CALME avant tout

Si Beveren conserve son équipe,il pourra viser le top-cinq la saison prochaine.

P comme patience. Avec 14 footballeurs ivoiriens, Herman Helleputte sait ce que c’est. Le Freethiel vit et pense en termes africains. Après l’entraînement, on chante, la musique va à fond. La patience est un élément clef, le temps est devenu un concept élastique. Le repas est terminé mais Romaric N’Dri (20 ans) a un entretien imprévu avec Jean-Marc Guillou. Il revient au bout d’une heure et demie. Avant de se tourner vers nous, il se mêle encore à une discussion animée sur le montant de la prime pour la finale de la Coupe. Le ton monte, le gardien Barry Boubacar Copa calme les esprits, d’un geste.

 » Nous nous sommes habitués à tout ça « , relativise Helleputte, après avoir demandé pour qui nous sommes venus.  » Notre capitaine ? Nous allons le vendre, vous savez « , rit-il.  » Il est le suivant, après Yapi Yapo, Touré et Arsène Né. Il est un des plus doués de la bande : physiquement fort, il marque facilement, il a un long tir précis et est dangereux sur les coups francs. Un pur-sang, doté d’un bon bagage technique mais trop facile à décontenancer. Il est parfois trop impulsif, comme contre Anderlecht où il en est venu aux mains avec Olivier Deschacht et Mouscron où il a décoché un coup de pied à Geoffrey Claeys. Nous essayons de lui confier des responsabilités car plus tard, il devra montrer l’exemple. Nous ne tolérons pas les gestes antisportifs « .

Romaric N’Dri reconnaît immédiatement ses torts :  » Je dois apprendre à mieux contrôler mes émotions, à ne pas me révolter aussi vite. La maîtrise de soi et le calme sont essentiels. Je ne veux pas avoir mauvaise réputation. Je ne suis pas méchant, mais il est frustrant d’encaisser des coups sans arrêt, d’être provoqué. Je suis un gagneur. Je me donne à fond, je supporte mal de perdre. Enfant, quand je perdais, je pleurais. Maintenant, une certaine agressivité remonte à la surface, sans que je parvienne toujours à la canaliser. Quand ça ne va pas comme je veux, je fais des bêtises. Comme le reste de l’équipe, je m’énerve et nous ne soignons plus notre football.

En Côte d’Ivoire, nous nous produisions pour l’ASEC Abidjan, un grand club. L’arbitre surveillait attentivement nos adversaires. Il n’hésitait pas à sortir cartes jaunes et rouges. En Belgique, Beveren est un petit club. C’est la différence. Mais je suis positif. Monsieur Jean-Marc le sait « .

Jean-Marc Guillou a intégré Romaric à son école à l’âge de douze ans. Quatrième enfant d’une famille de six û il a deux frères et trois s£urs û, l’attaquant tient le virus du foot de son père mais ses parents trouvaient l’école plus importante.

 » Ils m’avaient interdit de jouer au football dans le quartier « , raconte Romaric.  » Je devais me concentrer sur l’école mais ça m’était difficile. Je brossais les cours pour jouer avec mes copains. La maison était trop petite, quand j’ai été invité à passer un test d’admission à l’Académie. Ma famille n’avait pas trop confiance en cet homme blanc. J’ai pris un gros risque. Même quand j’ai réussi, mes parents sont restés sceptiques. Ils avaient des doutes quant à mon aptitude à faire des efforts « .

Pourtant, du mardi au vendredi, le petit Romaric a été assidu à l’école de football et ses parents ont revu leur position :  » J’ai progressé en sport comme aux études et humainement, j’ai profité des bons conseils de Jean-Marc, qui est un peu notre deuxième père. La discipline et le respect primaient. Il nous rappelait sans cesse le slogan de l’Académie : – Tu es un grand si tu restes toujours petit. Notre groupe était doué. On y trouvait Kolo Touré, Aruna Dindane, Igor Lolo, Didier Maestro Zokora, Tony et Baky « .

Gros travail mental

A 18 ans, Romaric a rejoint l’ASEC. Il y jouait dans l’entrejeu ou comme deuxième avant. Des blessures l’ont handicapé :  » Si je joue encore, c’est grâce à l’aide de Dieu et de Jean-Marc. Lors de mon premier match, après huit minutes, je me suis déchiré les ligaments de la cheville droite. J’ai perdu deux ou trois mois. Selon les médecins, cette atteinte était une séquelle d’une croissance excessive. A 14 ans, en l’espace d’un an, j’ai grandi de 13 centimètres. Mes articulations, mes genoux en particulier, ont eu du mal à suivre. Ensuite, cette cheville gauche… J’ai failli abandonner pour reprendre des études, mais Jean-Marc m’a convaincu de persévérer : je devais prouver que j’étais un homme, capable de me battre. Il m’a beaucoup aidé mentalement. Il m’a promis que je serais récompensé de mes efforts par un transfert en Europe « .

Délivré de toute blessure, il est devenu un pilier de l’ASEC. Romaric :  » La saison dernière, j’ai inscrit deux buts en demi-finales de la Ligue des Champions africaine contre Raja Casablanca. J’étais lancé : j’ai été sélectionné en Espoirs et promu vice-capitaine. Ça m’a donné des ailes. L’étranger a commencé à s’intéresser à moi. Je voulais relever un autre défi car tous mes amis étaient partis. J’étais en contact avec Auxerre et Bastia. J’ai aussi reçu une offre des Emirats Arabes Unis mais tous ces managers ne m’inspiraient pas confiance « .

Il veut procéder par étapes.  » Un entretien téléphonique avec Jean-Marc et une conversation avec Gilles Yapi Yapo, mon coéquipier en équipe olympique, m’ont suffi : j’ai choisi Beveren. J’ai retrouvé mes camarades et c’est un bon tremplin. Mes parents en profitent aussi. Chaque mois, je leur envoie quelque chose. Maintenant, ils sont très fiers de moi. Je suis le héros de mon quartier. Cet été, je vais apporter du matériel û des ballons, des chaussures et des maillots û à mes copains, pour les encourager « .

Longtemps, la FIFA a bloqué son transfert, comme celui de Junior et Lolo, à cause d’une dispute entre Jean-Marc Guillou et le président de l’ASEC. Elle n’a accordé son feu vert à ces transferts que fin novembre.  » Que représentent quelques mois dans une vie ? Je veux réussir en Europe. Beveren est ma vitrine. Pourquoi ne pourrais-je pas rêver de Milan, du Real ou d’Arsenal ? J’ai encore beaucoup à apprendre. Mon jeu comme ma mentalité sont entachés de manquements. Je suis un bleu, ici, en Europe. Je suis tout en bas de l’échelle. Mais un footballeur est un aventurier, un homme qui est toujours prêt à partir « .

La solidarité et l’ambition de Beveren l’ont agréablement surpris :  » Nous poursuivons tous le même objectif : évoluer dans un grand club étranger. Pour cela, nous devons obtenir de bons résultats, devenir plus réguliers, former un vrai bloc, sans nous reposer sur notre supériorité technique. Moi-même, je dois défendre davantage et améliorer mon jeu de tête. Si nous conservions la même équipe la saison prochaine, nous pourrons viser le top-cinq « .

Frédéric Vanheule

 » J’ai dû prouver que j’étais un homme, CAPABLE DE ME BATTRE « 

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