Carré de TACTICIENS

Une analyse de l’impact du coaching.

Les remplacements judicieux de Scolari

Pour Luiz Felipe Scolari, l’EURO avait plutôt mal débuté avec une défaite, d’entrée de jeu, contre la Grèce (1-2). Pour le deuxième match face à la Russie, le Brésilien, adepte d’une même ligne de conduite depuis 18 mois jusqu’alors, étonna en modifiant son onze de base : exit les anciens Fernando Couto et Rui Costa ainsi que le back droit Paulo Ferreira, coupables de s’être complètement blousés sur le but d’ouverture des Hellènes, £uvre de Giorgios Karagounis. A leur place succédèrent les nouveaux Champions d’Europe Ricardo Carvalho et Deco, du FC Porto, ainsi que Miguel, le latéral droit de Benfica. En cours de partie, Cristiano Ronaldo et Rui Costa vinrent suppléer Luis Figo et Simao. Avec bonheur, puisque ces deux-là furent à la base du deuxième but, alors que le premier avait été signé par Maniche, sur une passe de Deco.

Lors de la troisième rencontre face à l’Espagne, Luiz Felipe Scolari eut une nouvelle fois la main heureuse en faisant monter au jeu, en seconde mi-temps, Nuno Gomes à la place de l’invisible Pauleta. Résultat des courses : l’attaquant de Benfica parapha le seul but de la partie. En quarts de finale face à l’Angleterre, le technicien sud-américain fit plus fort encore, en faisant entrer pendant la deuxième mi-temps le trio offensif Simao, Helder Postiga (à la place de Luis Figo) et Rui Costa sur le terrain. Trois hommes qui allaient se révéler déterminants, puisque sur une passe de Simao, Postiga signa l’égalisation et que Rui Costa porta les siens au commandement avant que l’Angleterre ne revienne in extremis à la marque.

 » Pourquoi ne pas l’avouer : jusqu’à cet EURO 2004, nous nourrissions tous des doutes quant aux capacités de l’entraîneur à faire basculer le cours d’une partie « , observe Nuno Paralvas du quotidien sportif local A Bola.  » Depuis son entrée en fonction, la Seleccao valait davantage par les aptitudes de ses vedettes que par la cohérence d’un véritable système. Au cours de cette phase finale, une révolution a eu lieu dans la mesure où le collectif a pris le pas sur les individualités, quelles qu’elles soient. Sous cet angle-là, le Brésilien a évidemment fait fort en écartant d’abord Rui Costa durant la première phase puis, surtout, en remplaçant Figo contre l’Angleterre. Jamais un entraîneur portugais ne se serait hasardé à prendre cette décision. Car le Madrilène est considéré par tout le monde comme un dieu vivant ici. Scolari l’a ramené au rang de simple mortel, et ce n’était sans doute pas une mauvaise option, dans la mesure où chacun aura pu remarquer que sans son footballeur emblématique, le Portugal était capable de se tirer fort bien d’affaire aussi. En l’espace de quatre confrontations, le sélectionneur a à la fois prouvé qu’il savait gérer le cours des événements mais aussi un effectif composé de très grosses personnalités. S’il faut du courage pour retirer Luis Figo de l’équipe, il faut également une fameuse force de persuasion pour convaincre un artiste au pied léger comme Deco de remplir la tâche de back droit face à l’Angleterre. Or, c’est ce qui est arrivé quand le meneur de jeu du FC Porto dut composer avec la rentrée de Rui Costa sur le terrain. Cette permutation-là aurait été tout à fait inconcevable voici quelques mois à peine. Elle en dit long sur le chemin parcouru par la Seleccao « .

Le nouveau triangle de Dick Advocaat

La bourde absolue des rencontres de poule aura été commise par le coach de l’équipe orange, Dick Advocaat au cours de Tchéquie/Pays-Bas. A 2-1 pour son équipe, il troqua l’attaquant Arjen Robben, meilleur des siens jusque-là, contre le défenseur Paul Bosvelt. Du coup, l’adversaire s’installa dans le camp hollandais au point de renverser complètement la vapeur : 3-2. Avec 1 point sur 6 au total des deux matches face à l’Allemagne et la Tchéquie, Moby Dick eut la lumineuse idée de ne pas céder à la panique, comme il l’avait fait durant les joutes amicales précédant l’EURO 2004, en changeant de système comme de chemise.

Cette fois, il resta fidèle au 4-3-3, tout en procédant à quelques aménagements sur la pelouse. C’est ainsi que Clarence Seedorf reprit le relais de Rafaël van der Vaart dans l’entrejeu. Après avoir vaincu la Lettonie, les Néerlandais réussirent alors l’exploit de battre la Suède à la faveur des tirs au but. Une véritable gageure pour eux qui, en l’espace de quatre phases finales précédentes (1992, 96, 98 et 2000) avaient invariablement dû s’incliner dans cet exercice.

 » Dick Advocaat a eu le mérite de ne pas brusquer les choses, même si, dès le troisième match, il a effectué une correction sensible dans l’entrejeu « , dit Peter Wekking, de l’hebdomadaire sportif néerlandais Voetbal International.  » Jusque-là, l’équipe avait opéré avec un triangle formé d’une pointe plus avancée û van der Vaart contre l’Allemagne, puis Seedorf contre les Tchèques û et d’une pointe plus reculée dévolue à Edgar Davids, avec Philip Cocu formant un troisième angle, entre ces deux extrêmes, sur le côté gauche. Devant les Lettons et les Suédois, ce triangle a carrément basculé, puisque Philip Cocu s’est retrouvé soudain à sa base inférieure, tandis que les deux coins supérieurs étaient composés de Clarence Seedorf et Edgar Davids. Cet artifice, avec le Pit-bull du Barça dans une position plus avancée, aura permis d’effectuer un pressing plus haut sur le terrain. Mais il n’aura été rendu possible que grâce aux bonnes dispositions de Clarence Seedorf, appelé à défendre lui aussi dans sa zone. Autrefois, le Milanais se serait soucié de ces consignes comme un poisson d’une pomme. A présent, il a fait preuve d’une énorme autodiscipline, en s’effaçant au profit du team. Par là même, Advocaat a réussi à recadrer ce joueur, un résultat auquel personne d’autre n’était parvenu avant lui. Et cette métamorphose aura été bénéfique à la sélection, c’est l’évidence même « .

Le chef-d’£uvre de Karel Brückner

S’il ne faut retenir qu’un seul match dans cet EURO 2004, pour attester combien les choix d’un entraîneur peuvent être pertinents concernant l’orientation des débats, c’est sûr que Tchéquie/Pays-Bas peut être considéré comme un réel modèle du genre. En fonction des événements sur le terrain, ce jour-là, le sélectionneur tchèque, Karel Brückner, changea son fusil d’épaule à trois reprises.

Après avoir débuté la partie avec deux meneurs de jeu excentrés û Karel Poborsky à droite et Pavel Nedved à gauche – comme il l’avait déjà fait précédemment contre la Lettonie, il opta, à 2-0 en faveur des Néerlandais, de sacrifier un homme en défense ( Zdenek Grygera) au profit d’un milieu offensif gauche ( Vladimir Smicer) qui entraîna la montée d’un cran de Pavel Nedved en tant que soutien des deux attaquants, Jan Koller et Milan Baros. Revenu à 2-2 dans cette configuration, Karel Brückner mit à profit l’exclusion du Hollandais John Heitinga, à la 75′ pour risquer le tout pour le tout avec l’introduction d’un attaquant supplémentaire, Marek Heinz. Bien lui en prit, puisque c’est sur une de ses actions que Smicer marqua le but de la victoire. Le même Heinz, substitut, s’était déjà signalé au préalable en inscrivant le but de la victoire contre la Lettonie et, par après, il signa encore l’égalisation face à l’Allemagne avant de contribuer au but de la victoire réalisé par Baros.

 » Brückner a peut-être sidéré tous les suiveurs par ses réactions pertinentes devant une situation donnée mais moi, il y a longtemps qu’il ne m’étonne plus « , observe Peter Surin, du journal Sport de Bratislava.  » A l’époque où il était encore entraîneur au Sigma Olomouc, début des années 90, il avait déjà réalisé des prouesses grâce à ses dons de stratège. Je me souviens, par exemple, qu’en Coupe de l’UEFA, il avait posé des problèmes à des équipes du top alors qu’il n’y avait pas photo entre ces formations et la sienne, qui a toujours émargé au sub-top, en Tchéquie, derrière les monstres sacrés du football praguois.

La sélection, c’est franchement du pain bénit pour cet homme qui, tout au long de sa carrière, n’a jamais juré que par un football positif. Depuis qu’il a repris l’équipe en remplacement de Jozef Chovanec, suite à la victoire des Diables Rouges face à la Tchéquie lors des barrages pour le Mondial 2002, Karel Brückner est dans son élément. Davantage encore qu’en formation de club, il peut donner libre cours à son inclination naturelle pour l’attaque. De fait, le point faible de cette équipe nationale tchèque, c’est incontestablement sa défense. Hormis Peter Cech, qui est un très bon gardien, les arrières ne sont pas vraiment des monstres sacrés. En revanche, avec des joueurs comme Karel Poborsky, Tomas Rosicky, Pavel Nedved, Jan Koller et Milan Baros, la sélection possède un quintette offensif enviable.

Karel Brückner est aux anges, avec ce matériel humain, car, pour très bien le connaître, je sais qu’il s’appuie sur une quantité invraisemblable de schémas offensifs différents, tant dans le cours de l’action que sur des phases arrêtées. Beaucoup se seront à coup sûr régalés sur la phase qui a valu à la Tchéquie d’égaliser contre les Pays-Bas : un centre de Nedved dévié de la poitrine par Koller dans la foulée de Baros. Mais ce genre de phase-là a été répété à l’envi lors des séances de préparation de l’équipe, ces derniers mois. Elles constituent la preuve que tout est inlassablement travaillé chez nous, même les mouvements offensifs. Alors que d’autres s’en remettent à l’intuition des joueurs en zone de vérité « .

Les déréglages d’Otto Rehhagel

Sous la houlette de son entraîneur allemand, la sélection grecque marqua d’emblée les imaginations, dans ce tournoi, en battant méritoirement le Portugal : 1-2. Pour les besoins de cette rencontre, Otto Rehhagel avait à la fois tablé sur un pressing haut de ses joueurs, ainsi qu’une reconversion rapide qui gêna considérablement le Portugal. A aucun moment, la star locale, Luis Figo, ne fut en mesure d’animer correctement la man£uvre, puisque son opposant direct, Takis Fyssas, était constamment épaulé par deux coéquipiers : le demi gauche Stelios Giannakopoulos et le milieu défensif Angelos Basinas.

Contre l’Espagne, à l’occasion du deuxième match de poule, c’est une autre star qui fut mise complètement sous l’éteignoir : Raúl, incapable de trouver la parade dans un entonnoir où Costas Katsouranis, chargé d’un marquage individuel sur lui, était épaulé en amont et en aval par Giorgios Karagounis et Theodoros Zagorakis. Abstraction faite du troisième match, contre la Russie, scellé par une défaite, l’équipe grecque excella à nouveau dans l’annihilation complète de la star adverse face à la France. A cette occasion , Zinédine Zidane eut beau se démener sur toute la largeur du terrain, le milieu grec, fort de cinq éléments, pratiqua un marquage en zone dont Zizou ne parvint jamais à se dépêtrer à bon escient.

 » L’immense mérite d’ Otto Rehhagel, c’est qu’il est parvenu à faire fondre chez nous tous les talents individuels dans le creuset de la collectivité « , remarque Giorgios Takiris du magazine sportif athénien Ethnosport.  » Il y a toujours eu de bons footballeurs en Grèce mais, dans le passé, ils se montrèrent rarement disposés à vouloir courir les uns pour les autres. Avec, pour conséquence, des bides de dimension. Comme notre campagne en Coupe du Monde 1994 avec trois défaites en autant de rencontres avec dix buts encaissés et pas un seul inscrit. A l’époque, la rivalité était effroyable entre les grands clubs athéniens que sont le Panathinaïkos, l’Olympiakos et l’AEK et il n’y avait pas la moindre cohésion sur le terrain. Depuis lors, les querelles se sont estompées car plusieurs joueurs sont passés d’un club à l’autre. Comme Grigorios Georgatos (AEK/Olympiakos), Giorgios Georgiadis (Panathinaïkos /Olympiakos), ou encore Pantelis Konstantinidis (AEK/Panathinaïkos). De plus, certains esprits se sont ouverts au contact du football étranger. C’est le cas pour Traianos Dellas à l’AS Rome ou Angelos Charisteas au Werder Brême.

Mais la révolution, c’est tout de même l’entraîneur germanique qui l’a instaurée. Lors de son premier match, soldé par un cinglant revers 5-1 contre la Finlande, chacun se posait des questions quant à l’opportunité de sa nomination à la tête de la sélection. Aujourd’hui, ces doutes sont balayés : jamais une formation représentative de notre pays n’a été aussi unie sur le terrain. Rehhagel a fait clairement comprendre aux joueurs que, face aux meilleurs, seul l’esprit de corps était en mesure de leur conférer une dimension supplémentaire. Dès lors, il est parvenu à imposer une ligne de conduite à laquelle tous adhèrent, sans rechigner. Même s’ils doivent faire des sacrifices. Le plus bel exemple, de ce point de vue-là, c’est Giannakopulos. Aux Bolton Wanderers, il occupe la place de milieu droit. Mais en sélection, ce poste est dévolu à Giorgios Karagounis. Jadis, l’entraîneur aurait dû choisir entre l’un ou l’autre car personne n’eût été amené à faire des concessions. Mais pas dans ce groupe où tout le monde n’a d’yeux que pour le bien commun. Cette évolution dans les mentalités porte sans conteste la griffe Rehhagel « .

Bruno Govers, envoyé spécial au Portugal

 » Il faut UNE FAMEUSE FORCE DE PERSUASION pour convaincre un artiste comme DECO de remplir la tâche de BACK DROIT « 

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