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CAPITAINE ABANDONNÉ

Lucas Biglia dispute déjà sa quatrième saison dans les rangs de la Lazio, historique formation de Serie A dont il est capitaine depuis un an et demi. Un statut qui ne l’exempte pas des critiques visant des prestations monotones et des envies de départ assez récurrentes.

« Ce sont des choses difficiles à résoudre, nous sommes en train d’en parler mais l’important est que les deux parties aient envie. J’espère qu’on trouvera rapidement une solution. J’ai un certain âge… donc je dois bien réfléchir à ce que je dois faire et le club le sait.  » Voici ce que Lucas Biglia déclarait à propos de son avenir aux micros de Mediaset début janvier. Un point sur le futur qui lui a valu des inimitiés et pas des moindres.

En effet, deux semaines plus tard, et tandis qu’il rentre aux vestiaires après la rencontre perdue de façon rocambolesque à domicile contre le Chievo, un supporter de la Lazio escalade la balustrade pour lui faire part de son mécontentement, allant même jusqu’à lui cracher dessus. Pis, son épouse Cecilia est également prise à partie devant ses deux enfants en larmes. L’Argentin voit rouge et s’empresse de rendre la monnaie de la pièce à ce tifoso agité. Un acte isolé mais qui résume bien la situation délicate dans lequel se trouve le milieu de terrain de 31 ans. Cette altercation n’aurait peut-être pas eu lieu si on ne lui avait pas confié le brassard de capitaine en 2015. D’ailleurs, le choix de Stefano Pioli était très loin de faire l’unanimité puisque Antonio Candreva, alors la star de l’équipe, était persuadé d’hériter de la précieuse étoffe :  » Il n’y en a qu’une à disposition, beaucoup de joueurs le méritaient. J’ai choisi la meilleure personne, un excellent point de repère pour le reste du groupe « , expliquait celui qui est désormais entraîneur de l’Inter. Une jolie promotion, deux ans seulement après l’arrivée de Biglia dans la capitale italienne, qui ne l’a pourtant jamais convaincu d’épouser à 100 % le projet biancoceleste. Du reste, quelques semaines seulement après son intronisation, il a émis des doutes sur sa permanence, et depuis, les négociations pour prolonger son bail traînent. Le contrat signé en 2013 n’a jamais été retouché et arrive donc à terme l’été 2018. Ainsi, Biglia sera un joueur forcément prisé durant le prochain marché des transferts, avec en théorie un prix revu à la baisse par rapport à sa vraie valeur. Pisté par quelques-uns des plus grands clubs européens (Manchester United, le Real, le Barca), il pourrait continuer de temporiser…et se mettre de plus en plus de supporters à dos. Pino Wilson, historique capitaine de la Lazio vainqueur du premier scudetto en 1974, a réagi à cet égard sur le site ilposticipo.it :  » J’ai encore quelques doutes sur sa capacité à être un leader car il a quand même eu beaucoup de temps à disposition pour prendre ses marques dans ce rôle. C’est un bon joueur, mais je crois que ses hésitations devant les offres de prolongation de la direction à des chiffres pratiquement jamais atteints auparavant veulent dire beaucoup. Il pouvait signer avant, il ne l’a pas fait, et cela l’amène à être jugé de manière pas toujours objective.  »

NI VIANDE NI POISSON

C’est dans ce contexte particulier que l’ancien mauve évolue tous les dimanches. Une absence de sérénité qui caractérise son aventure depuis qu’il a débarqué de Belgique en 2013. Le projet tactique de Vladimir Petkovic était ambitieux, le faire coexister avec Cristian Ledesma devant la défense dans un 4-2-3-1. Le 4-0 encaissé au Stadio Olimpico contre la Juve en Supercoupe d’Italie impose une marche arrière quasiment immédiate et les rênes du jeu sont en fin de compte conservées par son compatriote plus expérimenté. L’une des deux recrues phares du mercato estival (8,5 millions d’euros comme pour le Brésilien Felipe Anderson) s’avère techniquement indéchiffrable. Ni le coach suisse, ni Edy Reja qui s’installe sur le banc à mi-saison, ne sont en mesure de résoudre l’équation. Biglia est régulièrement aligné mais il n’est  » ni viande ni poisson  » comme le dit si bien l’aphorisme italien. Un style de jeu basique, faisant la part belle à la prudence et totalement dénué de recherche de profondeur : insuffisant pour être considéré un playmaker de qualité. Mais des qualités techniques qui le dispensent d’être confiné à un rôle de milieu aux directives purement défensives. Le natif de Mercedes n’est pas loin d’être considéré comme un bidone – soit une grosse erreur de casting – suite à sa première saison et à Rome, on se demande encore comment il a pu intégrer les 23 sélectionnés argentins pour disputer le Mondial brésilien. D’abord remplaçant, il y est promu titulaire à partir des quarts et ce jusqu’à la finale perdue contre l’Allemagne après prolongations. Pioli, fraîchement nommé entraîneur de la Lazio, est un observateur attentif de la grande kermesse du football et prend des notes. À son retour de vacances, le néo vice-champion du monde est convoqué dans le bureau du patron afin de recevoir la confiance dont il a besoin. Cette fois, plus de doutes, Biglia met Ledesma sur le banc et s’installe devant la défense interprétant le rôle à sa manière. Pas d’ouvertures lumineuses à la Pirlo ni de dézonage en défense centrale à la Busquets, sa mission est de faire tourner l’équipe, bonifier les ballons, ne pas les rendre à l’adversaire. La Lazio conclut le championnat à une belle 3e place. Lui a trouvé son rythme de croisière au point d’hériter du fameux brassard de la discorde.

LA SÒRA CAMILLA

 » Son importance est évidente, il apporte sa personnalité et de la qualité, il dicte bien le tempo, je n’ai aucun de mal à admettre qu’on est meilleur avec lui.  » Dans une interview à la Gazzetta dello Sport fin 2015, Pioli ne tarit pas d’éloges envers son premier relais sur le terrain. Difficile en même temps de brocarder un des incontournables de l’Albiceleste, un statut toutefois à double-tranchant qui lui confère un certain crédit mais fixe en même temps le degré d’exigence assez haut. Son pourcentage de passes réussies élevé, aux alentours de 88 % depuis son arrivée au club, est la conséquence d’un jeu sans grande prise de risques, et en quatre ans, les assists se comptent sur les doigts de deux mains. Bon partout mais excellent dans aucun domaine clé, selon les chiffres de Wyscout, il figure hors du Top 30 de la Serie A concernant la moyenne par match de passes en profondeur, d’ouvertures, de transmissions dans le dernier tiers du terrain et de passes clés. Bref, tous les critères indispensables pour juger l’influence d’une individualité sur le collectif. Nando Orsi, autre grand ancien de la maison, n’y est pas allé de main morte aux micros de Radio Incontro Olympia :  » Il manque de personnalité, il se contente de faire le minimum. Ce n’est ni un leader, ni un capitaine. C’est un bon joueur mais pour prétendre à un salaire de 3 millions d’euros, il faut avoir les qualités pour les gagner. Ce n’est pas un hasard s’il joue encore à la Lazio, une équipe de seconde zone, à 31 ans. Il est comme la Sòra Camilla, tout le monde le veut mais personne ne le prend.  » Une expression typiquement romaine se référant à Madame Camilla, la soeur du pape Sixte V qui eut divers prétendants pour l’épouser…avant d’entrer finalement dans les ordres. Si Biglia patiente tant, c’est que des formations plus cotées lui font effectivement la cour sans pour autant être prêtes à passer à l’acte. La faute notamment à une sale impression qu’il renvoie, celle d’un joueur ayant les capacités pour passer un pallier et s’affirmer comme un des meilleurs playmakers du football mondial, mais qui en garde sous la pédale. Un blocage qui pourrait s’expliquer par le manque d’ambitions d’un club qui baigne entre deux eaux depuis une grosse décennie, se contentant d’une qualification européenne de temps en temps et n’investissant jamais sérieusement sur le marché des transferts afin de rattraper les concurrents tels que le Napoli, la Roma ou l’Inter. Ajoutez à cela un public désintéressé qui déserte les travées du Stadio Olimpico, et vous avez là un environnement de travail qui à la longue peut tout à fait déteindre sur les joueurs. Et Biglia n’est pas le seul dans ce cas, on peut citer Felipe Anderson, Baldé Keita, Marco Parolo ou encore Stefan de Vrij. Bref, les responsabilités sont à partager.

AUCUNE CONCURRENCE

Un constat avec lequel Simone Inzaghi, technicien des biancocelesti depuis avril dernier, est évidemment en désaccord. Le petit frère de Superpippo a d’abord défini l’Argentin comme un  » top player sur qui se baser pour repartir  » lors d’une des ultimes conférences de presse de la saison passée avant de confirmer son opinion il y a quelques semaines au sortir d’une difficile victoire face à Crotone :  » Je ne pense pas qu’il soit distrait par les rumeurs de mercato. C’est notre capitaine, c’est un joueur important et il le sera toujours. C’est un leader indiscutable.  » Inutile néanmoins de se voiler la face, si Biglia conserve ses galons de titulaire, c’est aussi parce que la concurrence à son poste est totalement inexistante. Un seul élément pouvait le déloger, il s’agissait de l’international U21 italien Danilo Cataldi qui a été immédiatement prêté au Genoa cet hiver lorsqu’il a réclamé un minutage plus conséquent. Ne reste qu’Alessandro Murgia, plus relayeur qu’organisateur de jeu et qui sort tout droit du centre de formation. De quoi enfoncer le capitaine laziale dans sa  » confort-zone « . Il ne s’agit pas non plus de noircir le tableau, le premier club de la cité éternelle est une des belles surprises de la saison et en course pour accrocher une place en Europa League. Et avec un meilleur bilan dans les confrontations directes (seulement 11 points récoltés sur 27 possibles face aux huit premiers), il se retrouverait encore mieux classé dans un haut de tableau de Serie A particulièrement dense. Or, qui est censé mobiliser ses troupes sur le terrain afin de faire jeu égal avec le gratin du football italien ? Le capitaine et plaque tournante de l’équipe. Le chien qui se mord la queue et une situation d’impasse dans laquelle Biglia n’a pas envie de s’éterniser. Sa stratégie est aussi limpide que risquée : son dernier contrat, il veut le signer dans un Top club, mais où ? ! L’Argentin remplacera-t-il bientôt la bonne dame Camilla dans les proverbes populaires romains ?

PAR VALENTIN PAULUZZI – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Il manque de personnalité, il se contente de faire le minimum. Ce n’est ni un leader, ni un capitaine.  » NANDO ORSI, ANCIEN GARDIEN DE LA LAZIO

 » C’est notre capitaine, c’est un joueur important et il le sera toujours. C’est un leader indiscutable.  » SIMONE INZAGHI, COACH DE LA LAZIO

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