» C’EST DUR DE TROUVER UNE AUTRE RAISON D’ÊTRE « 

La trentaine à peine entamée, l’ancien Standardman a raccroché les boots. Mais il n’a pas définitivement rompu avec le football. Son savoir, il le dispense aux jeunes de la DS Foot Academy.

A 32 ans, Jonathan Walasiak n’a pas changé. La démarche tranquille, un peu fashionista, le jean déchiré et une grosse parka noire, la voix monocorde, reposante, et la boule à zéro qu’il avait déjà il y a dix ans. Qu’il semble loin le temps où le Hennuyer faisait fureur sur le flanc droit du Standard, à tel point qu’il fut sélectionné plusieurs fois chez les Diables Rouges. Aujourd’hui, Wali ne joue plus. Près de sept ans après avoir quitté les Rouches à l’aube d’un titre de champion, il a tourné la page du football pro. Il a galéré. S’est cherché une reconversion. A travaillé à la chaîne. A vu une petite fille frôler la mort sous ses yeux puis a dû surmonter le suicide de l’un de ses proches.

Il s’est posé des questions par milliers. Jusqu’à ce que le président d’un petit club lui propose de prendre en charge une équipe de jeunes. Ce fut pour lui comme une éclaircie au bout d’années de grisaille. Son avenir va donc pouvoir se conjuguer dans cet univers où il est apparu comme une étoile filante. Nous l’avons retrouvé dans le centre de Mons, à quelques kilomètres de Wasmuel, où il a récemment emménagé avec sa compagne. Retrouvailles chaleureuses avec un gars dont la gentillesse et l’émotivité ne laissent pas indifférent.

De l’élite à la P2

 » Pourquoi j’ai arrêté le football ? C’est une longue histoire… Vous avez le temps ? « , dit-il en souriant.  » Le début de la fin pour moi, ce fut ce bref séjour en Hongrie à Györ. Après Mouscron, où je serais volontiers resté dix ans de plus si le club n’avait pas déposé le bilan, j’ai eu quelques offres en D1 ou D2 belge mais c’est limite si je ne devais pas payer pour jouer. On me proposait des cacahouètes et je n’étais pas prêt à dire oui à tout. J’avais quand même un CV, un vécu. Avec quasi 150 matches de D1 dans les jambes, je n’étais plus un gamin. J’ai alors accepté de rejoindre la Hongrie parce qu’on m’y offrait un joli contrat. Au final, je n’ai jamais touché le moindre euro et je suis d’ailleurs toujours en procès avec le club magyar.

Concrètement, le club avait des doutes sur mes aptitudes physiques mais j’avais réussi tous les tests médicaux et un docteur m’avait jugé apte pour le service. Je me suis donc entraîné un mois avant de m’occasionner une petite élongation. La direction du club a alors rompu mon contrat unilatéralement en prétendant que j’étais un escroc, ce qui est évidemment faux. Je me bats depuis pour prouver mon innocence et récupérer ce que l’on me doit. Et quand je suis revenu, je n’ai plus rien trouvé en tant que professionnel. Je suis resté plusieurs mois sans jouer avant d’atterrir à Heppignies-Lambusart puis à Genly-Quévy pour finir à Wiers en P2. A ce moment-là, je savais que je pouvais encore jouer plus haut mais mentalement, ce fut très dur et j’ai baissé les bras.  »

Un milieu d’individualistes

Le scénario n’a rien d’un happy end : élément indiscutable de l’un des plus grands clubs belges, international, buteur et donneur d’assists, vous devancez de quelques mois les StevenDefour, Axel Witsel, Marouane Fellaini et un peu plus tard… vous n’existez plus. Une désillusion pour celui qui avait fait énormément de sacrifices durant toute son adolescence, quittant son coin, sa famille et ses potes pour s’accrocher à son rêve.  » J’ai l’impression de vivre une autre vie. Tout cela me paraît tellement loin. J’ai tout eu très tôt, même si les jeunes qui percent aujourd’hui sont bien plus gâtés que moi à l’époque. J’éprouve le sentiment d’avoir été livré à moi-même. Quand on est footballeur pro, on ne vit que pour l’adrénaline des matches, éprouver cette sensation unique d’inscrire un but dans un stade plein et offrir du bonheur aux gens. Quand tout cela disparaît, c’est dur de trouver une autre raison d’être.

Qualitativement, j’étais à ma place. C’est sûr, je n’ai jamais douté de cela. Humainement par contre, j’ai des doutes. J’ai toujours été honnête et correct avec tout le monde mais les gars avec lesquels j’ai gardé des contacts se comptent sur les doigts d’une main : Mustapha Oussalah, Alex Teklak et c’est à peu près tout. C’est significatif d’un monde dans lequel l’individu passe avant tout le reste. On me dit souvent que si Lucien D’Onofrio n’avait pas ramené Sergio Conceiçao, ma carrière aurait été très différente. C’est vrai. J’étais titulaire, régulier, décisif. Et, du jour au lendemain, je n’ai plus joué. Je dis juste que c’est le football. Il était très fort, charismatique, autoritaire… et il jouait à la même place que moi. J’ai été poussé vers la sortie et j’ai atterri à Metz, avec lequel j’ai été champion de Ligue 2 mais en ne jouant pas beaucoup.  »

Comme un lion en cage

Wali a vécu de près l’émergence de la génération dorée qui a permis de ramener deux titres de champion à Sclessin.  » Les Defour, Witsel et Fellaini étaient très jeunes mais on sentait bien entendu qu’ils avaient beaucoup de talent. A côté de ça, ils ont été choyés ce qui n’était pas forcément le cas de ceux qui les ont précédés mais c’est une autre histoire. Cette question de qualité et de précocité, elle se pose encore aujourd’hui dans les grands clubs et en équipe nationale. A 15 ans, certains gamins qui sont loin de l’équipe première gagnent déjà plus que ce que moi j’avais quand j’étais titulaire au Standard et pourtant, je ne suis pas un dinosaure « , glisse-t-il.  » Je me souviens de mon arrivée chez les Diables Rouges, plus ou moins en même temps que VincentKompany, au sein de monuments comme Daniel Van Buyten, Bart Goor, Timmy Simons, Mbo Mpenza et autres. J’étais impressionné mais je me suis toujours battu pour cela. Mes quatre matches, contre les Pays-Bas, la Croatie, l’Espagne et la Lituanie me laissent des souvenirs impérissables.

Je suis fier de cela. Très peu de joueurs peuvent arriver à ce niveau. Y rester, je le concède, c’est autre chose. J’ai tourné comme un lion en cage pendant près de deux ans. C’est frustrant de se lever et de n’avoir rien à faire. Un jour on regarde la télé, le lendemain on va à la salle de sport, puis on va faire du shopping. C’est chouette un mois, peut-être deux. Mais, à la longue, c’est usant sur le plan mental. Psychologiquement, j’étais loin. J’ai pété un câble. Je me demandais ce que j’allais devenir. Mon ancien président m’a proposé de travailler dans son usine, à la chaîne. Un mois : c’est ce que j’ai tenu. Je le dis sans honte, je ne suis pas prêt pour cela. J’avais quand même connu autre chose et je tire mon chapeau à ceux qui peuvent vivre à ce rythme pendant vingt ans. Mais ce n’était pas pour moi.  »

Le suicide de son cousin

 » Heureusement que j’avais pu mettre un peu de sous de côté et que je n’étais pas contraint et forcé de travailler pour survivre. Financièrement, je tiens le coup. J’ai acheté un appartement mais je n’ai jamais roulé dans de grosses voitures parce que j’estime que ça ne sert à rien. C’est beau à voir mais c’est une ruine. Je pensais déjà comme cela quand je jouais au Standard et je n’ai pas changé. Dans trois ans, je toucherai la pension-foot. Je ne sais pas exactement combien mais ce sera bénéfique de toute façon.  »

La vie de Jonathan Walasiak, né d’une maman italienne de Vicenza et d’un papa polonais, n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Il a pris des coups violents. Notamment le suicide de son jeune cousin, qui l’a traumatisé.  » Il s’appelait Valentin et son papa est mon parrain. C’est l’une des personnes dont je suis le plus proche. Ce drame est survenu, en plus, à un moment où rien ne tournait pour moi. Cela ne m’a pas aidé à sortir du trou. Heureusement, aujourd’hui, je me sens bien et je suis heureux. Reste que la popularité, si elle peut avoir des côtés excitants, a aussi ses revers.

Ces dernières années par exemple, au niveau affectif, je suis tombé sur des filles qui ont voulu profiter de moi. J’avais été connu très jeune, elles pensaient que je roulais sur l’or. C’est dur de savoir si une fille vous aime sincèrement ou si elle est avec vous par intérêt. Ce n’est plus le cas désormais et j’en suis ravi. Pendant ces deux années, j’ai effectué quelques voyages qui m’ont heureusement permis de sortir du marasme quotidien. Je suis allé à l’île Maurice, j’ai visité l’Egypte et la Grèce. Cela me laisse de bons souvenirs et je trouve que voyager, c’est un merveilleux cadeau de la vie. La vie, j’y tiens énormément.  »

Futur éducateur

 » Je me souviens qu’un jour, à Liège, j’étais en voiture avec un journaliste qui était aussi un ami. Il pleuvait à cordes, je me suis arrêté sur le boulevard pour laisser passer une petite fille d’une dizaine d’années. Sur la bande d’à côté, un chauffard ne s’est pas arrêté et ce fut le choc. La fillette a volé dix mètres plus loin. Je me souviens de son corps qui tourbillonnait dans les airs. Nous sommes sortis à deux dans la pluie. Je lui ai donné ma veste le temps que les secours arrivent. Ce sont des images qu’on n’oublie jamais. Par la suite, j’ai appelé deux fois l’hôpital pour prendre de ses nouvelles alors que je ne la connaissais pas. Elle n’a heureusement pas eu de séquelles. Il m’arrive encore souvent de penser à tout cela. Cela forge un caractère.  »

Désormais, son avenir, c’est dans la formation des jeunes qu’il le voit. Une passion qu’il s’est découvert récemment mais à laquelle il s’accroche comme une bouée de sauvetage.  » C’est tellement gai de pouvoir apprendre et transmettre à des enfants. Je coache ceux de Genly-Quévy ainsi qu’à Wiers. Je travaille pour la DS Foot Academy, créée par Michael Demeuldre et Stéphane Stassin. J’y donne des entraînements spécifiques. Actuellement, je n’ai pas envie de gérer des adultes et je ne pense pas que ce sera un jour le cas. Certains pensent que je suis mou et trop gentil pour cela mais c’est faux. Entre celui que j’étais à mes débuts, qui ne faisaient pas de bruit dans le vestiaire par respect pour les anciens, et aujourd’hui, j’ai évolué.

Je suis sorti de ma coquille. Lors de mes dernières saisons en Promotion, je tapais du poing sur la table quand c’était nécessaire. Pendant un an, j’ai aussi eu l’occasion de bosser comme éducateur dans une école et ça m’a bien plu aussi. J’avais arrêté l’école en cinquième secondaire pour passer pro et aujourd’hui, je rattrape le temps perdu en suivant des cours qui me permettront par la suite de rester dans ce créneau. J’avais besoin de me raccrocher à quelque chose, de me découvrir une vocation pour ne pas couler. C’est fait. Je suis fier de ce que j’ai connu, je n’oublie rien. Mais c’est très loin pour moi.  »

PAR DAVID DUPONT – PHOTOS : BELGAIMAGE

 » Je suis fier de ce que j’ai connu, je n’oublie rien. Mais c’est très loin pour moi.  »

 » Mon ancien président m’a proposé de travailler dans son usine, à la chaîne. J’ai tenu un mois. Je le dis sans honte, je ne suis pas prêt pour cela.  »

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