C’EST QUOI LE PROBLÈME ?

Dennis Praet n’est plus le Golden Boy du football belge. Selon ses collègues, le médian serait même le joueur le plus surestimé du championnat de Belgique. Retour sur une année agitée.

Nous sommes à la mi-septembre et, devant son dug-out, Besnik Hasi (43) éprouve manifestement du plaisir à diriger pour la première fois son équipe en Ligue des Champions. Celle-ci est la neuvième plus jeune de l’histoire de la compétition mais elle tient facilement tête à Galatasaray. Soudain, pourtant, le regard du Kosovar s’assombrit. Dennis Praet s’est emparé du ballon et tente quelque chose d’impossible. Mitrovic agite les bras en vain tandis que, dix mètres plus loin, Suarez montre où il veut être servi. Mais Praet ne le voit pas. Il ne pense qu’à une chose : tirer.

Il rentre dans le jeu, se débarrasse de Sari et résiste à une charge de Kaya. Felipe Melo arrive un rien en retard, Praet a déjà tiré. Le bruit que fait le ballon en frôlant le montant est à peine audible, tant les supporters turcs donnent de la voix. Mais c’est 0-1. Praet hurle sa joie et pique un sprint vers le banc anderlechtois pour faire un double high five avec SachaKljestan. Muslera, le gardien, est en colère, la Türk Telecom Arena gronde. Praet est comme libéré par ce deuxième but européen. Par le passé, on lui a souvent reproché de manquer de conviction.  » Il doit tenter plus souvent sa chance « , disait Demy de Zeeuw.

Ce soir-là, Praet prend des airs d’aventurier. Un peu contre nature car il préfère délivrer un assist plutôt que tirer au but.  » J’hésite souvent à prendre des risques « , dit-il.  » Je préfère jouer simple, combiner. Je sais que je devrais être plus audacieux.  »

DE L’INTÉRÊT EN ESPAGNE

C’est dans la capitale turque que débute l’aventure européenne de Praet, dont les prestations font rapidement le tour du continent. A la veille du match d’Anderlecht à l’Emirates Stadium, une délégation de l’agence Eleven Management, qui défend ses intérêts, est reçue au centre d’entraînement d’Arsenal à Colney. Nous sommes en novembre et Arsène Wenger est à la recherche d’un médian défensif, un gars qui peut marquer un homme à la culotte et manger le ballon s’il le faut. Praet peut-il remplir ce rôle ? Non, bien entendu.

Arsenal est donc rayé de la liste des employeurs potentiels mais ce n’est pas grave. Au cours du même mois, Marc Wilmots sélectionne Praet chez les Diables Rouges. Anderlecht se frotte les mains. Des contacts informels sont pris avec le Borussia Dortmund. Et puis, tous les grands clubs européens n’ont-ils pas placé Praet sur leur liste ? En réalité, après la trêve, seul Séville fait une offre à Herman Van Holsbeeck.

Son directeur technique, Ramon Rodriguez Verdejo, plus connu sous le pseudonyme de Monchi, a une idée derrière la tête. Il a bâti un réseau de plus de sept cents recruteurs et est réputé pour sa capacité à bien acheter. Il a obtenu des joueurs comme Julio Batista, Rakitic, Adriano, Dani Alves et Seydou Keita pour une bouchée de pain – on dit que Séville n’a jamais déboursé plus de dix millions d’euros pour un joueur – et les a revendus bien plus cher.

Monchi pense pouvoir faire la même chose avec Praet, qu’il veut amener au sommet. Praet a envie de partir en Andalousie car La Liga lui convient à merveille. Mais à Anderlecht, on trouve que six millions d’euros (somme qui peut grimper à 9 millions en fonction des bonus), c’est vraiment trop peu. Pour la direction du club bruxellois, pas question d’entamer les négociations à ce prix. Sans sourciller, Praet se remet donc au travail avec le Sporting.

CHEVILLE

Lors du gala du Soulier d’Or, flanqué de sa copine Sharon, il jubile : le trophée dont il rêvait secrètement lui est décerné. Mais il réalise aussi soudain que son statut a changé.  » Je dois devenir le patron d’Anderlecht « , dit-il. Une déclaration qu’on va lui resservir. Le Brabançon ne mesure pas la portée d’un Soulier d’Or. Il ne tient pas compte non plus des déclarations incendiaires des perdants. Ses adversaires ne digèrent pas. Un ex-équipier de Praet confirme.

 » Au cours des semaines précédant l’élection, on ne pouvait pas ouvrir un journal sans voir la tête de Praet. Ses rivaux avaient l’impression qu’on le mettait sur un piédestal parce qu’il jouait à Anderlecht. La jalousie de certains se lisaient sur leur visage. Mais il s’en fichait. Après avoir obtenu le Soulier d’Or, il est resté le même. Dans le vestiaire, il était même encore plus réservé qu’avant. Il chipotait sur son smartphone et on ne l’entendait pas.  »

Praet n’échappe pourtant pas à la malédiction du Soulier d’Or. Blessé au dos, il reste deux mois et demi sans jouer. Le 15 mars, il revient contre Gand mais Anderlecht s’incline 1-2 à domicile. Un match qui va s’avérer décisif pour le titre. En finale de la Coupe, face au Club Bruges, Praet ne parvient pas à faire tourner la machine anderlechtoise et au cours des play-offs, il n’est que l’ombre du joueur qui a survolé l’année 2014.

Praet stagne. Ce que personne ne sait, c’est qu’il termine les play-offs avec un tape à la cheville droite. A chaque fois qu’il tire au but, il souffre le martyr. Mais un Soulier d’Or n’a pas d’excuse.

PARIS

Ses prestations en play-offs lui valent d’être considéré comme le joueur le plus surestimé du championnat mais les critiques ne le touchent pas. Au fil des années, il s’est construit une carapace et il sait que le vent peut tourner très rapidement. A Neerpede, Dendoncker et Heylen le soutiennent. Et puis, il y a ses amis : Sam Kerckhofs, Thomas Vranckx, Andreas Luckermans, Jens Heyvaert, Willem Ofore et Yannick Nulens.

 » Parfois, je lui envoie un SMS pour l’encourager « , raconte Nulens, qui fut son équipier à Genk et à Anderlecht.  » Mais à vrai dire, il n’a pas besoin de cela. Ce n’est pas parce que les médias le démolissent que son jeu s’en ressent.  »

Mais Praet sait aussi que, depuis qu’il a été élu meilleur joueur de Belgique, le temps de l’insouciance est derrière lui. Chacun de ses gestes est épié, analysé, interprété.  » Il a été très surpris par les réactions qu’a suscitées sa queue de cheval lors du premier entraînement « , dit Nulens.  » Ce n’était pourtant que le résultat d’un simple pari avec ses équipiers.  »

C’est la rançon de la gloire du Soulier d’Or… Tout le monde veut sa peau. Comme Samuel Asamoah, de Louvain, qui le dépeint comme un arrogant ne supportant pas qu’on lui fasse un petit pont. Ces accusations font mal à Praet car elles ne correspondent pas du tout à la réalité, à sa personnalité.

 » Dennis n’est pas du genre à ridiculiser un adversaire « , dit son ex-équipier.  » Praet est un garçon humble, qui préfère éviter la polémique. Savez-vous qu’il a offert ses chaussures à ses équipiers blacks afin qu’ils les distribuent en Afrique ?  »

Nulens le confirme : Praet a bon coeur.  » Si vous le croisez à Louvain, il ne refusera jamais de signer un autographe ou de se laisser prendre en photo. Maintenant qu’il est connu, il arrive souvent qu’on lui propose des choses mais, heureusement, il est très prudent et il jauge vite les gens.  »

PAS D’ÉQUILIBRE

Après une deuxième moitié de saison moyenne, Praet est bien déterminé à faire taire ses détracteurs mais ses trois premiers matches (contre Waasland-Beveren, Louvain et Gand) ne sont guère convaincants. A deux reprises, Hasi rappelle son numéro dix sur le banc avant la fin du match. Ses statistiques sont sans commune mesure avec son talent : zéro but, pas le moindre assist. Contre La Gantoise, son pourcentage de passes réussies est de 91 % mais il n’en a fait que 24 alors qu’à son poste, il aurait dû en faire 40.

Praet n’est plus aussi frivole, on sent que quelque chose ne va pas. L’entrejeu en losange lui convient moins. Le jeu est trop axial car les arrières latéraux ne montent pratiquement pas et les attaquants ne créent pas de brèches. Suarez et Praet se marchent sur les pieds.  » C’est la faute de Hasi « , dit Alex Teklak, consultant.

 » Tielemans et Defour ne sont pas des médians défensifs purs. Ce sont des infiltreurs, des joueurs qui peuvent adresser une passe décisive. Cela nuit à Praet. Il n’y a pas d’équilibre dans l’entrejeu. Hasi doit intervenir et redéfinir les rôles d’urgence.  »

BOUSSOUFA

Sans l’affirmer haut et fort, Anderlecht veut se débarrasser de Praet. Le club estime que c’est le moment de retirer une plus-value importante de l’investissement. Praet se sent prêt à tenter l’aventure à l’étranger également. Sa famille rompt avec Eleven Management et se lie avec Stellar Group – l’agence de Gareth Bale – afin de faire valoir la candidature du joueur sur le marché anglais. Christophe Henrotay est chargé de sonder les clubs espagnols. En juillet, c’est lui qui a réussi à placer Yannick Ferreira Carrasco à l’Atlético Madrid.

Mais l’étoile de Praet a pali. Arsenal, Tottenham et Liverpool ne s’intéressent pas à un garçon qui n’a été qu’une seule fois international. Pourquoi le feraient-ils alors qu’ils peuvent s’offrir De Bruyne ou Benteke ? Des clubs moins riches comme West Bromwich, Sunderland ou Aston Villa viennent aux nouvelles mais le montant réclamé par Anderlecht les fait reculer. Le club bruxellois veut dix millions d’euros en un seul versement. Il s’est montré plus conciliant lors du transfert de Mitrovic puisque Newcastle peut payer par tranches.

Suite au départ de Benteke pour Liverpool, Aston Villa a les moyens de s’offrir Praet. A Villa Park, les rapports établis au sujet du joueur sont élogieux. Le club de Birmingham apprécie le replacement défensif de Praet. Ils ont rarement vu un meneur de jeu couper autant les lignes de passe de l’adversaire. Tim Sherwood, l’entraîneur, marque son accord pour un transfert mais celui-ci ne se fait pas car le club est en passe d’être racheté par un consortium d’investisseurs chinois.

Avec la nomination de Hendrik Almstadt au poste de directeur technique, en juillet, le dossier Praet repasse en dessous de la pile. Almstadt, qui débarque d’Arsenal, fait d’abord son marché en France et achète quatre joueurs de Ligue 1 : Amavi, Ayew, Gueye et Veretout. Anderlecht et l’entourage de Praet doivent donc se mettre à la recherche d’un autre candidat-acquéreur.

Il n’est pas du tout exclu non plus que Praet reste à Anderlecht. Même l’éventuelle concurrence de Mbark Boussoufa ne l’effraye pas, au contraire. En décembre 2011, lorsque Bous s’était entraîné pendant quelques semaines à Neerpede pour préparer la Coupe d’Afrique des Nations, Praet avait pris du plaisir à jouer avec lui. Si le duo devait être réuni, voilà qui promet.

PAR ALAIN ELIASY – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Ce n’est pas parce que les médias le démolissent que son jeu s’en ressent.  » YANNICK NULENS

 » Contre La Gantoise, il n’a fait que 24 passes réussies, alors qu’à son poste, il aurait dû en faire 40.  » ALAIN ELIASY

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