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 » C’ÉTAIT UN EXCELLENT DANSEUR « 

Après vingt ans passés en Angleterre, Roberto Martínez est devenu plus britannique qu’espagnol. Sport/Foot Magazine est parti sur les traces du nouveau sélectionneur des Diables Rouges en Angleterre et au Pays de Galles.

« Roberto plante une semence, la laisse se développer puis en récolte les fruits « , dit Graham Barrow (62) en regardant les terrains d’entraînement de Wigan Athletic. En Angleterre aussi, la désignation de RobertoMartínez à la tête des Diables Rouges a surpris mais Barrow le connaît par coeur, il sait combien son ancien poulain est intelligent. Barrow peut se targuer d’avoir lancé la carrière de Martínez en Angleterre.

C’est lui qui, en 1995, est allé le chercher à Balaguer, en D3 espagnole, et l’a aligné dans l’entrejeu de Wigan. Quatorze ans plus tard, lorsqu’il est devenu entraîneur des Latics, Martínez a exigé d’avoir Barrow comme adjoint. Aujourd’hui, celui-ci est toujours T2 du club évoluant en Championship.

 » La Belgique n’a aucun souci à se faire « , dit Barrow.  » Roberto n’a certes aucune expérience en tant que sélectionneur fédéral mais il n’a pas son pareil pour préparer une rencontre. Ce n’est pas pour rien qu’il a remporté la Coupe d’Angleterre avec Wigan et qu’il a atteint les demi-finales de la FA Cup et de la League Cup l’an dernier avec Everton.  »

THE THREE AMIGOS

Dès son arrivée à Wigan, en 1995, Martínez faisait souffler un vent nouveau sur le football britannique. A l’époque, la Premier League n’existait pas encore, le championnat n’était pas encore le théâtre au sein duquel se produisent les meilleurs joueurs et entraîneurs d’Europe. Dave Whelan, un ancien joueur professionnel devenu homme d’affaires, avait repris Wigan Athletic et il avait des ambitions. Un de ses magasins de sport, en Catalogne, était tenu par un fou de foot qui, occasionnellement, jouait les scouts et les agents. C’est lui qui avait renseigné à Whelan trois joueurs doués de D3 : Jesus Seba, Isidro Diaz et Roberto Martínez.

 » En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, j’étais dans un avion en direction de Barcelone pour aller voir ces trois joueurs à Balaguer  » , dit Barrow.  » Roberto m’a tout de suite tapé dans l’oeil : il se déplaçait intelligemment et, comme il n’était pas très rapide, il réfléchissait beaucoup. J’avais besoin d’un joueur comme lui car je voulais m’écarter du football typiquement britannique en 4-4-2 avec de longs ballons.

Je voulais un libero devant la défense, un joueur capable de donner un coup de main derrière et de distribuer le jeu. Roberto était fait pour ça, même si je dois dire qu’un joueur de Las Palmas m’avait bien plu aussi. Je me suis renseigné mais il avait déjà signé à l’Atlético Madrid : c’était Juan Carlos Valerón.  »

A Wigan, à mi-chemin entre Liverpool et Manchester, Jesus, Isidro et Roberto furent vite rebaptisés The Three Amigos.  » Leur plus grand problème, c’était la langue. J’avais fait venir un interprète mais il ne parlait pas bien espagnol. Un jour, Roberto s’est mis à parler anglais. Il ne supportait plus les fautes de l’interprète. En fait, il comprenait tout depuis le début, il nous avait menés en bateau.

Là, je me suis dit que j’avais affaire à un type qui réfléchissait avant de prendre une décision. Roberto a toujours été comme ça, c’est un perfectionniste qui veut tout contrôler. Il était le plus ambitieux et le moins casanier des trois Espagnols. Je ne l’ai jamais entendu dire qu’il avait le mal du pays.  »

The Three Amigos sont vite devenus populaires à Wigan, où Roberto, Isidro et Jesus dansaient quand ils marquaient. Ils ne vivaient que pour le football. Roberto ne buvait et ne boit toujours pas d’alcool, il mangeait le moins gras possible et accordait beaucoup d’importance au repos. Barrow suppose que son passé de physiothérapeute y était pour beaucoup.

 » J’en faisais un exemple pour les autres car, dans ces années-là, les joueurs se donnaient à fond pendant 90 minutes sur le terrain mais ils faisaient n’importe quoi en dehors. Cela énervait parfois Roberto mais il ne montrait personne du doigt, au contraire : lorsque les joueurs sortaient, il les accompagnait. Et il passait beaucoup de temps sur la piste de danse. C’était un excellent danseur et il n’avait pas besoin de boire pour cela.  »

DANSEUR INVÉTÉRÉ

A 28 ans, après 187 matches et un titre en D4, Martínez estima qu’il était temps de franchir une étape. Il mit le cap sur Motherwell, un club du milieu de classement de D1 écossaise. Mais peu après la signature de son contrat, le club, en difficultés financières, fut placé sous curatelle et les contrats furent rompus. C’est en Ecosse que Martínez rencontra son épouse, Beth, qui le suivit en Angleterre. Il joua d’abord à Walsall, en D2 (6 matches seulement) puis, à partir de 2003, à Swansea, au sud du Pays de Galles.

A Swansea, dont les mines accueillirent de nombreux immigrés après la guerre, les cafés et restaurants italiens, espagnols et portugais sont nombreux. Roberto Martínez s’y sentait comme chez lui. La mentalité galloise est proche de la mentalité catalane propre à cet admirateur du Barça de Cruijff.

Martínez avait 30 ans et était capitaine de Swansea. Dans l’entrejeu, il évoluait aux côtés de Leon Britton, un Londonien frêle mais doué techniquement. Il l’avait pris sous son aile et partageait sa chambre avec lui lors des déplacements. Treize ans plus tard, Britton est toujours à Swansea, dont il est la figure de proue. C’est avec plaisir qu’il évoque son ancien équipier et entraîneur, dont il a également retenu l’image de danseur invétéré.

 » Je me souviens d’une sortie de l’équipe à Majorque, au terme de la saison. Roberto a passé toute la nuit sur la piste de danse. Beaucoup de gens pensaient qu’il était saoul alors qu’il n’avait bu que de l’eau pétillante. J’ai bien rigolé lorsque je l’ai vu l’an dernier sur une vidéo YouTube, lors d’un concert de Jason Derulo. Il est très professionnel mais c’est un type amusant. Nous partagions la même chambre. Il vivait comme un ascète mais il ne m’a jamais rien reproché. Il avait l’art de dire les choses. Si je buvais un Coca, il me disait : C’est comme si tu mettais du parfum dans le réservoir d’une Ferrari. Tu as besoin d’essence. »

Comme il ne s’entendait pas avec Kenny Jacket, qui pratiquait le kick-and-rush, il décida de partir à Chester, en 2006, où Graham Barrow le voulait à tout prix. Mais un an plus tard, Dave Whelan le rappelait à Swansea… pour remplacer Jacket. Roberto avait 33 ans. Il aurait pu continuer à jouer mais ne voulait pas laisser passer cette chance. La première intention était de l’utiliser comme joueur-entraîneur mais comme la période des transferts était terminée, il ne pouvait plus jouer.

 » Au début, ce fut difficile « , dit Britton.  » Un an plus tôt, je partageais sa chambre, nous allions boire un café ou manger un bout chaque jour et soudain, il devenait mon boss. Le jour où il est devenu entraîneur, j’ai compris que je perdais un ami. Mais il a été intelligent. Avant son premier entraînement, il a discuté individuellement avec tout le monde. Il a dit qu’il restait un ami mais que certaines choses allaient changer.  »

DE JUDAS AU WALK OF FAME

Roberto continua cependant à aller presque chaque jour au restaurant espagnol Paco’s, souvent en compagnie de toute l’équipe. Il y occupait systématiquement la table 35 et mangeait pratiquement chaque jour au bar. Lorsque l’équipe jouait en déplacement, il commandait un repas pour tout le monde. En 2009, lorsque Roberto s’en alla à Wigan, Paco vendit son restaurant.

Les fans de Swansea n’apprécièrent guère ce départ pour Wigan, traitant même Martínez de Judas. Quand il était revenu à Swansea, il avait en effet déclaré qu’il ne quitterait le Pays de Galles que dans un cercueil.  » Les gens étaient surtout très déçus d’avoir perdu un bon entraîneur « , dit Leon Britton.  » C’est lui qui, avec son professionnalisme, a jeté les bases de la montée en Premier League, deux ans plus tard.  »

Il allait ensuite maintenir Wigan pendant trois ans en Premier League, remportant même la Coupe d’Angleterre en 2013 (1-0 face à Manchester City à Wembley).  » He’s a legend  » , affirme Ed Jones, responsable de la communication du club depuis 15 ans.  » Il est vrai que, cette année-là, nous sommes descendus mais beaucoup lui ont pardonné car gagner la FA Cup était bien plus important pour la ville.  »

Ce jour-là, le point culminant de Wigan fut rebaptisé Believe Square parce que c’est là que les supporters fêtèrent le succès de leur club. Un Walk of Fame y a été aménagé. Dave Whelan et Roberto Martínez y ont une étoile. C’est donc par la grande porte que l’Espagnol, devenu citoyen britannique, quittait le club.

 » Son héritage est encore bien présent « , dit Ed Jones en montrant les tribunes.  » Nous avons 15.000 supporters de moyenne. Pour Steve Bruce, le prédécesseur de Roberto, c’était trop peu. Il faut dire qu’il avait joué à Manchester United. Bobby, comme nous l’appelions, trouvait que c’était bien. Il voyait toujours le verre à moitié plein. Cet enthousiasme faisait en sorte qu’il était très agréable de travailler avec lui.

Il nous laissait beaucoup de marge de manoeuvre mais exigeait que nous gardions toujours le contrôle. En matière de communication, c’était un maître dans l’art de parler beaucoup sans rien dire (il rit). Et quand il se grattait l’oreille, ça voulait dire que je devais le débarrasser d’un journaliste. Il avait vraiment tout prévu.  »

Ed nous emmène dans le vestiaire. Nous passons devant un mur rempli de photos d’ex-joueurs de Wigan.  » Ce sont les ex-internationaux du club. Roberto a demandé qu’on les mette en valeur afin qu’ils soient une source de motivation pour les autres. Il avait vu cela en Espagne.  »

Il nous montre un autre mur, qui sépare le vestiaire en deux : Bobby’s Wall. Il ne voulait pas que les joueurs et le staff partagent le même vestiaire. Du côté des joueurs, il avait fait placer un grand écran interactif dont il se servait pour donner des consignes tactiques. Il était très high-tech.  »

POSSÉDÉ PAR LE FOOT

Nos interlocuteurs sont unanimes : Martínez est possédé par le football. Son père a été entraîneur, il admirait Johan Cruijff et était ami de son fils Jordi (avec lequel il a suivi des cours de business management à Manchester). Il était également fasciné par les analyses de match.  » Chez lui, il avait un grand écran de télévision qui lui permettait de voir quatre matches à la fois. Il disait que ça le détendait. Il détestait aller jouer au golf avec le reste du staff.  »

En 2013, il succédait à David Moyes à Everton. Un an plus tôt, il avait refusé d’aller à Liverpool. Pour sa première saison chez les Toffees, il terminait cinquième (le meilleur résultat de l’histoire du club) et manquait de peu l’accès à la Ligue des Champions.  » Moyes avait jeté des bases solides et Roberto, avec son sens du détail, les a affinées « , dit Graham Barrow.

 » Sa deuxième saison ne fut pas mauvaise non plus, avec une belle série en Europa League. Et la saison dernière, avant d’être limogé, il a atteint deux demi-finales de Coupe et occupait la douzième place. On ne peut pas dire que c’était mauvais. J’ai trouvé injuste qu’on le limoge et il va le prouver en Belgique. Dommage que la fédération anglaise ne l’ait pas engagé, il aurait été l’homme idéal pour relancer la machine et apporter quelque chose de nouveau. Car avec Sam Allardyce, on recule encore dans le temps.  »

PAR MATTHIAS STOCKMANS, ENVOYÉ SPÉCIAL EN GRANDE-BRETAGNE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Au moment où il est devenu entraîneur de Swansea, j’ai compris que j’avais perdu un ami.  » LEON BRITTON, EX-ÉQUIPIER ET COMPAGNON DE CHAMBRE DE MARTÍNEZ À SWANSEA CITY

 » Quand il se grattait, ça voulait dire que je devais le débarrasser d’un journaliste .  » ED JONES, RESPONSABLE DE LA COMMUNICATION DE WIGAN.

 » Subitement, Roberto s’est mis à répondre en anglais. Pendant des semaines, il nous avait menés en bateau.  » GRAHAM BARROW, EX-COACH DE WIGAN ATHLETIC

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