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Camp David

En transférant Jonathan David, Lille devient le troisième club le plus puissant de l’Hexagone. Et le joueur ? Dans quelques années, il doit rapporter autant que ses illustres prédécesseurs Nicolas Pépé et Victor Osimhen.

« En football, quand tout va bien, il est facile de se laisser aller, mais jamais je ne perdrai le sens des réalités. Je tiens donc à remercier tout le monde à La Gantoise. Le staff, mes coéquipiers et, surtout, les supporters. Vous m’avez offert un foyer. Un endroit où j’ai bénéficié de soutien et d’affection dans les bons moments comme dans les autres. Un club où j’ai pu m’exprimer et progresser. Et quand j’ai décidé de relever un nouveau défi, vous m’avez traité avec respect. La Gantoise fera toujours partie de mon histoire et j’en suis fier.  »

Le message d’adieu posté par Jonathan David sur Twitter ressemblait beaucoup à des regrets. Voulait-il ainsi faire oublier l’interview corsée qu’il avait accordée à L’Équipe, s’attirant les foudres d’ Ivan De Witte ? Ou avait-il pris conscience d’avoir été trop loin en boycottant les matches de préparation, une action qui lui avait été inspirée par son agent, Nick Mavromaras ? Son entourage est convaincu d’une chose : ces dernières semaines, David était tellement déterminé à rejoindre Lille que De Witte, Mogi Bayat et même Marcelo Bielsa n’auraient pu le faire revenir sur sa décision.

Pourtant, il y a quelques temps, Lille ne constituait absolument pas la priorité du prodige canadien. En pleine pandémie, il a eu des contacts avec Manchester United et Naples, et en juin, pendant ses vacances à Orléans, près d’Ottawa, il était persuadé que la Bundesliga serait sa prochaine destination. Il a travaillé jour après jour ses dribbles et ses longs tirs avec son mentor et coach Hanny El-Magraby, en prévision d’un transfert en Allemagne. El-Magraby a même invité un sparring-partner, à différents moments, pour obliger David à être plus agressif dans les duels.

BULLE SOCIALE

Lille n’a pris espoir qu’après un premier entretien entre Gérard Lopez et son agent Mavromaras, qui ont appris à s’apprécier. Une réunion entre David et le conseiller sportif Luis Campos a fait le reste.  » Lille a vraiment fait la différence durant cette conversation « , raconte El-Magraby.  » Le club français a eu l’occasion d’exposer sa vision et Jonathan a revu ses préjugés sur le club. Jonathan a également compris qu’il avait besoin d’un projet stable et que la Premier League était un objectif plus lointain.  »

Deux éléments ont été cruciaux dans la décision de David : la proximité de Gand et de Bruxelles, où le joueur a formé sa bulle sociale, et le fait que le français soit la langue véhiculaire du noyau lillois. La Gantoise a tenté de pousser les négociations dans une certaine direction, en impliquant Mogi Bayat dans le deal, mais elle a finalement compris qu’elle devait trouver un accord avec Lille. À la fin, Leeds United a effectué une proposition audacieuse : acheter David pour le louer immédiatement au club de son choix. Leeds United, dont le propriétaire, Andrea Radrizzani, a de bonnes relations avec Mogi Bayat, voulait ainsi éviter que David ne rejoigne les Dogues. L’affaire n’a finalement pas abouti. Les sources françaises qui connaissent le dossier affirment bien que le montant total du transfert s’élève à 27 millions d’euros, une somme qui peut s’élever jusqu’à un plafond de trente millions, avec les primes. Lille a donc largement amélioré son propre record : l’été précédent, il n’avait versé que vingt millions au Bayern pour Renato Sanches.

UN SYMBOLE CANADIEN

Il y a vingt ans, pareilles sommes auraient été impensables. En septembre 1998, quand Vahid Halilhodzic a repris les rênes sportives du club, Lille entamait sa deuxième saison en Ligue 2 et ses comptes bancaires étaient dans le rouge. La situation était si catastrophique que les joueurs devaient se changer dans des containers installés à côté du stade Grimonprez-Jooris, à l’ombre de la Citadelle Vauban.

En 2020, Lille a les moyens d’enrôler des joueurs pour trente millions ou plus, à l’instar de Monaco et du PSG. David est le symbole du nouveau modèle commercial introduit par Lopez en janvier 2017, quand il est devenu l’actionnaire majoritaire du LOSC, à l’issue de la présidence de quinze ans de Michel Seydoux. Alors que, pendant quelques décennies, Lille s’était appuyé sur la renommée de son centre de formation, qui avait assuré l’écolage d’internationaux comme Yohan Cabaye, Mathieu Debuchy, Divock Origi, Franck Ribéry, Bruno Cheyrou, Adil Rami, Benjamin Pavard, Eden Hazard et Kevin Mirallas, le club mise désormais sur le recrutement de jeunes âgés de seize à 18 ans, issus du monde entier. Lopez place suffisamment de moyens à la disposition du centre de formation, situé sur le domaine de Luchin, pour lui permettre de continuer à bien fonctionner, mais il met désormais l’accent sur la post-formation. Les footballeurs sont d’abord casés dans l’équipe B, puis ils sont orientés vers l’équipe-fanion ou un de ses deux clubs-satellites, Boavista ou Mouscron. Le club français veut que chaque ligne de l’équipe première comporte un joueur chevronné, flanqué de footballeurs ne dépassant pas les 22 ans.

Lopez, un homme d’affaires ibéro-luxembourgeois, est un capitaliste. Il veut détecter le plus tôt possible des joueurs dotés d’un grand potentiel via Scoutly Limited, la société de scouting de Campos, pour augmenter leur valeur et les revendre après quelques années.  » Lille a changé de projet « , déclare un initié.  » Le trio Gérald Lopez Luis Campos -Christophe Galtier n’a plus d’ambitions particulières pour le centre de formation. Il ne constitue plus un objectif prioritaire. Quand Lopez achète un Jonathan David pour trente millions, c’est pour regagner un multiple de cet investissement. Il veut rendre son indépendance financière au club. Idéalement, Lille doit pouvoir vivre des droits TV et des rentrées de transferts d’ici deux ans. Tout en alignant saison après saison une équipe compétitive.  »

UNE STRATÉGIE RISQUÉE

Lopez n’hésite pas à prendre de gros risques, tant il est décidé à faire de Lille le troisième club de l’Hexagone, après le PSG et Monaco. Le milliardaire s’est porté personnellement garant, au cas où les finances du club seraient dans le rouge, ce qui lui permet de conserver son modèle économique.

Lors de la reprise début 2017, les dettes du club s’élevaient à 250 millions d’euros. Il a suffi de deux étés lucratifs pour en rembourser les deux tiers. Lopez prétend même qu’il pourrait retirer un total de 220 millions d’euros cet été pour Jonathan Ikoné, Boubakary Soumaré, Zeki Celik, Mike Maignan, Gabriel Magalhães et Osimhen.

Le transfert de David s’intègre parfaitement dans la stratégie de Lopez et consorts. L’international canadien a paraphé un contrat de cinq ans, mais le club n’a pas l’intention de le conserver plus de trois saisons. Nicolas Pépé et Victor Osimhen sont respectivement restés deux ans et un an à Lille, avant d’être transférés pour 170 millions. Si la logique financière de ces dernières années est respectée, Lille placera donc David en vitrine d’ici l’été 2023.

L’émoi suscité par le transfert de Jonathan David s’est apaisé. L’entraîneur, Christophe Galtier, doit maintenant intégrer l’avant dans son système de jeu sans perdre de temps. La plupart des observateurs pensent que David va devenir le nouvel attaquant de pointe de l’équipe et que le staff technique va expérimenter diverses formules afin d’offrir au Canadien la place qui lui convient le mieux.

Galtier est un adepte du 4-4-2 classique avec des arrières latéraux très offensifs, qui multiplient les passes, des extérieurs dotés d’un énorme volume, capables d’attaquer comme de défendre, et avec deux médians axiaux qui dirigent le reste de la défense afin de préserver l’équilibre général. Galette demande en outre à ses deux premières lignes d’exercer une pression très élevée et à ses défenseurs d’oser jouer en laissant des espaces dans leur dos. Reste à voir si David convient au système de jeu de Galtier, avec deux avants. L’ancien attaquant de Gand ne joue pas dans le même registre que Victor Osimhen, qui cherchait constamment la profondeur et harcelait les défenseurs. En principe, le rôle d’avant-centre ne convient pas non plus au Canadien.

À Gand, David évoluait dans un système qui lui correspondait parfaitement. Il bénéficiait d’une grande latitude pour se mouvoir entre les lignes et il pouvait exprimer ses deux principales qualités, son sens du but et des trajectoires, grâce à deux paratonnerres, Roman Yaremchuk et Laurent Depoitre.  » Galtier va offrir une sorte de liberté contrôlée à David « , affirme un observateur qui suit Lille depuis des années.  » Il va lui donner des conseils quant à son jeu de position et à ses tâches défensives sur base des analyses vidéo, mais à part ça, Galtier va le laisser tranquille.  »

En amical face à Brest, Jonathan David célèbre son premier but lillois avec Burak Yilmaz. Les deux hommes seront chargés d'alimenter le marquoir pour les Dogues, cette saison.
En amical face à Brest, Jonathan David célèbre son premier but lillois avec Burak Yilmaz. Les deux hommes seront chargés d’alimenter le marquoir pour les Dogues, cette saison.© BELGAIMAGE

Un duo de rêve

Suite à l’arrivée de David, onze joueurs se disputent les quatre places du compartiment offensif. Toutefois, s’ils sont épargnés par la poisse, David et Burak Yilmaz, transféré gratuitement du Besiktas, vont former un duo de rêve, avec Yilmaz comme brise-glace dans le rectangle, et David qui remplace Loïc Rémy, très actif dans le jeu. Lille espère que David continuera à marquer beaucoup, puisque la saison passée, il a inscrit nettement plus de buts que prévu – d’après les expected goals, une statistique qui s’appuie sur plusieurs paramètres pour estimer la valeur d’une occasion. La saison écoulée, David a planté 18 buts en championnat régulier, alors que le nombre d’xG était de 11,6. Reste à voir si le Canadien pourra poursuivre sa progression dans un championnat plus relevé.

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