» ça peut marcher « 

Le coach national à la veille d’un nouveau match décisif.

Il semble s’accommoder de la pression qui pèse sur ses épaules. Le match de ce soir, contre la Serbie & Monténégro, est celui de la dernière chance pour la Belgique. A l’annonce de la sélection, l’entraîneur n’en a rien laissé paraître. Une plaisanterie ici, un clin d’£il là, Aimé Anthuenis maîtrise l’art de la communication. Pas d’explications trop courtes ou de silences comme Hugo Broos, de trucages à la George Leekens ou de cynisme à la Robert Waseige. Anthuenis reste lui-même. Sans doute décroche-t-il plus souvent son téléphone pour demander un éclaircissement à un observateur ou lui en donner, mais son discours ne change pas plus que sa sélection.

Il n’y a pas de surprise dans les vingt noms qu’il a repris pour le match contre Dragutinovic et cie. Ceux qui reviennent sont des visages connus en équipe nationale, hormis Silvio Proto. Il a écopé d’une carte rouge en Espagne, avec les Espoirs, pour son comportement à l’égard de l’arbitre, mais sa suspension ne compte pas pour l’équipe A. Le noyau est jeune, 25 ans et trois mois en moyenne. Donc, c’est la crème de la crème belge, surtout en défense car les éléments offensifs sont plus rares mais n’est-ce pas un trait belge ?

Le bilan : en qualifications, la Belgique a pris un point sur six. Les mercenaires vivent des temps difficiles dans leurs clubs étrangers, Anderlecht et, dans une moindre mesure, le Club ont reçu des soufflets en coupes d’Europe.

Anthuenis :  » Cela n’a rien à voir avec le coach. Je ne cherche pas d’alibis mais je constate que les Belges n’évoluent pas dans de grandes compétitions étrangères. Il y en a l’un ou l’autre en Angleterre, davantage aux Pays-Bas, dont le niveau n’est pas supérieur au nôtre. On en trouve en Allemagne mais cette nation peine actuellement au niveau international. En France, Roberto Bisconti et SteveDugardein jouent de temps en temps. GregoryDufer est blessé, LuigiPieroni ne joue pas… est-ce une question de confiance ou de valeur ? Je n’imagine pas qu’un entraîneur en Angleterre, en Allemagne ou en France n’aligne pas son meilleur onze. Vous pouvez interpréter ce constat neutre en pensant qu’Anthuenis se protège mais c’est la réalité « .

Avez-vous l’impression que la situation a empiré en deux ans ?

Aimé Anthuenis : Le vivier s’est amoindri. Le directeur technique Michel Sablon réalise des statistiques. Dans notre championnat, la proportion de Belges et d’étrangers est mauvaise, d’où mon appel pour qu’on fasse quelque chose, moins pour l’équipe nationale actuelle que pour freiner cette tendance à l’avenir. Il faut assurer un certain nombre de Belges dans les clubs. Le phénomène n’est pas neuf, j’ai moi-même connu une époque où il n’y avait que cinq ou six entraîneurs belges en D1 mais maintenant, le problème touche les joueurs.

C’est à Michel Sablon et non à vous de lancer la discussion.

Il le fait mais un sélectionneur a son rôle à jouer. En cas de blessures, certaines positions ne sont plus assez bien occupées. Je trouve toujours quelqu’un mais il n’a pas nécessairement l’expérience voulue. Entraîneur de club, j’ai toujours été attentif à cet aspect. Tout le monde dit que j’ai raison, y compris des dirigeants comme Verhoost, Preud’homme…

Des dirigeants dont les clubs importent énormément de joueurs et où des jeunes comme Walasiak ou De Beule moisissent.

Je préfère conserver une certaine distance mais ils ont raison si on approfondit le débat. Si vous avez le choix entre un Belge et un Brésilien et que celui-ci est dix fois meilleur et trois fois moins cher, vous n’hésitez pas.

 » Les étrangers de Belgique sont bons  »

Ils embauchent des étrangers de troisième rang.

Pas d’accord. La Louvière est très bien classée. Regardez le top 20 des gardiens de votre magazine : presque tous des étrangers. Quand la proportion est de 70 % d’étrangers, on peut dire que certains sont de moindre qualité, comme il y a des Belges de moindre talent.

Votre noyau ne comporte pas beaucoup d’éléments offensifs.

Reprenez vos listes : tous les buteurs sont étrangers. Seul Gaëtan Englebert pointe le bout du nez avec trois buts. Je croyais que Tchite était belge mais il est congolais. Nos attaquants à l’étranger ont des problèmes. Pieroni, Buffel, Sonck… Citez-moi une alternative ! Je suis convaincu que Buffel garde la capacité d’être repris, même s’il ne joue pas pendant trois mois.

Est-ce pour ça que vous êtes allé si loin pour récupérer Emile Mpenza ?

J’ai eu un contact avec Emile Mpenza. Que j’y sois allé ou pas ne fait aucune différence. Un Emile Mpenza en forme fait partie du noyau.

Il trouve que vous ne l’estimez pas assez. Malgré ses 21 buts au Standard la saison passée, il a joué dix minutes contre l’Estonie et 22 contre la France.

Il était sélectionné quand même. Un moment donné, il a déclaré ne pas se sentir bien et avoir eu plus de soutien de Leekens. Il est possible qu’il n’ait pas été content d’être sur le banc. C’est peut-être une explication mais il peut y en avoir d’autres. Par différentes voies, il a déclaré qu’il se sentait à nouveau bien. Je l’ai donc contacté et il s’est replacé à ma disposition après un entretien. Vous avez raison : Mpenza n’a pas été correct dans l’affaire Gand – Standard et a prononcé le mot corruption. Mais il a fait son chemin en équipe nationale et le sujet est clos. Sinon, il ne faut plus sélectionner Bart Goor qui a craché ni Eric Deflandre.

Avant le match en Espagne, il a laissé le noyau en plan et envoyé promener Karel Vertongen. Vous ne regrettez pas de n’avoir pas fait le chemin vous-même à ce moment-là ?

Je ne l’ai pas fait car je ne voulais pas qu’on parle des problèmes sportifs à ce moment. Un mois s’est écoulé depuis la visite de Karel. Nous ne nous sommes pas mis à genoux devant Mpenza. La question, c’est : -Faut-il prendre en compte un joueur qui déclare n’être pas prêt pour l’équipe nationale puis, des mois plus tard, s’estime prêt ? Je réponds par l’affirmative car un Mpenza en forme a sa place dans le noyau et que je respecte l’opinion des gens. L’essentiel est que le groupe ait du goût au travail. Zidane a renoncé à l’équipe de France. C’est une question de liberté individuelle.

Vous devez l’intégrer dans un groupe qui a constaté qu’il a dit non pour le match de l’Espagne… où vous en auriez eu l’emploi.

Je dois toujours intégrer des hommes à l’équipe, ce n’est pas un problème.

 » J’étais pour l’appel de Goor  »

Vous avez défendu vos deux capitaines, Goor et Deflandre. N’auriez-vous pas dû marquer votre désapprobation ?

Je l’ai fait. J’ai dit qu’ils avaient tous deux perdu pied, qu’ils avaient commis une erreur et devaient être sanctionnés. Je peux comprendre qu’on n’admette pas un tel comportement quand on est dans la tribune ou devant sa TV, mais on peut faire preuve de plus de compréhension quand on est dans le bain. Je peux vous faire sentir que je ne vous apprécie pas en restant poli. A Santander, on sentait bien que la Belgique n’était qu’un petit pays qui affrontait une grande nation. J’ai protégé les joueurs pour deux raisons : ces circonstances et le fait que je ne connais aucune affaire de droit où on ne puisse se défendre, ni par écrit ni verbalement. Je trouve sage de la part de Deflandre de ne pas aller en appel. Dans le cas de Goor, j’aurais essayé. D’autres ont estimé que ça n’en valait pas la peine et je me suis incliné. Goor jouait bien, était un bon capitaine,à sa façon. Sa carte rouge est sans doute partiellement due à la frustration. Il y a de quoi l’être quand vous sentez que vous pouvez garder le nul, même à dix, et que vous encaissez un but. Son absence est une grande perte, sur le terrain comme en dehors. Bart est un des rares à diriger les autres, même s’il l’a moins fait après le Mondial. Avec ses défauts et ses qualités, Philippe Clement peut aussi diriger les autres dans les moments difficiles mais il y a de moins en moins de joueurs de cet acabit. Les entraîneurs des équipes en lice en Coupe d’Europe savent de quoi je parle.

La transition offensive est de moins en moins bonne.

Quand il est en forme, nous avons l’homme idéal, Walter Baseggio. Il est dans le même cas qu’Emile Mpenza. On n’écarte pas de l’équipe le Walter de la saison dernière.

En Espagne, où vous pouviez jouer le contre, vous ne l’avez pas repris et vous n’aviez pas d’alternative.

Walter n’était pas dans sa meilleure forme et j’avais Buffel. L’organisation n’était pas mauvaise. Vous pouvez peut-être me critiquer d’avoir écarté Sven Vermant mais je dois faire des choix. Vermant a disputé quelques bons matches internationaux mais à ce moment, il n’était pas en forme et il n’a guère joué. J’ai donc préféré deux joueurs qui avaient la pêche, Stefaan Tanghe et Koen Daerden. Quand Tanghe a déclaré forfait, je n’ai pas pris de remplaçant car Daerden peut jouer dans l’axe aussi. Je pense qu’il va d’ailleurs occuper ce poste de plus en plus souvent dans les années à venir.

Le bilan d’Anthuenis est maigre : pas d’EURO et un point sur six en qualification du Mondial.

Je ne suis absolument pas d’accord. Nous avons pris 16 points sur 24 lors des qualifications pour l’EURO. C’est bon, dans ce contexte. Nous avons disputé une série de matches amicaux contre de bonnes équipes, avec des succès divers. Seul le match contre la Lituanie m’a déçu et j’en partage la responsabilité. Tout le monde soutenait l’équipe nationale, nous jouions à domicile mais nous n’avons pas apporté assez. Techniquement, le stade Roi Baudouin offrait sans doute plus d’espaces mais ne sous-estimez pas l’avantage d’avoir un public proche du terrain. Ces supporters ne demandaient qu’à nous encourager mais nous n’avons pas réussi à les enthousiasmer. On peut nous le reprocher.

 » Pas d’expérience avec Kompany  »

Dans ce match, Vincent Kompany a glissé de l’arrière droit à l’entrejeu et a apporté un plus. Retenterez-vous l’expérience ?

Ce n’est pas à un sélectionneur de réaliser des expériences qu’on ne fait pas au sein des clubs. Imaginez que ça tourne mal : j’en suis responsable. D’autre part, je connais ses qualités et ses défauts à cette place. Quant à son comportement… J’ai fixé des limites. Si Kompany les outrepasse, je le rappellerai à l’ordre. Kompany n’est pas africain mais heureusement, il l’est à moitié. Un Blanc pur sang ne serait pas aussi bon. A mes yeux, sa nonchalance est une richesse. On a jugé trop sévèrement sa faute en Espagne.

En septembre, vous vouliez entamer la campagne avec un gardien titulaire. Ce fut Peersman. Son évolution vous tranquillise-t-elle ou les progrès de Proto remettent-ils tout en question ?

Peersman et Proto ont été en concurrence à Anderlecht pour le poste de troisième gardien. J’ai eu un entretien avec Proto mais la direction a réglé le reste, à l’époque. Jean Dockx m’a expliqué pourquoi Proto n’avait pas été retenu. Il n’y avait pas d’accord financier et Proto pensait recevoir plus vite sa chance à La Louvière. Aux Pays-Bas, Peersman a été très fort. Il a intercepté trois ballons cruciaux. En Espagne, il a eu un petit problème à la première minute. Pour le reste, je n’ai rien à lui reprocher. Sa concurrence avec Zitka ne lui a pas fait de bien, pas plus qu’à Zitka lui-même. Le Peersman des Pays-Bas, direct… Maintenant, Proto pointe du nez. Son évolution est normale, ponctuée de hauts et de bas.

Où se situent vos points d’interrogation ?

Contre la Lituanie, nous avons manqué de puissance de tir. L’avons-nous maintenant ? On le verra. La Serbie & Monténégro est meilleure. Mateja Kezman est sur le banc : c’est éloquent. Leurs footballeurs jouent dans de grands championnats. Nous avons une équipe qui joue en confiance et qui doit former un bloc. Si ce n’est pas le cas et que nous perdons, l’aventure est terminée. C’est un match décisif mais tous les matches à domicile le sont. La défense doit tenir le nul û car nous avons aussi ce problème. Il faut donc espérer que la défense soit stable, se trouve bien et que les joueurs se dirigent les uns les autres. Là, il y a des problèmes : se diriger, avoir un bon jeu de position, jouer collectivement. A une autre époque, Meeuws et Millecamps, Buyl et Van Genechten s’entendaient bien. Je n’ai pas un tel duo. Tout le monde impute la responsabilité du but lituanien à Daniel Van Buyten mais à mes yeux, il est le résultat d’une série de fautes et d’un manque de communication. L’entrejeu aussi doit être complémentaire.

Donc, malgré deux ans de patience et de confiance dans un noyau, vous n’avez pas encore trouvé de duo ni de trio fantastique.

Non. Mais j’ai formé un groupe de sept ou huit joueurs qui sont pratiquement de tous les matches. Je leur ai fait confiance. Ce qui me vaut la critique, sans doute justifiée, d’aligner des éléments qui n’ont plus joué depuis deux mois, pour conserver des automatismes et ne pas devoir repartir à zéro à chaque match. Peut-être le déclic va-t-il se produire. Mon travail n’hypothèque pas l’avenir mais j’en suis conscient : c’est une loi en sport. Vos explications n’ont de valeur que si vous prenez des points. Pourtant, je reste serein car je pense avoir fait ce que je devais.

Jacques Sys – Peter T’Kint

 » Le seul match qui m’a déçu, c’est CONTRE LA LITUANIE  »

 » Je fais confiance aux mêmes car JE NE VOIS PERSONNE D’AUTRE  »

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