Ça fait vendre!

Pas de surprises majeures dans les premiers jours du 115e US Open, mais de nombreuses polémiques chez les femmes.

Martina Hingis a fait fort le magazine américain Time. Dans un article consacré à l’impitoyable rivalité qui sévit sur le circuit féminin, la Suissesse tient des propos sujets à interprétation sur les soeurs Williams: « Le fait qu’elles soient noires n’a fait que les aider tout au long de leur carrière. Souvent, elles ont décroché des contrats publicitaires grâce à la couleur de leur peau. Et elles ont eu de nombreux avantages car elles peuvent se retrancher derrière la question du racisme. En cas de problèmes, elles peuvent toujours dire qu’ils sont arrivés parce qu’elles sont noires ».

Pareils propos, on l’imagine, ont jeté de l’huile sur le feu d’un sujet qui n’en avait pas besoin. D’autant plus qu’ils trouvèrent en la personne de Martina Navratilova un soutien de poids.  » Venus et Serena Williams ont été traitées avec des gants », dit l’ancienne numéro un mondiale en revenant sur l’épisode qui eut pour principal acteur Richard Williams, l’excentrique père des joueuses, juste après la finale de l’US Open 2000 remportée par Venus au détriment de Lindsay Davenport. « Si Mr Williams avait été blanc et qu’il aurait effectué cette danse de victoire à même le court sous le nez de Lindsay, il aurait été sévèrement critiqué pour ce manque de respect. Les gens, et les médias en particulier, ont eu peur de le critiquer afin de pas être traités de racistes ».

Et Navratilova de poursuivre: « Jamais elles ne félicitent leurs adversaires après un match. Elles ont peur de montrer le moindre signe d’humilité. Etre humble ne veut pas dire être faible ».

Impitoyable tennis féminin où même si les actrices visent toutes le même objectif, elles le poursuivent chacune à leur manière. A commencer par les soeurs Williams. « Les gens me critiquent parce qu’ils me trouvent arrogante », expliqua Venus lors du dernier tournoi de préparation avant l’US Open à New Haven. « Peut-être est-ce parce que je suis plus intelligente que les autres. Peut-être est-ce aussi parce que lorsqu’on me pose des questions idiotes, je ne réponds pas et je parais prétentieuse ».

790 millions pour les Williams

Le temps est passé où ces deux joueuses au sacré tempérament étaient vues par leurs collègues du circuit comme un don du ciel. Avec l’émergence de Venus, l’aînée, et de Serena, la cadette, tout le monde allait profiter du regain d’intérêt qu’elles généraient pour l’ensemble du tennis en jupes. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’à ce que l’argent, celui-là même que chacune allait pouvoir palper davantage, ne penche nettement en faveur des Afro-Américaines. Rien qu’en contrats publicitaires, les soeurs Williams pèsent aujourd’hui 17,5 millions de dollars à elles deux (790 millions de francs). A deux, elles ont gagné 32 tournois dont 4 du Grand Chelem (parmi lesquels les deux derniers US Open).

La moisson aurait été plus grande encore si l’une et l’autre ne suivaient à l’automne des cours dans une école de mode à Fort Lauderdale, en Floride. Leur rêve est de créer ensemble une ligne vestimentaire. Et si Venus fut classée 4e mondiale avant l’US Open et Serena 10e, c’est parce que le classement de la WTA tient compte des 17 meilleurs résultats enregistrés au cours des 52 semaines écoulées.

Plusieurs joueuses ont critiqué les soeurs Williams parce qu’elles ne remplissent pas leur rôle à fond.

Qu’elles fassent toutefois attention à ce qu’elles disent car les choses pourraient très bien changer très rapidement. Tant Serena que Venus répètent qu’elles disputeront une saison complète en 2002.

« Je veux disputer davantage de tournois pour améliorer mon classement. Je veux être numéro un mondiale, c’est pourquoi je ne retournerai pas à l’école cet automne », explique Serena avant d’ajouter. « Enfin, au lieu de six cours, je n’en prendrai que deux ».

Sur la question scolaire, Venus est aussi ambiguë que sa soeur. D’un côté, elle déclare à l’envi qu’elle vise la première place mondiale détenue depuis trop longtemps par la grande rivale Hingis. De l’autre, elle répète que le jour où elle recevra son diplôme sera le plus beau jour de sa vie.

Elles font plus que jouer

Tout l’intérêt du tennis féminin est là. Car les filles d’aujourd’hui possèdent davantage qu’un beau revers ou un service canon. Le côté glamour de championnes toujours plus jeunes contribue pour une grande part à la popularité grandissante d’un sport qui, fait unique aux Etats-Unis, intéresse davantage que sa version masculine.

Il n’y a pas si longtemps que cela, les sportives, quelles que soient leurs disciplines, étaient solidaires car elles recherchaient toutes leur légitimité. Parmi les grandes combattantes pour la reconnaissance du sport féminin, il y eut Billie Jean King et, dans une autre mesure, Navratilova dont le combat en faveur de l’acceptation de l’homosexualité se poursuit.

Mais quand un sport féminin commence à manipuler beaucoup d’argent, le venin n’est plus loin. Et n’importe quel homme le dira: quand il s’agit de se critiquer entre elles, les femmes peuvent être redoutables. Tous les coups sont permis, même les plus bas.

Une récente étude menée par le quotidien USA Today démontre que 75% des fans préfèrent le tennis féminin. Ses audiences télévisées sont nettement et régulièrement plus élevées que celles des hommes. Le magazine financier américain Forbes a établi un classement des 100 plus grosses personnalités des Etats-Unis. Il fait apparaître cinq joueuses de tennis: Kournikova, qui arrive au 54e rang, Venus Williams (57e), Hingis (65e), Serena Williams (71e) et Davenport (72e). Aucun autre sport, masculin ou féminin, n’a autant de représentants dans la liste!

La finale en prime-time

On comprend donc pourquoi la finale féminine de l’US Open sera disputée pour la première fois samedi en prime-time (19h30 à New York). Jamais un network américain n’a diffusé un match de Grand Chelem à cette heure de grande audience. La seule expérience dans le domaine remonte à 1973 avec le « combat des sexes » entre Billie Jean King et Bobby Riggs, un ancien champion qui prétendait être encore capable de battre les professionnels de l’époque alors qu’il était agé de 50 ans!

Les drames qui se nouent autour des courts ou dans les vestiaires sont là pour alimenter cette popularité. Ils sont une sorte de don du ciel que beaucoup d’autres sports moins exposés au feu des projecteurs envient. Plus jeune numéro un mondiale de l’histoire en 1997, Martina Hingis n’est plus qu’une numéro 1 en sursis. Bien que leader du classement WTA pendant 203 semaines avant l’US Open, dont 66 d’affilée depuis le 5 mai 2000, sa position est sérieusement menacée à Flushing Meadow, conséquence d’une saison où si la Suissesse a gagné trois tournois, elle a aussi, et surtout, été battue à de multiples reprises en demi-finales d’épreuves par toutes les grandes joueuses du circuit.

Qui n’a pas entendu parler du drame qui aurait pu coûter la vie à Monica Seles en 1993, dans un tournoi à Hambourg, alors que sa rivalité avec Steffi Graf battait son plein? Et on sait tout de l’incroyable come-back effectué cette année par Jennifer Capriati, plus jeune demi-finaliste à Roland Garros en 1991: sa richesse quand elle n’était qu’une adolescente, ses vols à l’étalage, son arrestation pour détention de stupéfiants, ses cures de désintoxication et sa spectaculaire remontée au classement où elle apparaît aujourd’hui à la 2e place mondiale.

« Il s’agit de la plus belle histoire du sport de ces vingt dernières années », n’hésite pas à commenter John McEnroe, consultant pour la chaîne CBS durant l’Open américain, qui voit une demi-finale entre Capriati et Venus. « Ce serait un p…. de match! »

« J’ai voulu montrer au public que je ne suis plus une adolescente rebelle », explique Capriati. « J’ai dû apprendre à m’aimer et à aimer ma famille. Aujourd’hui, j’ai retrouvé l’envie et le goût du jeu et cela se traduit par de bons résultats ».

Capriati connaît la vérité

L’une des joueuses les plus en vue du circuit, Capriati a également appris à gérer la présence des Williams et à s’imposer dans cette jungle. Quand Serena met sa défaite en quart de finale à Wimbledon sur le compte d’une intoxication alimentaire, la réponse ne se fait pas attendre. « A chaque fois que je l’affronte, elle trouve toujours une excuse. Je connais la vérité et je crois que le public la connaît également », dit Jenny.

L’univers du tennis féminin est rempli de disputes. Certaines restent privées, d’autres entrent dans le domaine public. Comme celle qui a opposé Hingis à Kournikova. Il n’y a pas si longtemps, les deux joueuses étaient les meilleures amies du monde, au point de disputer les doubles ensemble.

« C’est de l’histoire ancienne », comme le raconte Lindsay Davenport. « Martina et Anna visaient le même marché et cela n’a pas fonctionné. Elles ont eu une violente altercation au Chili. Des fleurs ont volé et elles se sont injuriées ».

Peut-être la femme la plus photographiée du monde, Kournikova est la première à avoir fait entrer la discipline dans une autre dimension. Lorsque cette fille née en Russie et élevée en Floride par Nick Bollettieri fait son apparition sur le circuit fin 1995, les autres ne tardent pas à être jalouses de cette blonde sûre d’elle, au physique très avantageux mais aux qualités tennistiques plus discutables. Elles estimèrent qu’elle tirait une grande partie de ses plantureux contrats de ses attraits extérieurs. L’avenir ne leur a pas donné tort. Absente à New York en raison d’une fracture de fatigue au pied qui tarde à guérir, Kournikova n’a toujours pas remporté le moindre titre sur le circuit. Nombreux sont ceux qui estiment qu’un tel événement n’arrivera jamais.

Serena défend Kournikova

Pas Serena Williams, qui déclare au sujet de la Russe : « Grâce à elle, davantage de gens s’intéressent aujourd’hui au tennis féminin, peut-être même aux sports féminins en général. N’importe quelle publicité est bonne à prendre parce que cela attire plus de jeunes et ceux-ci ont davantage de modèles dont ils peuvent s’inspirer ».

Quel que soit l’avis des joueuses, les soeurs Williams en auront de toute façon un autre. Il n’y a pas que la couleur de leur peau qui soit différente. Venus et Serena sont différentes et elles entendent le rester. Outre le fait qu’elles vivent ensemble, elles s’entraînent ensemble, s’alignent ensemble en double, partagent la chambre d’hôtel en tournois et s’assoient côte à côte lorsqu’elles vont à l’école. Tout contact avec le monde extérieur est limité au strict minimum. Il ne faut pas s’étonner si leurs seules amies sur le Tour se nomment Alexandra Stevenson et Chanda Rubin, deux autres Afro-Américaines.

Difficile de vouloir à tout prix battre la fille qui se trouve de l’autre côté du filet quand, dans les veines de celle-ci, coule le même sang. Richard Williams fait tout ce qu’il peut pour éviter le choc familial en n’inscrivant pas ses filles dans les mêmes tournois. Et s’il devient inévitable, comme ce fut le cas en demi-finale à Indian Wells, Venus déclare forfait en dernière minute, laissant la voie libre à Serena. Durant toute la durée de sa finale face à Kim Clijsters, la cadette se fit copieusement huer par le public californien. Le soir-même tombaient les premières dépêches faisant état de la colère du père Williams. « Racisme », cria le paternel. « Racisme », répéta-t-il pour être sûr qu’on l’avait bien entendu.

Aux dires des principales intéressées, les liens du sang n’empêchent pas une rivalité de s’installer entre elles. « Elle existe déjà et continuera à être alimentée à l’avenir », expliqua Serena après sa qualification pour son huitième de finale contre Justine Henin. « Mais elle se cantonne aux courts. Une fois que nous nous sommes serrées la main, tout rentre dans l’ordre ».

« La seule rivalité qui soit est celle qui a opposé Martina Navratilova à Chris Evert« , expose de son côté Monica Seles. « Celle entre moi et Steffi a été interrompue juste avant qu’elle ne devienne réelle. Le circuit actuel possède des joueuses susceptibles d’en créer une nouvelle mais il faudra attendre encore quelques années ».

Paolo Leonardi, à New York

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