» C’est leurs rêves, leurs histoires, pas les nôtres… « 

Tels pères, tels fils : comment Jean-François de Sart, Orhan Arslanagic et Cvijan Milosevic ont-ils balisé les premiers pas des trois espoirs rouches ?

Ils connaissent le goût des perles de sueur qui tracent des sillons salés sur le visage de leurs fistons. Le sport reste le credo de ces passeurs de belles émotions. Jean-François de Sart, Orhan Arslanagic et Cvijan Milosevic ont bien sûr transmis passion et humilité à Julien, Dino et Deni. Ce capital familial compte mais c’est le terrain, d’abord, qui tranche, révèle l’épaisseur d’une promesse, offre un début de carrière. A ce stade de l’avancée des trois teenagers, il n’y a déjà plus de hasards mais des rendez-vous à ne pas manquer. Au Standard, les derniers jeunots incarnent la tradition d’un club qui mise sur la formation. Jean-François, Cvijan et Orhan suivent leur éclosion aux premières loges. Mais s’ils sont à l’écoute, peuvent donner des conseils, ces trois anciens grands sportifs leur ont aussi offert la liberté de vivre leurs ambitions à fond la caisse…

A quel âge vos fils ont-ils découvert le football ?

De Sart : Il a toujours été question de sports chez nous. Le football a, forcément, occupé une place de choix dans la famille. Mais ce n’est pas parce que j’ai un passé dans cette discipline que j’espérais voir un jour Alexis et Julien ballon au pied. Ils se sont d’abord tournés vers le basket car un club organisait des séances de psychomotricité, une excellente façon de s’éveiller au sport. Ensuite, mes fils ont tâté d’autres sports comme la gymnastique, l’équitation, etc. A 5 ans, il y a aussi eu le football qui a pris le dessus dans leurs préférences. Pour les parents, il importait qu’ils bénéficient d’une éducation sportive avec des valeurs, la vie de groupe, le travail et la discipline. Le Standard est venu les chercher à Waremme, en 2007, je crois, et ils vivent une passion, leur passion. L’Académie a joué un grand rôle au moment du choix. C’est un endroit de rêve pour les jeunes de la région. On ne peut pas trouver mieux et le Foot Etudes propose des solutions intéressantes pour combiner sport et scolarité.

Et dans votre cas ?

Milosevic : Mes deux fils, Benjamin et Deni, se sont aussi retrouvés de concert au Standard. Ils ont joué au tennis mais les jeunes Liégeois sont d’abord aimantés, marqués au fer.  » rouche « . Ce n’est pas un hasard s’il y a une telle manne de jeunes joueurs dans la région liégeoise. Benjamin évolue désormais à Aywaille, en Promotion D. Son frère a toujours vécu pour le football. J’ignorais qu’André Bourguignon, un coach du Standard qui l’avait remarqué pendant que Benjamin s’entraînait, l’invita à passer un test. Il est rentré à la maison en lançant : – Le Standard veut que je reste. Pour lui, c’était cela le bonheur, je crois. A l’époque, je jouais encore en D1 et c’est ma femme qui se chargea de conduire régulièrement Deni et Benjamin au Standard. Leur choix pour le football m’a touché, je le reconnais, mais tout autre sport m’aurait plu aussi.

 » Mon fils ne s’est jamais intéressé de près à mon sport, le volley-ball  »

Vous, Orhan, êtes un ancien volleyeur ?

Arslanagic : Oui, comme le père de Thibaut Courtois, que je connais. Mon fils ne s’est jamais intéressé de près à mon sport, le volley-ball. Il est né à Nivelles alors que je jouais à Charleroi. Nous passions nos vacances d’été à Dubrovnik et mon épouse exigea que Dino et sa soeur apprennent au plus vite à nager. Comme je suis originaire de Sarajevo, il était normal que Dino découvre aussi la montagne. Même si sa mère, qui est belge, hésita un peu, notre fils devint un bon skieur. En Belgique, il est plus facile de nager que de skier. A Nivelles, il n’est pas tombé, je crois, sur des formateurs qui lui convenaient, que ce soit en natation ou en football. Nous occupions un appartement et, pour prendre un bon bol d’air, il faisait un peu de vélo au Parc de la Dodaine ou au Château de La Hulpe. Le volley-ball m’a ensuite dirigé vers Mouscron et c’est là que le déclic s’est produit. Dino était hyperactif et c’est lui qui a opté pour le football. Je n’ai pas décidé à sa place. Si j’avais dû le faire, le volley-ball l’aurait peut-être emporté. Nous habitions à Luigne, pas loin des belles installations du Futurosport, fréquenté par toutes les écoles de la région. Une vraie pépinière de jeunes talents avec un outil magnifique. Maxime Lestienne et mon fils étaient inséparables. Pour moi, Max est plus doué que Thorgan Hazard. En tout cas, il y a 15 ans, je ne pouvais pas imaginer que mon gamin se retrouverait un jour au Standard. Il importait alors de le voir s’amuser, grandir en menant une vie saine.

Les premières sélections nationales de jeunes ont-elles donné une autre dimension à leur passion ?

Milosevic : Non, même si c’est un signe mais rien de plus. Deni a déjà été retenu en U15. C’est là que notre expérience peut jouer, leur être utile. En ex-Yougoslavie, j’étais un jeune d’un club de D3. J’ai fréquenté de grandes promesses du Dinamo Zagreb, de l’Etoile Rouge ou du Partizan Belgrade et d’Hajduk Split : beaucoup ont cru que c’était arrivé à 15 ans avant de disparaître de la circulation.

De Sart : Il faut garder la tête sur les épaules. Il y a une telle différence entre les U 16 et les U 19, par exemple. Nous le mesurons peut-être plus facilement parce que nous sommes passés par là : cela permet de ne pas s’emballer.

Arslanagic : Je suis d’accord mais, pour nous, cela a été doublement spécial. Mouscron venait de mettre la clef sous le paillasson avec ce que cela impliquait comme incertitudes. J’étais rentré à Sarajevo pour assister aux funérailles de ma belle-soeur. Le téléphone s’est mis à sonner. Des tas d’agents de joueurs désiraient me parler de mon fils : je ne savais pas qu’il était aussi… bon (rires).

De Sart : Ah, les agents…

Milosevic : Tout est délicat à cet âge-là. Pour moi, à 15 ans, les études sont prioritaires. Aujourd’hui, un footballeur professionnel doit avoir terminé ses humanités. Cela lui offre un bagage et une clef pour prolonger ses études en cas de problèmes dans le football.

 » Un jeune de chez nous peut, s’il le veut, entamer des études universitaires  »

Qu’en pensez-vous ?

De Sart : Tout à fait d’accord avec Milo. On ne décide pas à 15 ans. Là, il faut laisser le temps au temps et le jeune doit aller le plus loin possible dans ses études tant qu’il n’a pas la quasi-certitude de percer dans le sport. Notre formation a des atouts par rapport au système français. Ici, les jeunes ne sont pas déracinés et ne se retrouvent pas très loin de chez eux. Les événements qui ont secoué les Bleus lors de la dernière Coupe du Monde signifient aussi qu’il y a eu des problèmes d’éducation.

Milosevic : Leur éducation est insuffisante.

De Sart : Tout à fait. Un jeune de chez nous peut, s’il le veut, entamer des études universitaires. Il reste plus facile de trouver sa place dans la société grâce aux études que via le football. Cela dit, de mon temps, j’ai pu réussir des études universitaires tout en jouant en D1 au FC Liégeois où les coaches me soutenaient. Ce n’est plus possible car la charge de travail et les attentes sont trop importantes. Julien a terminé ses humanités et se consacre à fond au football après avoir entamé des études de marketing. C’était inconciliable. Son frère entrera à l’université l’année prochaine.

Milosevic : Aujourd’hui, un jeune peut valoir beaucoup d’argent à 18 ans. La pression est énorme. Sa réussite peut être celle de toute une famille. En cas d’échec, c’est très problématique. Il faut être prudent avec les jeunes. Deni a toujours beaucoup bossé pour le football. Son frère vit cela plus tranquillement, c’est bien aussi.

Arslanagic : Etudes, entraînements, matches : les jeunes travaillent beaucoup plus que les seniors. Ils n’ont pas le temps de glander. En D1, ils s’entraînent bien moins que dans d’autres sports, comme le volley, entre autres.

Les jeunes n’ont-ils jamais de coup de blues ?

Arslanagic : Oui, évidemment.

De Sart : Pour ceux qui passent une semaine à l’internat avant de retrouver la famille le week-end, c’est parfois très dur.

Arslanagic : C’est éprouvant pour les familles. Tout tourne autour du jeune footballeur. Or, nous avons une fille, Leila, qui avait envie de voir plus souvent son frère. J’espérais qu’il termine son bac scientifique à Lille car c’était un bon élève. Mais je ne pouvais pas tout lui interdire, les copines, sa vie de jeune. D’autres ont pris une orientation professionnelle, il terminera ses études par correspondance.

Milosevic : Ce sont en tout cas trois jeunes très équilibrés. Non, ils n’ont pas hypothéqué leur jeunesse. Ils sont motivés, s’entraînent sept fois par semaine, c’est leur choix. Au Standard, il y a une formule gagnante pour la formation et ce sont surtout les jeunes de la région qui réussissent.

 » Les parents doivent rester des parents  »

Réalisent-ils vos rêves ?

Milosevic : Non, c’est leur vie, ce sont leurs rêves, pas les nôtres.

De Sart : C’est un milieu particulier. La réussite leur appartient.

Arslanagic : Les parents doivent rester des parents, des exemples. A Lille, j’ai vu des pères de joueurs de petits clubs qui incitaient à la violence contre les meilleurs adversaires. De vrais massacres…

Milosevic : C’est scandaleux. Je donne parfois des conseils : – Joue plus vite, plus simplement. Rien de plus mais je dois faire attention de ne pas m’attarder que sur leurs erreurs.

Arslanagic : Je ne donne pas toujours mon avis. Il se renseigne alors auprès de sa mère :- Qu’est-ce que papa a pensé de mon match ?

De Sart : Ils sont surtout demandeurs par rapport au métier. Comment faut-il se préparer, dans quel état d’esprit ? Ils ont besoin de repères et de soutiens. Les gens voient souvent les avantages pas le revers de la médaille.

Arslanagic : Exact. Je viens d’un sport de salle… bien chauffée en hiver. Nos jeunes footballeurs jouent ou s’entraînent par tous les temps, froid, pluie, neige. Cela n’a jamais découragé mon fils. Ce n’est pas donné à tout le monde.

De Sart : C’est le goût de l’effort, la remise en question, l’envie de se dépasser, c’est bien.

Milosevic : Pour y arriver, il faut travailler dans la durée, pas que six mois.

De Sart : Il faut passer au-dessus des difficultés, des blessures, des passages sur le banc.

 » Nous, c’est le passé.  »

On les compare aux papas ?

Aslanagic : C’est normal dans le cas de Julien et de Deni. Leur papa respectif a marqué l’histoire du football liégeois. Pour mon fils, c’est différent et il n’a pas été formé au Standard. Lille a été hyper correct avec lui et l’a libéré car le club avait d’autres priorités. Lui, il devait jouer en D1, pas en CFA. Quand je lui dis que le Standard le pistait, il a éclaté de joie. Le club a été vendu peu après la signature du contrat ; c’était étrange.

De Sart : Je m’attendais aux comparaisons mais il a vite prouvé qu’il est au-dessus de cela.

Milosevic : Nous, c’est le passé. Ce qui m’intéresse, c’est eux.

Un père directeur technique, un autre agent de joueurs, c’est un plus, non ?

De Sart : Non, c’est ce qu’on montre sur le terrain qui importe. Nos fils sont d’abord des joueurs du Standard. C’est le coach qui décide d’utiliser leurs services ou pas. Arslanagic avait déjà souligné son potentiel la saison passée. Il confirme. Julien l’imite dans la ligne médiane et Deni s’est déjà montré et s’en est bien sorti. Deni est un enfant du Standard et il faut mesurer la pression et l’émotion que représentent des débuts à Sclessin. Il y a une chose qui importe le plus dans tout cela : notre politique des jeunes porte ses fruits.

Arslanagic : On en parle, c’est sûr. Gand a approché mon fils en janvier. Mircea Rednic l’a apprécié au Standard. Mais le Standard est au centre de ses pensées : il veut réussir. Sur le terrain, l’entourage est magnifique. Il ne peut que progresser. Il s’est toujours destiné au poste d’arrière central. Il avait terminé la saison passée comme titulaire. Cette fois, il a parfois dû patienter. Ciman et Kanu lui apportent beaucoup.

De Sart : Ils savent se remettre en question, rendre des services. Pour Deni, c’est un début et ce n’est pas facile à droite.

Milosevic : Deni a intéressé Naples et Genk mais c’est un Liégeois et c’est leur enfer, leur Wembley, leur Maracana.

De Sart : Oui il avait été question d’une location cette saison pour Julien. Il a su rebondir et saisir sa chance.

Milosevic : La Bosnie-Herzégovine et la Serbie suivent Deni.

Arslanagic : La Bosnie s’intéresse aussi à mon fils. Pour les jeunes dans son cas, ce ne sont pas des choix faciles. Il a fait toutes ses classes ici. Sa maman est belge et c’est clair : elle ne jure que par les Diables Rouges. Moi, je ne sais pas. On verra, c’est son choix.

Milosevic : Il aimerait jouer un jour chez les Diables Rouges avec Lestienne.

Arslanagic : Probablement.

Milosevic : Mais Safet Susic, le coach de la Bosnie, aura besoin d’arrières centraux au Brésil.

De Sart : Pour nous, il n y a pas de problèmes, ce serait bien qu’Arslanagic prenne part à la Coupe du Monde avec la Bosnie.

Milosevic : Jouer contre l’Argentine à Maracana, ce serait extraordinaire. Cela lui ferait de l’expérience en plus et son prix de transfert grimperait en flèche.

De Sart : Avec les jeunes, il faut trouver les bonnes réponses.

Arslanagic : J’en discute aussi avec notre agent et ami, Tonci Martic que nous avons connu à Mouscron.

 » J’apprécie leur calme face à la concurrence  »

La relation avec vos fils a-t-elle changé depuis leur arrivée en D1 ?

De Sart : Non, c’est la même chose qu’il y a huit ans et cela ne changera pas demain. Ils ont besoin d’accompagnement. Guy Luzon leur offre sa confiance et son énergie. A eux d’en tirer le plus grand profit pour leur carrière. Nous sommes là pour les aider mais c’est à eux d’agir.

Arslanagic : Evidemment, mon fils sait d’où il vient. Et il n’est encore nulle part. C’est un début, ces jeunes sont encore des inconnus. On n’a rien pour rien mais ils ont la culture du travail. A mon avis, les anciens apprécient leur humilité. La place d’arrière central exige des qualités : placement, jeu de tête, précision. C’est un des postes à hautes responsabilités car les erreurs se payent cash. Je ne me mêle pas de sa vie privée. En tant qu’adulte, il a le droit de mener son existence à sa guise. Mais, s’il a besoin d’un avis ou d’un conseil, il peut me téléphoner, même en pleine nuit.

Milosevic : Ce n’est pas évident. J’apprécie leur calme face à la concurrence. A notre époque, l’aspect financier apparaissait plus tard. J’ai commencé à bien gagner ma vie au FC Liégeois, à 28 ans.

De Sart : Les bons savent évidemment tout cela.

Milosevic : Un titre serait fabuleux pour les jeunes. Cela signifierait, quelque part, qu’ils ont fait la jonction avec la génération des Witsel, Fellaini et Defour. Nos fils ne sont pas encore aussi loin que Batshuayi, Ezekiel ou Mpoku mais ils avancent.

Arslanagic : Je n’ai pas un regard aussi pointu en football mais j’aime Bia aussi. J’ai joué des années au volley à Bosna Sarajevo. C’était le haut niveau chez nous et en Europe. J’ai été 116 fois international pour l’ex-Yougoslavie et et à quatre reprises pour la Bosnie-Herzégovine. En Belgique, j’ai joué à Charleroi, une ville que j’aime bien, et à Mouscron. J’espère que cette expérience sera utile pour mon fils.

Milosevic : Cela me semble évident.

PAR PIERRE BILIC-PHOTOS: IMAGEGLOBE/ LAMBERT

 » Ce serait bien que Dino Arslanagic prenne part à la Coupe du Monde avec la Bosnie-Herzégovine.  » Jean-François de Sart

 » Tous trois ont eu des offres d’autres clubs. Mais ce sont des Liégeois. Sclessin, c’est leur Wembley, leur Maracana.  » Cvijan Milosevic

 » Ils ont la tête bien accrochée sur leurs épaules. Les anciens apprécient leur humilité.  » Orhan Arslanagic

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