« C’est le FC Panique »

Willy n’avait pas reçu sa chance jusqu’au bout comme dans le club pro qui l’avait vu percer comme joueur. Il refait le tour du propriétaire.

On s’active dans les vergers hesbignons. Chaque année, l’automne ramène son cortège de travailleurs saisonniers venus récolter les jolies pommes que l’on trouve dans la région de Borgloon. Tout bon agriculteur le sait : sa récolte n’est jamais à l’abri d’un avatar mais le meilleur des climats ne pourra lui donner de beaux fruits s’il n’a pas soigné ses arbres avec amour au cours des années précédentes.

En ce début octobre, les saisonniers chargés de cueillir les fruits du Staaienveld n’ont pas le sourire. Pour mieux comprendre cette situation, il faut remonter au mois de février 2004, moment où Marc Wilmots, poussé dans ses derniers retranchements, quitte Saint-Trond, où il avait pourtant signé un contrat de trois ans.

Aujourd’hui, le club est dernier tandis que le défenseur Mathieu Beda et le médian Tamas Hajnal, des joueurs qu’il avait amenés font fureur en Allemagne. Sans parler du cas de Landry Mulemo, qui attend patiemment la fin de ses problèmes physiques au Standard.

Wilmots n’a pas eu raison trop tôt : il avait déjà raison à l’époque mais trop peu de gens l’avaient cru. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il n’avait encore rien prouvé comme entraîneur. Peut-être aussi parce que son activité de sénateur le desservait. Mais probablement, avant tout, parce que son arrivée et les changements qu’elle avait impliqués avaient dérangé beaucoup de monde et qu’il était facile de se baser sur le classement pour tout démolir.

Aujourd’hui, l’analyse qu’il livre des problèmes de Saint-Trond passe inévitablement par l’expérience qu’il y a vécue pendant huit mois.

Problème n° 1 : le recrutement

 » Les défenseurs NinoslavMilenkovic et Stijn Vreven et le milieu Marc Hendrikx, c’est vieux, ça coûte cher et ça n’a aucune valeur de revente. Où sont les jeunes Limbourgeois qu’on me reprochait de ne pas aligner ? Pour moi, Saint-Trond transfère n’importe comment « , dit Wilmots.  » D’ailleurs : quels sont les transferts qui jouent ? Mais attention, tout le monde n’y perd pas car un transfert, ça implique toujours des commissions. Et comme ceux que l’on achète en été ne sont pas bons, il faut en prendre des autres au mercato d’hiver. Seul le club va y laisser des plumes. Et qui pourra-t-il revendre pour récupérer un peu de son investissement ? Si j’étais recruteur pour un club allemand, aujourd’hui, il n’y a que deux joueurs qui m’intéresseraient : les milieux Cephas Chimedza et Peter Delorge. Le premier parce qu’il a de la percussion, le deuxième parce qu’il a de l’expérience avec ses 200 matches de D1. Il a un peu trop de déchet dans son jeu mais il n’est jamais blessé, il a une grosse mentalité, il est très professionnel. Je suivrais aussi d’un peu plus près les prestations des attaquants Adamo Coulibaly et Ashley Hartog. Coulibaly a de la qualité française : il est grand, sait bouger, garde bien le ballon, va en profondeur. Le Sud-Africain Hartog a de la vitesse, du gabarit, de la profondeur. Ces deux-là sont à revoir « .

Le recrutement, Wilmots en avait fait l’un de ses chevaux de bataille lorsqu’il était arrivé au club, en 2004. Par obligation, d’abord, mais aussi parce que cela lui permettait de partir sur des bases qu’il avait lui-même posées.

 » Le président Roland Duchâtelet m’a appelé le 15 avril 2004 « , rappelle-t-il.  » Il venait de racheter le club à l’ancienne asbl et avait effacé la dette. Il cherchait un manager à l’anglaise car il ne lui restait que neuf joueurs et trois gardiens. Parmi ceux-ci, il y avait l’attaquant BenjaminDe Ceulaer, le médian Tom Van Imschoot et les gardiens Frans Boeckx et BramCastro, des gamins. En six semaines, j’ai formé un noyau pour un budget de 800.000 euros, salaires compris. La moyenne d’âge était de 23 ans. Après, je me suis attaché à construire un staff technique et une équipe médicale. L’objectif était, dans les trois ans, d’amener cette équipe entre la cinquième et la huitième place. Des joueurs comme Beda, Hajnal et Mulemo auraient alors valu, ensemble, cinq à six millions d’euros. Le début fut difficile parce que les jeunes manquaient de rythme mais nous avons tout de même pris seize points sur le premier tour. De fin août à février, nous n’avions plus perdu à domicile, le public revenait. Bref, tout le monde avait à nouveau la trouille de venir au Staaien « .

Problème n° 2 : l’ancienne ASBL

 » Avant, il y avait 13 personnes qui mettaient de l’argent dans le club. Aujourd’hui, il n’y en a plus qu’une. Mais les gens qui dirigeaient l’ancienne ASBL sont toujours là, d’une façon ou d’une autre. Saint-Trond est un club de village dans lequel tout le monde veut avoir son mot à dire sur le plan sportif. Résultat : dès que ça ne va pas, il faut changer quelque chose pour donner du crédit à l’un ou l’autre. Je les appelle FC Panique : on ne sait pas qui décide, qui fait quoi. Un exemple : alors que mon contrat stipulait bien que le club ne pouvait pas vendre mon image, on a promis à un sponsor que ma photo figurerait sur son catalogue. Résultat : le sponsor est parti et je suis en procès avec lui.

Ceux qui ont fait ça sont des amateurs, ils ne vendent pas le produit Saint-Trond. Vous pensez que le budget de Schalke serait passé de 20 à 140 millions d’euros s’il n’y avait pas eu une ligne de conduite claire, avec des gens bien en place ? Si le secrétaire avait passé son temps à chercher des joueurs sur Internet ? Qu’ils prennent exemple sur ce qui se fait à Genk « .

Guy Mangelschots est un des personnages clefs de Saint-Trond. Il était déjà en place lorsque le club était monté en D1 et depuis, malgré quelques départs, il est toujours revenu.

 » J’ai appris à me méfier des gens qui disent qui ont un c£ur pour Saint-Trond mais qui ont surtout un c£ur pour eux-mêmes. Mangelschots n’est jamais vraiment parti. Au fil des années, il a tissé sa toile. Même quand il n’était plus là, il avait des hommes à lui partout : au secrétariat, dans le staff médical et même dans l’équipe. Vous auriez dû voir le bazar quand j’ai enlevé DusanBelic pour mettre Castro dans les buts… Ah c’est sûr qu’au cours des premiers mois durant lesquels j’ai travaillé, je n’ai vu personne. Normal : tout était à refaire, on me laissait me débrouiller. Mais une fois que le club a été remis sur rails, Mangelschots a commencé à téléphoner de plus en plus souvent à Duchâtelet. Soi-disant pour lui donner des conseils. Et il a fini par imposer ses vues. Je voulais conserver De Ceulaer parce qu’il n’était pas prêt pour un grand club. A 20 ans, il ne savait même pas faire une reprise de volée. Je l’ai mis sur le banc à Ostende pour lui ouvrir les yeux mais on voulait à tout prix le vendre et on avait mené les négociations dans mon dos. Il est parti pour 300.000 euros. S’il était resté deux ans de plus, il serait parti pour trois ou quatre fois cette somme. A l’inverse, je voulais Rudy Haddat, du PSG et le flanc MustafaOussalah, du Standard mais on m’a imposé le milieu central Dimitri de Condé. Un jour, j’ai appelé Duchâtelet dans ma voiture et je lui ai dit que ce n’était plus possible, qu’il fallait choisir entre la voie que j’avais tracée ou celle que Mangelschots voulait imposer. Parce que j’étais prêt à assumer mes erreurs, pas celles des autres. Je ne voulais pas démissionner parce que j’aurais eu honte vis-à-vis des joueurs que j’avais amenés. C’est bien simple : des 14 éléments que j’avais amenés, il n’en restait plus que trois dans le noyau trois mois après mon départ. Et après un an et quatre mois, il n’y en avait plus aucun, hormis Mulemo. Beda, qui est capitaine à Kaizerslautern, avait un contrat de trois ans et ils l’ont laissé partir gratuitement après un an : je dis que c’est une faute professionnelle grave. Et ce n’est pas tout : Hajnal est le meilleur joueur actuel de Bundesliga, l’attaquant JariNiemi rejoue en équipe nationale de Finlande, Castro est titulaire à Roda. Et le défenseur EgonWisniowski ? On riait de moi parce que j’avais voulu le conserver. C’est vrai que ce n’est pas un grand joueur mais c’est un travailleur, il a de la discipline et de la vitesse dans son dos. Aujourd’hui, ils sont bien contents de l’avoir « .

Problème n° 3 : la formation

Wisniowski est l’un des 7 joueurs du noyau actuel que le club peut se targuer d’avoir formés. Les autres sont Boeckx, l’autre gardien Frank Mignolet, le défenseur Nicky Hayen, les milieux Jeroen Appeltans, Giel Deferm et Delorge. Mais combien jouent réellement ? On est tout de même loin de l’époque où le club sortait des joueurs comme Alain Peetermans, Gunther Jacobs, Danny Boffin, Stef Agten ou… Wilmots.

 » De ce côté-là, ça va beaucoup mieux parce que Saint-Trond a enfin confié cela a quelqu’un de compétent, Thomas Caers. Comme Genk l’avait fait avec Ronny Van Geneugden. Quelqu’un qui ne sort pas de son rôle. Mais il faut tout recommencer à zéro car l’école des jeunes de Saint-Trond avait périclité. On me reprochait de ne pas utiliser les éléments du cru mais il n’y en avait pas. D’ailleurs, par la suite, le club est allé en Hongrie. Vous voulez savoir pourquoi ça ne marchait pas chez les jeunes ? C’était un club dans le club, avec sa propre comptabilité… Quand j’ai voulu aller voir ce qui s’y passait, on m’a rétorqué que cela ne me regardait pas. Alors que j’étais le directeur sportif, choisi par le patron. Maintenant, on a construit un terrain synthétique, on travaille avec les écoles des environs et on a installé des entraîneurs diplômés « .

Problème n° 4 : les entraîneurs

Depuis le départ de Wilmots, ils sont nombreux à s’être succédés à la barre : Eddy Raymaekers et Peter Voets pour achever la saison 2004-2005, Herman Vermeulen puis Thomas Caers. En 2006-2007, Caers était remplacé par Peter Voets qui, après deux semaines, cédait le relais à Henk Houwaart, le Hollandais s’en allant après la 27e journée au profit de Voets. Et cette saison, Valère Billen a tenu six matches.

 » Il n’y a quand même pas sept mauvais entraîneurs qui sont passés par Saint-Trond. Et pourtant, le problème du mauvais classement est récurrent. Ce n’est donc pas de ce côté-là qu’il faut chercher. Parce que l’équipe manque de stabilité, elle a trop souvent changé. Même si, à mon avis, des gens jouent à l’envers. Un peu comme quand on me faisait jouer à droite à Bordeaux. Quand je vois que Chimedza joue arrière gauche, je suis malade. Et l’avant Asanda Sishuba : alors que c’est un type qui doit surgir de la deuxième ligne, provoquer, on le fait jouer dos au but. Je me pose aussi des questions au point de vue physique quand je vois que St-Trond craque souvent après 70 minutes « .

Problème n° 5 : l’attaque

Saint-Trond n’avait marqué que cinq buts au cours des sept premières rencontres.

 » Ce n’est pas énorme mais c’est une moyenne correcte : Westerlo n’avait marqué que trois fois et comptait plus de points. Cela manque de vitesse sur les flancs mais le gros problème, c’est la blessure de Peter Van Houdt C’est le seul joueur qui peut marquer un but.

Quand j’entends qu’ils sont prêts à discuter d’un transfert avec Tours, je me pose des questions. Il ne faut pas s’étonner que les joueurs ne sont pas motivés lorsqu’ils entendent des choses pareilles : c’est un manque de respect à leur égard. Et puis, il y a beaucoup d’attaquants qu’on paye et qu’on n’utilise pas puisqu’un seul joue « .

Problème n° 6 : la défense

Elle avait encaissé 15 buts après sept matches, soit plus de deux goals par rencontre.

 » Là, effectivement, il y a des choses qui ne vont pas. D’abord, les trois quarts de cette défense ont changé : Hendrikx rejoue dans l’entrejeu, Vilmos Vanczak est parti, Mulemo aussi. Il ne reste plus que Hayen, qui est super lent. Il fallait un rapide à ses côtés pour compenser. Et qui a-t-on placé à ses côtés ? Milenkovic, encore plus lent ! J’ai vu le match contre Genk : ils auraient pu prendre six buts. Quand une équipe marque difficilement, il est important de pouvoir se reposer sur une défense imperméable. C’est loin d’être le cas « .

Conclusion :  » St Trond n’est certainement pas mort « 

 » Le championnat est encore long. Si l’attaquant Peter Van Houdt revient et que le club fait un ou deux bons transferts au mercato, Saint-Trond ne descendra pas car il y a plus faible. Il faut aussi que tout le monde tire à la même corde. Quand je vois le défenseur Milenkovic gueuler sur ses partenaires et sur l’entraîneur après un match au cours duquel il a été archi-mauvais, je me dis qu’il faut recadrer les gens « .

patrice sintzen – photos; reporters – belga

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