Caroloslavie

Ils se sont connus à Charleroi, habitent Nivelles et sont devenus des potes pour la vie. Pourtant, leurs chemins ne vont pas tarder à s’écarter. Rencontre.

Leurs aventures ressemblent aux notes de musique d’une fanfare balkanique en délire de Goran Bregovic. Avec eux, leurs éclats de rire et leurs yeux parfois mystérieux, un entretien ressemble un peu au Temps des Gitans, à Papa est en voyage d’affaires ou à La vie est un miracle. Elvedin Dzinic, Mijusko Bojovic et Danijel Milicevic ne seront jamais des acteurs des films d’Emir Kusturica,qui apprécierait pourtant l’amitié qui lie ce Slovène, ce Monténégrin et ce Suisse d’origine serbe. A Charleroi, où ils jouent et à Nivelles, leur lieu de résidence, ils sont heureux, entre eux ou avec leurs équipiers. Ils connaissent les bistrots qui entourent la Collégiale Sainte-Gertrude où on peut siroter un petit noir bien serré.

Ils n’ont pas encore dégusté une tarte al’djote, fierté des Aclots, mais, par contre, les spécialités gastronomiques italiennes intéressent leurs palais même si rien ne les fait plus saliver que les crêpes de l’épouse de Dzinic.  » Nous nous connaissions à peine avant que je débarque à Charleroi en 2011 « , relève Milicevic.  » Et, à mon avis, j’ai même dû leur rappeler un mauvais souvenir : Eupen, mon ancien club, venait de dominer les Zèbres en PO3. En pure perte finalement car les Pandas se sont aussi retrouvés en D2. Mon itinéraire sportif n’est pas comparable à celui d’Elvedin et de Mijusko. Bien que ma famille soit serbe, de Bijeljina, je suis né et j’ai grandi à Bellinzona en Suisse. Mes parents y gèrent depuis des années un garage et une station-service.  »

Milicevic a perfectionné son jeu dans les équipes de jeunes de Bellinzona et du FC Lugano. International suisse dans différentes catégories de jeunes, les débuts de ce milieu de terrain sont tout ce qu’il y a de plus classique. Après Lugano, il se retrouve à Yverdon, en D1 suisse, avant qu’Antonio Imborgia ne l’amène dans ses bagages à Eupen. Milicevic a donc pris sa battue loin des Balkans où Bojovic et Dzinic se sont frayé un passage.

Bojovic a fait son trou au Monténégro au FC Rudar Pljevlja avec qui il signe un doublé coupe-championnat. Il se distingue par sa taille et son visage mystique, presque de pope orthodoxe. Sa stature d’arrière central attire l’attention de DuduDahan, l’agent de joueurs israélien qui était proche d’Abbas Bayat, l’ancien président des Zèbres.

 » Il m’a repéré à l’occasion d’un match des Espoirs de mon pays « , se souvient Bojovic.  » Le football ne se porte pas mal chez nous. L’équipe nationale mène la danse dans son groupe qualificatif pour le Mondial brésilien, devant l’Angleterre. Ce n’est pas rien mais les internationaux évoluent presque tous à l’étranger. Quand Charleroi est venu frapper à la porte, je n’ai pas hésité. Et je ne l’ai pas regretté une seconde malgré une saison passée en D2 : je suis venu en Belgique pour avancer dans mon métier. C’est ce que j’ai fait : maintenant, c’est une page qui se termine. Il y aura bientôt autre chose mais Charleroi, un club spécial, gardera une place à part dans mon coeur.  »

 » C’est Charleroi, c’est émotionnel  »

La famille de Dzinic a ses racines en Bosnie, à Zavidovici, qu’elle quitta pour vivre plus tranquillement en Slovénie. Elvedin ne tarda pas à devenir une valeur sûre du NK Maribor avec qui ce milieu de terrain ou arrière central a trusté les récompenses collectives et éprouvé la joie d’être retenu au sein de l’équipe nationale à l’occasion de la Coupe du Monde sud-africaine. Même si Dzinic ne quitta pas le banc au pays de Nelson Mandela, c’est un grand souvenir, un sujet de fierté. Chez les Zèbres, ce fut tout de suite un autre safari.

 » Je suis arrivé au Sporting de Charleroi en janvier 2011 « , se souvient-il.  » La situation était très délicate mais une chose est évidente : si cet effectif avait été mis en place dès l’été, Charleroi ne serait jamais descendu en D2. On m’a parfois dit : – Charleroi, c’est Charleroi. Je me demandais ce que cela voulait bien dire, je le sais maintenant. Cette ville se nourrit de football. J’ai compris à quel point c’est important mais il y a aussi un côté imprévisible. En fin 2011-12, on a souvent changé de coach : c’est Charleroi, c’est émotionnel.  »

La valse des coaches a continué en D2 en 2011-12 avec Jos Daerden, Mario Notaro, Tibor Balog et Dennis Van Wijk. A ce rythme-là, avec un président, Abbas Bayat qui débloqua de temps en temps et oublia de payer la prime promise verbalement pour le titre en D2, il y a de quoi se décourager Les trois amis de Nivelles ont vécu tout cela avec détachement, comme si cela faisait partie des aléas de leur métier.  » On sait que cela peut arriver dans le monde du football « , constate Bojovic.  » Je préfère retenir autre chose. En D2, je me suis intégré dans cette équipe et ce fut une saison intéressante pour moi. J’étais titulaire et cela m’a permis de mieux m’installer, de progresser.  »

La suite en D1, cette saison, ne fut pas rose bonbon.  » Franchement, je me suis uniquement concentré sur la pratique de mon métier : le reste ne m’intéressait pas « , constate Milicevic.  » La saison en D2 avec Charleroi m’a fait du bien aussi. J’avais vécu une expérience assez forte à Eupen, notamment avec Albert Cartier, un coach au mental de combattant. J’adorais Cartier. Je me suis forgé un nom à Eupen, ça ne s’oublie pas, mais je devais me relancer et Charleroi m’a permis de le faire. Notre retour en D1 a été chahuté mais, à nouveau, c’est la direction qui a fait des choix. La présidence a changé de mains avec l’arrivée de Fabien Debecq : j’adhère à ce projet et c’est pour cela que j’ai prolongé mon contrat jusqu’en 2015. Je retiens la progression de ce club où tout le monde voit que quelque chose se met en place. Comme Bojovic, Dzinic et tous les autres, je suis content de participer à cette aventure. Retrouver la D1, ce n’est pas rien. Nous avons trouvé nos marques.  »

 » Pour Ferrera, on n’avait rien vu venir  »

Cela s’est quand même fait avec des plaies et des bosses, des départs, des arrivées, le coup de gueule de Mohammed Aoulad, l’échappée de Yannick Ferrera, l’intérim de Luka Peruzovic comme T1, le dépannage de Notaro jusqu’en fin de saison. Les trois Balkans boys sourient :  » Mais c’est cela, Charleroi…  » Ils précisent tout de suite :  » Pour Aoulad, la direction n’avait pas d’autre solution après son attitude. C’est dommage car ce joueur a du potentiel. En ce qui concerne Ferrera, nous n’avons rien vu venir. L’étonnement a été général. Personne n’imaginait que cela se termine de cette façon-là. La formule était intéressante avec un jeune coach soutenu par le métier de Peruzovic. Ferrera a apporté son enthousiasme et Peruzovic mesurait tout ce dont notre équipe avait besoin. Notaro est un grand clubman et un brave homme. Ferrera n’a pas bien choisi le moment de son départ. Il aurait dû patienter jusqu’à la fin de la saison. Pour nous, l’essentiel était de nous mettre à l’abri : mission accomplie. Au départ, on ne nous accordait pas la moindre chance de maintien. A la fin du compte, nous ne devons rien à personne.  »

Le grand Bojovic reprendra bientôt son baluchon de voyageur du football :  » J’ai pris moi-même cette décision car je veux relever un autre défi. Je serai toujours reconnaissant : Charleroi m’a fait confiance et est mon premier club à l’étranger. Le football belge est engagé, athlétique avec beaucoup de trafic aérien, ce qui me convient parfaitement. Libre de contrat en fin de saison, j’ai deux offres en Belgique et quelques contacts intéressants à l’étranger, Sans rien renier, j’espère franchir un cap, tenter quelque chose pour ne pas avoir de regrets au terme de ma carrière.  »

Un bon transfert pourrait rapprocher Bojovic de l’équipe nationale monténégrine. Dzinic a pris la même décision. Il avait été question d’un départ durant le dernier mercato d’hiver, notamment vers la Russie.  » Tout cela a été très vague « , précise Dzinic.  » Je ne sais pas de quoi demain sera fait mais je suis confiant et patient.  » Les trois amis de Nivelles ne se verront bientôt plus aussi souvent.  » Nous avons l’habitude, c’est le revers de la médaille de ce métier. « , souligne Milicevic.  » Nous sommes tous de passage. Bojovic et Dzinic sont des amis pour la vie. On se reverra en vacances, quelque part dans les Balkans. A la campagne, dans la nature car, comme le dit Dzinic, il n’y a pas beaucoup de grands espaces verts ou montagneux en Belgique. Nous sommes fiers d’avoir aidé Charleroi. La qualité du jeu n’a pas cessé de s’améliorer tout au long de la saison avec l’apport de Giuseppe Rossini et de DavidPollet en pointe. Avec eux en plus, tout était plus équilibré. L’équipe a beaucoup travaillé et s’est progressivement mise en place Bojovic et Dzinic ont leur part de mérites. Ce sont de grands professionnels et on s’en rendra encore mieux compte après leur départ.  » ?

PAR PIERRE BILIC- PHOTOS: IMAGEGLOBE/ KETELS

 » Nous sommes tous de passage. Mais Bojovic et Dzinic sont des amis pour la vie.  » Danijel Milicevic

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