ne pense pas que nous ayons jamais fait autre chose que jouer au foot. Toutes les nationalités se mêlaient. Vous vous demandez si Faris est plus belge qu’africain mais nous ne nous arrêtons pas à ça « .

Faris était-il meilleur que les autres ? Mahamat met les choses au point car nous n’avons pas bien compris la philosophie des plaines de jeu :  » Le football était un jeu, une récompense au travail scolaire. Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’était un footballeur de talent. J’ai toutefois constaté que l’équipe de Trésor et de Faris avait toujours plus de chances de gagner que les autres « .

Le petit Faris ne jouait pas uniquement avec ses copains, dans le parc. La vie quotidienne était aussi une expérience commune, témoigne Patricia :  » Il a grandi entouré de nombreux enfants. Ses cousins défilaient à la maison. Il a l’habitude de vivre en groupe. Cela a certainement eu une influence sur lui. Il ne jouait qu’avec un ballon. A la maison, en voyage, il lui fallait son ballon. Il n’existait pas d’autre jeu à ses yeux. On ne voyait pas traîner des petites autos à la maison avant la naissance de son frère cadet, Nadjim « .

Faris confirme :  » Les autres sports ne m’ont jamais intéressé. Il m’est arrivé de faire du kayak et à l’école, j’ai fait de la gymnastique mais ça n’a jamais été mon truc « .

Le SCUP Jette

Si cela n’avait tenu qu’à son père, il n’aurait pas été question de passer dans un club : il craignait que cela ôte à Faris ce qui était essentiel à ses yeux, le plaisir. Les familles belges et les mixtes ne diffèrent guère : c’est la femme qui a convaincu son époux.  » Je savais ce que cela représentait pour Faris « , raconte Patricia.  » Il rêvait de se produire pour un club. J’ai donc insisté « .

 » J’avais compris qu’il voulait jouer pour une vraie équipe « , poursuit Mahamat.  » Un jour, au terme d’un de nos matches au parc, Faris a demandé à un footballeur plus âgé pour quelle équipe il jouait : – Anderlecht, a répondu l’autre « .

Faris :  » J’étais trop gêné pour avouer que je n’étais affilié nulle part « .

Le père :  » Je n’ai pas compris cette honte car l’autre lui posait cette question parce qu’il l’avait jugé très bon. Donc, le fait qu’il ne joue pas dans un club soulignait ses qualités « .

Faris :  » Presque tous les autres étaient affiliés « . Trésor confirme :  » J’ai rapidement été enrôlé par Anderlecht « . Faris :  » Moi aussi, je voulais un club, de vrais matches et marquer des buts qui comptent « .

Le SCUP Jette a finalement enrôlé Haroun. Il n’a pas dû développer beaucoup d’arguments pour le convaincre.  » Nous avons choisi le club le plus proche « , répond Mahamat. Mais le SCUP n’a pas immédiatement décelé le potentiel de son jeune joueur.  » J’ai débuté en Diablotins C « , explique Faris.  » C’était la dernière équipe. Je n’y éprouvais pas le moindre plaisir. Je prenais le ballon et je marquais dès que j’en avais envie. Par la suite, on m’a surclassé d’une catégorie. J’ai joué trois ans au SCUP. J’effectuais en même temps des stages d’hiver et d’été au RWDM. C’est ainsi qu’il m’a repéré et transféré « .

Mahamat fait comprendre que le transfert à Molenbeek s’est déroulé un peu moins simplement :  » Jette était en proie à des problèmes internes. L’ambiance n’était pas optimale et la mentalité de l’entraîneur ne me convenait pas. Il tournait le dos à l’équipe quand celle-ci était menée sur un score important. J’ai préféré qu’il aille à Molenbeek et… Faris s’est mis à pleurer « .

Faris :  » Mes amis étaient à Jette « .

Le RWDM

Mahamat :  » Faris a pu poursuivre sa progression au RWDM. Je ne voulais pas l’en priver. Les matches étaient toujours agréables. C’étaient des excursions en famille, en fait. Nous faisions un barbecue avant de nous rendre tous ensemble au match ou au tournoi « .

Faris conserve de bons souvenirs de sa période à Molenbeek et surtout des derbies contre Anderlecht, le grand rival, qui s’intéressa à lui, un moment donné :  » Je pouvais difficilement faire ça à mes camarades. Ces matches contre Anderlecht étaient le clou de la saison. Nous y pensions des semaines à l’avance et bien longtemps après. La rivalité ne dépassait jamais les lignes du terrain. Nous disputions un mini championnat avec Anderlecht et nous participions aux mêmes tournois. Nous nous rencontrions donc environ six fois par an, faisions connaissance et nous apprécions « .

 » C’était pareil pour nous « , se souvient Mahamat.  » Les deux équipes alignaient beaucoup d’Africains. Les parents s’entendaient bien. Pierre Kompany est devenu un ami. Vincent a toujours devancé Faris et son père Pierre nous conseillait. Je lui en reste très reconnaissant. Il nous montrait le meilleur chemin à suivre « . Ce fut celui de l’école de sport de haut niveau de Louvain. Mahamat :  » Je me suis renseigné auprès du professeur, Michel Bruyninckx. L’ensemble du programme m’a plu : 21 heures de cours par semaine dont huit de sport « .

Poursuivre ses études à Louvain impliquait de suivre les cours en néerlandais. C’était nouveau pour Faris, qui s’exprimait essentiellement en français à l’Athénée Charles Buls, officiellement bilingue, pourtant.  » J’ai élargi mon vocabulaire néerlandais à Louvain. L’adaptation a duré un an « , confie Faris.

Patricia poursuit :  » Il existait un contrat oral. Le football était permis à condition que ses résultats scolaires correspondent à nos attentes. Nous n’avons jamais eu de problèmes. Lors des contacts entre école et parents, nous n’entendions que des compliments : poli, bien élevé… Par contre, nous avons été étonnés d’apprendre qu’il faisait souvent rire toute la classe « .

Mahamat enchaîne :  » Un professeur nous a raconté qu’il effectuait une démonstration de réaction chimique en mélangeant deux liquides qui bouillonnaient. Du fond de la classe, Faris a crié : – Ad Fundum ! Nous ne le savions pas plaisantin. En général, il est plutôt sérieux « .

Trésor :  » Je ne le qualifierais pas de sérieux quand il était avec ses amis mais il était calme « . Sa mère avait cependant décelé un certain sens de l’humour :  » Tout gosse, il inventait des mots et il nous faisait rire. Dommage que nous ne les ayons pas notés. Je me souviens d’un terme : un rallongi. Comme le mot raccourci existait, Faris trouvait que son contraire devait aussi exister « .

Le Racing Genk

Mahamat :  » Le RWDM ne savait pas encore s’il allait conserver Faris. Il grandissait lentement alors que la puissance est très importante en Belgique. Il n’était apparemment pas assez costaud, même si je le trouvais toujours bon dans ses matches. Bruyninckx m’a alors parlé de Genk. J’ai rassemblé des informations. Le club possédait une excellente école de jeunes mais n’était pas demandeur. Il n’avait jamais imaginé que je serais d’accord d’envoyer mon fils au fin fond du Limbourg et ne savait même pas qu’il parlait néerlandais. Faris a disputé un match et tout a été réglé « .

Faris a vécu dans une famille d’accueil pendant deux ans. Maman Haroun :  » Non, il ne m’a pas manqué. L’Afrique vous apprend à ne pas vous accrocher à vos enfants. Les parents ne retirent aucune satisfaction du simple fait d’être entourés de leurs enfants mais bien de faire de leur mieux pour eux. En outre, tout s’est déroulé par étapes. Il était déjà à l’internat quand il jouait à Molenbeek. J’avoue que la première fois que nous l’avons laissé là pour rentrer à la maison, j’ai été envahie par un sentiment étrange, en nous voyant à deux seulement dans l’auto « .

Faris a obtenu un contrat d’Espoir à Genk mais il poursuit ses études. Il s’inscrit à l’université de Louvain, en éducation physique. Mahamat :  » Je voulais bien qu’il abandonne ses études mais uniquement quand il aurait un véritable contrat professionnel, assorti de toutes les garanties possibles « .

Un mois plus tard, Faris a obtenu ce contrat. Il paraphe un document que Jos Vaessen appellera plus tard la plus grande erreur de sa carrière. Mahamat :  » A mes yeux, l’essentiel n’était pas la somme qu’il allait gagner. Le contrat contraignait le club à lui consacrer son attention. Il ne pouvait le mettre sur une voie de garage en cas de contrecoup ou de moins bonnes prestations. Je n’en veux pas à Vaessen. Le fait qu’il ait offert un bon contrat à Faris était une marque de respect à son égard « .

par Jan-Pieter de Vlieger

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