Ça passe ou ça casse

Les Reds rêvent de renouer avec le haut du tableau. Pour cela, ils ont fait appel à un jeune manager, qui prône un football de passes.

Cela fait trois ans que Liverpool attend sa renaissance. Trois ans que les supporters ne comprennent pas vraiment la ligne directrice de leurs dirigeants. Ou plutôt si, ils la saisissent mais se refusent à admettre l’inéluctable : non, Liverpool ne joue plus dans la cour des grands et personne ne peut rien y faire. Même l’idole locale, celle à qui est consacrée la deuxième chanson la plus populaire entonnée par le stade après le mythique You’ll never walk alone, Kenny Dalglish n’a rien pu faire. King Kenny n’a pu éviter que son club de c£ur ne plonge dans l’anonymat de la Premier League. Alors, une nouvelle fois, on se demande en bord de Mersey si cette saison sera la bonne. On espère mais on craint d’être largué inéluctablement par les nouveaux cadors que sont Manchester City, Manchester United et Chelsea.

 » C’est cela qui fait surtout mal aux supporters : la crainte de ne plus pouvoir lutter pendant un certain temps avec les grandes équipes et donc ne plus faire partie de l’élite anglaise « , explique le commentateur de la F1 de la BBC, James Allen, grand supporter de Liverpool d’où il est originaire et où il a encore un abonnement.

Les soucis ont débuté à la fin de l’époque Rafael Benitez. L’entraîneur espagnol a dans un premier temps acquis énormément de respect en remportant la Ligue des Champions en 2005 et a toujours été défendu par ses propres supporters. Pourtant, petit à petit, ses relations avec les propriétaires américains, George Gillett et Tom Hicks qui avaient repris le club en 2007, vont se détériorer au point, qu’en 2010, Benitez décide de quitter le club. Certains ont vu dans cette décision l’aboutissement d’un processus de stagnation depuis deux saisons. L’Espagnol, lui, préfère mettre l’accent sur le manque de fonds disponibles pour les transferts nécessaires à la croissance du club.

Le nouveau président a courbé l’échine face aux pressions des supporters

Depuis son départ, trois entraîneurs se sont succédé et aucun n’a réussi à atteindre le niveau de performance de la formation de Benitez, deuxième en 2009.  » Les premiers propriétaires américains n’ont jamais été très populaires auprès des supporters « , ajoute Allen.  » Benitez a construit une formation solide. Il ne lui a manqué que quelques millions pour atteindre son but : le titre. Les propriétaires ne l’ont pas suivi et cela a abouti à la séparation. On n’a jamais senti Gillett et Hicks concernés par l’histoire et le futur de Liverpool. « 

La traversée du désert a certes débuté sous Benitez mais elle a pris de l’ampleur avec son départ. L’Anglais Roy Hodgson, entraîneur expérimenté mais qui n’a connu aucun grand club en Grande-Bretagne, ne parvient pas à concilier les stars et doit laisser la place quelques mois après son arrivée. Hodgson est victime des mauvais résultats mais également de la passation de pouvoirs entre les propriétaires américains. En octobre 2010, Hicks et Gillett vendent le club au Fenway Group représenté par John W. Henry qui devient le nouveau président de Liverpool.

Changement de style dans la gestion. Les nouveaux proprios s’intéressent davantage à Liverpool et ont de l’ambition pour les Reds. Cependant, le courant ne passe pas avec Hodgson. Pour le remplacer en pleine saison, alors que le club est sur un volcan, les Américains font appel à Kenny Dalglish, en janvier 2011. L’icône locale, qui n’a plus entraîné depuis près de dix ans, doit apaiser le club et redonner de la confiance aux joueurs avant de laisser la place à un autre entraîneur. Ce qu’il fait très bien pour les six derniers mois de la saison. A tel point que Henry n’a pas d’autre choix que de le prolonger pour la saison 2011-2012.  » A l’autopsie, il a commis une erreur « , explique Matt Hugues, journaliste au Times.  » Henry a toujours voulu un manager jeune, aux idées novatrices mais il a fait appel à Dalglish pour éteindre l’incendie. En le prolongeant, il a été à l’encontre de ses idées. Il a courbé l’échine face à les pressions des supporters qui n’auraient pas compris qu’on ne continue pas avec Dalglish alors que celui-ci avait remis le club sur les rails.  »

Pourquoi ça a foiré avec Dalglish ?

A l’été 2011, Dalglish reçoit une enveloppe de transferts conséquente et ne se prive pas de dépenser. L’idée est séduisante : le coach veut donner une base anglaise à Liverpool. Mais le marché de Premier League est compliqué. Les joueurs anglais sont souvent hors de prix. Dalglish n’en a cure et six mois après avoir arraché Andy Carroll pour 40 millions à Newcastle, il récidive en attirant Stewart Downing (Aston Villa) pour 25 millions et Jordan Henderson (Sunderland) pour 27. Soit trois joueurs anglais pour plus de 90 millions.

Jamais ces trois joueurs, appelés à porter l’équipe à bout de bras, n’ont répondu présent. Dalglish les a pourtant soutenus, mettant beaucoup de temps avant de les retirer de l’équipe, mais seul José Henrique, venu de Newcastle, est à placer dans la case des bons transferts.  » A partir de là, les analystes ont commencé à critiquer la politique de transferts de Dalglish « , analyse Chris Bascombe, journaliste au Telegraph.  » Personne n’a ouvert la bouche au moment des arrivées de Carroll, Downing et Henderson mais c’est évident que le prix mis par Liverpool ne correspond pas à la valeur de ces joueurs.  »

Carroll devient le symbole de ce naufrage. On s’en prend à son style de vie (c’est un grand fêtard) mais également de jeu. Sans doute un des meilleurs joueurs de tête de Premier League, il n’arrive pas à s’intégrer à un collectif qui mise davantage sur le jeu au sol. Downing est irrégulier (comme à Aston Villa) et ne parvient pas à faire basculer une rencontre comme du temps de Middlesbrough. Quant à Henderson, il n’a que 22 ans et la pression d’Anfield semble trop forte pour lui. Les statistiques de ces trois joueurs parlent d’elles-mêmes : 6 goals et 3 assists à eux-trois. Trop peu !  » Les dirigeants ont compris que la politique de transferts avait été catastrophique « , explique Bascombe,  » C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils se sont séparés dans un premier temps de Damien Comolli, le directeur sportif.  »

6 victoires sur les 19 matches à domicile : inimaginable dans l’enfer d’Anfield Road

Pourtant, ce n’est pas tant sa gestion sportive que sa gestion extra-sportive qui est reprochée à Dalglish. Les propos racistes de Luis Suarez à l’encontre de Patrice Evra qui ont débouché sur la suspension de l’Uruguayen pour huit rencontres n’ont jamais été condamnés. Certes, sans Suarez, Liverpool a plongé, commençant sa longue crise de 2012, mais les supporters n’ont pas compris le comportement de leur idole.  » Dalglish n’a pas saisi toutes les incidences découlant de l’affaire Suarez « , affirme Allen.  » Il a pensé protéger son club, espérant une sanction minime car son système de jeu tournait autour de Suarez. Mais au lieu de le protéger, il l’a affaibli. Les supporters de Liverpool ne veulent pas que le blason de leur club soient terni par une affaire de racisme. Beaucoup de gens n’ont pas compris que le club permette aux joueurs de parader avec des T-shirts de soutien à Suarez. Jusqu’à preuve du contraire, la victime dans cette affaire n’était pas Suarez mais Evra ! »

 » Dalglish a semblé perdu « , continue Bascombe.  » Je me souviens de cette interview lors de laquelle on sent qu’il ne sait pas quoi répondre quand on l’interroge sur cette histoire. Même réaction quelques mois plus tard lors du retour de Suarez à Old Trafford. « 

A l’heure du bilan, l’image de Dalglish reste encore bonne mais elle a été quelque peu écornée. L’écroulement de sa formation à partir de janvier laisse Liverpool à la huitième place. Anfield a vécu une année humiliante. Sur les 19 matches à domicile, Liverpool n’en a remporté que six. Inimaginable dans l’enfer d’Anfield Road !

Et la finale de la Coupe de la Ligue n’efface pas l’échec cuisant en finale de la Cup face à Chelsea. Les mauvaises langues vont même jusqu’à dire que Liverpool a eu de la chance de rencontrer Cardiff, pensionnaire de Championship (D2 anglaise) en finale.  » Et encore, il a fallu aller jusqu’aux tirs au but ! », lâche Hugues.

Quand le couperet tombe en mai et que Dalglish n’est pas reconduit, peu de voix s’élèvent pour défendre l’homme qui a mené les Reds à leur dernier titre.  » Il reste populaire mais son départ n’a pas été perçu comme un sentiment d’injustice « , conclut Allen.  » Il a perdu le fil au cours de la saison et a manqué de sang-froid à des moments cruciaux.  »

Que peut l’inconnu Brendan Rodgers ?

Alors, quand il a fallu se séparer de l’icône Dalglish, tout le monde a sorti l’artillerie lourde. Pour remplacer un géant, on ne peut prendre que le meilleur ! Les noms de Louis van Gaal, Pep Guardiola, André Villas Boas filtrent. Mais une fois encore, les supporters rêvent trop fort. Finalement, deux noms bien moins clinquants se détachent : Roberto Martinez, qui réussit chaque saison à sauver Wigan grâce à un football offensif, et le Nord-Irlandais Brendan Rodgers, qui a développé un des plus beaux football de la Premier League pour sa première saison au sein de l’élite à la tête du promu gallois de Swansea.

Wigan ne laisse pas partir Martinez et Rodgers refuse dans un premier temps. Le mythe Liverpool a du plomb dans l’aile. Si même le modeste Rodgers se met à snober le grand Liverpool, où va-t-on ? Finalement, le second appel des Reds convainc Rodgers qui fait ses adieux à Swansea.

Pour le faire quitter le Pays de Galles, Liverpool débourse quatre millions d’euros d’indemnités. La somme est conséquente, d’autant plus que Rodgers n’a jamais rien gagné. A 39 ans, il n’en est qu’à sa quatrième saison à la tête d’un club (Watford, Reading et Swansea), après avoir débuté comme entraîneur des jeunes, notamment à Chelsea lorsque José Mourinho y était manager. Après le Kilimandjaro qu’il a escaladé en 2011 en hommage à sa mère et son père décédés du cancer, le voilà au pied d’une nouvelle montagne.

Pourtant, le jeu proposé avec le modeste Swansea et ses idées de football ont déjà séduit les fans de Liverpool. La saison passée, les deux médians Joe Allen et Leon Britton, avec 91,2 % et 93 % de passes réussies faisaient partie, aux côtés d’ Alexandre Song (Arsenal), Luka Modric (Tottenham), Michaël Carrick (Manchester United), Yaya Touré(City) et Mikel Arteta (Arsenal) des meilleurs passeurs de PL.

 » La seule inconnue, c’est son inexpérience « , explique Allen,  » Entraîner un groupe qui le suit comme un seul homme et où aucune tête ne dépasse ou être à la tête d’une armada de stars, cela n’est pas la même chose. Il faut s’adapter et changer son discours. Certains y arrivent, tellement ils sont bons. D’autres pas. On l’a vu récemment avec Villas-Boas à Chelsea. Il arrivait avec une grosse cote et le surnom de nouveau Mourinho. Mais il a pu se rendre compte que Chelsea n’était pas Porto. On verra comment Rodgers parvient également à supporter la pression à Anfield. Mais en ce qui concerne sa philosophie de jeu, tout le monde semble adhérer. « 

Les joueurs anglais ne doivent pas cacher leur technique

La philosophie de Rodgers repose donc sur un football offensif, orienté dans un 4-3-3.  » Comme entraîneur des jeunes, il a passé dix années de sa vie à voyager à travers toute l’Europe et a conclu que l’approche de Barcelone était la meilleure « , continue Hugues.  » C’est également le meilleur avocat des qualités techniques des joueurs. Il passerait des heures à parler de la technique. Même à Swansea, il a laissé les petits formats inconnus comme Allen ou Britton réguler l’entrejeu. Il aime dire que les joueurs anglais ne doivent pas cacher leur technique. Pour lui, ils en ont autant que les autres joueurs européens et ils doivent l’utiliser. Pour cela, il faut un coaching adéquat. Il est notamment très critique sur les méthodes de préparation en Angleterre, affirmant que les entraîneurs de jeunes sont trop obsédés par le résultat et que cette quête permanente freine les joueurs qui n’osent pas exprimer leurs qualités.  »

Sur papier, cela sent bon le neuf et le clinquant mais Rodgers n’aura pas d’état de grâce. Même s’il a annoncé qu’il vise une place dans les six premiers, les dirigeants veulent un ticket en Ligue des Champions.

Jusqu’à présent, et contrairement à la saison passée, Liverpool s’est plutôt fait discret sur le marché des transferts. Seul l’attaquant de la Roma, Fabio Borini est arrivé pour 13,3 millions d’euros. Joe Allen, le médian de poche de Swansea devrait s’ajouter à la liste. Et tout Liverpool espère Clint Dempsey, l’attaquant américain de 29 ans de Fulham. Mais avant tout, Rodgers espère se débarrasser de certains joueurs excédentaires.  » Depuis un an, tout le monde se demande que faire de Carroll « , explique Bascombe.  » Il symbolise les erreurs du passé mais c’est très compliqué de le vendre car son contrat pèse trop lourd.  »

De plus, le noyau de Liverpool est limité en attaque. Mais au sein d’un 4-3-3, entre Carroll et Suarez, il y a donc un homme de trop. A Swansea, Rodgers évoluait avec un grand pivot devant ( Danny Graham) mais à Liverpool, il risque de miser sur le talent incontournable de Suarez (qui a aussi ses détracteurs au sein du club) plutôt que sur la taille de Carroll. Reste qu’un attaquant de 40 millions sur le banc, cela fait tâche. Il vaut mieux donc lui trouver un nouveau port d’attache. West Ham et Newcastle sont intéressés mais à quel prix ?

Le noyau ne tient pas la comparaison

Quant à Downing et Henderson, Rodgers est décidé à leur donner une nouvelle chance. Downing, unique buteur en Europa League face au club bélarusse de Gomel, a la technique suffisante (et surtout la vitesse nécessaire pour un ailier) pour le jeu prôné par Rodgers. Quant à Henderson, il dispose encore d’une marge de progression. Reste à voir le sort réservé à Charlie Adam, autre joueur surpayé la saison passée, et qui, malgré un bagage technique intéressant, est trop lent pour un club comme Liverpool.

Rodgers veut faire du Brésilien Lucas Leiva, un joueur-clé. Il l’apprécie pour sa capacité à savoir jouer défensivement et offensivement. Or, c’est exactement ce qu’il demande à ses médians, de façon à épargner l’énergie des ailiers.

Dans quelques mois, on saura si la griffe Rodgers aura pris dans le nord de l’Angleterre. Pourtant, si beaucoup se veulent optimistes, certains relèvent la pauvreté du mercato et le manque de talent du noyau quand on le compare à ceux de City, United, Chelsea, Arsenal ou même Tottenham.  » Même si Liverpool transfère Dempsey, on peut continuer à se poser des questions « , craint Bascombe.  » L’Américain a 29 ans, ce qui signifie qu’il va commencer à décliner, et n’a jamais connu le top-niveau. La pression n’est pas la même à Fulham qu’à Liverpool. « 

Dernièrement, un des seuls joueurs de classe mondiale, Daniel Agger, a été approché par City et Barcelone. Si d’aventure Liverpool doit vendre le défenseur danois, ce sera un nouveau signe de son relatif déclin. A Liverpool, on continue donc à vivre entre espoir et crainte.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Dans l’affaire Suarez, Dalglish a pensé protéger son club. En fait, il l’a affaibli.  » (James Allen)

90 milllions d’euros pour trois joueurs auteurs de 6 goals et 3 assists !

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