C’était bien ou pas ?

Après avoir déposé des joueurs de foot sous le sapin, le Père Noël fait ses comptes.

Avant, Noël, c’était la course aux cadeaux, les marchés avec les petits chalets de dégustation de vin chaud ou de tartiflette, le sapin, les boules et la crèche. Désormais, il faudra y ajouter du football. Pour la première fois depuis des lustres, notre charmant royaume a décidé de sortir les crampons pendant les fêtes. La faute à une réforme et à la nouvelle mouture d’un calendrier tellement chargé qu’on s’est même demandé si on allait s’arrêter de jouer entre deux saisons.

Finalement, après une première levée de bouclier, on avait consenti à accorder une trêve de 15 jours… après le Nouvel An. De façon à ne pas toucher au nouveau gadget publicitaire. Et au bout du compte, ça a donné quoi ? On a vu des pelles et des bénévoles, de la neige et du givre, du béton armé et quelques pères Noël. Et puis quelques bons matches de football comme Gand-Anderlecht.

Des joueurs raisonnés

Ceux qui ont le plus pâti de la réforme sont sans doute les joueurs étrangers, privés de fêtes en famille. Pas de retour au Brésil, ni en Afrique. Et la trêve de 15 jours ne changera rien pour certains Africains, obligés de filer dès le 2 janvier en équipe nationale pour préparer la CAN.  » Il ne faudrait pas que cela arrive chaque année « , précise Badou Kere, qui prenait l’avion le 30 décembre pour Faro, dans le sud du Portugal, là où le Burkina Faso a établi son quartier général.  » Je ne sais plus où donner de la tête.  »

Par contre, les joueurs belges et français ont goûté avec curiosité au football durant Noël. Cela a bousculé leurs habitudes.  » Moi, cela ne m’a pas dérangé. Que du contraire. On a l’impression qu’il y avait une autre ambiance pendant quinze jours. Pas tellement dans le stade mais tout autour « , ajoutait Grégory Christ.

Bref, sans doute briefés par leur club, on a très peu entendu de critiques négatives durant quinze jours. On a demandé aux joueurs de jouer. Ils se sont exécutés.

Des risques de blessure à long terme ?

Ce fut une autre paire de manches pour les préparateurs physiques.  » Les conséquences ne sont pas encore visibles. On les verra en janvier et en février « , explique Guy Namurois, le préparateur physique du Standard.  » Pour le moment, on voit qu’on n’a pas eu le temps de faire un travail fondamental dont on a pourtant bien besoin. L’explosivité et la vitesse sont deux qualités qui doivent reposer sur un travail d’endurance et de force. Or, pour le moment, on néglige ces deux paramètres faute de temps puisqu’on joue tous les deux jours. Il faut à un certain moment retravailler les qualités de base et normalement, cela se fait pendant la préparation et à la trêve. Cette saison, on a repris 10 jours plus tôt. On est donc sur la brèche depuis six mois. Sans souffler. C’est intenable. Maintenant, les joueurs ont sept jours de repos. Je comptais les laisser tranquilles mais cela ne sera finalement pas possible. Je leur ai donné un travail d’endurance car je n’aurai pas le temps de perfectionner cet aspect avec eux pendant le stage où on devra directement passer au programme d’entraînement spécifique puisqu’on joue huit jours plus tard.  »

Et pas contre n’importe qui puisque le Standard rentre directement dans le vif du sujet en accueillant Anderlecht !

Namurois est donc remonté contre cette réforme qui ne ménage pas les joueurs.  » Avec le championnat actuel, on n’a pas le temps de mettre en place des schémas d’entraînement. On est donc un peu frustré. Les préparateurs physiques vont devenir des réparateurs. Ces trois dernières semaines, j’ai passé la majeure partie de mon temps à m’occuper des blessés. Attention, je ne dis pas que les blessures du Standard sont dues à la réforme. Comme personne ne s’est occasionné de blessure ce mois-ci, on ne peut donc pas les imputer à la réforme : je mets en garde. Tout le monde dit qu’il faut des pelouses chauffées mais cela concerne une prestation par semaine. Qu’en est-il des terrains d’entraînements sur lesquels les joueurs évoluent sept à huit fois par semaine ? Ceux-ci ne sont pas chauffés. Ces dernières semaines, on a dû s’entraîner énormément sur des terrains verglacés ou en salle. Et au Standard, on a encore la possibilité de travailler en salle car l’outil est performant. Cependant, cela ne reste qu’un terrain de 70 mètres sur 35. D’autres clubs sont moins bien lotis : Courtrai, par exemple, a fait du fitness pendant une semaine. Si cela ne pose pas de problème sur le court terme, ce n’est pas le cas sur le long terme. S’entraîner deux mois sur des terrains gelés, ce sont des entraînements de rafistolage. Et pour des jeunes joueurs, encore en post-formation, ce sont des entraînements durant lesquels ils ne pourront pas travailler leur technique. A court terme, on ne verra pas les conséquences du foot à Noël mais à long terme, je suis persuadé que oui. « 

Plus de retombées financières ?

Pas d’engouement commercial particulier à Noël. Les entreprises n’ont pas profité de cette période pour faire du football un produit d’invitation. Certains sponsors, comme Electrabel ont même eu toutes les peines du monde à écouler leurs invitations pour les rencontres du 26 décembre.  » Les business-seats étaient complets comme ils le sont toute l’année mais le 26, tous les sièges n’étaient pas occupés « , explique le directeur général du Standard, Pierre François avant d’ajouter malicieusement :  » Mais était-ce dû au 26 décembre, à notre adversaire, Lokeren, un club mal classé qui n’attire pas les foules, ou à notre qualité de jeu ? Moi, je n’ai pas remarqué d’engouement particulier pendant les fêtes. Je n’ai pas vu débarquer les familles. Je défends la réforme en ne l’attaquant pas mais je tiens quand même à dire que le Standard avait demandé s’il n’était pas utile de remettre tous les éléments sur la table avant d’entériner la nouvelle mouture du championnat. On répète que la réforme a été voulue par les trois grands, et c’est vrai si on considère que… le Standard ne fait plus partie des trois grands. C’est trop tôt pour se prononcer sur le bienfait du foot à Noël car on ne peut pas encore parler d’une tradition. L’idée d’aller au foot à cette période ne fait pas encore partie des habitudes, mais rien ne dit que cela ne deviendra pas un réflexe. Cependant, il faut investir dans des infrastructures : ce n’est pas l’idéal de voir des joueurs en perte d’équilibre permanente. Je ne suis pas non plus certain qu’il faille mettre en parallèle matches et retransmissions télévisées.  »

 » Pour que cela fonctionne, il faut que les clubs intègrent que Noël fait partie du programme « , dit le rédacteur en chef des sports de la RTBF, Michel Lecomte.  » Il faut lancer des promotions spéciales pour amener des gens qui ne viennent pas d’habitude. Seul Gand a tenu compte de cela en proposant des bonnets rouges et blancs contre Anderlecht, même si certains ont ressenti la couleur de ces bonnets comme de la provocation.  »

 » Je suis contre les spectacles et les animations « , répond François.  » Je préfère ne pas importer les pom-pom girls du foot américain ni la fanfare de La Louvière. Et du côté du merchandising, la boutique a bien fonctionné comme c’est le cas chaque année à la période des cadeaux « , conclut Pierre François.

Six pelouses chauffées, c’est trop peu !

La qualité des infrastructures reste sans doute le plus gros problème. Lors de l’élaboration du calendrier, la Fédération a prié pour que décembre soit épargné par le temps. Pas de chance, dès le 18 décembre, la neige faisait son apparition. Des flots de bénévoles s’en donnèrent à c£ur de joie pour déblayer les terrains. Trois matches furent remis (dont deux suite à la tempête le dimanche matin) et les autres rencontres se déroulèrent sur des terrains durs comme de la brique.

Si la Coupe de Belgique offrit encore son lot de patinage artistique, les deux dernières journées se déroulèrent comme un charme.  » Je crois que dans l’ensemble, cela s’est bien passé « , explique Pierre-Yves Hendrickx, président de la Commission du calendrier.  » Mais cela aurait été plus facile d’avoir un week-end de libre pour recaser les matches reportés. Le risque, on le connaissait avant le début du championnat mais il fallait absolument lancer cette réforme. Cela ira mieux l’année prochaine car on se donnera plus de latitudes. On pourrait par exemple envisager de faire jouer une journée en semaine lors des mois d’août et de septembre même si Belgacom n’aime pas décaler ses matches le mercredi à 18 h.  »

Vu la lourdeur du calendrier, on a parfois senti qu’on disputait certains matches par obligation, dans des conditions défavorables pour la pratique du football.  » Dès janvier, je compte insister sur un point : il faut passer le plus vite possible aux terrains chauffés de façon à éviter de jouer sur de la brique « , continue Hendrickx.  » Or, seuls six clubs bénéficient de pelouses chauffées. Il existe trois solutions de chauffage : électrique, à eau ou avec des bâches chauffantes comme cela se fait couramment en France. Pour le moment, seules les deux premières solutions sont appliquées en Belgique. Il faudra aussi insister pour que les clubs qui ont opté pour ce système l’utilisent correctement. Certains clubs l’ont allumé trop tard ou pas assez fort. « 

Le Sporting de Charleroi est un des clubs montrés du doigt. Le budget communal n’a pas inscrit le chauffage à l’ordre du jour. Reste donc la solution de la location de bâches chauffantes. Si la Ligue pro donne son aval, la Ville et le club, qui ont rouvert le dialogue, se tourneraient vers cette solution.  » Le seul souci pour que cela fonctionne bien, c’est de placer ces bâches avant la neige de façon à dégeler le sol « , conclut Hendrickx.

Outre les pelouses chauffées, le foot à la Noël pose une autre question. Si les clubs veulent attirer du monde, ils doivent également moderniser leurs installations. Trop de stades sont ouverts aux quatre vents. Se rendre au stade par 0° s’apparente trop souvent à une visite d’igloo. Aux Pays-Bas, certains stades (Ajax, PSV, Roda) sont chauffés sommairement. De quoi revigorer quelque peu les spectateurs. Le public ne viendra au stade en masse et en famille que si le confort suit.

Les télévisions grandes gagnantes

Cette année, il y aura un grand gagnant sous le sapin : les télévisions. Belgacom TV n’a pas voulu dévoiler ses chiffres mais a affirmé que le Christmas Pass (une offre regroupant les matches de la période de Noël) avait bien fonctionné. Pas de commentaires non plus concernant la collaboration avec la RTBF.

La chaîne publique s’est montrée beaucoup plus loquace.  » Du 20 au 30 décembre, on a retransmis trois matches en direct (deux de championnat et un de Coupe) et le public était au rendez-vous « , se réjouit Michel Lecomte.  » 320.000 téléspectateurs pour le match de Coupe, 260.000 pour Cercle-Standard alors qu’en face, il y avait François Pirette et 230.000 pour Gand-Anderlecht. En termes d’audience, on a fait mieux et aussi bien qu’Ajax-Anderlecht sur AB3.  »

La RTBF aurait pu enfoncer le clou si la chaîne avait programmé un Studio 1-La Tribune. Ce qu’elle n’a pas fait.  » Oui, c’est vrai mais pour cela, il faut des moyens. Il faut maîtriser les horaires des techniciens et doser les moyens « , continue Lecomte.

Une opération malgré tout gagnante pour la chaîne. Il faut dire que ce sont avant tout les télévisions qui ont poussé l’idée du foot fin décembre. Surtout Belgacom TV. Lecomte :  » Oui car nous, on ne savait pas qu’on allait pouvoir retransmettre en direct certaines rencontres. Là, on est en train de se dire que c’est bénéfique mais la RTBF n’a pas poussé à jouer à Noël. La preuve, c’est qu’on a quand même été ennuyé avec Studio 1-La tribune…  »

Par Stéphane vande Velde – Photos: Belga

 » Les préparateurs physiques vont devenir des réparateurs. (Guy Namurois) « 

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