» Ça va coller, c’est sûr ! »

Domenico Leone et Enzo Scifo étaient faits pour travailler tôt ou tard ensemble. Ils se sont alliés, plus tôt que prévu.

Des racines siciliennes, des origines modestes et une magnifique réussite sociale : Domenico Leone et Enzo Scifo ont toujours eu plein de choses à se raconter, de points communs à aborder. Ils se connaissent et s’apprécient depuis longtemps. Depuis plusieurs semaines, ce binôme était pressenti pour la saison prochaine mais il a été formé plus vite, suite au départ chahuté de Dennis van Wijk. Que peut donner cette association ? Comment le président de Mons gère-t-il ses entraîneurs ? Quel genre de rapports entretient-il avec eux ? Quelle liberté d’action leur accorde-t-il ? Enquête auprès d’ex-coaches des Dragons.

Marc Grosjean :  » Leone, un homme chaleureux qui laisse une liberté totale à ses coaches « 

Marc Grosjean entraînait Mons lors de la première accession à la D1, en 2002. Leone l’a limogé un an et demi plus tard, après une saison inaugurale inespérée (9e place) puis un début de deuxième campagne chaotique.

 » Je garde l’image d’un président chaleureux qui donnait carte blanche à son coach. Un boss facile à vivre. Le début de notre collaboration s’est fait dans l’euphorie. Nous avons directement gagné le tour final. Tout le club, toute la ville était en effervescence. Leone aussi, mais lui, il est vite retombé les pieds sur terre. Il a repris son costume de gestionnaire. Il ne voulait pas faire de folies. Malgré cela, il m’a laissé travailler et imposer mes vues dans le recrutement. Tous les joueurs que j’ai demandés, je les ai reçus. Nous avons composé le noyau à deux : lui et moi. Je proposais des noms, puis il gérait l’aspect financier. Il était énormément présent au club parce que tout était à faire mais c’était une présence discrète. Il n’a jamais cherché à empiéter sur mon territoire d’entraîneur. Nous parlions du jeu, mais pas trop. Il connaissait sa place et me disait qu’il me laissait faire parce qu’il était novice. Le problème, c’est qu’il a commencé à s’entourer d’une cour qui ne lui donnait pas les meilleurs conseils. Et il est assez influençable. Ainsi, pour la deuxième saison, je n’ai plus rien eu à dire dans le recrutement, ça s’est fait via d’autres canaux, on m’a tout imposé. Le championnat a mal commencé, et là, j’ai découvert une autre facette du personnage. Il pouvait changer rapidement d’humeur, il devenait beaucoup moins chaleureux, plus distant, il n’y avait plus de petits mots d’encouragement ou d’accolades. C’était un Leone très différent. Je le compare à FilippoGaone, que j’ai eu comme président à La Louvière. Ils sont super sympas quand ça va bien mais on n’a plus trop envie de se frotter à eux quand l’équipe patine. Ça doit être une question de racines.  »

Jos Daerden :  » Je n’ai jamais digéré mon C4 mais je respecterai toujours ce président qui aime la vie « 

Jos Daerden a fait un court passage à Mons en 2004-2005. Il a remplacé Sergio Brio puis a dû décamper et a été relayé par son adjoint, Michel Wintacq.

 » La fin s’est mal passée. On joue contre Westerlo, un match capital pour le maintien. C’est 1-1 à la mi-temps, et dans le vestiaire, j’estime que je dois beaucoup parler aux joueurs parce que notre adversaire ne jouait pas comme je l’avais prévu. Je commence à placer les pions au tableau, et à ce moment-là, Domenico Leone débarque comme un ouragan. Il m’enguirlande et s’en prend aux joueurs, les traite de fainéants, etc. Je ne l’avais jamais vu comme ça. Le président était subitement devenu un supporter, remonté par son entourage. Je lui ai dit que j’étais le seul patron dans le vestiaire. Il l’a mal pris et m’a licencié. Je n’avais pas le choix : si je laissais passer son coup de sang, je perdais ma crédibilité dans le groupe.

Ce fut le seul incident entre lui et moi. Pour le reste, ça s’est super bien passé. Quand je suis arrivé, l’équipe était à la dérive, avec des joueurs insuffisants amenés par Brio et ses copains. Leone avait compris qu’il s’était fait avoir, qu’il avait été très naïf. Pendant la trêve, j’ai passé des dizaines d’heures avec lui et nous avons complété le noyau à deux. Il savait de quoi il parlait, ce n’est pas un ignare en foot. Nous sommes allés manger plusieurs fois ensemble, les discussions étaient intéressantes. Il donnait toujours son avis, mais en même temps, il écoutait ce que je lui disais. Il ne me donnait pas d’ordres. Nous n’étions pas des amis mais le respect mutuel était fort. Nous avons directement fait de bons résultats en début de deuxième tour. Leone était heureux, le champagne coulait à flots après les victoires.

Quand j’ai signé à Charleroi au début de cette saison, on m’a mis en garde : -Attention, AbbasBayat est un clone de Domenico Leone. C’est faux. Comme le boss de Mons, le président de Charleroi est un homme charmant en dehors du stade. Mais Bayat change complètement de personnalité dès qu’il met les pieds au Mambourg. Il veut se mêler de tout, composer le noyau et faire le schéma tactique. Il autorise son entraîneur uniquement à donner les entraînements. Et encore, quand il vient voir le travail en semaine, il veut intervenir, il estime que le boulot de son coach ne ressemble à rien et il veut lui-même corriger. Leone n’est tombé qu’une fois dans ce panneau, le fameux soir contre Westerlo. Mais ça n’enlève rien à mon respect pour l’homme.  »

Michel Wintacq :  » Quand ça va mal, tu as peur qu’il t’envoie son cigare à la figure « 

Michel Wintacq a passé une dizaine d’années à Mons, de 1998 à 2008, comme adjoint. Et il a fait une pige de T1 dépanneur, entre le limogeage de Daerden et l’arrivée de José Riga.

 » Leone a fait fortune en sortant d’un milieu peu favorisé : il n’a pas oublié ses origines et ne prend pas les gens de haut. Il est resté humble. J’en retiens aussi l’image d’un homme souvent distrait. Il peut te croiser et ne pas te dire bonjour. Alors, tu te poses des questions, tu te demandes ce que tu lui as fait. Mais c’est involontaire. Un quart d’heure plus tard, il te revoit et te salue trois fois… Il privilégie toujours le côté humain. Je le voyais peu parce qu’il était fort occupé par ses affaires. Il déléguait énormément à Alain Lommers. A certaines périodes, il venait plus régulièrement au stade : ça voulait dire que ça allait mal ! Dans ces moments-là, son tempérament méditerranéen prend le dessus. L’homme gentil par nature explose facilement. Il a de gros coups de sang, il crie, les réunions de crise se succèdent, tu as peur qu’il t’envoie son cigare à la figure. Sans vouloir jouer au dictateur et sans chercher à intervenir dans le jeu, il te montre que le patron du club, c’est lui. Mais quand l’équipe tourne, il fiche une paix royale à son coach. Il ne discute guère avec l’adjoint, il réserve ses impressions et ses commentaires à l’entraîneur principal : c’est lui qui doit rendre tous les comptes.

Avec certaines personnes, Leone peut avoir un lien affectif très intense. Il les considère comme ses enfants, il les aime très, très fort. J’ai vu ça avec Cédric Roussel, MomoDahmane, Frédéric Herpoel, Brio. Mais à partir du moment où le lien est cassé, il passe du blanc au noir, il les renie, il se met à les détester encore plus fort qu’il les a appréciés. Il peut même les dénigrer publiquement, il jette à la poubelle ceux qu’il a adorés. Aujourd’hui encore, si tu lui parles de Brio, il attrape des boutons.  »

Philippe Saint-Jean :  » Avec Leone, l’humain passe avant le sportif « 

L’épisode Philippe Saint-Jean à Mons fut bref. Il avait été nommé entraîneur durant l’été 2008 mais a quitté le club après une seule journée de championnat car il estimait qu’il était impossible d’avancer.

 » Notre collaboration a été beaucoup trop courte. Mais elle ne pouvait pas être plus longue ! Au niveau extra-sportif, il m’a donné tout ce que je lui demandais : une salle de muscu, des nouveaux terrains d’entraînement, un bon stage. Le club n’est qu’une de ses petites entreprises mais il veut que ça tourne. Malheureusement, j’ai vite compris qu’il serait impossible de faire une saison valable avec ce groupe. Nous avions battu Lens et le Club Bruges en préparation mais je savais qu’à la moindre virgule de travers, ça allait foirer, que le staff allait vite être usé. Parce qu’il y avait des éléments trop négatifs dans le noyau. Quelques gars ingérables. Les entraîneurs qui m’ont suivi ont dit la même chose. J’ai demandé à Leone pour faire la lessive dès l’été mais il a refusé. Les joueurs dont je voulais me débarrasser, il les défendait comme ses gosses. Il croyait en eux, sous prétexte qu’ils avaient été bons avec Mons dans le passé.

Après un mois, je voulais déjà m’en aller. Il m’a retenu en me donnant des arguments forts qu’un père donnerait à son fils. Finalement, j’ai quitté le club une semaine après le début du championnat. Il m’en a voulu et il m’en veut toujours. Mais il a été un de mes meilleurs présidents. C’est un homme qui pense à fond à sa région. Il ne s’engagera jamais dans un autre club. Il venait voir des matches de jeunes, avec son gros cigare. Il ne me disait pas : -Ce joueur-là est bon, celui-là est mauvais. Il s’attachait plus aux origines : -Il vient de tel ou tel village. Il s’intéressait beaucoup au background extra-sportif de ses joueurs, l’humain passait avant tout. Je suis certain qu’entre Enzo et Leone, ça va coller tout de suite.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : IMAGEGLOBE

 » Leone est super sympa quand ça va bien mais on n’a plus trop envie de se frotter à lui quand l’équipe patine. « 

(Marc Grosjean)

 » Leone peut jeter publiquement à la poubelle ceux qu’il a traités comme ses enfants.  » (Michel Wintacq)

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire