« C’est l’islam qui a fait de moi l’homme que je suis »

Il y a dix ans, Faris Haroun perçait au Racing Genk. Deux ans plus tard, il effectuait ses débuts avec les Diables Rouges et, en 2012, il loupait d’un fifrelin la montée en Premier League avec Middlesbrough. Aujourd’hui, il est avant-dernier en Jupiler Pro League avec le Cercle.

C’est Au Miroir, une belle brasserie du centre de Jette, que FarisHaroun(29) nous donne rendez-vous. C’est dans ce quartier ouest de la capitale qu’il a grandi, qu’il a commencé à jouer au football et que ses parents habitent toujours. Passé par le SCUP et le RSD Jette, le RWDM, le RC Genk, le Germinal Beerschot, Middlesbrough et Blackpool, le Bruxellois d’origine tchadienne a débarqué à la mi-novembre au CS Bruges, qui lutte pour son maintien en D1. Après une saison durant laquelle il n’avait guère joué et après quatre mois sans club, il veut retrouver son niveau et le plaisir. Ce qu’il a montré jusqu’ici est d’ailleurs plutôt convaincant.

 » Je voulais signer dans un club où je me sente bien et qui avait un défi à relever « , dit-il en prenant un thé.  » Il était important pour moi d’être aligné à ma meilleure place, afin de pouvoir me mettre en valeur. Le Cercle était le seul club belge à croire encore en moi et je ne l’ai pas pris de haut. Je crois en moi, je connais mes qualités et je savais que je pourrais les mettre en valeur si on me donnait de l’importance et si on m’accordait une chance. Beaucoup de gens se disent surpris par le niveau auquel je joue mais c’est surtout parce qu’en Belgique, on sous-estime la valeur de la Championship.

Ici, le fossé entre la D1 et la D2 est énorme tant en ce qui concerne la qualité des joueurs que l’intérêt du public et des médias mais en Angleterre, la différence est très ténue. Ce n’est que quand on voit combien c’est difficile pour JelleVossen et VadisOdjidja qu’on commence à s’en rendre compte. Moi, j’ai tout de même été titulaire pendant deux ans. Aujourd’hui, je veux retrouver la joie de jouer en faisant chaque semaine de mon mieux pour aider l’équipe.  »

Vous étiez en très bonne condition physique lorsque vous avez débarqué au Cercle. Comment avez-vous fait pour garder la forme alors que vous êtes resté quatre mois sans club ?

Faris Haroun : J’ai travaillé plus dur que ce qu’on fait normalement dans un club. A Londres, j’habitais chez AbdoulDiawarra, un agent de joueurs qui est le cousin de MoussaDembélé. Trois ou quatre fois par semaine, je m’entraînais durant deux heures et demie chez JamieLawrence, un ancien joueur pro devenu préparateur physique et réputé pour tirer le meilleur des joueurs qui travaillent sous ses ordres. J’ai souffert mais je voulais être prêt au moment où un club se présenterait. Pas question d’attendre tranquillement dans mon fauteuil.

 » J’ai vécu des moments uniques en Angleterre  »

Vous connaissez l’histoire de Jamie Lawrence ?

Oui, il me l’a racontée.

A 20 ans, il avait été condamné pour avoir attaqué une banque. C’est en prison qu’il est redevenu footballeur.

Sa grande force, c’est d’avoir su retenir l’aspect positif des erreurs qu’il a commises. Aujourd’hui encore, il se lève chaque jour à cinq heures pour s’entraîner et pour aider les jeunes, pour leur faire comprendre que c’est en travaillant dur qu’on va le plus loin, qu’il est même possible de sortir de la misère.

Quel regard portez-vous sur ces trois ans passés en Angleterre ?

Ce fut une expérience très positive. Mon rêve était de jouer dans un grand championnat, de préférence en Angleterre. Quand j’ai eu l’occasion de signer dans un club traditionnel comme Middlesbrough, je n’ai pas hésité. Nous avons manqué la montée en Premier League sur le fil mais j’ai quand même vécu des moments uniques. Les matches de Coupe face à Chelsea et Sunderland, notamment. Ou des rencontres de championnat devant au moins quinze mille spectateurs. Les deux premières saisons, j’ai vraiment pris mon pied. La troisième année, un nouvel entraîneur est arrivé, je n’ai pas beaucoup joué au cours des premiers mois puis j’ai été prêté à Blackpool, où je me suis vite aperçu que la situation était désastreuse. Nous devions nous changer dans une toute petite pièce, les terrains étaient pires qu’en deuxième provinciale, nous prenions notre douche à la maison et nous devions laver nous-mêmes nos équipements. De plus, l’entraîneur, un Ecossais, avait des idées complètement éculées. JoséRiga lui a succédé et m’a convaincu de tout de même participer à la campagne de préparation. Il a eu une bonne influence sur moi mais la proposition de contrat qu’on m’a faite quatre semaines plus tard seulement était tout à fait irrespectueuse. De plus, le groupe était beaucoup trop faible. La preuve en est que l’équipe est aujourd’hui bonne dernière.

En quoi la vie de groupe diffère-t-elle dans un club anglais ?

C’est plus impitoyable. A l’entraînement, on se rentre sans cesse dedans. Si on rate deux passes d’affilée, on se fait insulter. Il arrive régulièrement qu’on se retrouve nez contre nez à l’entraînement mais une fois que le soufflé retombe, c’est fini. Il y a des remarques, des reproches et des incidents mais les joueurs ne prennent pas ça au premier degré.

 » Je ne regrette rien concernant ma carrière  »

Sortiez-vous souvent avec vos équipiers ?

Non car j’avais une copine et je vivais une vie de couple normale. De plus, je suis musulman, je ne bois pas d’alcool.

Pourquoi êtes-vous devenu musulman pratiquant ?

Ma mère est catholique et mon père est musulman mais ils ne m’ont jamais poussé à faire un choix. A l’école primaire, ils m’ont même inscrit au cours de morale laïque. Mes parents voulaient que je fasse mon choix en grandissant et que je cherche les réponses aux questions que je me posais. Petit à petit, je me suis dirigé vers l’islam. D’abord en allant une fois par mois à la mosquée, le vendredi. Chaque fois que j’y entrais, je sentais que là, tout le monde était considéré de la même façon. Les riches ne s’asseyaient pas au premier rang. Ça m’interpellait. Aujourd’hui, je prie cinq fois par jour et si j’en ai l’occasion, je vais à la mosquée tous les vendredis.

Quel impact ont ces prières sur vous ?

Elles me rappellent à chaque moment de la journée que je dois arrêter d’avoir de mauvaises pensées. Ma foi et ma façon de vivre m’ont souvent aidé dans les moments difficiles. Je ne me suis jamais dit que tout le monde m’en voulait ou que tout se liguait contre moi. Dans tout ce que j’ai vécu, la foi m’a apporté la paix et la force de continuer à y croire et à travailler dur. Il peut arriver qu’on commette des erreurs et qu’on sorte du droit chemin mais cela m’a toujours aidé à retrouver la voie.

Il y a dix ans, vous effectuiez vos débuts au Racing Genk. Comment jugez-vous votre carrière jusqu’ici ?

Je suis satisfait. Si c’était à refaire, je signerais à deux mains pour un parcours identique. A certains moments, les choses auraient pu se passer différemment mais il y a des choses qu’on ne contrôle pas.

Qu’est-ce qui aurait pu être différent ?

Rien de spécial, c’est plutôt un concours de circonstances, une question de chance, de responsabilités des uns ou des autres… Une blessure à un mauvais moment, des prestations en dents de scie… Mais je ne regrette rien. Je suis heureux de ce que le football m’a apporté et je sais que j’ai toujours donné le meilleur de moi-même. Cela fait dix ans que je fréquente GerritKempeneers, un ostéopathe et chiropracteur. Depuis quatre ans, je me rends aussi régulièrement à Amsterdam chez PaulSchuurman, un physiothérapeute. Ce que j’ai vécu sur le terrain et en dehors m’a rendu plus fort et je sais que ma carrière est loin d’être terminée.

 » Mon père a joué un rôle déterminant pour moi  »

Vous êtes ami avec Vincent Kompany. Quel rôle a-t-il joué dans votre vie ?

Nous avons grandi ensemble à Bruxelles, nous avons joué au foot dans les parcs et nos familles sont restées très proches. Voici peu encore, sa soeur a rendu visite à mes parents avec son mari et son enfant. Maintenant, quand j’entre en contact avec Vincent, c’est souvent par l’intermédiaire de RodyseMunienge, son garde du corps et meilleur ami, qui est aussi un de mes meilleurs potes. Plusieurs personnes m’ont aidé au cours de ma carrière mais celui qui a joué le rôle le plus important, c’est mon père. Depuis mon premier jour, en préminimes, il a vu tous mes matches. Que ce soit à Genk ou en Angleterre, il est venu prendre ma défense lorsque cela s’est avéré nécessaire.

A Genk, vous avez rapidement obtenu un gros contrat et Jos Vaessen a déclaré que c’est la plus grosse erreur qu’il ait commise. Etes-vous devenu trop vite une star ?

Un gros contrat ? C’était un bon contrat mais je n’étais pas un des quatre joueurs les mieux payés de Genk. Sans jouer, DennisPraet s’est vu proposer davantage que ce qu’on m’avait offert après seize matches en équipe première. Un gros contrat, une nouvelle voiture… Je me demande parfois pourquoi les dirigeants de club disent des choses pareilles en public. Ils ne font que fragiliser les jeunes joueurs. Au lieu de jeter un regard positif sur un jeune qui perce, le public ne remarque dès lors plus que ses erreurs. Je ne comprends pas et ça me rend amer. Je suis arrivé à Genk gratuitement et le club m’a vendu au GBA pour huit millions. Si JosVaessen pense que sa plus grosse erreur fut de me donner un gros contrat, c’est qu’il a bien mené sa barque (il rit). Car ce contrat était aussi destiné à convaincre les jeunes du centre de formation que Genk croyait en eux. Après moi, il y eut StevenDefour, MarvinOgunjimi, SébastienPocognoli… Au fil des années, cependant, la frustration disparaît et ce qui reste, c’est l’amour qu’on porte au club de son coeur. Même Jos Vaessen ne me donne plus de boutons. Je suis reconnaissant et je le connais : c’est un émotif et les journalistes savent comment s’y prendre pour le faire parler. En fait, quand je suis parti au GBA, c’était pour rebondir. J’y ai été élu deux fois Joueur de la Saison puis, la troisième saison, un type est arrivé de nulle part (Patrick Vanoppen, ndlr) et a dit que je devais partir parce que je gagnais trop. Tant mieux, ça m’a permis d’aller à Middlesbrough.

En 2008, vous avez terminé à la quatrième place des Jeux olympiques en Chine avec une génération qui, l’année dernière, a atteint les quarts de finale de la Coupe du monde au Brésil et qui occupe actuellement la quatrième place au classement FIFA. Vous comptez six sélections chez les Diables Rouges mais vous luttez actuellement pour le maintien en Jupiler Pro League. A quel point souffrez-vous dans les moments difficiles ?

Beaucoup de choses peuvent se produire au cours d’une carrière et il y a eu des moments difficiles mais ma religion m’a aidé et ma famille a toujours été présente. Le football est mon métier et je m’y consacre entièrement mais ma personnalité ne permettra jamais à mon corps de se rendre malade. Pour moi, ne penser qu’au football et se dire que tout est contre soi, c’est le meilleur moyen de faire une dépression. Je vois les choses différemment : je travaille plus dur et je me fais plaisir avec des choses qui ne s’achètent pas. C’est ainsi que, comme je n’avais pas de club, j’ai pu vivre de plus près la naissance et les premiers mois de la fille de mon frère. Cela m’aidait à me sentir bien. Pour moi, la famille, c’est ce qu’il y a de plus beau dans la vie.

On a toujours dit que vous deviez apprendre à mieux doser vos efforts. On dirait qu’aujourd’hui, vous y arrivez.

C’est une question d’expérience. Quand on est jeune, on court partout. De plus, en Angleterre, on m’alignait souvent sur le flanc et, à cette place, il est impossible de courir pendant nonante minutes. Il faut réfléchir davantage. Je suis plus concentré et mon jeu est plus épuré. Il y a moins de déchets et je suis plus costaud, plus puissant. J’aurais pu gagner beaucoup plus d’argent qu’ici en signant en Thaïlande, à Chypre, en Grèce ou aux Etats-Unis mais ce n’était pas mon objectif. Si je suis au Cercle, c’est parce que je me suis demandé : quel est le meilleur contexte pour me permettre de briller à nouveau ?

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE – PHOTOS: BELGAIMAGE/ KETELS

 » Ma foi et ma façon de vivre m’ont souvent aidé dans les moments difficiles.  »

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