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Moins on voit le président du Standard, mieux il se porte. Pourquoi ?

Jeudi dernier, 16 h 30. Une Smart déboule sur le parking de Sclessin, Lucien D’Onofrio et Reto Stiffler en sortent, tout sourire. L’amitié et la complicité entre le vice-président et le président du Standard sautent aux yeux. D’Onofrio est allé chercher l’hôtelier suisse à l’aéroport, il l’a amené au stade pour un business meeting qui servira à présenter les nouveaux sponsors et les nouvelles vareuses pour la prochaine saison. Stiffler (70 ans) repartira dans ses montages de Davos ( » Où il a encore neigé il y a deux jours « ) dès le lendemain. Les séjours express à Liège, c’est son affaire.

Stiffler est, sur papier, le numéro 1 du Standard. Et pourtant, presque totalement inconnu du grand public. Rencontre sur fond d’un amusant et cassant accent suisse.

En 2000, juste après votre accession à la présidence, vous nous aviez déclaré :  » Je ne serai pas un président fantôme « . Euh…

Reto Stiffler : Les gens pensent que je ne suis jamais ici mais ils se trompent. J’assiste à presque tous les matches du Standard à domicile, je fais aussi des déplacements de temps en temps. Et il m’arrive de venir pour des réunions en semaine, quand les circonstances l’imposent. Mais je ne suis pas quelqu’un qui court devant les caméras et les micros. Je ne m’impose pas. Ceux qui veulent me voir n’ont qu’à jeter un £il vers la loge où je m’installe pour les matches.

Mais il y a tellement de gens qui ne vous reconnaissent même pas…

C’est beaucoup mieux comme ça.

Une légende raconte que vous avez déjà été interdit d’accès au stade par des stewards qui ne vous avaient pas reconnu !

C’est tout à fait exact… C’est arrivé deux fois. J’étais entré dans le stade mais on ne voulait pas me laisser accéder à des endroits pour lesquels il fallait une autre carte. Ce n’est pas un problème : dans ces cas-là, je téléphone à Pierre François ou au responsable de la sécurité, et tout s’arrange très vite.

C’est un comble pour le président !

Pas de problème.

Etes-vous consulté sur les transferts, par exemple ?

Lucien D’Onofrio m’informe, me dit qu’il pense à tel ou tel joueur. Mais il ne me demande pas mon avis parce que ça ne servirait de toute façon à rien. C’est lui qui décide vu que c’est lui qui a les compétences sportives. Il connaît les joueurs, les caractères, les équipes. En football, il est 100.000 fois plus compétent que moi. C’est le meilleur manager de club en Europe. J’espère qu’il aura une longue vie. Qu’il ne fera pas trop d’excès avec l’alcool…

Un patron qui ne décide de rien : vous êtes un cas à part dans le football belge !

Un cas tout à fait à part, oui. Pour tout ce qui concerne le sportif, Lucien D’Onofrio est le président du Standard. A quoi cela servirait-il que quelqu’un qui s’y connaît moins se mêle des affaires de quelqu’un qui s’y connaît plus ?…

Pourquoi êtes-vous devenu président du Standard, alors ?

Parce que Lucien D’Onofrio n’avait pas envie de porter le titre.

 » Progresser ? Je ne vous comprends pas « 

Vous n’avez jamais pris d’initiatives personnelles dans le club ?

Je n’ai pas de raison d’en parler. Toutes les grandes décisions en matière d’organisation du club se prennent au sein du conseil d’administration puis le suivi relève du travail au quotidien du vice-président exécutif, du directeur général et du directeur sportif. Il y a plusieurs initiatives dont nous pouvons être fiers. Notre meilleure idée fut sans doute la construction de l’Académie. A côté de cela, il y a eu beaucoup de petites initiatives qui, accumulées, ont permis de faire progresser le Standard. Nous ne cherchons pas à bâtir un gratte-ciel mais plutôt un ensemble de petites maisons.

Le prochain gratte-ciel du Standard, c’est le nouveau stade ?

Le dossier avance, mais c’est lent parce qu’il y a vraiment beaucoup de procédures à suivre. Nous ne pouvons pas changer les règles administratives mais nous voudrions que ça aille le plus vite possible.

Ce nouveau stade, c’est un impératif pour que le Standard continue à progresser !

Progresser ? Je ne vous comprends pas…

Le club peut quand même aller encore plus haut, non ?

C’est vous qui le dites.

Vous êtes simplement champion de Belgique !

Oui, et c’est très bien comme ça. A partir du moment où on a eu deux titres belges, que peut-on encore viser ? Le Standard champion du monde ? Il ne le sera jamais. Champion d’Europe ? Ce sera très difficile. Il faut savoir dans quel pays on évolue. Rivaliser avec les clubs anglais, allemands, italiens ou espagnols, ce n’est pas pour le Standard. Occasionnellement sur un match, avec un peu de chance, oui. Mais pas sur la durée. Même la France est hors de portée.

Donc, pour vous, le Standard a atteint son plafond ?

En Belgique, oui, puisqu’on ne peut pas viser plus haut que le titre de champion.

Pourquoi n’êtes-vous pas resté en France ? Vous aviez des responsabilités très importantes à Marseille.

Robert Louis-Dreyfus m’a demandé de m’occuper du Standard. Il y avait des défis intéressants à l’OM, mais ici aussi. Louis-Dreyfus cherchait un deuxième club en Europe, nous avions des contacts avec plusieurs équipes et la présence au Standard de Lucien D’Onofrio a fait pencher la balance.

Pourquoi voulait-il s’occuper d’un deuxième club ?

Nous avions la naïveté de croire à des synergies possibles. Nous pensions qu’il serait possible, par exemple, de transférer des joueurs d’un club vers l’autre. Au bout du compte, il y en a eu quelques-uns, mais pas beaucoup. Beaucoup moins que ce que nous pensions, en tout cas. Depuis lors, la gestion des deux clubs est devenue tout à fait indépendante.

En arrivant à Liège, vous avez dit que la gestion du Standard était de la petite bière à côté de celle de l’OM.

Je confirme. Au moment où je suis venu ici, il y avait 6.000 ou 7.000 abonnés. A Marseille, il y en avait 40.000. Ce sont des chiffres qui veulent tout dire.

Vous visiez le titre dans un délai de trois à quatre ans. Il vous a fallu deux fois plus de temps : pourquoi ?

Combien de fois avons-nous terminé sur le podium ? Cinq fois, je crois. Il aurait suffi d’une petite dose de chance pour que le titre revienne plus vite à Liège. La réussite sera toujours déterminante quand plusieurs équipes se valent sportivement. Les deux dernières saisons, nous l’avons eue. Dans n’importe quel pays, n’importe quel champion de l’histoire peut dire qu’il a eu un peu de chance à un moment donné de son parcours.

 » RLD et moi, on ne met plus rien. Que le Standard se démerde ! « 

Le trio d’administrateurs a commis des erreurs ?

Pendant quelques années, nous n’avons pas été qu’à trois dans le conseil d’administration…

Si c’était à refaire, il y a des choses que vous feriez autrement ?

Une décision importante aurait été différente. Je ne vous dis pas laquelle. S’il n’y avait pas eu cette erreur, le Standard aurait peut-être retrouvé la première place un an plus tôt.

Cette erreur concerne un entraîneur ?

Je n’en dirai pas plus. Pas de polémique.

Vous mettez vous-même de l’argent dans le club ?

J’ai des intérêts communs avec Robert Louis-Dreyfus et c’est comme ça que je suis intervenu financièrement. Mais c’est fini, ce temps-là. Nous voulions que le club se suffise à lui-même et c’est le cas depuis plusieurs années. Nous avons mis ça, ça et ça, et maintenant, que le Standard se démerde…

Combien a mis Robert Louis-Dreyfus ?

Beaucoup. Beaucoup. Beaucoup…

Beaucoup plus que vous ?

On peut le dire.

Vous êtes encore souvent en contact avec lui ?

Oui, il a toujours une résidence à Davos. Il y passe une bonne partie de l’hiver.

On ne le voit jamais, on ne sait pas trop où il habite. En Suisse ? En France ? Aux Etats-Unis ?

Il voyage énormément mais sa femme et ses enfants sont basés à Zurich.

Comment va-t-il ?

Un peu mieux. Mais il n’est pas encore débarrassé de ses problèmes.

Sa leucémie est guérissable ?

Les médecins disent que oui.

C’est le prototype de l’homme qui peut dire que l’argent ne fait pas le bonheur.

Il ne parle jamais comme ça. Ce n’est pas son style de dire que certains ont de la chance et que d’autres n’en ont pas.

Pourquoi refuse-t-il toutes les demandes d’interview ?

Parce qu’il n’aime pas ça et parce qu’il n’a de toute façon pas de raison d’en donner. A sa place, je ferais comme lui.

Votre analyse des événements récents à Marseille ?

(Il soupire). Que voulez-vous que je vous dise ? Pour faire simple, je dirais qu’il y a eu une succession de malentendus. Mais je n’ai pas envie d’en parler puisque je n’y suis plus impliqué.

C’est malheureux d’avoir tout cassé sur des malentendus…

Vous le dites très bien.

Il y avait un trio fort avec Robert Louis-Dreyfus, Pape Diouf et Eric Gerets. Il n’en reste qu’un.

C’est vraiment dommage.

Vous pensez que les remous extra-sportifs ont joué contre l’OM en fin de championnat ?

(Il lève les bras au ciel). Seul le bon Dieu le sait. Et encore…

 » Gerets aurait pu être franc et dire : -Je fous le camp pour l’argent. Tout le monde l’aurait compris. « 

Le départ de Gerets, c’est un gâchis ?

C’est dommage mais je le comprends très bien.

Vous pensez qu’il est parti en Arabie Saoudite uniquement pour une question d’argent ?

Voilà !

Vous croyez qu’il a sorti la fameuse interview de Louis-Dreyfus dans L’Equipe… simplement parce qu’il avait besoin d’un prétexte pour s’en aller ?

Je pense, oui. Robert Louis-Dreyfus ne voulait pas que Gerets quitte l’OM. Cette interview n’était quand même pas assassine ? Un gros chèque a attiré Gerets ailleurs, voilà la seule vérité. Mais je le comprends, il a eu raison d’accepter ce qu’on lui proposait en Arabie.

Il aurait pu être plus clair, plus direct ?

Il aurait pu dire : -Je fous le camp pour l’argent. Tout le monde l’aurait compris, personne ne lui en aurait voulu.

Entre-temps, Diouf est aussi parti.

Dommage. Toujours à cause de malentendus. Plein de petits malentendus en ont créé un énorme.

On a l’impression que quand ça va bien à Marseille, il faut que ça foire.

Votre conclusion est assez juste.

par pierre danvoye – photos: reporters/brundseaux

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