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CALL ME BABY

De la banlieue parisienne au prestige d’Auxerre, en passant par la case centre de formation et avec un étonnant détour par la Bulgarie, Amara Baby nous emmène sur les traces d’une carrière sinueuse. Rencontre avec le déménageur du flanc gauche carolo.

Sur le terrain, le style est déjà atypique. Un étonnant mélange de puissance physique et de gestes techniques qui semblent toujours maladroits, mais finissent souvent par passer.  » Plus le match avance et plus son oreille se rapproche de son épaule « , rigole un membre du club, pour qualifier une dégaine à la Francisco Mancebo des prés. Baby semble toujours confronté à l’effort de trop, mais son moteur redémarre inlassablement.

De l’autre côté de la ligne blanche, Amara Baby surprend encore plus. L’ailier inarrêtable laisse alors sa place à un homme qui donne l’impression de vivre au ralenti. Comme pour profiter au mieux de chaque instant d’une vie de  » privilégié « , qu’il raconte au rythme d’éclats de rire contagieux.

C’était comment ta jeunesse au Blanc-Mesnil, dans le 93 ?

AMARA BABY : Vivre avec les difficultés, ça faisait partie du quotidien. Alors oui, il y a eu quelques petites conneries, mais rien de très grave. Je restais surtout avec les gens qui aimaient jouer au foot. Et là, dans un quartier comme ça, tout le monde joue au foot. Après, on jouait même avec les grands, on faisait des tournois. Pour un tout petit, jouer avec les grands, c’était bien, c’était la preuve que tu avais un bon niveau. Et puis faut pas croire, c’était physique hein ! Ils ne regardaient pas à ton âge, ni à ta taille.

Là, tu apprends déjà à prendre des coups.

BABY : Oui, c’est ça ! Et c’est de là aussi que ça vient, quand on dit qu’on a la dalle. Dans cette vie, dans ce football dans la rue, c’est là qu’on puise cette faim.

Tu sens rapidement que le foot, c’est ta vocation ?

BABY : Depuis tout petit. À l’école, quand on me posait la question de savoir ce que je voulais faire plus tard, pour moi il n’y avait pas autre chose que le football. Et la prof me répondait :  » Oh, footballeur… Mets quelque chose d’autre, parce que ça va pas  » (il se marre). Mais moi, je ne comprenais pas pourquoi. Je savais que c’était ça que je voulais faire et que j’allais y arriver. Après, avec le temps, j’ai compris que tout le monde n’avait pas la chance d’y arriver.

Ça ne t’a jamais semblé être un truc inaccessible, en fait ?

BABY : Voilà. Ce sont vraiment les privilégiés qui ont le droit de jouer. À l’époque, j’ai côtoyé des gars qui avaient du talent, mais qui n’ont pas réussi à signer pro ou à faire une carrière.

 » Au centre de formation, je me suis vite fait remonter les bretelles  »

C’est là que la  » dalle  » fait la différence ?

BABY : Ouais, c’est une question de dalle. Après, il y a aussi une dose de chance. Il faut être là au bon moment. Mais la détermination, ne jamais rien lâcher, aller provoquer les choses… Il y en a beaucoup qui ont abandonné, hein. Pour un problème avec le coach, ou bien il fait trop froid et alors ils ne viennent pas. La différence, c’est le mental. C’est celui qui a le plus faim qui réussit.

Il y a beaucoup de sacrifices pour arriver dans cette situation de privilégié que tu as atteinte aujourd’hui ?

BABY : De très gros sacrifices. Tu ne peux pas vivre ta jeunesse comme tu le veux. Quand on était petit, oui, mais à partir de treize ans, quand je suis rentré en centre de formation, la liberté c’est une fois par semaine, quand tu sors le mercredi après-midi. Et puis les devoirs, l’école… Et moi, je n’étais pas un spécialiste de l’école. Ce n’était que le foot. Mais le rythme de vie est difficile, il demande vraiment beaucoup de sacrifices. Les séances physiques, tactiques, techniques, pendant des heures et des heures… Quand j’y repense, c’était vraiment éprouvant. C’était beaucoup de travail, mais c’est quand même un joli chemin. Et puis ce qui est bien, c’est qu’on aime ça.

Du coup, ça te permet de prendre du plaisir tous les jours dans ton boulot.

BABY : Mais il y a aussi les côtés qu’on n’aime pas trop, hein (il rit). Le match, quand tu es bon, ça c’est le bon côté, le plaisir. Mais le travail physique, tout ça, pour être bon en match… On n’aime pas trop, mais on est obligé de le faire.

T’adapter à la vie en centre de formation, c’est une étape difficile ?

BABY : Quand j’y suis arrivé, j’avais un peu de mal. J’étais un peu agité moi, donc je me suis vite fait remonter un peu les bretelles. Tu pars de chez toi, de ton cocon familial, et tu débarques dans un endroit où c’est strict. C’est couché à telle heure, et tu ne négocies pas.

Les sanctions pour te faire entrer dans les règles, c’est de te priver de terrain ?

BABY : Non non, pas de sanction où tu ne joues pas. C’est surtout te parler, ou alors ils appellent ta famille. Moi j’étais avec mon grand frère, donc pour eux c’était facile (rires). Mais c’est vrai qu’on oublie vite. Tu te fais remonter les bretelles, pendant un mois ça va bien, et puis tu retombes un peu dedans. Et finalement, on s’habitue. Mais c’est vrai que les débuts en centre sont très très difficiles.

 » Comment ça, payé pour jouer au foot ?  »

Finalement, tu sors du centre de formation de Beauvais pour arriver à Châteauroux.

BABY : C’est une histoire assez particulière. Beauvais était descendu jusqu’en CFA, et je m’étais fait une fracture du tibia. Il fallait payer le centre de formation et c’était compliqué, donc ma soeur et ma mère ont convenu que je quittais le centre et que je revenais jouer à Drancy, près de chez moi. Je devais avoir 15 ans, puis je suis passé assez vite en U18. Là Amiens, qui me suivait depuis Beauvais, m’invite pour un match. Et dans le même temps, Châteauroux veut me faire venir pour un stage. Et les deux sont le même jour ! Je devais choisir entre les deux.

Et donc, pourquoi tu choisis Châteauroux ?

BABY : Ah mais non, je choisis d’aller à Amiens (rires). Ils me suivaient depuis plus longtemps. J’ai fait le match, et ils ne m’ont pas pris. Et à Châteauroux, où j’étais censé aller avec un autre joueur, je ne me suis pas présenté. Ils ont demandé au gars où était Baby, et il a répondu que je n’étais pas là (il se marre). L’année d’après, Châteauroux revient pour faire une détection sur les 1990, donc les gars qui ont un an de moins que moi. Et là, le coach s’est rappelé de moi, il a demandé ce que je devenais, et finalement ça s’est arrangé avec le club. Je l’ai fait, pour finir, ce stage à Châteauroux. J’ai vraiment eu beaucoup de chance. Les tests se sont bien passés, et j’ai pu signer un contrat de deux ans, je suis reparti de là avec mon bout de papier signé.

Grosse fierté, je suppose.

BABY : Oui, évidemment. Je me souviens que le coach m’a passé mon contrat, et il m’explique que je serai payé.  » Comment ça, payé pour jouer au foot ?  » J’étais surpris. C’était une petite somme hein, mais déjà j’étais content qu’ils me prennent, et en plus ils me paient. Il faut aussi savoir que quand je suis arrivé là, je jouais 6 ou arrière gauche. Dès ma deuxième année, j’ai fait un banc avec les pros en Coupe de France et puis, pendant ma deuxième année de CFA, j’ai pu jouer avec les pros en fin de saison. Mon premier match, contre Sedan, on gagne 4-3, je provoque un penalty, le gars est exclu et je fais une passe décisive. Quand j’y repense, c’est un super souvenir.

C’est à ce moment-là que tu pars jouer en Bulgarie.

BABY : Oui, en prêt avec option d’achat. Je suis resté trois semaines et puis je me suis dit que non, ce n’était pas possible, ce n’était vraiment pas pour moi. Pourtant les conditions étaient bonnes, il y avait quelques Français dans l’équipe, mais je me suis vite rendu compte que ça allait être difficile. Pour te dire, il y avait de très bons joueurs, mais en un match, dès qu’ils sont moins bons, ils te changent toute l’équipe. Je sentais qu’au bout d’un mauvais match, ça pourrait mal se passer pour moi, donc j’ai préféré ne pas m’éterniser.

 » La Bulgarie, c’était dur mais je ne regrette pas  »

La vie sur place, c’était comment ?

BABY : C’était chaud. L’ambiance était bonne dans l’équipe, avec les Français, c’est ça qui m’a motivé à signer, mais le pays…

C’est plus facile de venir en Belgique qu’en Bulgarie.

BABY : Ah oui, ça n’a rien à voir. La Bulgarie, c’est vraiment dur. Mais c’est une expérience que je ne regrette pas, parce que ça m’a fait grandir. Je suis content de l’avoir fait, parce que si je ne l’avais pas fait à cette époque-là, peut-être que c’est un choix que j’aurais fait maintenant. Et aujourd’hui, grâce à ça, je sais à quoi m’en tenir.

Ta signature à Auxerre, c’est quand même un grand moment ? Ça reste un club prestigieux en France.

BABY : C’est dommage qu’ils soient descendus en D2, mais deux ou trois ans avant ma signature, ils jouaient la Ligue des Champions. Le stade, tout ça, tu sens que c’est un club costaud. Un club pareil, ça doit être en Ligue 1. On fait finale de Coupe de France, mais on se manque un peu en Ligue 2. Louper la montée, c’est un peu mon regret.

Ton histoire avec Auxerre s’est finie bizarrement. Ils t’attendaient aux entraînements, et tu avais disparu…

BABY : Moi, après cette saison-là, je voulais partir. Quand j’avais signé, j’avais fait de grands sacrifices sur mon salaire, donc on avait convenu qu’ils ne feraient pas trop de difficultés pour me laisser partir. Et puis, sur le moment, ça n’a pas été le cas. Finalement, j’ai eu un rendez-vous avec le président, on s’est arrangé et j’ai reçu ma lettre de résiliation.

Comment on se retrouve à passer d’Auxerre à Charleroi ?

BABY : J’avais déjà un peu cherché des infos sur le club quand j’ai appris qu’ils me suivaient. On a attendu un peu, et puis finalement j’ai fini par me décider parce que le mercato avançait, et je suis arrivé ici, accueilli par Mehdi. Donc très bon accueil, évidemment. Il m’a beaucoup parlé dès que j’ai débarqué et ça m’a tout de suite fait une très bonne impression.

Tu as rapidement été bien intégré dans le groupe à Charleroi ?

BABY : Dans presque tous les clubs où je suis passé, c’était comme ça. Il y avait pas mal de Français quand je suis arrivé, ça a aidé. Mais en tant que footballeur, tu sais qu’un vestiaire change souvent, donc il faut savoir s’adapter très vite. L’intégration se fait souvent avec des blagues, parce que c’est avec l’humour qu’on met les gens à l’aise. Personnellement, j’ai rarement trouvé un groupe où un nouveau était mal accueilli.

L’adaptation au championnat, ça a été difficile ?

BABY : Au début, j’étais un peu essoufflé. Ça va vite en attaque-défense, il y a très peu de pauses. En Ligue 2, c’est plus fermé. Ici, c’est pffff. Tu vas d’un camp à l’autre, ça va vite, c’est physique… En fait, ça ressemble au jeu des Anglais hein. C’est pour ça que la plupart des joueurs belges qui vont en Premier League n’ont pas trop de difficultés à s’adapter. Ils ont appris ici et quand ils vont là-bas, c’est une continuité. Même si ça va encore plus vite, évidemment.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

 » En Belgique, tu vas d’un camp à l’autre, ça va vite, c’est physique… En fait, ça ressemble au jeu des Anglais.  » Amara Baby

 » La différence, c’est le mental. C’est celui qui a le plus faim qui réussit.  » Amara Baby

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