Capi, c’est fini ?

Le symbole du Sporting vit une saison compliquée. Entre remises en question et résultats décevants, il garde le cap.

Cela ne pouvait que se passer à Namur, sa ville, son fief, le lendemain de ses 35 ans…  » Je suis capitaine de Charleroi mais je me suis toujours revendiqué Namurois à 100 %. Je ne pourrais pas vivre autre part qu’à Namur. Cependant, je côtoie les Carolos tous les jours et je ne peux pas rester indifférent. Une partie de moi restera là-bas.  » Rendez-vous à 18 h à la Cava, restaurant italien du centre. Choix familial puisque l’oncle de sa femme y est pizzaiolo…

 » Le titre de l’article ? Non, il ne me vexe pas, ni me choque. Il faut quand même bien avouer que je suis plus près de la fin de ma carrière que du début « , reconnaît Frank Defays. Comme ces films qu’on voudrait qu’ils ne se terminent jamais, il y a des carrières dont on imagine qu’elles sont éternelles. Pour tous les supporters de Charleroi, Defays représente une sorte de dernier des Mohicans, attaché à un brassard qu’il porte depuis avril 2001, quand le précédent détenteur, Dante Brogno, icône zébrée s’il en est, prit également sa retraite. Pour la première fois depuis longtemps, Defays a dû céder son brassard contre Anderlecht, non pas à cause d’une blessure ou d’une suspension, mais suite à un choix de l’entraîneur.

 » John Collins m’a appelé lors de la mise au vert. Il m’a donné une explication en disant qu’il était satisfait de l’équipe alignée au Cercle et qu’il ne désirait pas la modifier. Je l’ai coupé et lui ai dit qu’il ne devait pas se justifier et qu’aujourd’hui, l’important n’était pas Defays mais le Sporting de Charleroi.  »

Un petit morceau de tissu qui s’envole, qui passe chez un autre joueur, cela aurait pu l’ébranler. Lui ou les autres anciens.  » Il est clair que donner le brassard à un nouveau qui montre quelque chose à l’entraînement, cela s’apparente à un coup psychologique de l’entraîneur. D’un autre côté, pour des joueurs comme BadouKere et Bertrand Laquait, choisir Adlène Guédioura en disant que c’est un guerrier et un professionnel, cela aurait pu sous-entendre que les deux joueurs en question ne l’étaient pas. Mais il n’y a eu aucune réaction de ce genre dans le vestiaire « , affirme-t-il d’emblée avant d’ajouter.  » Il faut dire que j’avais un peu anticipé les réactions en arrosant les braises pour ne pas qu’elles prennent feu. Preuve que sans brassard, je reste un peu capitaine…  »

 » Je n’ai pas cédé mon brassard « 

 » Je reste d’ailleurs persuadé que si je le mettais au milieu de la table, on ne se battrait pas pour le prendre. Que ceux qui se disent qu’être capitaine à Charleroi, c’est avoir le contrat qui va avec réfléchissent à deux fois. Je suis loin d’être le meilleur contrat. Je l’ai été mais ce n’est plus le cas. Ceci dit, ce contrat, je l’ai signé. On ne m’a pas forcé. Mais pour ce que je fais en dehors du terrain, je pourrais gagner plus. On m’a donné un rôle que j’essaie d’assumer. Je suis un conciliateur, pas un homme de conflit. J’essaie que tout se passe bien. Je joue au pompier. Ce n’est pas toujours facile à assumer. Il faut s’adapter aux mentalités des nouvelles générations mais je vais au bout de mon rôle. « 

Pourtant, ce séisme personnel ne s’apparente pas à une révolution de palais… En début de saison, la prolongation de contrat au rabais démontrait déjà que le vieux serviteur du club ne constituait ni une priorité, ni un premier choix. Désormais, il devrait s’effacer face à la jeune garde, celle qui court plus vite et surtout rapporte davantage d’argent. A 35 ans, Defays a cependant été titularisé à 19 reprises, preuve qu’il faut encore compter avec lui. Mais après une saison 2007-2008 émaillée de blessures, il n’a jamais renoué avec son niveau d’antan, celui de l’époque Jacky Mathijssen.

 » Quand on sort d’une blessure de six mois, on ne s’en remet pas aussi facilement à 34 ans qu’à 25 ans. Pendant la préparation, j’ai souffert, je me suis accroché et maintenant, je n’ai plus de soucis physiques. C’est clair qu’à 35 ans, je peux avoir des périodes dans un match où je suis moins présent. Je ne déboule plus comme avant, mais on ne pourra jamais me reprocher de monter sur un terrain et de ne pas mouiller mon maillot. Vous parlez de saison de trop ? C’est peut-être ce que vous ressentez. Peut-être parle-t-on de cela parce que Charleroi va mal. Est-ce la saison de trop pour moi seulement, ou pour tout le groupe ? Quand l’équipe tournait bien, je n’étais quand même qu’un porteur d’eau. Je n’ai jamais offert trois assists… J’ai toujours été un gars qui faisait son boulot, qui sait ce qu’il peut accomplir et ne pas accomplir. Je laisse aux joueurs plus talentueux le soin de faire la différence. Mais il y a un gros changement : ceux qui doivent faire la différence ne la font plus et cela change beaucoup de choses pour les joueurs plus discrets, comme moi. Et puis, on me dit que j’étais meilleur il y a deux ans. Mais j’avais deux ans de moins et Mathijssen a su tirer le maximum de chacun de nous. Il nous a pressés comme des citrons et quand il n’y a plus eu de jus, il s’en est allé. Mais l’ensemble du groupe est moins performant. Tu peux prendre les joueurs poste par poste et comparer ! Ce serait donc difficile pour moi d’être au-dessus du lot… « 

On le sent serein, avouant ses lacunes actuelles, mais toujours bien décidé à montrer qu’il mérite sa place dans le onze de base :  » Mentalement, je peux tenir l’équipe par mon implication journalière. J’ai de l’importance dans les vestiaires et je peux être fier du respect que me témoignent mes équipiers. Certes, je ne suis pas le genre de joueur à décider du cours d’un match mais par exemple, quand je joue, Badou se pose moins de questions car on se connaît depuis dix ans. « 

Et puis, s’il doit se défendre, c’est aussi en grande partie à cause de sa position sur le terrain. Difficile, comme arrière droit, d’alterner les longs sprints quand on a 35 ans. Son expérience, son placement et son leadership serviraient davantage dans l’axe.  » Difficile de répondre à cette question. Même Dante Brogno m’en a parlé récemment… Je n’ai jamais revendiqué une place sur le terrain et ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer. Collins m’avait d’ailleurs demandé si je pouvais évoluer dans l’axe. Je lui ai répondu que je l’avais fait durant plusieurs années.  »

 » Pour un club qui joue son maintien, le vestiaire est sain « 

Aujourd’hui, Defays peut jeter un coup d’£il dans le rétroviseur avec fierté, lui qui est arrivé tardivement en D1 et que personne ne voyait effectuer une si longue carrière.  » Je suis arrivé sur la pointe des pieds à 25 ans. Je me souviens que quelques années plus tôt, je mettais une TV dehors pour regarder avec des amis la Coupe du Monde. Et à mes yeux, les deux joueurs les plus importants étaient Enzo Scifo et Philippe Albert. Or, j’ai eu la chance de débuter avec les deux. Ils étaient peut-être en fin de carrière mais si je les avais connus plus tôt, j’aurais raccroché mes crampons. Car, quand je vois ce dont ils étaient encore capables en fin de carrière, je n’ose pas les imaginer à leur apogée.  »

Il a donc connu l’ère Scifo et l’arrivée des Bayat ; la bonne période Mathijssen et les luttes stressantes pour le maintien. Et quand il lit le classement actuel, le voilà revenu aux heures les plus sombres :  » Je ne veux pas que la lutte pour la descente effleure mon esprit. C’est dangereux pour ma santé car je ne peux pas vivre dans la sérénité si mon club lutte pour sa survie. C’est pour cette raison que je ne me retrouve pas dans le foot actuel car de plus en plus de joueurs s’en foutent complètement. On aura tendance à enterrer beaucoup plus vite un mec comme moi, qui n’en dors pas, qu’un mec qui s’en fout mais que l’on va encenser afin de le vendre 500.000 euros.  »

Il ne parle pas de conflit de générations. Il s’adapte. Mais il regrette que le club ne respecte pas davantage les piliers du Sporting. Et que le règne de l’argent emporte tout.  » Soit tu es un club avec beaucoup d’argent, soit tu n’en as pas. Alors, tu tentes des coups de poker au niveau des transferts. Cela fonctionne pendant trois ans et la quatrième année, tu te ramasses. Et quand cela arrive, les gens disent – A Charleroi, le vestiaire n’est pas sain. Or, on a le même vestiaire. Il y a sept ou huit ans, je pensais que mon pire ennemi s’appelait Kere. Maintenant, je ne me pose plus la question. C’est devenu un de mes meilleurs amis. On a appris à se découvrir. De l’époque Mathijssen, il reste encore beaucoup de joueurs. Le vestiaire est-il plus difficile à gérer aujourd’hui ? A l’époque, il y avait des caractères. Grégory Christ est sans doute le plus grand talent à être passé par Charleroi mais il était aussi le caractère le plus difficile. Un Nasredine Kraouche était difficile à gérer. Un Gérald Forschelet l’était tout autant. Mais il y avait des résultats et on ne se posait pas ce genre de questions. Pour un club qui joue pour son maintien, je trouve qu’il y a un vestiaire sain. Mais ce n’est sans doute pas le plus professionnel ! « .

Quand il raccrochera, Defays laissera une trace indélébile au Sporting. Récemment, La Gazette des Sports l’a inclus dans son onze légendaire pour le 1.000e match des Zèbres au plus haut niveau.  » Brogno, Albert, Didier Beugnies ou Raymond Mommens ont marqué le Sporting. Et si cela m’arrive, je ferai partie de tant d’autres. Tu passes et quand tu as terminé, c’est un autre qui prend ta place. Je me souviens des propos de Nikola Jerkan qui affirmait – Peu importe le nombre d’assists et de buts que tu mets, ce qui compte, en fin de carrière, c’est le nombre de zéros sur ton compte en banque. Je n’ai pas pris exemple sur lui puisque moi, il restera plus de matches que de zéros sur mon compte !  »

Dans quelques mois, un an, voire plus, il mettra un terme à une carrière dont il pourra être fier.  » Fier de quoi ? Quand mon père, qui travaille comme ardoisier zingueur, se lève à 6 h du matin et travaille sur les toits par -10°, ça c’est un sujet de fierté. Il ne faut pas être fier parce que tu ne râles pas quand on te demande de faire deux tours de terrains… « 

par stéphane vande velde – photos: reporters/ guerdin

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