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Les buts inscrits par Jonathan David (19) en août dernier s’avèrent décisifs pour Gand, qui a dû attendre la dernière journée de la phase classique pour assurer sa participation aux PO1.  » Le meilleur est à venir « , déclare le jeune pro ambitieux qui a relégué Roman Bezus sur le banc.

Fin avril 2017. Jonathan David, attaquant d’Ottawa Int. SC qui dispute la CONCACAF Cup U17, est annoncé en test à Gand. L’international canadien est déjà passé par le chef-lieu de Flandre Orientale un an plus tôt. Il a été découvert par Luc Dhaenens. David, né à Brooklyn (New York City), a passé les premières années de sa vie à Haïti. A l’âge de six ans, il s’est établi au Canada.

C’est Nikos Mavromaras, un agent, qui l’a renseigné à Gunther Schepens, alors responsable du recrutement chez les Buffalos. Il lui a montré des images de la rencontre face aux Etats-Unis. A l’époque, Stuttgart était intéressé également. L’ex-international, aujourd’hui team manager des Buffalos, a eu des expériences positives avec Bryan Ruiz et Roberto Rosales. Il était donc favorable à un test.

Jonathan David :
Jonathan David :  » J’ai dû m’adapter au jeu physique de mes opposants directs en Belgique. « © BELGAIMAGE

 » Nous ne pouvions cependant le mettre sous contrat qu’à partir du jour de son 18e anniversaire, le 14 janvier 2018, donc « , dit Dhaenens. Responsable de l’action sociale du club gantois, il a accueilli David et l’a logé à l’Hôtel Lepelbed.  » Avant cela, nous l’avions déjà invité à quatre reprises à venir s’entraîner avec nous et à disputer des matches amicaux avec notre équipe espoirs pendant les vacances scolaires. L’été, il était resté un bon mois et demi. Son père, un Haïtien, l’accompagnait. Cela a favorisé son intégration.  »

Dans un premier temps, David est incorporé au noyau B de Bart Van Renterghem. Le coach actuel de l’Eendracht Alost est immédiatement impressionné par le potentiel de David.  » Je me souviens surtout de son large sourire et de l’envie dont il faisait preuve « , dit le licencié en éducation physique, qui travaille à l’école de sport de haut niveau de Gand.

 » C’était un pur-sang qui en voulait énormément. Mais il y avait un problème : au Canada, il s’entraînait trois fois par semaine, souvent en salle en hiver. Chez nous, il devait s’entraîner chaque jour. Après une semaine, ce qui est vraiment exceptionnel, j’ai dit à Luc Dhaenens qu’on ne pouvait pas passer à côté de Jonathan. Il avait des côtés extraordinaires.

Dans des trois contre huit, en infériorité numérique, il recevait dix ballons dans le rectangle et il marquait trois fois. Un rendement remarquable. Un joueur normal aurait abandonné tout de suite. C’est dans ce genre d’exercice de résistance qu’on voit ceux qui persévèrent, qui savent dribbler et protéger leur ballon. La grande classe.  »

Accompagnement psychologique

 » Mentalement, les tests, ce n’est pas facile « , dit l’affable David, dont la langue maternelle est le français mais qui s’exprime également couramment en anglais.  » J’en ai fait au RB Salzbourg, où on ne me parlait qu’en allemand. Je me limitais donc à regarder et à suivre. Parfois, je devais deviner ce qu’ils voulaient car il n’y avait pas de feedback.

A Gand, il n’y avait pas de barrière de la langue. Je me suis directement senti chez moi car des liens se sont rapidement créés. Il y avait du suivi. Luc Dhaenens n’était jamais loin, il m’aidait et me conseillait. L’objectif de tout joueur canadien est évidemment de faire carrière en Europe.  »

Son père, ex-joueur manifestement encore plus cool que son fils, veut des certitudes. Il demande à rencontrer Van Renterghem au centre d’entraînement.  » Nous avons parlé pendant plus de deux heures « , dit l’entraîneur.  » Il voulait savoir si le club prévoyait un accompagnement psychologique. Pour lui, c’était une condition sine qua non. Heureusement, nous avons pu lui parler de la psychologue Eva Maenhout. Le joueur et son père voulaient s’engager dans un club véritablement professionnel.  »

Pas question de tomber deux fois dans le même piège.  » La réalité est parfois très dure « , dit Jonathan.  » Echouer à Salzbourg et devoir retourner momentanément au Canada, ça n’a pas été facile. J’étais jeune, ambitieux, je savais que j’avais des chances de réussir. J’étais plus déterminé que jamais à saisir la chance que Gand m’offrait. Je devais arriver en équipe première, ce n’était pas possible autrement. Bart m’a appris à penser comme lui. Il me stimulait constamment, tout comme son pote Ward Diricks. Ils voulaient que je progresse, surtout tactiquement  » ( il rit)

Jonathan David :
Jonathan David :  » Je prie chaque jour pour faire une belle carrière. « © BELGAIMAGE

Un attaquant polyvalent

Van Renterghem rigole.  » J’ai toujours eu l’impression que ce garçon s’amusait « , dit-il.  » Jonathan est très assidu et il lit bien le jeu. En Espoirs, il faisait toujours exactement ce qu’on attendait de lui. On voyait tout de suite qu’il pouvait aller plus loin, comme cela avait été le cas de Laurent Depoitre à l’Eendracht Alost. On ne lui en demandait jamais trop. Pour un entraîneur, c’est formidable, bien sûr.  »

Pour Van Renterghem, David a un atout exceptionnel : sa polyvalence. Au début, le Canadien joue au poste d’ailier gauche. Plus tard, il passe en pointe ou dans le dos d’un pivot.  » Nous estimions qu’il était capable de beaucoup de choses car, tout comme Depoitre, il reconnaissait de nombreuses situations de jeu « , dit son ex-entraîneur.

 » C’est pourquoi nous lui demandions de ne pas attendre le ballon devant comme l’aurait fait un voleur de buts typique. Il avait trop de qualités pour cela. Quand il jouait en dix, il ne calculait pas ses efforts. Il apportait sa vision de jeu, remisait, couvrait beaucoup de terrain et faisait preuve d’opportunisme devant le but. Il était juste un peu moins fort de la tête, c’est quelque chose qu’il doit travailler.  »

Au Canada, dans les équipes d’âge d’Ottawa, David avait toujours eu le même entraîneur.  » J’étais attaquant et, lorsque nous faisions des jeux de position, il voulait toujours que je sois au milieu « , dit le joueur.  » Comme c’était là qu’il y avait le plus de monde, il m’obligeait à jouer dans les espaces courts. J’étais l’élément flexible de toutes ses options offensives.

En Belgique, j’ai surtout dû m’adapter à l’aspect physique car, ici, les joueurs aiment bien aller au duel. Mais je ne perds pas vite la tête. J’essaye de rester serein et de raisonner en toutes circonstances. Cela se voit à mon style de jeu : j’ai surtout appris à utiliser mon corps pour protéger le ballon. Je dois encore progresser mais je constate que je suis plus efficace et ça fait plaisir.  »

Des mouvements imprévisibles

Van Renterghem est d’accord.  » Jonathan marque particulièrement facilement « , confirme-t-il.  » C’est un don. Le plus frappant, c’est son calme. Cela le rend imprévisible. C’est sans doute une question de formation. Et il sera de plus en plus efficace face au but. David est un finisseur. Il a ce qu’on appelle ça le deliberate play, le fait de pouvoir jouer librement.

Quand on acquiert cela en formation, on a un jeu plus proche du football de rue. C’est donc quelque chose qu’on peut stimuler en ne programmant pas trop mais aussi en laissant au joueur la possibilité d’évaluer une situation, de la sentir et de décider.  »

Même s’il a (logiquement) traversé le creux de la vague, David se dit surpris par la vitesse à laquelle il a progressé.  » Je n’aurais jamais osé imaginer que tout irait si vite « , dit le Canadien.  » J’ai l’impression d’être sur une montagne russe.  »

Malgré son jeune âge, il est strict envers lui-même.  » Je loupe encore trop d’occasions et je dois apprendre à mieux supporter la pression « , dit-il.  » En match, je veux aller le plus loin possible mais la perfection n’existe pas. L’important, c’est de prendre du plaisir, comme Ronaldinho par le passé. Mais il est également important d’aider ses équipiers. Vadis est un excellent guide. Il me dirige et me dit si je dois y aller seul ou faire circuler le ballon. Comme je suis mobile et que je couvre beaucoup de terrain, j’apporte une plus-value à l’équipe.  »

Celui qui, selon Brecht Dejaegere, ressemble à la star de NBA Jimmy Butler s’inspire beaucoup du FC Barcelone.  » J’observe surtout Lionel Messi, Luis Suárez et Ousmane Dembélé « , dit-il.  » J’aime aussi le sang-froid dont font preuve des attaquants comme SergioAgüero, Pierre-Emerick Aubameyang et Alexandre Lacazette. J’essaye d’arriver devant le but en combinant rapidement ou en cherchant la profondeur, comme les attaquants de Bundesliga. Il est toujours intéressant de regarder les autres, il faut vouloir en apprendre sans cesse davantage.  »

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Jonathan David :  » Vadis fait office de guide pour moi. « © BELGAIMAGE

Une histoire complètement folle

Pour Van Renterghem, c’est sain.  » Jonathan doit surtout rester concentré. Développer son corps afin d’être plus résistant au duel. Il a aussi perdu un peu de poids et doit continuer à travailler. Comme GiorgiChakvetadze, il doit avoir plus d’impact sur le jeu. Je me demande où sont ses limites.  »

David grimace, comme quand on lui rapporte que Birger Verstraete décrit son histoire comme complètement folle.  » Pour le moment, je suis très heureux, que ce soit en tant que joueur ou en tant qu’homme. Car j’ai confiance et je sais que le meilleur reste à venir. Je vis un rêve, c’est un truc de fou qui se réalise. Je joue beaucoup et j’inscris des buts importants.

Contre Genk, en décembre, papa était là. Il regarde chaque match ou écoute à la radio et je lui téléphone dès que je rentre. Il aimerait revenir pendant les PO1. J’espère encore marquer en sa présence. Mais c’est Dieu qui en décidera. Je prie chaque jour pour faire une belle carrière, j’espère que la récompense suivra.  »

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 » Il marque comme un routinier  »

Selon Michel Louwagie, Jonathan David n’a pas coûté un seul euro à Gand. Après être entré trois fois comme joker sous les ordres d’ Yves Vanderhaeghe – quatre buts en 55 minutes – et avoir marqué en Europa League face aux Polonais du Jagiellonia Bialystok, il a vu son contrat prolongé jusqu’en 2022. Selon le site Transfermarkt, sa valeur actuelle serait d’au moins cinq millions d’euros.

David a donc sauvé quelques fois la peau de Vanderhaeghe.  » Il joue parfaitement des deux pieds, possède un excellent bagage technique et fait preuve d’un comportement très professionnel, il a donc un profil exceptionnel « , dit l’actuel entraîneur de Courtrai.

 » Sur le terrain, alors qu’il avait à peine 18 ans, il prenait souvent les bonnes décisions et se montrait très efficace face au but. Il marquait comme un routinier. En cas de préparation, déjà, j’avais constaté qu’il conservait bien le ballon, qu’il avait plus d’expérience et de maturité que certains autres joueurs et qu’il choisissait bien ses moments.

La seule chose dont je devais tenir compte, c’était l’enchaînement des matches et des entraînements. Il donnait souvent l’impression d’être fatigué mais c’était faux. Il faisait tout pour être prêt. Il ne m’a jamais déçu même si, au début, nous voulions surtout le protéger. Il ratait rarement un entraînement.

Son rayon d’action et son endurance étaient bien plus importants que ce que nous pensions. Ses résultats aux tests du bip et aux tests à l’effort étaient convaincants. Soyez en sûr : il peut courir. Mentalement, c’est parfait aussi. C’est un joueur intelligent.  »

L’ex-international a découvert un joueur calme mais sûr de lui qui passait beaucoup de temps avec Stallone Limbombe, plus extraverti. Un joueur qui savait ce qu’il voulait mais qui bossait. Aujourd’hui, l’importance de ses premiers buts saute aux yeux.

 » En août, c’était le seul joueur qui marquait facilement « , dit Vanderhaeghe.  » Mais, pour moi, c’est davantage un moteur, un numéro dix qui doit pouvoir faire la différence en une action aux abords du rectangle. Un club qui possède un tel joueur doit le choyer.  »

Selon Vanderhaeghe, en faux 9, David doit encore beaucoup progresser.  » Sa place de titulaire à Gand, il ne la doit qu’à lui-même « , dit l’ex-médian défensif.  » Je ne suis pas surpris. Jouer en pointe et aller au duel avec des armoires à glace, c’est peut-être un peu trop lui demander : il préfère choisir son moment pour s’infiltrer entre les lignes.

Sa vitesse d’exécution est très élevée et il fait jouer les autres. Je ne suis pas étonné de le voir combiner aussi souvent avec Vadis car ce sont deux joueurs qui doivent miser davantage là-dessus que sur leur puissance. Donner le ballon à temps, poursuivre l’action, faire un une-deux, accélérer le jeu entre les lignes, jouer en déviation. C’est leur profil. Et ce sont des joueurs qu’on ne perd pas de vue. « 

 » A Ottawa, je ne suis pas encore un héros.  »

Fin août dernier, Jonathan David a été appelé par John Herdman, le sélectionneur anglais du Canada, à l’occasion d’un match de qualification pour la Ligue des Nations de la CONCACAF face aux Iles Vierges. Avant cela, il avait déjà été sélectionné en U17 et en U23, inscrivant trois buts en trois matches face à St. Kitts & Nevis et à la République Dominicaine. Le 24 mars, le Canada affronte la Guyane française à Vancouver dans un match décisif pour la participation à la Gold Cup.

 » Un jour, j’ai rencontré Tomasz Radzinski à Toronto « , dit David.  » Nous avons un peu parlé. Le prendre en exemple n’a pas de sens. Je veux suivre mon chemin, afficher un rendement maximal (il rit). J’espère encore jouer longtemps en équipe nationale. Je ne suis pas encore un héros à Ottawa, tout au plus un joueur prometteur et talentueux.

Je veux devenir un des meilleurs joueurs du monde et contribuer à faire du Canada l’équipe la plus forte de la zone CONCACAF. Mais pour y arriver, je dois encore faire beaucoup d’efforts. La prochaine mission va déjà me permettre de voir plus précisément où j’en suis dans mon évolution. « 

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