C’est la reprise !

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Bruel tente Barbara et Raphael s’accapare de Manset. Comme Biolay s’était emparé de Trénet : trois hommages périlleux.

C’est dans l’air depuis un bout de temps : en 2009, Maurane parie sur un album de reprises de Nougaro, pour un résultat tiède. A l’été 2015, Benjamin Biolay en trio – avec l’excellent belge Nicolas Fiszman – s’essaie à Trénet. Délaissant les tubes explicites (Douce France, Y’ a de la joie), BB échafaude des versions où s’accomplit une certaine mélancolie moderne. C’est justement interprété, mais le résultat, chanté d’une tonalité gainsbourgienne, semble un rien pléonastique. Trop fin de soirée humide au piano bar.

Alors Bruel et Barbara ? L’acteur majeur de la Bruelmania du début des années 1990 a fait du chemin, vieillissant avec des morceaux qui ne se sont jamais départis d’une forme de romantisme bleu : son rôle d’hypnotiseur à minettes, à 56 ans, s’est forcément tassé. Bruel n’en est pas à sa première pioche dans le répertoire hexagonal : Entre deux, album de 2002, reprenait des titres des années 1930-1950, dont le réaliste Mon amant de Saint-Jean façon musette. Gros succès. Mais Barbara (1930-1997), c’est une autre stature : un peu celle du Commandeur. Bruel décide de l’aborder en jouant du caractère le plus intime de la voix : il nous souffle ses barbarismes à l’oreille. Sans se rendre compte qu’en adoptant des arrangements souvent datés (les synthés irritants), l’ensemble donne l’impression de marcher sur des oeufs, écrasé par le charisme du répertoire original. Comment évoquer la beauté fatale et malicieuse des chansons de Barbara ? Avec de l’audace, des dérives ou alors, peut-être, un dépouillement minéral : cet album élude ces caractéristiques et ne convainc pas.

Triangle mémoriel

Raphael, lui, part à la pêche au Gérard Manset, plus dauphin que requin. Si l’album d’hommage est bien une première pour le chanteur à tête d’ange, il a précédemment collaboré avec l’homme invisible de la chanson, et est managé par sa fille, Caroline Manset. Le disque est enregistré live cet été aux Francos de La Rochelle, soit cinq chansons de Matrice (1989) et quatre autres titres, dont Il voyage en solitaire, tube inattendu qui fit découvrir Manset il y a quarante ans. Ce moment-là est comme un double suspendu tissant le lien entre Raphael et Manset : des amis, des frères, des cousins d’hypnose.

En récupérant l’ancien guitariste de Bashung, Yan Péchin, le chanteur séraphique renforce aussi une sorte de triangle mémoriel entre lui, Manset et le grand Alain, mort en mars 2009. Par exemple, dans sa version de Comme un lego, composition que Manset écrivit pour Bashung et l’album Bleu pétrole, Raphael aspire le talent des deux aînés pour le joindre au sien. Y trouvant des ressources musicales qui extraient le meilleur de la chanson française mais aussi de ses propres manies rock ou juives. Davantage qu’une question de fidélité ou pas aux oeuvres de départ, ce qui compte, c’est bien l’inspiration investie dans les musiques revisitées. Raphael l’a parfaitement compris.

CD Trénet de Biolay Fiszman Benarrosh, chez Universal. CD Très souvent je pense à vous…, de Bruel, chez Sony Music. CD Solitude des latitudes – Raphael revisite Manset, chez Warner.

Raphael en concert le 18 décembre au Cirque Royal à Bruxelles.

Philippe Cornet

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