» Ça reste un jeu. Les Anglais et les Hollandais l’ont compris. Les Belges, pas encore « 

Le coach du Cercle explique comment on mène une équipe moyenne en tête du championnat.

Bob Peeters (37 ans) a une cote d’enfer. Il n’a encore passé que deux saisons complètes dans le monde des entraîneurs mais ça roule pour lui, depuis le premier jour. Il a d’abord mené les Espoirs de Gand à la deuxième place de leur championnat. Puis, il a réussi un parcours tranquille, marqué par un foot très souvent positif, avec le Cercle. Et aujourd’hui, il est au sommet du classement après cinq matches…

Le Cercle en tête, c’est une blague ?

Bob Peeters : Pas vraiment ! Mais je ne vais pas non plus faire le fanfaron. Je ne m’attendais pas à voir mon équipe aussi bien classée fin août. Notre début de calendrier n’était pas le plus simple : des déplacements à Gand, à Courtrai et à Westerlo, et chez nous contre Mons mais surtout Genk. Il nous manquait aussi deux pions essentiels : Amido Baldé et Nuno Reis. Pour la bonne cause, puisqu’ils étaient à la Coupe du Monde des -20 avec le Portugal et sont allés jusqu’en finale ! Et Reis était capitaine, carrément ! J’espérais simplement passer ces cinq premiers matches sans casse, nous voilà avec dix points. Nous avons été très bien payés en gagnant à Gand ? OK, mais nous méritions aussi plus qu’un point contre Mons. Au final, sur nos dix points, il y en a sûrement neuf qui sont justifiés.

Les trois dernières années, le Cercle a terminé à la neuvième place. C’est typiquement un club de milieu de classement. Tu penses qu’il sera possible de faire beaucoup mieux cette saison ?

Il y a un truc qui va jouer pour nous, c’est sûr : Genk, le Standard, le Club Bruges et Anderlecht vont jouer les poules en Coupes d’Europe. Ce sera une bonne chose pour les petites équipes. Ces qualifications font qu’il sera plus facile d’arracher des points contre des clubs censés jouer les play-offs 1. On l’a déjà vu quand Genk est venu chez nous. Quand son nouvel entraîneur, Mario Been, déclare qu’il vise le top 6, ça veut dire beaucoup de choses. Parce que Genk est le champion en titre, quand même !

La saison dernière, vous aviez battu Anderlecht et le Club. Cette année, vous avez déjà gagné contre Gand et Genk !

Oui, nous sommes toujours meilleurs contre les équipes qui jouent au foot. Face à celles qui laissent dix gars derrière le ballon, nous avons souvent des problèmes.

Le Cercle sera bientôt pris au sérieux ?

Mais c’était déjà le cas la saison dernière, hein ! Il n’y a plus personne qui est content de venir jouer chez nous. Depuis un an, nous avons plein d’occasions de but. Le problème l’année passée, c’est que nous en mettions trop peu au fond. Aujourd’hui que j’ai des attaquants qui marquent facilement (Rudy, Kristof D’Haene, Kevin Janssens), c’est plus simple.

 » J’étais trop jeune pour aller à Genk. Tu as vu Vanhaezebrouck ? »

La connexion portugaise, c’est une bénédiction ?

Evidemment. L’année passée, nous avons eu Renato Neto, Nuno Reis et William Owusu. Des joueurs que le Cercle Bruges ne peut normalement pas s’offrir. Owusu est parti, les deux autres sont restés, Baldé et Rudy sont venus. C’est costaud, tout ça ! Rudy peut être une des attractions de la saison.

Quand tu as débarqué ici, tu n’as pas senti l’ombre de Glen De Boeck ? Il y avait une grosse pression, non ?

Absolument pas. Je savais qu’on allait faire des comparaisons mais j’ai directement dit que je n’étais pas un nouveau De Boeck. J’ai une autre vision du foot. Aujourd’hui, on ne parle plus de lui ici, ça veut dire que j’ai réussi quelque chose et qu’on est content de moi.

C’est quoi, la vision de Bob Peeters ?

Jouer au foot toujours et partout. Quel que soit l’adversaire. Je veux que mon équipe soit dominante, qu’elle ait le ballon le plus souvent possible et qu’elle pense toujours vers l’avant. C’est compliqué contre ceux qui s’organisent bien et ferment tout mais nous savons alors ce qu’il nous reste à faire : les fatiguer pour les assommer au bout du compte.

Quand Frankie Vercauteren a quitté Genk, on t’a cité là-bas et tu as vite prolongé au Cercle : les deux choses étaient liées ?

Pas du tout. Je négociais une prolongation depuis un bon moment. Oui, on a cité mon nom à Genk mais je n’ai que 37 ans…

C’est-à-dire ?

Tu connais Hein Vanhaezebrouck et Glen De Boeck… Après avoir fait de très bonnes choses avec Courtrai et le Cercle, on les pensait partis pour une carrière grandiose. Pour Vanhaezebrouck, ça n’a pas marché à Genk. Et De Boeck a eu des problèmes au Beerschot. Dans ce métier, tu fais un mauvais choix et ça peut être terminé pour toi. Moi, je sais que j’ai encore beaucoup à apprendre et je veux rester encore au moins deux ans ici. Après cela, je devrais déjà être meilleur, et on verra. Mario Been, c’est un très bon choix pour Genk. Mais succéder à Vercauteren, ça ne va pas être un cadeau pour lui !

Tu t’estimais simplement trop jeune ?

Oui. Mais de toute façon, je n’avais pas du tout l’intention de quitter le Cercle. C’est ici qu’on m’a donné une chance en D1 et je peux construire quelque chose avec un jeune groupe qui sera très bon dans un an ou deux. Les choses progressent et je tiens à être toujours ici pour cueillir les fruits.

Salopard !

Tu prouves qu’il ne faut pas être sérieux comme un pape pour faire une carrière d’entraîneur…

Un cliché ! On l’entretient en Belgique.

Tu n’es pas d’accord avec l’image de clown qu’on se fait de toi ?

Non. Elle vient d’où, cette réputation ? D’émissions de télé dans lesquelles je faisais rire les gens. Mais j’ai quand même prouvé que j’étais capable de faire autre chose, non ? Au moment où je faisais mes blagues avec mon micro et mon casque dans des émissions de foot, j’étais considéré comme un des meilleurs attaquants du championnat des Pays-Bas et Vitesse avait dépensé 7 millions pour me transférer ! J’ai passé suffisamment d’années à l’étranger pour savoir que le foot, c’est d’abord du plaisir, de l’enthousiasme. Il faut pouvoir rigoler : aux bons moments, sur les bons sujets, avec les bonnes personnes. Ceux qui me connaissent savent que quand il faut redevenir sérieux, je suis là. On me fait passer pour un gars sympathique, un amuseur, mais il y a des moments où je peux être irritant, où ceux qui travaillent avec moi ont des raisons de me traiter de salopard ! Ça fait partie du métier. Je ne peux pas toujours faire plaisir à tout le monde, je dois parfois décevoir. Quand je dois prendre une décision, je ne me préoccupe jamais du nom du joueur, de sa carrière, de son âge. Je suis ouvert avec eux, et aussi très direct. Quand je dois leur dire des trucs pas très agréables, sorry, je le fais. Et parfois, ça fait des étincelles. Mais je leur passe beaucoup de trucs aussi. Par exemple, s’ils vont au feu pour moi, j’accepte qu’ils commettent plein de fautes.

On rigole plus en Angleterre qu’en Belgique ?

Bien sûr ! Quand je suis arrivé là-bas, j’étais très sérieux. Deux heures avant un match, je me terrais dans mon coin, je ne sortais plus un mot. Ils m’ont directement dit : -Hey Bob, it’s only a game. Enjoy ! Smile ! It’s football. Eux, ils déconnaient et mettaient la musique à fond dans le vestiaire jusqu’au dernier moment. Mais quand l’arbitre sifflait pour nous appeler, tout le monde entrait à fond dans son match. Le foot doit rester de la passion, de l’émotion. On est beaucoup, beaucoup trop sérieux en Belgique. Je viens tous les jours au stade avec le sourire et je veux que mes joueurs fassent la même chose.

Et aux Pays-Bas ?

Ça rigolait pas mal aussi. Là-bas, c’est très, très ouvert. L’entraîneur est carrément au milieu de ses joueurs. J’ai dû m’y faire, c’était compliqué au début. Il y avait parfois de fameuses discussions, des disputes aussi, mais une fois que tout le monde rentrait au vestiaire, c’était terminé, oublié. J’ai instauré la même mentalité ici. On peut tout me dire. J’accepte toutes les remarques, même quand je ne suis pas d’accord. Je ne veux pas bosser avec des gars qui avalent bêtement tout ce que je dis. Finalement, ça ne vient que d’un jeune coach qui a encore tout à prouver !

Maîtres Gerets, Vergoossen, Preud’homme

Tu as déclaré un jour que ton coach le plus marrant avait été Eric Gerets…

Il a un humour énorme ! On pouvait aussi se foutre de lui, tant que ça restait respectueux. Avec Gerets, on venait toujours s’entraîner avec le sourire. Même pendant une période où j’étais beaucoup plus sur le banc du Lierse que sur le terrain, j’étais de bonne humeur quand je partais au club. Parce qu’il avait l’art d’entretenir une bonne ambiance.

Tu ne penses pas que beaucoup d’entraîneurs ont deux visages, qu’ils sont fort différents dans le vestiaire et en public ?

Un coach ne peut pas se comporter partout de la même manière. Il y en a qui peuvent paraître irritants pour le grand public mais qui sont très sympas avec leurs joueurs.

Tu crois que c’est possible de s’amuser avec Ariel Jacobs, Jacky Mathijssen ou Vercauteren ?

Jacobs ? Jacobs ? Mais évidemment qu’on peut se marrer avec lui. A fond. Je l’ai côtoyé chez les Espoirs, puis chez les Diables. Encore maintenant, dès qu’on se croise, on peut avoir un fou rire rien qu’en repensant à des trucs qu’on a faits à cette période-là.

Par exemple ?

Ce n’est pas pour les journaux. (Il éclate de rire).

On reste dans tes déclarations cultes : tu as dit que tu étais aussi rapide comme entraîneur que lent comme joueur…

J’ai dit ça, moi ? Je ne m’en souviens pas ! Je n’étais pas spécialement rapide sur les terrains, c’est vrai. Mais pas lent non plus. Je dirais : un faux lent. Mon style ne parlait pas pour moi, avec ma grande taille. Les gens préfèrent voir des petits gabarits, très énergiques. L’avantage des footballeurs moins explosifs, c’est qu’ils sont obligés de réfléchir plus s’ils veulent être bons ! Le gars très rapide pense moins, il fonce. En réfléchissant plus, je suis vite devenu un futur entraîneur, je me suis rapidement fait ma vision du foot. Elle existait concrètement au moment où Gand m’a donné une chance comme coach de ses Espoirs. Il restait encore à la transmettre à un groupe. Jusqu’ici, ça ne se passe pas trop mal.

C’est une chance folle d’avoir bossé avec des coaches comme Gerets, Sef Vergoossen, Ronald Koeman, Hugo Broos, Georges Leekens…

N’oublie pas Martin Jol ! Et quand j’ai commencé à entraîner à Gand, j’ai retiré des trucs énormes de la méthode Michel Preud’homme.

Et Dennis Wise, qu’est-ce qu’il t’a appris à Millwall ?

Il m’a surtout enseigné des trucs à ne pas faire. Il était arrivé dans le métier par hasard. On lui avait demandé de remplacer le coach qui venait de sauter. Il n’avait pas le diplôme et aucun feeling d’entraîneur. Il s’occupait de toi si tu étais opérationnel. Mais si tu ne l’étais pas… Un jour, je me suis retrouvé avec une déchirure au mollet. Il pensait que je simulais. Alors, il a essayé de me faire vivre l’enfer. Par exemple, il m’a obligé à accompagner l’équipe en déplacement à Leeds : six heures de car la veille du match, encore six heures après la rencontre. Simplement pour qu’on me fasse mes soins à Leeds… Il essayait de me faire réagir, il voulait me pousser à péter un câble. Mais je suis resté très pro, je n’ai pas bronché, j’ai obéi. Il a vite compris que ça ne servait plus à rien de m’ennuyer comme ça. Pour Wise, les réservistes et les blessés, c’était de la merde.

Il y a un coach qui, plus que les autres, t’a donné envie de faire ce métier ?

Le sens de la motivation de Gerets, ça m’a beaucoup marqué. En travaillant avec lui, je me suis soudain dit : -Entraîneur, ça doit être un chouette métier. Et le plus complet, c’était Vergoossen. Complet comme coach, complet comme homme. Il voyait tout et accordait énormément d’importance à la famille des joueurs.

Apôtre du 4-3-3 : explications

Pourquoi as-tu cette obsession du 4-3-3 ?

Parce que j’ai toujours cette envie de pratiquer un foot dominant. Et le 4-3-3 est selon moi le meilleur système pour se donner les moyens d’y arriver. Si tu veux bien ennuyer une défense de quatre hommes, il te faut trois gars très offensifs. En plus d’un ou deux médians qui viennent les aider pour pilonner. Voire un back en plus. Ainsi, tu as jusqu’à six joueurs devant le ballon. Dans un 4-4-2, c’est plus difficile, c’est déjà compliqué d’avoir cinq hommes en position offensive. Evidemment, il faut aussi avoir le matériel adéquat pour jouer en 4-3-3, dont un grand pivot. Peter Maes le fait avec un pivot de plus petite taille, mais on ne peut pas tout à fait comparer avec le Cercle parce que Lokeren ne se retrouve dans un 4-3-3 qu’en reconversion offensive. Son équipe joue en contre-attaque. Alors que moi, je veux qu’on soit le maximum du temps dans le camp adverse.

Tu pratiqueras toute ta carrière en 4-3-3 ?

Je vais essayer. C’est aussi un système qui permet de mieux faire circuler le ballon avec une succession de triangles, depuis la défense jusqu’à l’attaque. Mes joueurs cherchent en permanence à provoquer des situations de deux contre un et il y en a plus dans un 4-3-3 que dans un 4-4-2.

Tu ne modifies jamais ton système en cours de match ?

C’est beaucoup trop dangereux. Dès la préparation de la saison, j’explique ma philosophie au groupe et on s’y tient pendant tout le championnat. Chacun peut donner son avis, mais l’occupation de terrain, elle ne se discute pas. Le football, c’est d’abord la répétition, l’apprentissage d’automatismes. Il m’arrive d’inverser pendant un match le triangle de l’entrejeu, de le mettre sur sa base plutôt que sur sa pointe ou l’inverse, je peux aussi demander à certains joueurs de modifier leurs lignes de course, mais les corrections ne vont pas plus loin.

Pendant ta carrière de joueur, tu as préféré l’école hollandaise ou le style anglais ?

Ce que j’essaye d’appliquer des Hollandais, c’est l’envie d’attaquer tout le temps. Mais là-bas, ils oublient de défendre. Par exemple, les deux backs montent en même temps et c’est une des explications des gros scores dans ce championnat. Pour moi, il est exclu que les deux latéraux s’aventurent devant au même moment. Et je trouve que notre jeu défensif n’est pas mauvais du tout. La saison passée, le Cercle a eu une des meilleures défenses de D1. Nous nous sommes aussi créé un nombre impressionnant d’occasions, mais là, il y avait un problème de concrétisation. C’est ce qu’il faut corriger en priorité cette année.

Et de l’Angleterre, qu’est-ce que tu as retenu ?

J’ai appris là-bas comment on pouvait gagner un match en ayant une meilleure organisation défensive que l’équipe d’en face. Là-bas, défendre, être dur dans les duels, on sait ce que c’est. Prends l’exemple de Vincent Kompany. C’était déjà un bon défenseur en Belgique, mais en Premier League, il a appris le sens du placement, il est presque en permanence en contact direct avec un attaquant adverse, il cherche les duels. Et il est devenu un des meilleurs arrières d’Europe.

 » Anderlecht a douté de moi et le regrette maintenant « 

Terminer deuxième du championnat des Espoirs, c’était un résultat un peu fou pour La Gantoise. Dingue pour toi aussi ?

Ce que je retiens d’abord, c’est que quatre joueurs de mon noyau sont passés dans le noyau A la saison suivante. Et ça, c’était vraiment exceptionnel.

C’est à ce moment-là que tu t’es dit que tu pouvais réussir dans ce métier ?

J’avais ma vision du foot depuis pas mal de temps mais personne ne pouvait me garantir que j’arriverais à la transmettre. J’ai vu que ça prenait à Gand. Et là, j’ai commencé à croire en mes qualités. Après cela, j’ai été confronté à un autre défi, en arrivant au Cercle : devoir communiquer mes idées non plus à des jeunes, mais à des adultes, des pros, des joueurs confirmés.

Pourquoi as-tu refusé de remplacer Johan Walem comme entraîneur des Espoirs d’Anderlecht ?

Je n’ai rien refusé ! J’étais encore sous contrat à Gand. La direction d’Anderlecht m’a appelé pour prendre la température mais m’a dit qu’Olivier Doll avait aussi été contacté et que la place serait pour lui s’il acceptait. Le 20 mai, on devait me donner une réponse. A ce moment-là, Anderlecht m’a rappelé et m’a dit : -Doll ne vient pas mais on voudrait encore un délai de réflexion parce que certaines personnes dans le club ont des doutes sur toi. Alors, j’ai directement lâché le morceau. Le poste m’aurait intéressé mais je ne voulais pas travailler pour des gens qui ne me faisaient pas totalement confiance. J’ai appris plus tard qu’ils regrettaient de ne pas m’avoir pris. Moi, je ne regrette rien du tout… Le lendemain, Preud’homme me proposait de devenir son adjoint à Twente. Avant que j’aie pu lui donner une réponse, le Cercle m’appelait. Tout a été réglé en quelques heures.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : REPORTERS / GOUVERNEUR

 » L’avantage des footballeurs moins explosifs, c’est qu’ils sont obligés de réfléchir plus s’ils veulent être bons. « 

 » Je ne veux pas bosser avec des gars qui avalent bêtement tout ce que je dis. « 

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