» Ça joue les durs, mais ils n’ont rien… « 

Plus de dix ans après avoir raccroché les crampons, le marquage reste toujours aussi strict et le tackle toujours aussi précis. Rencontre.

« Chez moi, il n’y a pas grand-chose qui retrace ma carrière. Un Soulier d’Or qui traîne, quelques photos de Newcastle, pour le reste l’espace est davantage occupé par les photos de nos chevaux. Je n’ai jamais aimé me mettre en avant. Je parle aussi bien de mon boulot d’employé chez un grossiste en alimentation que de mon passage en Angleterre. Et pour tout dire, je trouve même plus important d’avoir été ouvrier pendant dix ans que footballeur pendant quinze. « 

Philippe Albert, est un peu le genre de gars à l’ancienne, qui n’a jamais eu peur de dire ce qu’il pense. Depuis un an, il a retrouvé le championnat de Belgique par le biais de Voo après avoir officié pendant sept ans comme consultant foot européen pour BeTV. Avec son style bien à lui aussi bien dans l’expression que dans le look (quelques costards rappellent les films de gangsters anglais des années 90), l’ex-Diable Rouge apporte un coup de frais et du franc-parler dans le paysage audiovisuel.

Pour quelqu’un qui prétendait ignorer le foot belge depuis plusieurs années, vous avez donné l’impression de vous replonger dans le bain rapidement.

Philippe Albert : Le championnat de Belgique ne m’intéressait pas. Pendant dix ans, je n’ai rien regardé, je n’allais pas au stade, je jetais juste un £il sur les résultats. Je n’avais plus de contact dans ce milieu.

Vous n’avez pas gardé d’amis de votre période de joueur ?

Non c’est pratiquement impossible. Si au départ une équipe de foot peut faire penser à l’esprit de camaraderie, on s’aperçoit vite que cela n’a rien à voir. Quand tu te retrouves dans un noyau de 22 joueurs et que tu ne peux mettre que onze noms sur la feuille, les déçus n’attendent qu’une chose, que tu sois blessé ou suspendu pour prendre ta place.

Ça ne vous dérange pas de replonger dans ce milieu ?

J’observe et j’analyse mais je n’ai pas pour autant de contacts avec le milieu. Parler de foot, c’est ce que je fais de mieux. J’ai l’£il passionné. Et le fait d’avoir été pro pendant quinze ans me permet d’avoir un regard de spécialiste. Il ne me faut pas une demi-heure pour analyser une tactique, un joueur.

Quel est votre avis sur le niveau du foot belge ?

En 2001, quand j’ai arrêté ma carrière, j’étais déçu du niveau. Une période de vaches maigres a suivi pendant plusieurs années. La résurrection du Standard a permis une certaine émulation qui a redonné un coup de fouet au foot belge.

Anderlecht, trop défensif

Il est difficile de se montrer positif quand on voit le niveau des play-offs…

Si Anderlecht est champion, ce sera un petit champion. Il faudrait être idiot pour dire le contraire. S’il est champion, c’est parce que le Standard vit une saison de transition, que Gand ne supporte pas la pression des play-offs, que Genk s’est réveillé trop tard et que Bruges n’a pas suffisamment de qualité pour l’ennuyer.

Il est dommage qu’avec les forces qu’ils ont, les Mauves doivent se retrancher derrière la faiblesse de l’adversaire. Quand je vois qu’ils ne parviennent pas à s’imposer à Saint-Trond, qu’ils ne prennent qu’un point sur six face à OHL, qu’ils ne s’imposent pas à domicile face à Courtrai en play-offs, ce n’est pas normal. A mon époque, les équipes se déplaçaient au Parc en se demandant avec combien de buts ils allaient repartir.

Qu’est-ce qui cloche ?

Le noyau possède de la qualité. Durant le premier tour, Anderlecht surclassait par moments ses adversaires, le jeu offensif était parfois chatoyant. Mais il n’y a pas de leader dans cette équipe, personne pour sonner la charge quand ça va moins bien. Et l’équipe est trop défensive. Je ne comprends pas comment Anderlecht peut évoluer avec deux milieux défensifs, Kljestan et Biglia, à domicile, par exemple.

Comment expliquer cette baisse de forme significative ?

Au premier tour, Jova a joué à 85 % de ses possibilités, aujourd’hui il n’est plus qu’à 60 %. Et Suarez, qui est d’après moi le meilleur joueur du championnat, marchait sur l’eau. Mbokani reste toujours le meilleur attaquant de la compétition, mais derrière ça ne suit pas.

Défensivement, Kouyaté est un peu moins intransigeant qu’au premier tour où il a quasiment tenu la baraque à lui seul. Sans Proto, qui est indiscutablement le meilleur gardien de D1, et Kouyaté, je ne sais pas ce que cela aurait donné. Wasyl fait avec ses qualités et ses défauts, Juhasz est beaucoup trop lent et mauvais à la relance. Et Deschacht s’est mis hors-jeu par ses déclarations avant que Safari ne se blesse. Au niveau de la relance, c’est catastrophique. Après avoir connu des gars comme Morten Olsen, Georges Grün, Hendrik Andersen, Celestine Babayaro, ou même Bertrand Crasson, le constat est dur. Le jeu doit partir de l’arrière dans le foot actuel et Anderlecht est incapable de le faire. C’est leur plus gros manquement. Kljestan et Biglia sont obligés de redescendre dans le jeu et quand le pressing est haut, la défense balance de longs ballons vers Mbokani qui est trop esseulé devant.

Qui est le coach idéal pour Anderlecht ?

Je reste convaincu que Preud’homme est la meilleure solution et qu’il aboutira un jour à Anderlecht. Je verrais aussi très bien quelqu’un comme Koster. Sa vision du foot concorderait parfaitement avec le style d’Anderlecht. Si Koster avait eu un bon gardien à l’époque, Daum n’aurait jamais débarqué au Club. A Bruges, ça jouait beaucoup mieux offensivement que maintenant.

Aujourd’hui, les résultats sont là…

Bruges est une énigme. Même si je n’apprécie pas forcément Daum dans ses rapports avec la presse, les chiffres parlent pour lui. Je ne mets pas en doute ses qualités car partout où il est passé il a remporté des trophées mais le foot proposé me laisse sur ma faim. Bruges, c’est pour moi le Bruges des Ceulemans, Amokachi, Verheyen, ce rouleau compresseur qui exerçait une pression continuelle sur l’adversaire. Aujourd’hui, on est à des années lumière de ce jeu-là.

Y’a-t-il une perte d’identité à cause de tous ces joueurs venus de l’étranger ?

Je reste persuadé qu’il y a moyen de faire aussi bien avec du belge. Cette recette a fonctionné pendant des années, pourquoi cela ne pourrait plus être le cas ? Le talent existe dans notre pays, mais il faut faire attention à ce qu’il ne parte pas en Hollande dès ses seize ans. S’il y a progrès ces derniers temps, il faut encore davantage donner la chance aux jeunes. Si Deschacht ne s’était pas blessé, Lukaku n’aurait jamais disputé de match durant les play-offs. Et ça, Jacobs ne me fera pas dire le contraire.

Standard, un jeu trop stéréotypé

Êtes-vous surpris de la saison du Standard ?

Avant les play-offs, j’estimais que le Standard réussissait sa saison. Aujourd’hui, c’est différent. Les Rouches devraient terminer 5e ou 6e, c’est leur place. Leur jeu est bien trop stéréotypé. Durant le mercato, les dirigeants devront transférer ce qui a manqué cette saison. Autrement dit, deux défenseurs centraux car actuellement Felipe-Kanu, ce n’est pas assez costaud. Et aussi un meneur de jeu qui est capable de donner une passe tranchante et un buteur puisque Tchité va partir. On ne peut pas débuter le championnat en comptant uniquement sur Cyriac, qui est avec Mbokani le meilleur attaquant de la compétition, mais qui est trop souvent blessé.

Riga a-t-il la dimension pour entraîner le Standard ?

Evidemment qu’il n’a pas le charisme d’un Preud’homme, d’un Bölöni, d’un Waseige ou d’un Goethals mais c’est un type intelligent, qui connaît le football. J’attendrais la saison prochaine pour me faire un avis définitif. Le noyau mis à sa disposition était trop court. De plus, l’homme est respectueux. Ce qui devient de plus en plus rare. A la place des dirigeants d’Anderlecht, je l’aurais saumâtre après les dernières déclarations de Jacobs. Il a beau être un pince-sans-rire, quand à la question -A llez-vous modifier votre onze de base ? , il répond – Je mettrai 15 noms sur la feuille et les onze premiers débuteront le match, et bien si je suis manager général d’Anderlecht, je l’appelle dans mon bureau et je lui dis : -T u te fous de la gueule de qui ?T’es pas entraîneur de Steenokkerzeel mais d’Anderlecht. J’espère qu’Ariel sera champion car sinon il va en prendre plein les dents…

Quelles différences faites-vous entre le championnat que vous avez connu de la fin des années 80 au milieu des années 90 et l’actuel ?

Une différence de talent. Le Standard ne brillait pas spécialement mais possédait des joueurs comme Van Rooij, Bodart, Cruz, Genaux, Goossens. Même Waregem possédait un type comme Richard Niederbacher. C’était bien plus talentueux dans l’ensemble. Vadis, c’est un beau joueur mais il n’arrive pas à la cheville de Ceulemans. C’est dur mais c’est comme ça. Quand tu compares Biglia-Kljestan avec des Scifo, Zetterberg, il n’y a pas photo. Le duo Jovanovic-Mbokani cassait la baraque au Standard mais s’est totalement planté à l’étranger. Quand nous, les Scifo, Preud’homme, on partait à l’étranger, ce n’était pas pour y faire de la figuration. On faisait la Une mais sur le terrain ! Le niveau général était meilleur et les stars restaient plus longtemps en Belgique. On se faisait les dents avant de quitter le pays. Aujourd’hui, si tu as un bon manager ou du moins quelqu’un qui a un bon réseau, tu peux aisément te retrouver à l’étranger. Je ne reproche rien aux joueurs, je comprends que, s’ils en ont la possibilité, ils saisissent l’occasion d’aller voir ailleurs. Mais je m’aperçois quand même d’une chose, c’est que Witsel n’a mis qu’un but cette saison avec Benfica en championnat. Dans un club qui domine le championnat portugais, ce n’est pas suffisant. Defour n’est pas titulaire à Porto, Kompany joue à Manchester City, il en est le capitaine, mais ça ne fait pas de lui un leader sur le terrain. Fellaini a des qualités mais il ne sort pas du lot à Everton. Van Buyten n’a jamais été titulaire indiscutable au Bayern. Alors que Pfaff y était titulaire, Preud’homme était un dieu à Benfica, j’ai joué cinq ans à Newcastle, Enzo était une star à Torino et à Monaco, à l’époque où le championnat français représentait autre chose qu’actuellement. Et Wilmots a gagné la Coupe de l’UEFA avec Schalke en étant un de ses éléments-clefs.

Des Diables sans leaders

Et Hazard là-dedans ?

Il est talentueux, personne ne vous dira le contraire, mais c’est encore un gamin. Un gamin dont Rudi Garcia arrive à tirer profit au contraire de Leekens. Quand tu vois jouer Hazard avec les Diables, qui est capable de dire qu’il a été le meilleur joueur d’une équipe qui a remporté le championnat français ? A Lille, il dispose d’un entraîneur qui lui fait confiance et lui permet d’évoluer à sa meilleure position. Chez les Diables, y a Leekens, et Leekens c’est Leekens : il a toujours joué défensivement et tu ne le feras pas changer de tactique. Il ne faut pas demander à Hazard de faire du travail défensif sinon il n’a plus le souffle pour vous faire la différence devant. C’est aux autres à travailler pour lui. Comme à Lille. Et au final, tu es content d’avoir travaillé si ton meilleur joueur te fait gagner un match. Mais en équipe nationale, Hazard doit jouer en fonction des autres. On peut pas lui demander de jouer comme un Timmy Simons, un Van Buyten ou un Kompany. C’est ridicule. Tant que Leekens n’ouvrira pas les yeux, il ne tirera jamais le maximum de Hazard.

Quel regard portez-vous sur le départ de Lukaku à Chelsea ?

Il a eu raison de partir. D’une part, Anderlecht réalise une affaire en or, de l’autre le joueur a signé dans un très grand club. Mais il aurait dû suivre la même voie que Courtois et être prêté. Personne n’arrive à Chelsea à 18 ans pour y être titulaire. A 33 ans, Drogba reste un monstre que ce soit au niveau offensif mais aussi défensif. Et même s’il connaît une mauvaise passe, tu ne vas pas bouger Torres. Lukaku a été mal aiguillé sur le coup. Si De Bruyne n’est pas prêté, il va connaître le même sort que Lukaku. A l’heure actuelle, il n’a pas la carrure. Dans deux-trois-quatre ans, ce sera autre chose.

Optimiste quant à la qualification des Diables pour la Coupe du Monde ?

J’espère de tout mon c£ur qu’on y sera mais ça ne va pas être facile. Il faudra aussi évoluer en fonction de nos qualités et arrêter de tout le temps jouer défensivement. Avec un tel groupe, tu ne dois pas baser ton jeu sur celui de l’adversaire.

Vous n’êtes donc pas négatif par rapport au potentiel de l’équipe ?

Au niveau potentiel, qualités pures, on n’a jamais eu un tel groupe. On est même plus fort que l’Espagne. Mais quand j’évoque le talent c’est encore autre chose : ça comprend la mentalité, l’esprit d’équipe, le charisme, le leadership. Et ça, il en manque cruellement. Et puis, on commence par un déplacement au Pays de Galles devant 70.000 personnes qui sera le premier match à enjeu après le suicide de Gary Speed. Tu as intérêt à être présent physiquement et mettre la semelle dès le début car tu vas t’en prendre. Et puis, les autres équipes sont aussi costaudes. C’est vraiment un groupe très difficile. Si tu passes au travers comme face à l’Allemagne ou l’Autriche, tu ne te qualifieras pas. Mais la Fédération offrira quand même un nouveau contrat à Leekens… Guy Thys en a pris plein la gueule alors qu’il réalisait des résultats exceptionnels, Van Himst aussi… Il y a des choses que je ne comprends pas. C’est pour ça aussi que je ne me retrouve pas dans le foot actuel. Tu peux me donner vingt ans de moins et dix millions d’euros en plus, je ne voudrais pas changer ma vie. D’ailleurs, je pense que si j’avais 20 ans aujourd’hui, je postule à l’usine où mon père travaillait plutôt que d’être footballeur pro.

A notre époque déjà, on avait des caractères bien trempés mais quand on avait un problème avec un journaliste on allait le trouver et on arrondissait les angles. Maintenant, les joueurs refusent de parler à la presse mais dans les 30 minutes qui suivent, tout est sur twitter. C’est n’importe quoi ! Ils n’ont pas les couilles, c’est tout. Ça joue les durs mais ils n’ont rien…

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ HAMERS

 » Quand tu vois jouer Hazard avec les Diables, qui est capable de dire qu’il a été le meilleur joueur de L1 ? »

 » Les Diables doivent évoluer en fonction de leurs qualités et arrêter de tout le temps jouer défensivement. « 

 » Si j’avais 20 ans aujourd’hui, je postule à l’usine où mon père travaillait plutôt que d’être footballeur pro. « 

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