Ca sent l’Europe

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

L’analyse d’un joueur qui pétille toujours autant.

Dans 10 jours, Genk-Charleroi sera peut-être le match de l’année pour les Limbourgeois, mais aussi pour les Carolos. Un duel que les Standardmen suivront attentivement, à distance. La bagarre pour la troisième place pourrait faire rage jusqu’à la dernière minute du championnat.

Le parfum de l’Europe au Mambourg, Toni Brogno (31 ans) l’avait déjà connu lors de son premier séjour dans le club, il y a 10 ans. Il avait débarqué au Sporting au lendemain de la qualification pour la Coupe de l’UEFA et fit d’ailleurs ses grands débuts zébrés sur la scène continentale, à Bucarest, avant de découvrir le championnat de D1. L’attaquant n’a finalement pas eu tort de s’éclipser pendant ces saisons difficiles : il retrouve aujourd’hui un club dans le même état que celui où il avait débarqué en 1994…

Toni Brogno : C’est vrai que je redécouvre des valeurs qui faisaient la force de Charleroi au milieu des années 90. Comme l’engouement populaire et une quasi-invincibilité à domicile. Tout cela avait disparu : les supporters ne venaient plus parce que ça manquait de passion et les adversaires n’avaient plus peur de s’y déplacer. J’ai l’impression de retrouver le vrai Sporting, avec une région entière qui revit pour son Sporting. On reparle de ce club pour ses résultats au lieu de commenter ce qui se passe dans la coulisse.

Il n’y a quand même pas photo entre le noyau que vous avez connu lors de votre premier passage et celui de cette saison ?

C’est clair. En 1994-1995, ça fourmillait de grands noms qui avaient déjà cassé la baraque dans ce championnat : Didier Frenay, Neba Malbasa, Raymond Mommens, Ranko Stojic, etc. Les jeunes étaient juste là pour dépanner, pour assister ces stars du foot belge. Aujourd’hui, nous avons une équipe sans vraies vedettes. En revenant ici, j’ai surtout trouvé des joueurs qui avaient connu des galères, avec le Sporting ou d’autres équipes. Des gars marqués par des expériences difficiles : des blessures graves, des périodes sans club, des luttes pour le maintien, etc. Tous ces garçons-là ne veulent plus rien lâcher. Ils savent qu’il ne suffit pas de paraître pour gagner. Cette mentalité se ressent aussi bien après des victoires qu’après des défaites. Quand nous avons gagné, nous en profitons quelques heures puis nous nous remettons sérieusement au boulot. Et quand nous avons perdu, la motivation revient aussi dès le lendemain. C’est grâce à cet état d’esprit, par exemple, que nous n’avons jamais perdu deux fois d’affilée cette saison.

 » La logique : Standard 3e, Genk 4e, Charleroi… plus loin  »

L’UEFA est aujourd’hui si proche que ce serait une terrible déception de ne pas y arriver, non ?

Je ne suis pas d’accord. Nous avons remis le Sporting dans le haut du tableau et, à la limite, je dirais que cela suffit à notre bonheur. Nous sommes fiers de pouvoir dire depuis plusieurs semaines que notre saison est une réussite totale.

Le groupe a-t-il recommencé à croire vraiment à l’Europe après la victoire d’Anderlecht contre le Standard ?

C’était un résultat idéal pour nous, évidemment. Mais cette victoire des Mauves nous mettait une grosse pression pour notre match contre Mouscron, deux jours plus tard. Le Sporting pouvait à nouveau rêver, c’est vrai, mais nous ne pouvions pas oublier l’essentiel : en cas de mauvais résultat face à Mouscron, l’ambition européenne aurait pu être oubliée définitivement. Nous avons pris nos responsabilités et fait ce que nous devions faire.

Qui terminera troisième ?

Si le foot était une science exacte, tout serait très clair : Bruges et Anderlecht termineraient aux deux premières places, le Standard troisième et Genk quatrième. Charleroi n’aurait pas le droit de jouer avec ces grands. Comparez les budgets et les noyaux : ce n’est pas le même monde. Quand je suis revenu ici, je rêvais simplement de terminer la saison dans le milieu du classement.

Ce serait un terrible affront pour le Standard et Genk de terminer derrière Charleroi, non ?

C’est clair que la pression est sur eux, pas sur nous. Des clubs pareils ont l’obligation de décrocher quelque chose en fin de saison, vu les moyens. Les ennuyer jusqu’à la dernière seconde de la saison, ce serait fantastique.

Comment aborderez-vous le match à Genk ?

Personne ne peut dire qu’il sera décisif. Il y a encore des points à perdre ce week-end, avant notre déplacement là-bas. Nous avons en tout cas nos certitudes : c’est contre Genk, chez nous, que nous avons joué un de nos meilleurs matches de la saison. Nous avions gagné 2-0 et cette victoire était 100 fois méritée. Je rappelle que nous avons aussi pris quatre points sur six contre le Standard et que nous l’avons éliminé de la Coupe : notre classement se justifie totalement.

 » Chanceux, nous ? Et le match de Coupe au Lierse, alors ? »

Malgré toutes vos victoires par un seul but d’écart et ce petit brin de chance qui vous a souvent aidés ?

Quel brin de chance ? Une équipe ne peut pas être vernie pendant une trentaine de journées. Et ces victoires par le plus petit écart prouvent aussi certaines choses. Si on ne tient pas compte du 2-5 contre La Louvière lors du premier match, nous avons une des trois meilleures défenses du championnat. Nous montrons depuis l’été dernier que nous sommes passés maîtres dans l’art de gérer les événements. Charleroi est extrêmement solide et organisé derrière, et cette organisation se retrouve aussi dans les autres compartiments. Je connais pas mal d’équipes qui mettent tout derrière mais encaissent quand même plusieurs buts presque chaque semaine.

Et ces critiques sur votre jeu peu léché ?

Elles étaient justifiées au premier tour car nous avons souvent joué très bas. En tout début de saison, nous gagnons 0-1 au Germinal Beerschot en ayant été acculés pendant 89 minutes et en n’ayant forcé qu’une demi-occasion. D’accord, ce n’était pas beau à voir, mais le résultat était plus important. Aucun joueur de chez nous n’était honteux en remontant dans le car… Autant nous avions eu mal pour Bertrand Laquait après le 2-5 contre La Louvière, autant nous étions contents de nous après le match au Beerschot. Nous avons aussi profité des circonstances quand nous sommes allés gagner au Standard, mais comment peut-on nous le reprocher ? Certainement pas ceux qui ont vu notre quart de finale retour de la Coupe, au Lierse : nous sommes éliminés de justesse après avoir frappé un poteau et la transversale. Vous trouvez vraiment que le Sporting a été verni pendant toute la saison ?

Nous avons pris le temps de trouver nos marques défensives, puis nous avons joué le jeu chaque semaine. Avec quatre défenseurs traditionnels, un milieu défensif et cinq joueurs à vocation offensive. Je joue derrière l’homme en pointe alors que je suis un vrai attaquant au départ, Orlando évolue à l’extérieur gauche alors que c’est lui aussi un véritable avant de pointe. Et Grégory Christ, c’est un défenseur ? Et Nasredine Kraouche ? Aujourd’hui, il ne faut pas avoir les yeux en face des trous pour dire que Charleroi est une équipe défensive.

L’élimination de la Coupe, c’est le gros point noir de votre saison ?

Certainement. J’en retiens le résultat, mais aussi le contexte, l’ambiance. Tout était négatif ce soir-là. C’était électrique après les événements du match aller et il y a pas mal de personnes qui ont perdu les pédales au retour : nous avons été insultés pendant 90 minutes, même certains stewards s’y sont mis. Et, à plusieurs moments, l’arbitre n’a pas osé prendre ses responsabilités. Comme s’il était lui aussi marqué par ce qui s’était passé au match aller.

 » Je ne marque plus… à cause d’Izzet Akgül  »

On a justement cru, après cette défaite, que vous alliez vous laisser glisser dans le classement.

Honnêtement, c’était aussi ma crainte. Je me suis dit que nous allions perdre quelques places et terminer la saison dans l’anonymat. Mais Mathijssen a été très clair. Dès le lendemain de ce match, il nous a dit : -Maintenant, on va voir qui sont les hommes. Nous ne pensions plus à une qualification européenne via le championnat mais nous avons compris que nous n’avions pas le droit de gâcher tout ce qui avait été fait. Il n’empêche que, plus les semaines passent et plus nous sommes conscients d’être passés à côté d’un parcours encore plus beau en Coupe. Si on analyse le tableau des demi-finales, seul Bruges nous est vraiment supérieur.

En attendant, vous ne marquez plus…

Ça me fait mal, évidemment ! Quand on a été habitué à marquer, on a besoin de ces sensations typiques de l’homme qui met le ballon au fond. Mais bon, d’autres gars ont pris le relais et c’est très bien. Plusieurs joueurs ont eu leur période cette saison et cela explique en partie notre parcours. J’ai scoré beaucoup au premier tour, puis Majid Oulmers et Izzet Akgül s’y sont mis, ensuite Grégory Christ et Nasredine Kraouche, puis Akgül à nouveau. Si ce club avait misé en début de saison sur un seul vrai buteur, nous ne serions sans doute pas dans le Top 5.

Vous aviez pourtant été transféré pour devenir l’homme de pointe attitré de ce club.

J’ai commencé la saison dans ce rôle, puis il y a eu un événement inattendu : l’éclosion rapide d’Izzet. Il est devenu tellement efficace devant que Mathijssen m’a déplacé : à droite, à gauche, puis au milieu. C’est gratifiant aussi de faire partie d’un triangle médian qui est une des principales forces de Charleroi.

Jacky Mathijssen ne vous fait-il pas penser à Jan Ceulemans ? Leur détachement par rapport aux événements étonne.

Pour moi, ils ont un gros point commun : ils ne font pas de vagues. Pour le reste, ils peuvent être fort différents. Ceulemans n’est pas très expressif mais Mathijssen est le contraire. Quand on perdait à Westerlo, Ceulemans disait : -On essayera de faire mieux la semaine prochaine. Il n’avait jamais de colère, jamais de coup de gueule. Mathijssen n’est pas comme ça : il est très mauvais perdant. Et plus exigeant : autant Ceulemans était laxiste sur le terrain d’entraînement, autant Mathijssen peut se fâcher quand il voit qu’un joueur n’est pas concentré à 200 %.

On commence à parler de lui comme possible Entraîneur de l’Année…

Il serait grand temps qu’on pense à lui. Ce qu’il fait aujourd’hui à Charleroi n’est pas un cas isolé ou un gros coup de bol. Il avait déjà prouvé certaines choses à Saint-Trond. Il a plus de mérites que les coaches des équipes qui sont devant nous au classement, vu la qualité des noyaux. Ce que Trond Sollied fait à Bruges, c’est très bien, mais qui ne ferait pas de bons résultats avec des joueurs pareils ? Chapeau aussi à Dominique D’Onofrio, mais vous avez vu son groupe ? Mon tiercé dans l’ordre, c’est Mathijssen-D’Onofrio-Sollied. Et une mention pour Franky Vercauteren, qui a redonné de la vie à Anderlecht presque du jour au lendemain. Le dernier qui avait réussi un bouleversement pareil en cours de saison, c’était… Mathijssen, il y a un an à Charleroi.

Pierre Danvoye

 » Après l’élimination en Coupe, Mathijssen a dit : -ON VA VOIR QUI SONT LES HOMMES  »

 » On sent que BEAUCOUP DE CAROLOS ONT CONNU DES GALÈRES  »

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