C’est qui ça Riekerink?

Le point à mi-saison avec deux observateurs notoires du football belge.

Georges Heylens, qui commente l’actualité du championnat de D1 chaque semaine dans Sport/foot Magazine, n’a pas hésité longtemps lorsque nous lui avons demandé de désigner une personne avec laquelle il souhaitait évoquer avec nous le premier tour de la compétition. Son choix s’est instantanément porté sur Manu Ferrera, une vieille connaissance pour lui puisque l’ancien international du RSCA avait eu le frère d’Emilio sous ses ordres tant comme joueur, à l’Eendracht Alost, de 1980 à 1983, que comme entraîneur des Juniors UEFA à Seraing, de 1992 à 1995.

« Manu mérite d’être rappelé au bon souvenir de tout le monde », observe Georges Heylens. « Personnellement, je trouve profondément injuste et regrettable qu’un coach aussi compétent que lui soit au chômage alors que des mentors qui ont encore tout à prouver parmi notre élite, ont trouvé chaussure à leurs pieds. Comme Jan Olde Riekerink à La Gantoise, par exemple, qui n’a jamais drivé que les jeunes de l’Ajax d’Amsterdam avant de venir faire la leçon à tout un chacun en Belgique. Comprenne qui pourra ».

Avant de nous pencher sur les Buffalos, attardons-nous d’abord au faîte de la hiérarchie. A tout seigneur tout honneur, le Club Brugeois, champion d’automne avec une avance substantielle, peut-il encore être inquiété cette saison?

Georges Heylens: Ce n’est pas la première fois, ces dernières années, que le Club vire en tête tout en se retrouvant malheureusement les mains vides en fin de campagne. Il y a deux ans, pour mémoire, ses joueurs comptaient six points d’avance sur Anderlecht au début du mois de décembre avant d’être soudain distancés de quatre unités, par les Sportingmen, deux mois plus tard. Comme quoi, un retournement de situation spectaculaire est toujours possible. Tout dépendra, en réalité, de la manière dont les Flandriens géreront leurs rendez-vous en janvier et février. S’ils ne concèdent pas trop de terrain durant cette période, ils se pareront plus que probablement du titre, nonobstant des déplacements périlleux à Anderlecht, Lokeren, Genk et au Lierse.

Manu Ferrera: A mes yeux, le championnat est d’ores et déjà terminé. Certes, les Bleu et Noir ont souvent perdu à la reprise l’avantage qu’ils s’étaient forgé sur leurs concurrents immédiats avant la trêve. Dans tous ces cas, ils avaient le plus souvent payé un lourd tribut à un manque de véritables solutions de rechange dans leur noyau. Cette fois, ils ont comblé cette lacune. Et j’abonde dans le même sens que leur coach, Trond Sollied, quand il soutient qu’avec les retours d’Alin Stoica, Rune Lange, Bengt Saeternes et Marek Spilar, son équipe sera encore plus forte qu’à l’occasion des matches aller. Lorsqu’ils étaient opérationnels, ces quelques joueurs-là avaient en tout cas prouvé qu’ils avaient du répondant. Une fois n’est pas coutume, les dirigeants brugeois ne se sont pas trompés en matière de casting. Au Sporting, en revanche, on ne peut en dire autant. « Stoica manque à Anderlecht » Heylens: Je ne voudrais pas retourner le couteau dans la plaie mais savez-vous qui manque cruellement au Parc Astrid? Alin Stoica, celui-là même qui faisait encore partie de la maison mauve la saison passée. S’il était toujours là aujourd’hui, mon ancien club ne souffrirait pas d’un manque de créativité, comme chacun se plaît à le reconnaître. Avec le matériel humain dont Hugo Broos aurait pu disposer, s’il l’avait réellement voulu, en juillet dernier, il eût été possible de constituer une ligne médiane semblable à celle de Bruges, avec Walter Baseggio et Yves Vanderhaeghe à la base du triangle – à l’image de Timmy Simons et Gaëtan Englebert au Club – et Alin Stoica à sa pointe – comme Sergeï Serebrennikov. Honnêtement, au petit jeu des comparaisons, il n’y aurait pas eu photo, dans ce cas, entre les trois Anderlechtois et les trois Brugeois. Sans compter qu’un trio d’attaque formé de Ki-Hyeon Seol, Nenad Jestrovic et Aruna Dindane a nettement plus de gueule que celui formé d’Andrés Mendoza, Sandy Martens et Gert Verheyen. Aussi, si le Sporting se trouve à distance respectable de son rival aujourd’hui, ses responsables sportifs doivent avant tout s’en prendre à eux-mêmes. Ferrera: Bruges possède encore deux atouts supplémentaires par rapport aux Mauves. Tout d’abord un entraîneur qui prône le même système immuable, qu’il joue à domicile ou en déplacement et, de surcroît, sans se soucier le moins du monde du nom de l’adversaire. A Anderlecht, par contre, toutes les variantes tactiques possibles et imaginables ont déjà été essayées depuis le début de la compétition. Tout le monde s’extasie parce que le Sporting a enfin trouvé une conception stable ces dernières semaines. Félicitations, c’est très bien. Mais entre-temps, l’équipe est larguée en championnat et ne doit sa survie en Coupe de l’UEFA qu’à un illustre inconnu norvégien qui a loupé l’immanquable face à Filip De Wilde en fin de partie à Stabaek. Soit. L’autre différence avec le Club, c’est ni plus ni moins la qualité des backs. Quand on joue avec trois attaquants déployés sur tout le front de l’attaque, comme il en va de part et d’autre, il faut évidemment que ces joueurs soient alimentés correctement. A Bruges, les arrières latéraux Peter Van der Heyden et Olivier De Cock font office de pourvoyeurs. Au Sporting, si Bertrand Crasson n’avait pas joui d’un juste retour en grâce, ce serait toujours le désert à ce niveau tant la participation offensive d’un Michal Zewlakow ou d’un Aleksandar Ilic, c’est zéro. Le meilleur, dans ce rôle, c’est encore le jeune Olivier Deschacht. Mais il est sur le banc. « Genk n’est pas paré à l’arrière »

Le champion en titre, Genk, ne renouvellera pas son bail cette saison. Comment expliquez-vous sa rentrée dans le rang?

Heylens: Pour courir deux, voire trois lièvres à la fois, il convient d’être riche en profondeur. Or, l’effectif du Racing se limite, indépendamment du gardien, à une douzaine de joueurs: le onze de base traditionnel auquel s’ajoutent Kevin Vandenbergh et Takayuki Suzuki. Les autres, comme Marco Ingrao ou Justice Wamfor, pour ne citer qu’eux, manquent encore de planches pour s’exprimer à bon escient au plus haut niveau. De plus, j’estime que les Limbourgeois sont insuffisamment parés au goal. Si Jan Moons n’est peut-être pas un mauvais gardien, il n’appartient manifestement pas à la catégorie de ceux qui prennent des points pour leurs couleurs.

Ferrera: Les fondations du Racing ne sont tout simplement pas assez solides pour nourrir de grandes aspirations. Outre la valeur honnête, sans plus, de leur keeper, les Limbourgeois ne reposent pas non plus sur une arrière-garde des plus fiables. Dans l’axe central, les jeunes Africains Didier Zokora et Soley Seyfo doivent encore faire leurs preuves dans les grandes circonstances, comme on l’a vu non seulement au Real Madrid mais aussi, dans notre propre compétition contre Bruges (4-0) et le Standard (1-5). Quand on prend neuf buts en deux matches, on ne peut pas se targuer d’être une grande équipe. « La responsabilité de Waseige »

Venons-en au Standard, précisément. Beaucoup s’attendaient à le retrouver aux premières loges cette saison. Mais à mi-championnat, on est loin du compte.

Heylens: Les Rouches constituent évidemment LA déception à ce stade de la compétition, même s’ils se sont plutôt bien repris après un début de championnat en tous points catastrophique. Honnêtement, je ne comprends pas ce qui a pu se passer à Sclessin. Je me demande dans quelle mesure la nomination de Robert Waseige ne leur a finalement pas joué un tour pendable. Avec ce personnage emblématique à leur tête, loué à raison pour les résultats probants qu’il avait réalisés tant en formation de club qu’avec l’équipe nationale, certains joueurs ont peut-être cru trop vite qu’il leur suffirait de paraître pour l’emporter. Ils ne se sont pas suffisamment remis en question, sans doute. Avec toutes les conséquences fâcheuses que l’on sait.

Ferrera: Personnellement, je serai moins indulgent en ce qui concerne le rôle de l’entraîneur. J’estime, en effet, que c’est lui qui est responsable, en priorité, de la bonne ou de la mauvaise marche de son équipe. Même si son palmarès plaide indéniablement en sa faveur, il faut quand même bien avouer que Robert Waseige n’a pas réussi, cette fois-ci, à faire prendre la sauce, contrairement à son successeur, Dominique D’Onofrio. Certains rétorqueront que les composantes de l’effectif ne sont plus les mêmes, je ne partage pas totalement ce point de vue. A l’exception de Fredrik Söderström et d’Aleksandar Mutavdzic – blessé la plupart du temps, de surcroît – l’équipe-fanion n’a pas subi de modification notoire. Je ne prends pas en considération Fabian Carini, qui en tant que gardien, fait bande à part. De toute façon, son utilité reste également à prouver. Car depuis qu’il a débarqué à Sclessin, l’Uruguayen ne m’a pas encore épaté. « St-Trond, Lokeren et le Lierse ont une épine dorsale »

Dans le sub-top, on relève les présences de St-Trond, Lokeren et du Lierse. Sans surprise, ou non?

Heylens: Les parcours de St-Trond et de Lokeren ne m’étonnent pas vraiment. Ces formations figuraient déjà en position avantageuse la saison passée et, d’une campagne à l’autre, elles ont conservé l’essentiel de leurs forces vives ainsi que leur staff technique. En revanche, le Lierse a dû composer avec un nouvel entraîneur et un noyau singulièrement remodelé, ce qui ne l’a nullement empêché de tenir la dragée haute aux meilleurs au cours du premier tour. Pour une phalange qui avait terminé à la quinzième place en 2001-2002, le contraste est évidemment saisissant. Dès lors, je rends hommage à Emilio Ferrera, l’architecte qui a réussi à fondre chacun de ses joueurs dans le creuset de la collectivité. Et je ne manie pas l’encensoir pour faire plaisir à Manu. Ce n’est qu’un juste retour des choses pour un jeune garçon qui a suscité pas mal de jalousies jusqu’ici. Si, après avoir réussi des miracles à Beveren et au RWDM, quelques-uns doutent encore de ses compétences aujourd’hui, c’est qu’ils sont réellement de très mauvaise foi.

Ferrera: Le dénominateur commun à ces trois clubs, c’est une épine dorsale des plus solides: Nicky Hayen-Danny Boffin-Désiré Mbonabucya chez les Canaris; Suad Katana-Runar Kristinsson-Sambegou Bangoura à Daknam; Jonas De Roeck-Marius Mitu-Stijn Huysegems dans l’équipe de mon frère. Partout où l’on discerne des ossatures pareilles, l’équipe est immanquablement solide. Même plus loin dans le classement, avec Mons, par exemple. Le trio Liviu Ciobotariu-Eric Joly-Cédric Roussel a du répondant, c’est sûr. Le seul club de renom qui fait exception à la règle, c’est La Gantoise. Quelques esprits chagrins disent que c’est parce que Matthieu Verschuere y a laissé un vide qui n’a jamais été comblé. Je n’en suis pas si sûr. Le matériel humain est présent à Gentbrugge mais le président Ivan De Witte aurait tout bonnement dû être plus inspiré dans ses choix en matière de conduite de l’équipe. Ce fameux Jan Olde Riekerink, qu’a-t-il déjà démontré jusqu’ici finalement? Rien, absolument rien. Mais il a pourtant été accueilli comme le messie, cet été. Affligeant! « On ne s’improvise pas coach en D1 »

Un coach qui surprend agréablement, c’est Marc Grosjean.

Heylens: Que voulez-vous, comme Manu, il a été à bonne école avec moi à Seraing (il rit). Sérieusement, il n’y a pas de miracle. On ne s’improvise pas coach au plus haut niveau du jour au lendemain, même après un fameux vécu comme joueur. Enzo Scifo et Michel Preud’homme savent de quoi il retourne en la matière à présent. L’idéal, à mes yeux, consiste toujours à suivre une filière: celle qui mène d’une équipe de jeunes à une formation Première, d’abord dans les séries inférieures, puis au plus haut niveau. Manu est passé par là. Et Marc Grosjean aussi, lui qui a entraîné Wiltz et Namur avant d’hériter de La Louvière et Mons. D’autres, au parcours de joueur plus prestigieux ont fait pareil et durent parmi l’élite. Je songe à Jan Ceulemans, notamment.

Ferrera: Ce qui me chagrine, c’est qu’après 11 années dans des conditions souvent difficiles, mais dont je suis toujours sorti vainqueur, je n’ai plus eu d’offre digne de ce nom parmi l’élite, hormis une touche à Beveren au printemps passé. Je me demande parfois ce qui peut pousser des dirigeants à privilégier un illustre inconnu comme Jan Olde Riekerink à Gand ou Lorenzo Staelens à Mouscron. N’ai-je pas fait davantage mes preuves que ces gens-là? Pourtant, je n’ai rien vu venir depuis un an. Je me pose des tas de questions à ce propos, mais elles restent sans réponse.

Bruno Govers

« Contrairement à Anderlecht, Bruges ne s’est pas trompé en matière de casting » (Ferrera)

« Si certains doutent encore des compétences d’Emilio Ferrera, ils sont de très mauvaise foi » (Heylens)

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