CAROLO STORY

Pierre Bilic

Il y a 25 ans, un fameux Zèbre montait en ligne avec la foi de toute sa jeunesse.

Les Chinois respectent les plantes rares car ils savent que l’avenir de l’homme dépend de la biodiversité. Si l’artemisia avait disparu à jamais, ils n’auraient pas pu mettre au point un médicament afin de lutter contre un des fléaux de l’humanité : le paludisme. Avec son mental, son ambition et son travail, Alex Czerniatynski a signé un parcours pas comme les autres dans le monde du football belge. Au départ, dans le jardin du Mambourg, on se demandait ce qu’allait devenir cette plante un peu sauvage.

Grand formateur avant de diriger l’équipe fanion, Jean Piccinin ne cessa de soigner et d’arroser cette graine d’attaquant atypique. Il aurait été injuste de l’arracher et d’appauvrir la biodiversité du jeu des Carolos.  » A 16 ou 17 ans, j’en ai eu assez des doutes qu’on véhiculait à mon propos « , dit Czernia.  » J’ai passé des tests dans le club de football de mon village, Nalinnes, qui végétait dans les secrets d’une série provinciale. A cette époque, on ne vérifiait pas attentivement les cartes d’affiliation. Le dimanche, j’allais jouer en catimini. Quand j’ai appris qu’on me réservait une place sur le banc, je suis rentré au Sporting sans demander mon reste « .

Le regretté Piccinin n’eut probablement jamais vent de cette aventure. Une carrière tient souvent à trois fois rien.  » Le football a toujours été une religion à Charleroi « , narre Alex.  » Je suis ravi du bonheur actuel des Zèbres de Jacky Mathijssen. Le Sporting présente un ensemble qui tient la route par tous les temps. Personne n’aime se frotter à cette équipe intelligente qui se place bien, fait déjouer son adversaire, profite du moindre relâchement. On la dit défensive mais ce sont des propos injustes. Cette formation joue à la belge, renoue avec nos bonnes vieilles traditions. Il n’y a pas de stars dans cette équipe qui vit de son collectif. Son seul monstre sacré est parti récemment : Bertrand Laquait. Le gardien français a beaucoup apporté au nouveau Charleroi en lui offrant un fameux paquet de points. C’est un capital qui rapporte gros. Chacun fait son boulot, se bat, aide son équipier dans une ambiance de groupe positive. Au top, les recettes sont les mêmes : soin à la récupération et redéploiement offensif le plus rapide possible. Les Zèbres peuvent viser le Top 5. Jacky utilise à merveille les joueurs qu’il a sous la main. La presse fait de lui le JoséMourinho belge, mais je connais bien Jacky qui se méfie des louanges. Il doit être le premier à en rire. Il sait que les joies de ce métier sont agréables mais fragiles. Quand cela tourne mal, c’est toujours le coach qui casque. L’incident entre Abbas Bayat et Mathijssen à la fin de Charleroi-Anderlecht était bizarre. Je le mets sur le compte d’une énorme frustration. Le gros lot a filé sous le nez des Zèbres. Mais la place d’un président se situe dans la tribune, pas au bord du terrain. Charleroi reste Charleroi et peut cracher le feu un jour et s’éteindre sans raison huit jours plus tard. Cela a toujours été comme cela…  »

 » J’aurais tout fait pour les voir, les toucher, leur demander un autographe  »

Né à l’hôpital Notre-Dame, en face du Stade du Pays de Charleroi, enfant de Couillet et de Nalinnes ensuite, Alex Czerniatynski sait de quoi il parle. Même si la vie l’a fixé aujourd’hui à Rumst, près d’Anvers, son Charleroi natal illumine toujours son regard. Son épouse Freya et leur fils, Nicolas, l’ont certainement souvent entendu parler des Zèbres, des derbys contre les Dogues de la Neuville, des copains qui ont joué avec lui en équipes de jeunes : Philippe Vande Walle, Jean-Jacques Cloquet, Philippe Migeot, Philippe Bardaux, etc. Alex a décroché un diplôme de mécanicien automobile pour faire plaisir à son père :  » Il n’y a que le football qui m’intéressait. A l’école, je passais mon temps dans la fosse du garage. Je voyais arriver les profs de loin et il était possible d’un peu se reposer « .

Tout jeune, Alex ne ratait aucun match au Mambourg où se produisaient ses stars :  » J’aurais tout fait pour les voir, les approcher, les toucher, leur demander un autographe. L’ancien Mambourg était plus petit mais souvent plein à craquer et il y régnait une ambiance unique. Le public et les joueurs ne faisaient qu’un. Avant les matches, un monde fou montait de la gare vers le stade avec des fanfares, des supporters des deux camps se chambrant avec humour. J’étais le plus souvent derrière les buts afin d’admirer mon idole : Bobby Böhmer. Même si Georget Bertoncello mérite son titre de Joueur du Siècle, l’Autrichien est probablement le plus grand artiste ayant évolué au Mambourg. Bohmer est le RobbyRensenbrink de l’histoire des Zèbres. Il avait tout pour lui. Le Mambourg était le théâtre de ce comédien unique. Avec lui, Charleroi était un peu le Hollywood du football belge. Blond et beau comme un dieu, ce play-boy faisait battre le coeur des filles. Elles adoraient sa dégaine et ses frasques. Sur le terrain, Bobby était génial. Je me souviens de ses roulettes qui affolèrent la défense de l’Olympic. Je voulais lui ressembler. Après les matches de l’équipe Première, il y avait moyen de se hisser le long d’un mur et de jeter un coup d’£il indiscret dans le vestiaire. Je voulais savoir où et comment vivaient mes héros. Je savais déjà que ce serait un jour mon univers « .

 » Gamin, si tu veux devenir un grand joueur, il faut venir avec nous à l’Abattoir  »

Minime, Cadet, Scolaire, Junior : Czerniatynski se rapprocha progressivement de l’équipe fanion.  » Le stade Jonet était notre quartier général « , égrène-t-il.  » Ma mère et ma grande s£ur, Dany, m’y accompagnaient souvent. Le dimanche, quand l’équipe Première se produisait en déplacement, elle se réunissait à Jonet avant de prendre la route. Pour les jeunes, c’était un grand moment. Les stars regardaient parfois les gamins durant une demi-heure. Je le savais et j’essayais toujours de marquer sous le regard de Böhmer et de ses camarades. Et quand j’y arrivais, c’était le bonheur absolu. Le football était totalement différent. A l’heure actuelle, vu les enjeux financiers, les stars vivent dans leur bulle. Il aurait été impossible d’enfermer Georget. Ce saltimbanque aurait cassé la baraque afin de dialoguer avec son public. Sans ces contacts, ces vedettes étaient quasiment des orphelins. La troisième mi-temps était sacrée. Quand je suis arrivé en Première, les anciens m’ont emmené à… l’Abattoir. C’était leur café à Jonet. Ils s’y retrouvaient après chaque entraînement et on m’a vite dit : -Gamin, si tu veux devenir un grand joueur, il faut venir avec nous à l’Abattoir. Cela voulait dire s’amuser. Je n’aurais jamais osé les contredire. Au comptoir de l’Abattoir, ils se marraient, dévoraient des montagnes de tête pressée et faisaient fonctionner la pompe à bière. Le verre à la main, ils racontaient leurs exploits et leurs aventures. Entre eux, ils y revenaient pour la millième fois alors quand un jeune débarquait entre eux, c’était un peu leur nouveau public. J’étais bouche bée. Dès que les Zèbres avaient gagné, c’était le festival durant trois jours. Puis après avoir posé mille problèmes à Anderlecht, ils se cassaient le nez chez un adversaire largement à leur portée : cela faisait le charme et la faiblesse des Zèbres « .

En équipe de jeunes, Alex Czerniatynski marquait comme à la parade avec son ami zaïrois N’Sengui et en 1978-1979, Félix Week l’intégra au groupe de l’équipe fanion, le lança en D1 tout en lui mesurant sa confiance. Il misait plus sur les anciens même si Nico Braun, par exemple, était moins fort qu’Alex. Quand le technicien bruxellois déposa son tablier, il fut remplacé par celui qui avait coaché Czernia dans toutes les équipes de jeunes : Jean Piccinin. Auteur d’un bon tournoi de Juniors, le jeune buteur carolo joua alors face à Beveren et surtout contre Anderlecht qui fut dynamité dans une ambiance de folie. Czernia forma un duo de feu avec Charly Jacobs.  » Je l’adorais « , relève Czernia.  » Charly-la-foudre marquait des buts incroyables. Il shootait sans hésiter et cela fusait « .

Symbole d’une éternelle jeunesse

A la fin de la saison, Charleroi (neuvième) comptait 33 points mais avait surtout permis à quatre jeunes de rejoindre d’autres promesses comme Cloquet : Bardaux, Hervé Royet, Migeot, Czerniatynski.

 » Les jeunes, c’est la richesse d’un club « , avance Czernia.  » Ma carrière et les succès de Philippe Albert et de Daniel Van Buyten prouvent qu’il y a du talent dans le terroir carolo. Actuellement, Charleroi a l’accent français : c’est intéressant. La jeunesse du Sporting doit s’inspirer de leur exemple « .

En 1979-1980, c’est la cata avec des doutes, des crises, la faillite des anciens, le manque de métier des jeunes, les critiques à l’égard de Czernia jugé trop frivole, le remplacement de Piccinin par Alex Horvath, le retour de Piccinin et la descente en D2. Approché par le RWDM et le Beerschot, Alex Czerniatynski reste finalement à Charleroi. A l’étage inférieur, un accident de la route mit un terme à la carrière de Jean Dachelet. Pour le remplacer à la pointe de l’attaque, l’entraîneur de l’époque, Michel Delire, relança Czernia face à Tongres et surtout à Diest (0-4) où il prit tous les buts carolos à son compte. Alex gardera à jamais un souvenir ému de Michel Delire qui avait recréé une ambiance positive à Charleroi. Les Zèbres remontent et sont obligés de vendre un des bijoux de la couronne afin de renflouer les caisses. Alex est international Espoirs, a réussi un grand match contre les Bleuets, intéresse le Standard, Seraing, La Louvière, Bruges, La Gantoise, Berchem, etc.

 » Svilar aimait la vie : il aurait pu jouer à Charleroi…  »

Un chiffre de dix millions de francs belges (25.000 euros) est cité. Jef Jurion, ancienne superstar anderlechtoise, ex-coach, agent de joueurs propose Czernia au plus offrant à Gand et puis, le même jour, à l’Antwerp qui remporte le morceau. L’entraîneur de Deurne, Dimitri Davidovic, qui l’avait suivi avec les Espoirs belges, le voulait absolument. Un an plus tard, l’Antwerp céda Czernia à Anderlecht pour un million d’euros : le président Eddy Wauters avait vu clair.  » Je ne désirais plus rester à Charleroi « , lance Czernia.  » Je n’avais pas oublié les doutes qu’on véhicula à mon propos. De plus, je gagnais à peine de quoi remplir le réservoir de ma voiture. J’ai tout de suite été bien accueilli à Anvers. Tout était différent. Charleroi vit pour le football. Anvers, c’est une grande bijouterie. On y pense plus aux diamants qu’aux matches qui peuplent toutes les conversations à Charleroi. Ratko Svilar m’a pris son aile. J’ai habité deux semaines chez lui. J’ai connu le club et les night-clubs. Ce grand gardien de but aimait la nuit et la belle vie. Il aurait pu jouer à Charleroi. J’ai compris que je devais m’installer seul si je voulais réussir. Sur le terrain, j’ai tout de suite trouvé mes marques près d’un génie : Laszlo Fazekas. Cet artiste était tout le contraire de Svilar : pas très souriant, toujours sérieux, etc. Lui, il n’aurait pas pu être heureux au Mambourg « .

Aujourd’hui, Alex (46 ans) jardine beaucoup. Il a la main verte et cela l’aide en attendant qu’un club lui propose un poste de coach. Son parcours de joueur est exceptionnel avec des titres, des succès internationaux, 31 présences par les Diables Rouges (Antwerp : 10, Anderlecht : 9, Standard : 2, Antwerp bis : 5, FC Malinois : 5). Le 9 septembre 1981, Guy Thys lui a offert sa première joie de Diable Rouge face à la France de Michel Platini : 2-0, un but de Czernia. Sa vie a changé il y a 25 ans :  » Mais je n’oublierai jamais que tout a commencé à Charleroi. Je resterai toujours un Zèbre « .

PIERRE BILIC

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