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 » C’est toujours plus intéressant d’avoir un gardien à l’aise avec ses pieds « 

Successeur de Sinan Bolat dans les cages anversoises, Jean Butez attaque la nouvelle saison avec l’envie d’entrer dans une autre dimension. Celle des gardiens qui comptent. Inspiré par Ter Stegen, Ederson ou Neuer, le Lillois se rêve en gardien moderne.

Son transfert avorté à Bruges la saison dernière lui a si longtemps trotté en tête qu’on avait pris peur qu’il ne s’en remette jamais. Mais en ressortant le grand jeu avec l’Excel l’an dernier, Jean Butez a confirmé qu’il avait sa place dans un club du top en Belgique. Un temps intéressé, le Sporting d’Anderlecht a finalement laissé la préséance à l’Antwerp. Plus concret, les Anversois ont misé sur le Français de 25 ans pour assurer la succession d’un Sinan Bolat seulement âgé de 31 ans, mais jugé trop gourmand par sa direction. Avec le Great Old, l’ancien du LOSC, compte bien confirmer qu’il est plus qu’une bonne pioche.

Ivan Leko me reproche d’être parfois trop joueur à l’entraînement.  » Jean Butez

Jean, douze mois après avoir été doublé par Simon Mignolet à Bruges, te voilà enfin à ta place dans un club ambitieux en Pro League. Pourquoi avoir choisi l’Antwerp ?

JEAN BUTEZ : L’Antwerp s’est montré beaucoup plus concret que la concurrence. Le club s’intéressait d’ailleurs déjà à moi l’an dernier. Et puis ici, avec le départ de Bolat, il y avait une place à prendre. Enfin, j’ai surtout senti qu’il y avait une confiance des dirigeants. Une volonté de me voir m’inscrire dans la durée. Je pense qu’à Anderlecht, par exemple, et avec qui il y a eu une prise d’information, j’aurais eu plus de difficultés à m’imposer à court terme. Or, à 25 ans, je suis arrivé à un stade de ma carrière où je veux jouer. C’était donc une évidence pour moi de signer à l’Antwerp.

À t’entendre, on jurerait que ta place de numéro 1 est acquise dans les buts. Pourtant, à voir la concurrence de Davor Matijas d’une part, aligné par Ivan Leko en finale de Coupe de Belgique, et d’Alireza Beiranvand d’un autre côté, on se dit que tu n’as peut-être jamais été soumis à pareil challenge ?

BUTEZ : Quand je suis arrivé à Mouscron, j’étais quand même entouré d’Olivier Werner et de Logan Bailly. Je me souviendrai toujours d’un amical contre Auxerre au Touquet, où j’avais discuté avec Jérémie Janot, entraîneur des gardiens à l’AJA. Je lui avais raconté que j’étais un peu inquiet parce que le club venait de signer Logan. À l’époque, Jérémie m’a fait prendre conscience qu’au début d’une saison, il n’y avait jamais de numéro 1 et de numéro 2, mais qu’à la fin, il y avait un titulaire et un battu. Et qu’à chaque match ou presque, les cartes étaient redistribuées.

Ici, tu as eu l’occasion d’avoir une discussion similaire avec le coach ?

BUTEZ : J’ai eu une petite conversation avec Vedran Runje, notre entraineur des gardiens. Quand Alireza est arrivé, il est venu me trouver pour me dire que la concurrence arrivait. Jusqu’à présent ( l’interview a eu lieu juste avant la première journée de championnat, ndlr), s’il n’a pas été question de hiérarchie, je crois que c’est surtout pour éviter qu’on s’installe dans une certaine zone de confort. De toute façon, ça fait partie du métier. Maintenant, c’est à moi de prouver tous les jours à l’entraînement que j’ai ma place. Je connais mes qualités, j’ai un peu d’expérience dans le championnat, donc je sais que j’ai le niveau pour m’imposer ici.

 » Un gardien n’est pas là pour faire le show  »

L’un de tes premiers défis cette saison sera de faire oublier un gardien de la trempe de Sinan Bolat. Lui, dans un style qui n’est pas le tien, avait su se mettre le public anversois dans la poche. Sur le fond, il n’y a pas un gardien qui te ressemble moins que Sinan Bolat, non ?

BUTEZ : Je ne suis pas exactement l’opposé d’un Bolat, mais c’est évident que nous n’avons pas les mêmes qualités. Un bon gardien de but, avant de parler de style différent, c’est surtout un gardien qui ne concède rien, ne fait pas d’erreur, va prendre des points pour son équipe. Ce que Sinan faisait très bien ici. Si je peux avoir la même cote que lui auprès des supporters, tant mieux, mais ce n’est pas une fin en soi. Vedran Runje insiste beaucoup là-dessus : quelle que soit la manière, la finalité doit être la même : ne pas prendre de but. Concrètement, un gardien n’est pas là pour se mettre en évidence ou faire le show. Après, chaque gardien peut bien sûr influer sur le reste du jeu de l’équipe en fonction de comment il gère sa relance, sa communication ou de comment il anticipe le jeu.

En parlant de communication, on sait que la préparation a été perturbée par la perspective de la finale de la Coupe de Belgique. Ton faible temps de jeu dans les amicaux, ce n’est pas un handicap quand on doit se faire à une nouvelle défense ?

BUTEZ : Le fait est que vu que l’équipe préparait aussi la finale de la Coupe de Belgique, j’ai peu joué puisque je n’étais de toute façon pas qualifié pour cette finale ( contrairement à Davor Matijas, ndlr). Après, venant de Mouscron, j’ai eu l’habitude de voir défiler du monde devant moi ces dernières saisons. Mais cet été, j’ai quand-même déjà pu établir certaines connexions avec l’un ou l’autre. Avec Dylan ( Batubinsika, ndlr), par exemple, le courant passe particulièrement bien. C’est un Parisien, qui a eu une formation hyper joueuse, un peu comme moi à Lille. Du coup, on se comprend bien, il sait qu’il peut jouer avec moi et que je serai à l’aise avec le ballon.

Ce n’est pas dur, parfois, pour un gardien de gagner la confiance de ses partenaires ? De leur faire comprendre qu’ils peuvent jouer avec toi, sans que cela ne soit considéré comme une prise de risque ?

BUTEZ : Cette confiance, elle s’acquiert avec les entraînements, avec les matches surtout. C’est en faisant de bonnes choses que ton équipe t’accordera du crédit. C’est vrai pour moi par rapport à eux, c’est vrai dans le sens inverse aussi. Mais je n’en voudrai jamais à un joueur de ne pas me faire la passe. A priori, s’il a pris la décision de jouer vers l’avant, c’est plutôt bon signe, puisqu’on considère, parfois à tort, que jouer vers l’arrière, c’est régresser. Après, c’est sûr que parfois, on peut râler de ne pas recevoir plus de ballons quand on estime avoir la solution pour se sortir d’une situation périlleuse. C’est pour ça qu’on dit que les gardiens ont une position préférentielle sur le terrain, c’est parce que l’on voit des choses que les autres ne voient pas.

Butez :
Butez :  » Je trouve ça difficile de classer des gardiens de but. On évolue tous dans des contextes tellement différents. « © BELGAIMAGE

 » On privilégie encore beaucoup la taille dans la formation française  »

Dans le passé, Ivan Leko a rarement pu compter sur des gardiens dont le jeu au pieds était l’une des forces. D’Ethan Horvath à Karlo Letica en passant par Vladimir Gabulov, Ludovic Butelle, Guillaume Hubert, Sébastien Bruzzese ou plus loin Lucas Pirard, voire Logan Bailly. Vous avez eu une conversation à ce sujet, sur sa volonté de construire le jeu de derrière ?

BUTEZ : Il y a tellement de manières de jouer au football que je ne me risquerais pas à prétendre que l’une est meilleure que l’autre. Mais je crois quand même que c’est toujours plus intéressant d’avoir un gardien à l’aise avec ses pieds. Du coup, cette saison, l’objectif sera aussi de pouvoir profiter de cette arme dans mon jeu. Et j’espère surtout que ça pourra être un plus pour l’équipe, que cela nous aidera dans certaines situations. Aujourd’hui, on travaille beaucoup là-dessus. De pouvoir repartir proprement de derrière, d’évoluer avec un bloc haut aussi. Je pense que le football de possession s’accompagne de toute façon d’une mutation dans le poste de gardien de but.

Jusqu’à présent, s’il n’a pas été question de hiérarchie, je crois que c’est surtout pour éviter qu’on s’installe dans une certaine zone de confort  » Jean Butez

Le jeu aux pieds, ce n’est pas trop une spécialité française, si ?

BUTEZ : Non, pas forcément. Mais c’est plus une question de génération aussi. À Lille, pendant tout un temps, on m’a menacé de ne pas m’avancer de catégorie parce que j’étais trop petit. On privilégie encore beaucoup la taille dans la formation française. Si un gardien est  » petit « , mais qu’il est intéressant, on va souvent lui préférer un grand moins doué. C’est souvent une question de sécurité pour un entraineur. À qualité égale, à seize ans, on va toujours privilégier un gars qui fait 1,90 m plutôt qu’un gardien à maturité tardive d’1,70 m. C’est comme ça que certains supers bons gardiens passent à la trappe. Uniquement à cause de leur taille.

C’est encore possible de s’imposer au plus haut niveau en faisant 1,88 m ?

BUTEZ : Je crois qu’Hugo Lloris fait la même taille que moi, mais clairement, en Premier League, c’est une exception. Il a un bon jeu long, peut-être pas un super jeu court au pied, mais c’est un félin. Clairement, quand tu es plus petit, tu dois te différencier sur un aspect spécifique de ton jeu. Regarde Gautier Larsonneur ( gardien du Stade Brestois, ndlr) en Ligue 1. Il fait 1,80, mais c’était l’un des meilleurs la saison dernière en France.

 » Ce qui est excitant, c’est de pouvoir participer au jeu de construction  »

Tout le défi, dans cette volonté de voir aujourd’hui les gardiens se rapprocher d’un poste de libéro à l’ancienne, c’est de ne pas tomber dans une extrémité inverse qui pousserait parfois à prendre des risques inconsidérés. On l’a vu l’an dernier à Anderlecht, on le voit parfois dans des clubs du standing de Manchester City aussi…

BUTEZ : Non, ici, l’idée, c’est que cela puisse faire un ou deux tours par le gardien, mais qu’à un moment donné, on se donne de l’air. C’est une question d’équilibre, de variation entre jeu court et jeu long. J’ai déjà eu des discussions avec le coach là-dessus. Lui me reprochait d’être parfois trop joueur à l’entraînement. Ivan Leko reste partisan d’un football de possession qui s’accompagne d’une réelle efficacité. À partir du moment où on peut compter sur un gars comme Mbokani devant, qui est énorme dans le jeu en déviation ou la protection du ballon, c’est difficile de lui donner tort… De toute façon pour moi, le plaisir est le même. Que je casse une ligne en faisant une passe à quinze mètres ou une mi-longue à trente, quarante mètres, le plaisir est identique. Ce qui est excitant, c’est de pouvoir participer au jeu de construction. D’avoir été à la base d’une action amenant un but, c’est jouissif. Cela permet aussi de ne pas perdre le fil du match dans certaines rencontres où l’on ne touche pas beaucoup de ballons. Il suffit de regarder Marc-André ter Stegen au Barça. S’il est le meilleur gardien du monde aujourd’hui, c’est parce qu’il participe au jeu, à l’image de ce que font Ederson ou Neuer et que, sur le seul arrêt qu’ils ont à faire sur un match, ils ne font jamais une savonnette.

Il faut assumer de dire que Marc André ter-Stegen est le meilleur gardien du monde quand on évolue en Belgique…

BUTEZ : ( Il éclate de rire). Oui, je sais. Mais j’aime énormément son style, du coup, c’est plus facile pour moi de me référencer à lui. Après, un Thibaut Courtois, c’est évidemment le sommet aussi. En fait, je trouve ça difficile de classer des gardiens de but. On évolue tous dans des contextes tellement différents. Moi, à Mouscron, par exemple, je devais faire sept ou huit arrêts par match. C’est totalement autre comme exposition qu’un gardien qui est contraint de briller sur le seul ballon qu’il va avoir sur une rencontre. Je pense que c’est pour ça qu’on me jugera différemment dans les semaines à venir. Intrinsèquement, je ne crois pas être moins doué qu’un Bolat ou qu’un Van Crombrugge, mais jusqu’ici, je ne bénéficiais pas de la même exposition qu’eux, ce qui est logique en évoluant à Mouscron. C’est à mon tour maintenant de répondre présent dans des matches où je n’aurai parfois qu’un ou deux arrêts à effectuer. C’est une concentration différente qui, pour moi, va d’abord être un apprentissage.

L’Antwerp a l’ambition cette saison de devenir une équipe de possession, ce qui n’était pas franchement la marque de fabrique de László Bölöni. Cette transition doit amener le club à grandir. De là à jouer le titre dès cette saison ?

BUTEZ : On ne va pas se mentir, l’objectif, c’est de gagner tous les matches. Je connais bien le championnat maintenant, et clairement, quand je suis arrivé ici, j’ai tout de suite pu m’apercevoir qu’on avait un groupe hyper qualitatif. Bien plus qu’à Mouscron honnêtement. Que ce soit technique, tactique, j’ai compris que j’avais réellement changé de dimension en rejoignant l’Antwerp. Après, c’est difficile d’établir un pronostic maintenant. Je dirais qu’à ce stade, on est peut-être un rien plus avancé que la concurrence en terme de recrutement. Le noyau dur est formé et ne devrait plus trop bouger. Mais avec toutes les incertitudes qui planent sur le championnat, avec ce mercato qui va durer jusqu’au 5 octobre, avec une équipe comme Gand qui risque de perdre Jonathan David, avec Bruges qui cherchera encore à se renforcer, c’est impossible de savoir quel sera le rapport de force dans deux mois.

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 » L’Excel est mieux dans les mains de Gérard Lopez que dans celles des agents  »

Qu’est-ce qu’un ancien du LOSC, aussi passé par Mouscron, pense de l’intégration des Hurlus à la galaxie Gérard Lopez, cet homme d’affaires hispano-luxembourgeois, président du LOSC depuis janvier 2017 et nouvel homme fort de l’Excel ?

JEAN BUTEZ : Je crois que c’est une bonne chose. Pour Lille, pour Mouscron et pour le business de Gérard Lopez certainement ( rires). Mais en vrai, je crois que c’est mieux que le club soit désormais dans les mains de Gérard Lopez que dans celles des agents. C’est quelqu’un de discret, de simple, de calme, bref, ce n’est pas un président qui a besoin de se montrer dans le vestiaire. Ce n’est pas un personnage à la Gervais Martel ( ancien président du RC Lens, ndlr) ou à la Loulou Nicollin ( ancien président de Montpellier, décédé en juin 2017, ndlr), mais c’est quelqu’un qui travaille bien.

Est-ce que le risque, malgré tout, ce n’est pas que le public mouscronnois se retrouve de nouveau avec des joueurs de passage, avant tout là pour se montrer, mais pas franchement concerné par la vie du club ?

BUTEZ : Je crois qu’il y a un rapport de proximité entre les deux clubs qui rend cette association assez saine. Les gars qui sont arrivés du LOSC cet été sont des jeunes de la région lilloise. Ils ont de toute façon plus les valeurs et l’esprit mouscronnois que tous ces joueurs débarqués par dizaines de toute l’Europe ces dernières années. Ici, au moins, il y aura un ancrage local. Des attaches en commun. Après, ce qui est certain, c’est que le public mouscronnois mérite d’avoir une vraie équipe. C’est pour ça que le club a acheté des joueurs du LOSC et que ce ne sont pas que des prêts. Mais concrètement, on le sait, ce rapprochement avec le LOSC signifie qu’il y aura encore pas mal de turnover dans l’équipe, c’est évident.

Quelle différence existe-t-il entre le projet de l’AS Monaco avec le Cercle de Bruges et celui du LOSC avec l’Excel ?

BUTEZ : Assez clairement, il va falloir que Lille évite de faire les mêmes erreurs que l’ASM avec le Cercle l’année dernière. Là, je crois que les Monégasques avaient peut-être sous-estimé la D1 belge en amenant des joueurs qui n’avaient pas le niveau. Ici, j’ai vu l’âge des gars qui ont rejoint l’Excel et clairement, ils sont très jeunes. Mais bon, s’ils ont la qualité et le mental pour s’imposer, pourquoi pas ? Pour le connaître un peu, je pense que Luis Campos ( directeur sportif du LOSC, ndlr) a bien étudié son truc. C’est un des meilleurs managers du monde, il a fait des merveilles dans le recrutement du LOSC et il sait ce que vaut la D1 belge. C’est lui qui m’avait permis à l’époque de partir m’émanciper à Mouscron quand j’étais bloqué à Lille. Pour lui, chaque joueur compte. Il attache une importance à tous. Et il est conscient qu’un joueur qui n’a pas ce qu’il veut ne se donnera jamais à 200% pour le club. Pour revenir à votre question, il faut se souvenir que lors de la première expérience entre le LOSC et l’Excel, il y avait déjà eu de bonnes choses. Des joueurs qui n’ont pas leur place en Ligue 1 à un moment donné peuvent faire de supers joueurs en Belgique. Je pense à moi, mais aussi à Ronny Rodelin, Thibaut Peyre ou Abdoulay Diaby. Des mecs qui ont laissé une vraie trace à Mouscron.

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