© TIM DE WAELE

 » C’est la personnalité qui fait le leader, pas le palmarès « 

Il a été le troisième meilleur coureur des épreuves d’une journée en 2018 mais il n’a obtenu que des accessits. C’est trop peu à son goût. Dès le week-end prochain et l’ouverture de la saison belge, Jasper Stuyven (26 ans) compte donc décrocher la victoire qui lui fait défaut. Il n’a jamais été aussi bien armé, mentalement et physiquement.

# AimHigher.  » Vise plus haut.  » Cette année, c’est sur ce hashtag que Jasper Stuyven achève ses messages sur les réseaux sociaux. En 2018, c’était #NextStep. Il y a un an, il voulait accomplir  » le prochain pas  » vers une victoire dans une classique printanière. Le Louvaniste n’en a jamais été très éloigné.

Il est même le seul coureur à avoir terminé parmi les dix premiers dans sept épreuves du WorldTour : quatrième au Circuit Het Nieuwsblad, dixième à Milan-Sanremo, sixième à l’E3 Harelbeke, neuvième à Gand-Wevelgem, dixième à À Travers la Flandre, septième du Tour des Flandres et cinquième de Paris-Roubaix.

Stuyven place donc la barre plus haut. Ces derniers mois, il a imité Sky et s’est mis en quête de tout ce qui est susceptible de le faire progresser.  » Pendant mon stage à Majorque, pendant un mois, j’ai dormi dans une tente dépressurisée. J’ai remis le couvert une semaine en février. C’est la première fois que je le fais en hiver mais les stages en altitude m’ont toujours réussi lors de la préparation au Tour de France.

Cette fois, j’ai eu recours à une simulation, pour pouvoir m’entraîner sous un climat agréable à Majorque. C’est moi qui ai pris cette initiative, pas l’équipe. Je me suis même chargé du transport. Il faut investir dans sa carrière « , raconte Stuyven, installé dans la Brasserie 500 à Heverlee, à l’occasion d’une des rares journées qu’il a passées au pays ces derniers mois.

À Majorque, le coureur Trek-Segafredo a régulièrement piqué des sprints sur la Palma Arenapiste, sous la direction de David Muntaner, ancien champion du monde de course par équipes. Il a adopté une autre position, plus aérodynamique : la tête 18 centimètres plus basse afin de diminuer sa surface frontale, suite à un test en tunnel à Paal. Il gagne ainsi 124 watts.

 » Je ne vais pas sprinteur comme Caleb Ewan, le nez sur le guidon, car il faut pouvoir développer assez de puissance, ce qui n’est pas évident quand on est aussi bas. Je dois aussi m’habituer à cette position. C’est pour ça que je me suis entraîné sur piste « , raconte Stuyven, qui a participé à la fameuse Nytarsstaevnets, une course par équipes de cent kilomètres du Danemark, avec Mads Pedersen.  » C’est très dur mais nous l’avons fait pour le plaisir, sans objectif spécifique.  »

 » Les meilleures années d’un coureur se situent entre 27 et 33 ans  »

Ta nouvelle position va-t-elle te permettre de te mêler davantage aux sprints massifs ?

JASPER STUYVEN : Non. Jusqu’à présent, j’ai toujours été rapide mais dans des groupes restreints, au terme de courses pénibles, comme lors de ma victoire d’étape à la Vuelta 2015 ou au Tour de Louvain l’année passée. J’ai chaque fois battu une cinquantaine de coureurs. J’espère que ma nouvelle position constituera un atout dans les classiques printanières, comme Milan-Sanremo. Battre Sagan ou Van Avermaet restera difficile mais ça peut me valoir un meilleur classement.

À près de 27 ans, tu comptes six victoires en professionnels. Tu aurais signé des deux mains pour ce palmarès lors de tes débuts en 2014 ?

STUYVEN : Oui ! Je l’ai toujours dit. Je sais que les meilleures années d’un coureur se situent entre 27 et 33 ans. J’ai donc progressé pas à pas tout en me forgeant un joli palmarès, si on tient compte de mes accessits.

Ton classement au WorldTour souligne ton évolution : 165e en 2014, 127e en 2015, 109e en 2016, 31e en 2017 et 19e en 2018. Tu es même troisième au classement WorldTour des courses d’une journée, après Van Avermaet et Matthews mais devant Naesen et Sagan.

STUYVEN : Ah bon ? Je l’ignorais. Mais ces chiffres sont le reflet de ma progression, en effet.

Dirk Demol, ton ancien directeur sportif, avait dévoilé un plan de carrière soigneusement établi, en 2018 : d’abord deux saisons, 2014 et 2015, au service de Fabian Cancellara, puis deux ou trois qui t’amènent prudemment à l’avant-plan avant le moment de vérité, en 2019. Tu sens que ce moment est arrivé ?

STUYVEN : Oui et non. Je veux à tout prix enlever une classique et je me sens prêt mais je ne serai pas un bon à rien si j’échoue. Mon palmarès comporte déjà Kuurne-Bruxelles-Kuurne, deux étapes du BinckBank Tour, le GP de Wallonie… Pour le même prix, j’aurais gagné aussi des étapes dans les trois grands tours car après mon succès d’étape à la Vuelta 2015, j’ai été proche d’une victoire au Giro ( deuxième de la sixième étape en 2017, ndlr) et au Tour ( en 2016 et en 2018, mais il a été rattrapé dans le dernier kilomètre, ndlr). Avec un peu de chance, la perception qu’on a de moi aurait été radicalement différente.

 » Je dois oser perdre. Bluffer. Et pas constamment pédaler à fond  »

Tu a souvent échoué de peu, surtout au printemps 2018. Trois belles victoires en été ne t’ont même pas valu une nomination au Vélo de Cristal.

STUYVEN : C’est dommage, surtout qu’on m’a encensé au début de ma carrière avant de décréter, après une saison régulière, que je n’étais pas assez bon. Moi, en tout cas, je suis fier de mes accessits, même si pour la presse, seules les victoires comptent. C’est évidemment l’objectif en sport mais quand même…

Tu aurais pu gagner une course au printemps 2018 ?

STUYVEN : Pas À Travers la Flandre ni Paris-Roubaix car je n’étais pas en jambes. Terpstra et Sagan ont été au-dessus du lot au Ronde et à Paris-Roubaix. Par contre, j’aurais pu retirer davantage de Gand-Wevelgem si la course n’avait pas été aussi passive. Sagan a remporté un sprint massif. L’E3 éveille en moi beaucoup de regrets quand je repense à mon retour, avec Vanmarcke et Naesen, après une chute. Terpstra, le vainqueur, était bon mais si j’avais pu entamer la finale avec plus de fraîcheur… D’un autre côté, on peut refaire l’histoire avec des  » si « .

Jasper Stuyven :
Jasper Stuyven :  » Je veux gagner une classique cette année mais je ne serai pas un bon à rien si j’échoue. « © BELGAIMAGE

Tu as déjà eu le sentiment d’émerger nettement du lot ?

STUYVEN : Non, mais ce n’est pas indispensable pour gagner. Qui émerge vraiment pendant tout le printemps, comme Boonen et Cancellara durant leurs meilleures années ? Personne. L’élite s’est élargie à dix ou quinze coureurs qui entrent en ligne de compte pour la victoire.

Steven de Jongh, ton directeur sportif, dit que tu dois devenir plus rusé pour décrocher une victoire parmi ce groupe plus large de prétendants. Tu es d’accord ?

STUYVEN : Oui. Je dois oser perdre. Bluffer. Et pas constamment pédaler à fond, surtout quand mon groupe comporte un homme plus rapide contre lequel je ne peux pas gagner. Mes compagnons d’échappée sont fâchés ? Tant pis.

Dans une vidéo résumant l’année 2018, tu affirmes  » être resté calme « . Maintenant, tu dis que tu dois bluffer davantage.

STUYVEN : Par calme, je voulais dire que je ne devais pas paniquer en cas de malchance, panne ou accident. Quand j’ai chuté à Harelbeke et que je me suis retrouvé en queue de peloton, Dirk Demol est devenu très nerveux. Pas moi.  » Je vais revenir.  » J’ai couru sans stress, partout. Le stress te prive d’une partie de ton énergie. Je remarque que ça fait une différence. Si je peux combiner cette sérénité avec une plus grande intelligence tactique et y adjoindre l’un ou l’autre pour cent sur le plan physique, je pourrai aller loin.

 » Je n’ai jamais ressenti la pression inhérente à l’obligation de prester  »

Comment ton coach mental Stefan Van Meirhaeghe, avec lequel tu travailles depuis 2017, t’a-t-il aidé à devenir plus zen ?

STUYVEN : Stefan a étudié dans un monastère en Inde. Il y retourne régulièrement. Il maîtrise la méditation. Avant, ça me faisait rigoler mais entre-temps, j’en ai découvert les vertus. Elle m’aide à me concentrer, à mieux réagir à des situations inattendues.

Tu ne l’as pas consulté parce que tu avais peur de l’échec ?

STUYVEN : Non, pas du tout. Je n’ai jamais ressenti la pression inhérente à l’obligation de prester, sans parler d’en avoir peur, même quand je suis le seul leader d’une course et que toute l’équipe roule à mon service. Au contraire, ça me booste. Et si je ne gagne pas, je ne vais pas me torturer l’esprit. Si j’ai commencé à travailler avec Stefan, c’est pour développer ma personnalité, sachant que ça profiterait à ma carrière sportive. On ne peut dissocier l’homme du coureur.

À quel point de vue as-tu le plus évolué ?

STUYVEN : En tant que chef de file. Je me juge mieux mais je suis aussi capable de mieux jauger les autres et leur état. Quelle personne mon équipier est-il ? Comment puis-je le motiver ? Ou le critiquer sans qu’il se sente attaqué ? Il est très intéressant de bâtir ainsi une équipe autour de soi.

Tu t’es inspiré de tes anciens leaders, Cancellara et Degenkolb ?

STUYVEN : Je ne m’inspire pas d’une seule personne. J’essaie de me forger mes idées personnelles en matière de leadership, à partir de mes expériences avec Fabian, John mais aussi avec Tom Boonen aux championnats du monde.

 » Comme Quick-Step, on forme un bloc très soudé  »

Quel genre de leader es-tu ? Car, contrairement à Cancellara, Degenkolb et Boonen, tu n’as pas encore un palmarès très étoffé.

STUYVEN : C’est une source d’erreurs. On est un leader par sa personnalité, pas par son palmarès. Celui-ci renforce évidemment la position d’un coureur mais on peut avoir gagné vingt classiques et avoir un caractère de chien. Un vrai leader, tel que j’essaie de l’être, encourage ceux qui travaillent pour lui, les accompagne, les rend plus forts, les incite à croire en eux, à quelque chose dont ils ne s’imaginaient pas capables. Ça doit se faire naturellement, sans rien forcer ni planifier. C’est un travail permanent, à vélo et en dehors.

Tu peux donner un exemple de la façon dont tu motives tes coéquipiers ?

STUYVEN : J’ai joué un rôle important dans la victoire de John dans l’étape pavée du dernier Tour. La veille au soir, je me suis adressé à toute l’équipe. Je ne vais pas donner de détails mais j’ai persuadé chacun que nous allions gagner le lendemain. Mes coéquipiers se sont couchés avec cette conviction et ils ont roulé de même. Tout le monde s’est surpassé et nous avons propulsé John vers la victoire, même si j’aurais également pu gagner.

Degenkolb t’a-t-il remercié pour ton speech ?

STUYVEN : Non. Tous les coureurs ne l’ont pas compris. Mais la direction m’a remercié et a insisté sur l’effet positif de ce discours par la suite.

Autre avantage pour toi, ton amitié avec Mads Pedersen. Deuxième du dernier Tour des Flandres, il est maintenant le troisième leader de Trek-Segafredo, avec John Degenkolb et toi.

STUYVEN : Tout le noyau du printemps est un groupe d’amis mais j’entretiens des liens étroits avec Mads. On ne se connaît que depuis son arrivée dans l’équipe en 2017 mais le courant est immédiatement passé. On se motive mutuellement, on se félicite de nos succès respectifs. Si l’un de nous se sent moins bien, il s’effacera de bon coeur au profit de l’autre. On se vaut et on peut en profiter sur le plan tactique, avec en plus John, qui est un sprinteur. Comme Quick-Step, on forme un bloc très soudé.

 » On exagère le phénomène Evenepoel  »

Jasper Stuyven était appelé le nouveau Boonen lors de ses débuts, de même que Remco Evenepoel est considéré comme le nouveau Merckx.  » C’est ridicule. Il ne paraît pas un article qui ne mentionne qu’il faut laisser Remco en paix. Eh bien, qu’on le fasse ! Mais le lendemain, on découvre une interview de ses parents, de sa copine, de son entraîneur actuel ou des précédents, de ses directeurs sportifs…

Ça fait vendre, surtout avec des titres style le nouveau Merckx mais c’est excessif et regrettable, surtout pour Remco lui-même. Je ne le connais pas mais il me semble suffisamment mûr pour assumer la situation. Néanmoins, je crains que tôt ou tard, ça ne lui revienne à la figure comme un boomerang. J’ai vécu ça, bien que je n’aie pas été porté aux nues à ce point. C’est sans doute dû à l’évolution de la presse ?  »

 » Je veux devenir une marque  »

Comme Kevin De Bruyne et Dries Mertens, Jasper Stuyven travaille avec la PME Sporthouse Group, spécialisée en marketing digital. Ces dernières semaines, en compagnie de con coéquipier et ami Mads Pedersen, alias Madsper, il a offert à ses 20.000 followers sur Twitter et ses 50.000 abonnés sur Instagram un coup d’oeil sur sa vie de coureur.

 » Nous allons continuer au moins jusqu’à Paris-Roubaix. C’est amusant et ça me permet d’offrir quelque chose à mes supporters. Je suis maître de mon récit et je peux ainsi devenir une marque. C’est très intéressant. J’ai étudié la communication et je possède un atelier de chocolat, avec mon oncle Ivan, chocolatier.

C’est aussi très important car un ahtlète est un produit qu’il faut vendre aux équipes et aux sponsors. Un coureur a peu de marge de manoeuvre : les droits de portrait appartiennent à l’équipe et on ne peut pas conclure des contrats personnels avec n’importe quelle entreprise.

Mark Cavendish se profile très bien sur les réseaux sociaux. Malgré deux saisons moins brillantes sur le plan sportif, il a des contrats avec Monster Energy, Nike, Oakley… Ses messages sont sincères, contrairement à ceux de Peter Sagan, par exemple.

Lui, on sent que ses posts ne sont pas authentiques. Ils sont rédigés dans un anglais parfait par la machine commerciale qui l’épaule. J’essaie d’éviter ce piège : je veux montrer le vrai Jasper, être moi-même. J ne veux pas avoir deux personnalités comme Sagan.  »

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