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 » ÇA ME MANQUE D’ÊTRE MOI-MÊME « 

Après une année galère en Italie, Polo Mpoku nous reçoit sur les hauteurs d’Athènes et retrace une carrière marquée par le foot business, le Congo, son Standard et sa foi. Rencontre avec un footballeur qui n’a jamais voulu être un footeux…

Le taxi peine à accéder vers les sommets. Quelques coups de gaz finissent tout de même par nous emmener sur les hauteurs du quartier de Voula, là où Paul-José et Melissa Mpoku ont basé leur nouveau domicile. Après les déboires de Vérone, PMK40 est tout sourire. Le décor est idyllique, le balcon de son duplex renvoie une vue panoramique sur Athènes et la Grande Bleue. Après avoir visité les lieux, le nouveau joueur du Pana, qui s’apprête déjà à retrouver sa maison de Sclessin ce jeudi, nous emmène à Glyfada, un des rares coins de la ville qui semble ne pas avoir été ravagé par la crise économique. Autour d’un mezzé généreux, Polo se raconte et s’explique sur cette nouvelle étape de sa carrière.

Comment te retrouves-tu ici à Athènes ?

PAUL-JOSÉ MPOKU : Ça fait un moment que le coach (Andrea Stramaccioni, ndlr) me veut. Mon agent m’a raconté qu’il voulait déjà m’attirer du temps où il entraînait l’Inter. Et, au mois de janvier dernier, il m’a appelé pour me dire qu’il voulait me transférer au Pana. Mais j’ai refusé, je n’étais au Chievo que depuis quelques mois seulement. Et j’avais été opéré de la pommette, on m’a même mis une plaque (il sort son smartphone et nous montre son visage tuméfié, ndlr). Avant ça, j’avais aussi connu une blessure à la cheville. Quand je suis revenu dans le coup, l’équipe tournait bien, elle faisait des résultats. Cet été, j’ai cru recevoir une nouvelle chance, je me sentais bien physiquement. Mais le directeur sportif est venu me trouver pour me dire qu’il avait parlé avec l’entraîneur et qu’il pensait que ce système n’était pas bénéfique pour moi. Et vu que je voulais éviter une nouvelle saison de galère, je me suis dit qu’il valait mieux partir.

D’autres clubs que le Pana étaient intéressés ?

MPOKU : Pescara, Palerme, Cagliari. Mais j’avais peur de connaître les mêmes problèmes qu’au Chievo. Ici, au Pana, je joue la tête, l’Europa League, c’est un club extrêmement populaire, avec des supporters incroyablement passionnés et un coach qui a bâti une équipe pour être champion.

T’as plutôt le profil d’un joueur qui a besoin de jouer dans une équipe qui domine, non ?

MPOKU : Oui, j’ai besoin d’avoir la balle pour m’exprimer.

Ton année au Chievo ressemble à une saison blanche. On t’imagine très déçu ?

MPOKU : Oui, bien sûr. Surtout qu’à la base, je ne voulais pas aller là-bas Vous pouvez demander à Bruno Venanzi où à Pierre Locht (directeur juridique du Standard, ndlr) avec qui j’étais le jour où j’ai reçu l’offre du Chievo. Je leur disais que je ne voulais pas y aller. Mais les dirigeants du Chievo ont tout fait pour m’avoir. Et vu toutes les complications que j’avais connues avec Al-Arabi (le club qatari qui se présentait comme propriétaire du joueur mais qui n’a jamais payé le montant du transfert au Standard, ndlr), il était préférable que je me détache de tout ça. La situation n’était pas claire : est-ce que j’appartenais au Standard ou à Al-Arabi ?

Et qu’en était-il au final ?

MPOKU : Officiellement, je n’ai jamais appartenu à Al-Arabi.

 » JE NE VOULAIS PAS ÉVOLUER EN SÉRIE B  »

Depuis ton départ du Standard en janvier 2015, qu’est-ce que tu aurais aimé changer dans ton parcours ?

MPOKU : Ce qui m’a énervé, ce sont les chipotages qu’il y a eus entre Roland Duchâtelet et le représentant d’Al-Arabi qui a d’ailleurs été viré depuis lors. A la base, j’avais un accord pour partir durant le mercato d’été 2014, mais je ne voulais pas m’en aller dans l’urgence, on a donc postposé mon départ pour janvier. En décembre, j’ai rencontré les dirigeants de l’Inter, dont le directeur sportif, Piero Ausilio. Tout était OK mais Al-Arabi a refusé que je parte. Le représentant d’Al-Arabi m’a alors dit qu’il voulait me mettre au PSG. Mais qu’est-ce que j’allais aller faire là-bas ? Je ne savais même pas si ces contacts étaient sérieux. J’avais aussi reçu une offre de QPR, de Schalke, etc. Mais ce que j’ai compris par après, c’est que Duchâtelet et le gars d’Al-Arabi s’étaient mis d’accord pour que je reste au Standard jusqu’à la fin de l’année. Ils ne me le disaient évidemment pas en face. Mais finalement, Cagliari a répondu à toutes les exigences d’Al-Arabi, alors que le club qatari en demandait toujours plus. J’ai compris à ce moment qu’il y avait quelque chose d’anormal.

Et à Cagliari, tout se passe bien sur le plan individuel.

MPOKU : Malgré la descente du club en fin de saison, j’y réalise quatre bons mois. Je me mets régulièrement en évidence, le président est d’ailleurs prêt à faire des folies pour que je reste au club. Mais je ne voulais pas évoluer en Série B. En juin 2015, j’ai rencontré, à Monaco, Walter Sabatini, directeur sportif de l’AS Rome. Mais Al-Arabi a une nouvelle fois voulu la faire à l’envers. Al-Arabi a demandé à la Rome de racheter les 50 % sur Radja Nainggolan que détenait toujours Cagliari afin de revendre par après Radja à Man City ou au PSG. Mais dès que Sabatini a entendu parler de ce montage, il a dit qu’il ne voulait plus rien savoir d’Al-Arabi. Et mon transfert a capoté.

Et tu finis par signer au Chievo.

MPOKU : Malgré ma première impression négative, j’ai fini par dire oui.

Tu voulais aller plus haut ?

MPOKU : Quand tu vois que tu es proche de la Rome et de l’Inter, tu espères autre chose. Après coup, j’aurais même préféré rester en D2 à Cagliari que de signer au Chievo.

Quand tu regardes le parcours de tes amis proches dans le foot comme Thorgan Hazard qui évolue en Bundesliga ou Michy Batshuayi qui se retrouve en Premier League, tu te dis que tu as effectué les mauvais choix ?

MPOKU : L’erreur fut de signer à Chievo, ça c’est évident.

Tu ne penses pas aujourd’hui que l’erreur fut d’entrer en contact avec un fonds d’investissement déguisé comme Al-Arabi ? Ton ex-agent a raconté à ce sujet que tu n’étais intéressé que par l’argent.

MPOKU : Il disait sûrement ça parce qu’il avait été écarté du deal. Mais il était le premier à me dire que si je pouvais continuer à évoluer en Europe et recevoir un bon contrat d’Al Arabi, pourquoi refuser ?

 » BRUNO VENANZI, C’EST MON GARS !  »

Cet été, la presse a évoqué un retour au Standard. C’était envisageable ?

MPOKU : Non, pas du tout. Ce n’est pas le bon moment.

Et pourtant le championnat grec et le championnat belge sont sensiblement du même niveau.

MPOKU : Oui mais je ne voulais pas rentrer en Belgique. Je pense que pour progresser, il faut sortir de son cocon, de son confort. Et puis j’ai envie de connaître d’autres expériences, c’est normal je crois.

Malgré l’échec de l’an dernier ?

MPOKU : L’année passé, on a essayé de changer mon football. Alors que logiquement, on m’a pris pour mes qualités, pas pour être un  » joueur de Chievo « . J’ai l’impression qu’on m’a acheté pour le  » buzz Mpoku « . Ici, au Pana, on connaît mes qualités, le coach les connaît. Ce qui me reste en travers de la gorge, c’est cette différence de traitement entre l’avant et l’après signature de mon contrat. Quand je me suis fait opérer, je suis resté une semaine en Belgique. Ni le directeur sportif, ni le coach ne m’a contacté pour prendre de mes nouvelles. Même pas un simple :  » Alors Polo ça va ? « . J’étais aussi un peu esseulé dans le groupe. On était l’équipe la plus vieille d’Europe. Les joueurs étaient sympas, mais ils avaient déjà leurs habitudes. C’était compliqué de s’immiscer dans un tel groupe. Dès que j’avais deux jours de libre, je me rendais en Belgique pour me retrouver avec mes proches.

Tu as besoin de chaleur humaine pour te sentir bien ?

MPOKU : Il faut que je rigole pour que je me sente bien. Comme au Standard où j’organisais des barbecues avec d’autres joueurs, la relation ne se limitait pas au foot. J’ai grandi dans une culture africaine où il y a toujours du monde, de la nourriture. C’est encore le cas quand je vais chez mes parents. Et dès que je rentrais en Belgique, je passais au Standard pour me soigner, pour retrouver cette chaleur qui était inexistante au Chievo. Bruno (Venanzi, ndlr), c’est mon gars ! Le jour où je veux revenir au club, je l’appelle, je le sais. Et, s’il entend une rumeur, il va m’appeler en retour. Bruges a essayé de me transférer cet été. Il y avait l’attrait de la Champions League. Mais ça n’était pas pour moi. Je préfère être aimé quelque part et le rester. J’ai toujours dit que j’étais attaché au Standard et rien que pour ça, je ne peux pas aller ailleurs en Belgique. Prends l’exemple de Defour, il était aimé au Standard mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas, ni au Standard, ni à Anderlecht, ni à Genk.

A quand remonte ton entente avec Bruno Venanzi ?

MPOKU : On s’est rencontré à Dubaï avant que je ne parte pour Cagliari. Il était alors vice-président et était accompagné de Christophe Henrotay. On a été manger ensemble le soir et on s’est directement entendu.

Tu rêves encore de ce titre loupé avec le Standard sous Luzon ?

MPOKU : Quand j’ai logé chez William (Vainqueur, ndlr) après mon match à Rome, on en parlait encore. On avait tout pour l’avoir : une bonne équipe, une bande de potes, le titre de champion aurait honoré cette génération comme a pu l’être le Standard de Defour, Fellaini, Witsel. Ce titre loupé avec le Standard, ça me reste toujours dans un coin de ma tête. Mais je reste persuadé que je serai champion un jour avec le Standard. Plus tard mais un jour.

 » J’AI L’IMPRESSION D’AVOIR PERDU 3 ANS DE FOOTBALL  »

Tu penses avoir disparu de la circulation avec ton année au Chievo ?

MPOKU : J’ai l’impression d’avoir perdu 3 ans de football. Alors que pour me sentir bien, j’ai besoin de rythme, de jouer. J’ai l’impression qu’il me faudra 4-5 mois pour retrouver toutes mes sensations. Là, je suis pas encore au top. C’est pas physique mais plus une histoire de sensations. Je sais que ça va aller mais je dois jouer, sinon ça risque d’être compliqué. J’ai faim de matches, de faire des skills, de buts, de donner des assists, de faire du spectacle. Aujourd’hui, ça me manque d’être moi-même.

Tu as le sentiment d’être bien guidé pour réussir ?

MPOKU : C’est vrai que j’ai du mal à faire confiance à quelqu’un dans le foot. Dans le passé, mes agents m’ont raconté par exemple qu’il n’y avait pas d’offre pour moi alors que j’ai appris par après que le transfert ne s’est pas réalisé parce que mon agent avait demandé une commission de deux millions d’euros. Et ma saison à Vérone m’a dégoûté du foot quand même. Avant, j’avais toujours eu cette envie de gagner, de me dépasser, de réaliser quelque chose dès que je montais sur le terrain. Mais l’an dernier, je me suis rendu compte que le foot, c’était individuel.

Et pourtant, tu n’es pas un novice puisque tu es parti dès tes 15 ans à Tottenham…

MPOKU : L’Angleterre m’a permis d’être mature plus tôt. Mais l’année passée, je n’avais plus envie. Quand tu regardes ma période au Standard ou mes six mois à Cagliari, je joue à chaque fois pour gagner mais aussi pour prendre du plaisir et en donner. Mais là, ce n’était plus du tout le cas. La manière dont on me considérait, la manière dont on me faisait monter au jeu, je ne sentais pas de confiance. Ne pas jouer ça me rend dingue. J’ai le sentiment que Dieu essaie de m’enseigner qu’il y a bien plus important que le foot. Mais moi, j’ai envie de tout le temps jouer.

La foi a une grande influence dans ton parcours.

MPOKU : J’ai  » rencontré  » Dieu quand j’étais en Angleterre et ça a été un tournant dans ma vie. Ce qui veut dire que beaucoup de choses que je fais aujourd’hui, je ne le fais plus uniquement pour moi mais pour Dieu. Et je crois d’ailleurs que si je n’avais pas la foi, j’aurais pu craquer, ne pas venir à l’entraînement pendant une semaine. Mais comme le raconte la Bible, on ne nous apprend pas à être méchant ou gentil mais à être juste. Et donc je fais ce qui est juste, je fais ce que je dois faire.

 » ‘ÊTRE’, CE N’EST PAS CE QUE TU DIS MAIS C’EST COMME TU VIS  »

Tu n’es jamais envieux de tes amis footballeurs qui sortent en boîte, qui collectionnent les filles ?

MPOKU : Je m’amuse aussi mais d’une autre manière.

Tu as le sentiment que beaucoup de joueurs sont dans la contradiction entre leur foi et les faits ?

MPOKU :  » Être « , ce n’est pas ce que tu dis mais c’est comme tu vis, tu te comportes. Si ta vie n’est pas en adéquation avec ce que tu dis, tu ne peux pas te dire chrétien. Et pourtant il n’y en a beaucoup qui se disent chrétien mais alors il faut leur poser la question du sens.

Tu as le sentiment que la religion fait peur aux gens ?

MPOKU : Le problème du monde, c’est la religion. C’est l’homme qui a créé la religion. Jésus était le lien entre Dieu et les hommes. La religion est dangereuse mais la relation avec Dieu ne l’est pas. Quand on prend le christianisme pour une religion, c’est là qu’elle peut être dangereuse. La religion cause des problèmes, la religion cause des guerres. Mais pas le christianisme en tant que tel.

A quel moment de ta vie, ta foi t’a aidé dans ton parcours ?

MPOKU : Dès mes 15 ans et aujourd’hui elle m’aide tous les jours. La mort de mon cousin a été un basculement dans ma vie. C’est là que j’ai fait un constat de ma vie. Est-ce que tu veux continuer à mener cette vie, cette vie de  » footballeur  » ou est-ce que tu veux prendre une autre direction ?

A 15 ans, ton rêve c’était d’avoir le plus d’argent, le plus de voitures possible ?

MPOKU : Non ça n’a jamais été mon moteur. Mon rêve ça a toujours été d’être footballeur. Ce sont les « footeux » qui pensent voiture, argent, etc.

C’est quoi la différence entre un footballeur et un footeux ?

MPOKU : Un footeux c’est celui qui rêve de la vie de footballeur. Alors que le footballeur, il joue parce qu’il aime ce sport depuis tout petit.

Comment tu expliques qu’il y a de plus en plus de footeux ?

MPOKU : Pourquoi ? Je sais pas mais c’est vrai qu’il y en a de plus en plus qui pensent qu’être footballeur c’est avoir des meufs, aller à la chicha, etc.

 » MON PÈRE A REFUSÉ 10.000 EUROS POUR MOI  »

Tu ne penses pas que les parents sont aussi de plus en plus obnubilés par la possibilité d’avoir un fils qui réussit dans le foot avec tous les avantages que ça comporte ?

MPOKU : Oui surement. C’est vrai que les mentalités ont changé.

Ton père n’était pas attiré par l’argent ?

MPOKU : Ça n’a jamais été sa motivation. Lucien (D’Onofrio, ndlr) et Pierre François avaient proposé 10.000 euros cash à mon père pour que je signe au Standard et non à Tottenham. Et 10.000 euros, c’était énormément d’argent pour nous. Mais il les a refusés. Beaucoup de parents n’aident pas leurs enfants dans leur développement car ils sont attirés par l’argent. Et beaucoup de petits se disent que la vie de footballeur, c’est ça la vie. Alors que ce n’est pas ça la vie. Mais je crois que c’est le monde en général qui est devenu plus bling-bling. On fait croire aux gens qu’il faut désormais se montrer pour exister.

PAR THOMAS BRICMONT, À ATHÈNES – PHOTOS BELGAIMAGE – YANNIS KOLESSIDIS

 » Bruges a essayé de me transférer cet été. Il y avait l’attrait de la Champions League. Mais je préfère être aimé au Standard et le rester.  » PAUL-JOSÉ MPOKU

 » Il y en a de plus en plus qui pensent qu’être footballeur c’est avoir des meufs, aller à la chicha, etc.  » PAUL-JOSÉ MPOKU

 » C’est la religion qui est dangereuse et non la relation avec Dieu.  » PAUL-JOSÉ MPOKU

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