Ça discute ferme

Installé au grand air avec sa famille, ce magnifique gaucher vit toujours sa passion pour le football au grand galop.

C’est avec joie que Bruno Versavel évoque les deux clubs où il a tracé ses plus beaux sillons : Malines et Anderlecht. Même si les saisons ont passé depuis ses premières récoltes dans les champs de D1 (le 31 août 1986, il gagne 1-0 avec Lokeren contre le Racing Jet), cet artiste n’est jamais repu à la table du football. L’ancien Diable Rouge est revenu à Diest, le club de ses débuts. Le football restera toujours le fil rouge de sa vie. Et si le ciel reste bleu pour lui, Versavel devrait encore jouer deux ans. A 39 ans, il sera alors temps de vivre d’autres moissons. Sa ligne est restée intacte. Cela peut s’expliquer par ses activités dans la ferme qu’il a achetée il y a un an et demi à Zelem dans le Limbourg. Là, le travail ne manque pas. Les animaux veulent leur petit déjeuner tous les jours à la même heure. En cas de retard, ils n’hésiteraient pas à donner une carte jaune à Versavel, gentleman-farmer heureux avec sa femme et leurs deux filles.

Pourquoi avez-vous opté pour cette vie à la campagne ?

Bruno Versavel : Quand nous avons pris cette décision, nous vivions dans une villa avec tout le confort à la clef. Lisa et Lotte avaient déjà découvert les joies du jumping. Nos gamines avaient leur cheval et cette passion prenait de plus en plus de place dans la vie de notre famille. A la longue, et après de longues discussions, nous avions décidé de vivre à la campagne. J’ai déniché cette ferme et un terrain d’un bon hectare. C’est suffisant pour nos chevaux, les poneys, les ânes, les moutons, les chiens, les chats et la petite basse-cour. Lisa et Lotte suivent des cours de jumpings et sont assez douées. Des leçons et stages aux concours, j’ai découvert un monde que je ne connaissais pas du tout. Cela coûte quand même assez cher. Une selle, ce n’est pas donné. Et il faut un camion afin de voyager avec les chevaux. La Belgique compte de grands cavaliers et d’excellents chevaux. J’espère acheter des champs autour de la ferme. Non, je ne me lancerai pas dans la culture ou l’élevage à grande échelle mais ces surfaces supplémentaires me permettraient d’avoir notre propre fourrage. Mais ce n’est pas pour tout de suite. Il y a encore du boulot autour de la ferme. J’adore mais j’avais peut-être un peu sous-estimé tout le travail que cela exige. De toute manière, les animaux me procurent beaucoup de joie et ma famille est heureuse.

 » Je joue encore à Diest  »

Entre le soin apporté à vos chevaux, vous galopez d’un terrain de football à l’autre : quel est le secret de cette énergie ?

Le football a été et reste ma vie. J’entraîne les Juniors UEFA de Turnhout et le but est de propulser chaque année un ou deux jeunes dans l’effectif de l’équipe Première. A mon avis, presque tout se joue entre 16 et 18 ans. Et on égare beaucoup de talents dans cette tranche d’âge. Je veux les aider, leur offrir mon expérience. Il faut travailler, s’accrocher, y croire, miser sur ses atouts. Tout est possible en football. Je cite souvent les cas de Daniel Van Buyten à mes jeunes. Je ne suis pas sûr que ce joueur brillerait s’il revenait en Belgique mais il s’est imposé en Allemagne après avoir fait parler de lui en France et en Angleterre. Van Buyten n’est pas le plus doué mais il réalise une belle carrière en n’ayant qu’un très gros atout : sa taille. Cela doit faire réfléchir. Je joue encore à Diest. Mon rôle consiste à distribuer le jeu. Avec mon frère, Patrick, et des amis, nous avons l’envie de rendre de l’espoir à ce club qui a connu des heures de gloire en D1 et en D2. C’est une terre de football. Diest est en P3 et le but est de revenir en Promotion dans un délai de cinq ans. J’espère jouer encore deux ans. Je vais aussi suivre les cours de l’école des entraîneurs. Mon ambition est de coacher en D2 ou en D3 et peut-être plus haut, qui sait ?

Malines est revenu en D1 : qu’est-ce club a représenté pour vous ?

Je venais de passer mes deux premières saisons en D1 avec Lokeren. Aimé Anthuenis m’avait à l’£il et me contacta via mes frères Patrick, qui, jouait au Daknam, et le plus ancien de notre fratrie, Lucien. Après Diest, Lokeren représentait une transition très intéressante. J’étais gratuit car Diest avait oublié de me proposer un contrat. Lokeren, c’était parfait et on a décroché un billet européen. A peine arrivé à Malines en 1988, je suis devenu international contre le Brésil. Un grand souvenir car à Anvers (1-2) je me suis retrouvé face à Romario. Malines, c’était une autre planète que Lokeren. Paul Courant et Aad de Mos ont bâti une équipe de classe européenne avec la bénédiction d’un grand président, John Cordier. Quelque mois avant que je débarque derrière les casernes, en même temps que Marc Wilmots qui venait de Saint-Trond, Malines avait battu l’Ajax en finale de la Coupe des Coupes (1-0, but de Piet den Boer) à Strasbourg. Paul Courant m’avait dit : -On ne peut te payer que si on gagne la Coupe des Coupes. J’ai sauté de joie quand Piet den Boer a marqué. Lokeren a encaissé près d’un million d’euros. On ne faisait pas mieux que Malines en Belgique. Cette formation était redoutable avec les Michel Preud’homme, Graeme Rutjes, Lei Clijsters, Marc Emmers, Erwin Koeman, Elie Ohana, etc. Je devais jouer à l’arrière gauche ou dans la ligne médiane. L’accueil ne me posa aucun problème. Aad de Mos avait soudé un bloc solide à toutes épreuves. Il y avait de tout dans cet effectif : technique, vitesse, caractère, jeunesse, expérience, taille, intelligence de jeu, ambition. Les anciens nous surveillaient. Pas question de planer avec Clijsters qui avait l’art de nous ramener sur terre. Malines n’était pas facile à manier et, en Belgique, une de nos bêtes noires était Liège qui était solide et bien préparé. J’ai encore en tête les déboulés du grand Luc Ernès sur son flanc droit.

Je me souviens d’un de Mos narguant Robert Waseige devant son petit banc : en plein match…

Aad de Mos vivait ses matches à fond. Il était totalement avec nous. Je n’aime pas les coaches qui ne bronchent jamais. Le Hollandais dépassait parfois les bornes mais le FC Malinois avait une poigne, une pression au quotidien pour se dépasser et souder son collectif. Pour lui, le moindre détail était important. de Mos était même plus superstitieux que Preud’homme. Ce qui n’était pas rien. Il adorait arriver au stade avant l’équipe adverse. Il estimait que cela mettait les autres mal à l’aise en prouvant par ce détail que nous travaillons déjà. C’était, pensait-il, un acquis psychologique avant le début de la rencontre.

 » Aad de Mos était spécial  »

Un maniaque quoi…

Oui et je ne dis pas que c’était facile à vivre tous les jours mais Malines ne serait pas devenu Malines sans cela. Il régnait une belle ambiance au stade. Une ville communiait avec son club. Le retour de Malines en D1 est une bénédiction pour le championnat. C’est un come-back qui me fait réellement plaisir. Et, croyez-moi, on parlera souvent de l’entraîneur de Malines, Peter Maes, qui a tout pour réussir une belle carrière. Aad de Mos était spécial mais si j’ai découvert la D1 à Lokeren, je suis devenu un vrai professionnel et un gagneur à Malines, c’est grâce à lui. Il voyait tout. Un jour, son adjoint, Fi Vanhoof, m’a dit :-Tu n’as pas un bon jeu de tête. On va arranger cela. J’ai travaillé et re-travaillé ma détente. Aad de Mos venait jeter un coup d’oeil de temps en temps. Et cela a payé, je suis devenu valable dans le trafic aérien. Aad de Mos vous forçait à devenir meilleur. Je me suis adapté mais ce n’était pas facile. Wilmots a même éprouvé plus de problèmes que moi tellement ce groupe était doué. La saison suivante, Philippe Albert souqua pour trouver ses marques.

Anderlecht était dans la roue de Malines quand les deux clubs se sont rencontrés en Coupe de l’UEFA : quels duels de prestige…

Ce furent les grands moments de la saison 1988-89. Deux clubs belges qui se rencontrent en Coupe d’Europe, cela n’arrive pas tous les jours. Malines a gagné les deux matches : 1-0 (Wilmots) chez nous, 0-2 (Koeman, Ohana) à Bruxelles. Superbe, évidemment. Je me souviens surtout du match à Anderlecht. Il fallait se lever tôt pour surprendre notre défense. C’était un des atouts de Malines. Preud’homme était au top. Il ne voulait jamais encaisser un but, que ce soit en match ou à l’entraînement. Clijsters organisait la défense, était infranchissable homme contre homme et sortait bien pour créer le surnombre dans l’entrejeu. Preud’homme signait de longs dégagements très précis pour les attaquants. Malines alternait bien le jeu court et la profondeur. Anderlecht n’a jamais trouvé la parade. On a fait la fête mais sans plus car les matches s’enchaînaient. Malines gagna aussi la Supercoupe d’Europe…

Mais Anderlecht, déçu, avait la culture du sommet et Malines, radieux, pas : est-ce pour cela que le premier a retrouvé sa place et que le second a failli mourir ?

Probablement. Malines ne pouvait pas se permettre le moindre problème. En fin 1991, le président a rencontré de grosses difficultés dans son entreprise, Telindus. La presse annonça le licenciement de 150 personnes. Je crois que ce fut l’arrêt de mort du grand FC Malinois. En décembre, Anderlecht m’acheta ainsi que Marc Emmers et Philippe Albert pour plus ou moins 3.750.000 euros en tout. Mes équipiers ont pu terminer la saison à Malines. Mais, moi, Anderlecht me voilait tout de suite. Je me suis hélas fracturé le péroné à Waregem et je suis arrivé blessé.

De Mos était-il le même à Anderlecht ?

J’ai été accueilli très agréablement à Bruxelles. Michel Verschueren régla le transfert en une semaine. Là, j’ai compris ce qu’était le top. Tout est fait pour que les joueurs ne songent qu’au football. Ils ont l’habitude de la gagne, ne sont pas facilement déstabilisés. Mes amis et mon frère m’avaient dit : -Pourquoi vas-tu chez ces dikke nekken. Tu vas aussi devenir un gros cou. Leur raisonnement était faux. J’étais chez moi à Anderlecht. On m’en a voulu à Malines. J’y ai été sifflé avec Anderlecht. Or, c’est Malines qui m’a transféré pour résoudre ses problèmes financiers.

Et de Mos ?

Je n’ai pas retrouvé le même de Mos à Anderlecht. Le courant ne passait pas très bien avec les francophones. La compréhension n’était pas maximale. Aad de Mos voulait travailler comme il le faisait à Malines. C’était impossible. Il a créé de grands joueurs à Malines mais, à Anderlecht, il y avait des vedettes. C’est très différent.

 » Je n’ai jamais autant ri qu’avec Raymond Goethals  »

Est-ce l’entraîneur qui vous a le plus impressionné à Anderlecht ?

Non.

Qui avait plus de charisme que lui ?

Raymond Goethals et ce n’était pas que du charisme.

Sa vision du football était-elle plus vaste que celle de de Mos ?

Oui. Il a dépanné à Anderlecht qui s’était séparé d’Herbert Neumann. C’était avant un match européen à Ferencvaros. Je n’ai jamais autant ri qu’avec Raymond Goethals. Mais personne ne préparait un match comme lui. C’était juste, logique, intelligent, brillant. Son prestige était immense. J’étais impressionné…

Mais lequel avez-vous préféré ?

Johan Boskamp.

Pourquoi ?

Tout était simple avec lui. Aad de Mos pressait son groupe. Il imposait un stress permanent. C’était sa façon de travailler mais il y avait parfois des explosions. Boskamp se fâchait mais c’était différent. Cela finissait toujours sur une tape dans le dos.

Et autour d’une dame blanche ?

Une ou deux, oui c’est ça ! Mais cela marchait. Les joueurs se seraient jetés au feu pour Boskamp. J’ai gagné trois titres et une Coupe de Belgique avec Anderlecht : que demander de plus ? Je suis resté six ans à Anderlecht. Je suis parti trop tôt car la direction ne voulait pas me proposer un contrat à long terme. J’aurais dû accepter son offre : quelle erreur. Après la finale de Coupe de Belgique perdue contre Ekeren, j’ai appris que Pérouse, où j’avais signé, filait vers la Série B. C’est loin tout ça. Et si on faisait le tour de la ferme ? Je vais vous montrer mon nouvel univers. Nous avons tout transformé : le grenier, les étables, tout le rez-de-chaussée. Une des façades restera dans son état original. Des Hollandais m’ont déjà proposé de racheter la ferme.

Pourvu que ce ne soit pas Aad de Mos. Vous êtes vraiment heureux dans votre ferme, cela se voit…

Oui, je me sens bien ici…

par pierre bilic – photos : reporters

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire