C’EST ARRIVÉ DEMAIN

Pierre Bilic

Le Premier ministre de notre football a encore du pain sur la planche avant de laisser l’avenir à d’autres.

L’Atomium observe les grandes man£uvres qui précèdent les changements de régime. Les neuf boules les plus célèbres du monde sont passées récemment chez le tailleur afin de moderniser leur look. A deux pas de là, l’Union Belge s’apprête aussi à passer d’une époque à l’autre.

Jan Peeters, 72 ans depuis le 2 avril, quittera la présidence de la maison de verre le 24 juin, au terme de la saison de tous les malheurs. En plus des fameuses chinoiseries, l’an 2006 sera marqué par l’absence des Diables Rouges à la Coupe du Monde. Un coup d’£il dans le rétro rappelle que l’histoire est faite de cycles. Il y a 40 ans, notre équipe nationale, cataloguée championne du monde des matches amicaux, fut éliminée sur la route de la World Cup anglaise au terme d’un match de barrage dramatique face aux Bulgares à Florence (2-1).

Dès le match suivant, le 17 avril 1966, à Rotterdam (Pays-Bas-Belgique : 3-1), Raymond Goethals remplaça Arthur Ceuleers en tant qu’entraîneur aux côtés du sélectionneur national, Constant Vanden Stock. Deux ans plus tard, le 19 juin 1968, Goethals était seul maître à bord (Finlande-Belgique, 1-2) et façonna une équipe réaliste qu’il propulsa au Mundial 70. René Vandereycken sait ce qui lui reste à faire pour entrer dans la légende comme le fit le technicien bruxellois.

Quant au futur président, il devra imiter René Clair, le réalisateur d’un film culte : C’est arrivé demain. De façon inexplicable, un journaliste new-yorkais reçoit tous les matins le journal du lendemain. Il prend connaissance des événements de l’actualité avec un jour d’avance sur ses confrères. C’est la gloire et le succès assurés pour lui. Mais qui saura préparer l’avenir de l’Union Belge ?

Le football intéresse 2.000.000 d’habitants de notre pays. La fédération compte 450.000 membres. A deux bons mois du choix d’un nouveau président, la Ligue Pro mise sur Michel Preud’homme. S’il y a plusieurs candidats, ne devraient-ils pas exposer leurs idées au cours d’un grand débat médiatisé ? Chacun des adhérents de l’URBSFA ne pourrait-il pas voter pour celui qui semble le plus apte à assumer la charge présidentielle ?

Jan Peeters : J’estime sincèrement que le jeu démocratique a libre cours dans une institution comme la nôtre. Chaque membre est représenté, que ce soit par son club, sa province, la série où ses couleurs jouent ou la Ligue Pro. L’éventail des expressions démocratiques est vaste. Je ne pense pas qu’il soit possible de proposer un vote individuel aux 450.000 membres de l’Union Belge. Mais l’idée d’un grand débat entre les participants à l’élection, diffusé dans les médias, me semble très intéressante. Cela permettrait, en effet, à chaque candidat d’exposer publiquement ses idées, son point de vue, ses projets, sa vision du futur, avant de passer au vote lors du comité exécutif du 24 juin.

Dernier sursaut des apparatchiks

Ce serait un peu comparable à ce qui se passe avant des élections politiques dans pas mal de pays. Cette idée empêcherait certains dirigeants de parler de fin de régime…

J’ai lu une interview d’Ivan De Witte, le président de Gand, qui a affirmé dans le Laatste Nieuws que le choix de mon successeur serait le dernier sursaut des apparatchiks de l’Union Belge. Je ne partage évidemment pas ce point de vue. Roger Vanden Stock était le prochain président fédéral idéal. Il y a un an, j’ai consulté Michel D’Hooghe et Roger Vanden Stock car mon intention, suite à des problèmes de santé, était de me retirer. A leur demande, je suis resté douze mois de plus car cela permettait à Roger Vanden Stock de peaufiner son plan de modernisation de l’Union Belge et de se préparer pour la présidence de notre fédération. Il a accompli un gros travail, a communiqué avant de constater une opposition quant au cumul entre son rôle à Anderlecht et des fonctions présidentielles à l’Union Belge. Il lui a été impossible de choisir et il a préféré retirer sa candidature, ce que je regrette.

Ivan De Witte redoute un manque d’indépendance si un comitard de l’Union Belge émerge à ce poste. Il a avancé le nom de Jean-Luc Dehaene, l’ancien Premier ministre qui a démenti. Cette idée avait également fait du chemin au Club Bruges. Ne faut-il pas chercher des candidats idéaux à l’extérieur de la fédération afin de préserver leur indépendance et de professionnaliser la fédération ?

Roger Vanden Stock a souvent prouvé dans le passé, dans ses différentes fonctions, qu’il faisait toujours passer l’intérêt général avant tout. Son expérience et ses relations nous auraient été très utiles. S’il avait choisi de se présenter malgré tout, Roger Vanden Stock aurait été élu. Mais il n’entendait pas entamer une présidence avec une forte minorité, donc opposition, au sein du comité exécutif. Je lui ai demandé de continuer à animer les idées de modernisation de la fédération. A mon avis, le nouveau président doit sortir du sérail. C’est un avantage de bien connaître la maison et l’univers du football en général. Un juriste serait un plus aussi car on sait que tout est désormais de plus en plus compliqué. Et en Belgique, il faut être bilingue.

L’indépendance a un prix

Comme Preud’homme…

Oui. Il n’y a pas de contestation de Michel Preud’homme actuellement car il a des responsabilités techniques. Pour des mandats administratifs, il se heurterait aux mêmes problèmes de choix que Roger Vanden Stock.

Pour être indépendant, le président doit être payé à temps plein ?

A l’avenir, si le plan actuel des réformes est adopté, la présidence devrait avant tout être une fonction protocolaire chapeautant les managers de différents services. J’ai passé une très grande partie de mon temps à l’Union Belge où j’ai beaucoup travaillé. Mon secrétaire général, Jean-Paul Houben, a longtemps été souffrant. Je suis tout le temps au bureau et cet excès d’activité présidentielle n’est pas bon pour la fédération. A l’avenir, cette fonction devra être assurée avec plus de recul. Mais, vous savez, je garderai un bon souvenir de mon passage dans cette maison. J’y occupe des responsabilités depuis 1968. Ma meilleure époque remonte aux années où je formais un duo avec Michel D’Hooghe. Il était président et moi secrétaire général. Quand j’ai pris sa succession, j’ai commis l’erreur de dire que j’allais moderniser le règlement, etc. J’ouvrais le flanc à la critique. J’aurais dû me contenter d’affirmer que mon intention était de continuer le travail de Michel D’Hooghe. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait tout en modernisant. Durant ma présence à ce poste, la Ligue Pro a acquis une indépendance financière et une autonomie dont elle n’avait jamais disposés. Nous sortons de la crise. Cette maison a des ressources et peut aborder l’avenir. Il y a des problèmes et le premier réside certainement dans la communication. L’Union Belge s’exprime le plus souvent pour se défendre. Or, il y a des messages positifs et de bonnes nouvelles à offrir tous les jours : les résultats positifs de nos équipes de jeunes, le centre national de Tubize dont la construction progresse à belle allure. En juin, j’espère remettre les clefs d’une maison en ordre à mon successeur. J’aimerais que le dossier des matches truqués soit réglé, les coupables jugés et punis par la fédération dans le cadre de ses compétences.

Content d’avoir résisté à la pression

En pleine tourmente chinoise, vous avez pris part à la mission économique belge, emmenée par le Prince Philippe et la Princesse Mathilde, en Afrique du Sud. Cela vous a valu des critiques car on vous voyait bronzé et lunettes de soleil sur le nez alors que le football belge tremblait sur ses bases…

Je suis toujours perdant dans ce genre de débat. Qu’est-ce qu’on cherche ? J’ai un teint naturellement hâlé. Et ces… lunettes, je les porte sur ordre de mon ophtalmologue car j’ai un gros problème aux yeux. Je n’étais pas en villégiature en Afrique du Sud. L’horaire de travail était serré. Je n’ai pas eu une seconde de libre. D’ailleurs, je n’ai plus pris un jour de congé depuis un an. Je consacre tout mon temps, tous mes week-ends au football. Au retour d’Afrique du Sud, j’étais au bureau une heure après l’atterrissage à Zaventem. Le problème des matches truqués ne concerne pas que la Belgique. Il s’étend à travers toute l’Europe. Les premiers débats de la commission de contrôle seront très intéressants. J’espérais évidemment que ce ne serait pas aussi grave : n’est-ce pas logique ? Nous n’avons pas pu agir à notre guise car la justice fait son enquête. C’est normal et nous nous sommes portés partie civile. Nous avons essuyé beaucoup d’attaques ne se basant parfois sur rien.

Par exemple ?

Il fut beaucoup question d’une lettre d’une société de paris sportifs en ligne nous ayant soi-disant mis au parfum. Ce document ne nous est jamais parvenu et n’existe pas. Mais qui l’a rectifié après en avoir parlé ? Je suis content d’avoir résisté à la pression. On ne peut pas agir sans preuve formelle. Quand Roland Louf s’est confié à notre procureur fédéral René Verstringhe, c’était anonyme, sans faits alors avérés. Dès que ce fut possible, avec l’accord de la justice afin de ne pas entraver son travail, René Verstringhe, s’est retroussé les manches. Tout sera fait pour explorer le problème à fond. Quand tout sera clarifié, prouvé, étayé, des sanctions disciplinaires seront prononcées. Maître Luc Misson s’est élevé contre ce qui sera forcément une interdiction de travailler. Il conteste la légalité de nos juridictions. Excusez-moi : il y a un ordre des médecins, des avocats, des architectes, etc. Un de leurs membres peut aussi être interdit de travail. Alors, je ne vois pas ce qui nous interdirait de prononcer des décisions disciplinaires, pas pénales. Mais tant que rien n’est prouvé, il n’y a pas culpabilité. J’ai toujours agi de la sorte et je ne changerai pas.

Les tricheurs doivent payer

Un joueur pestiféré, Marius Mitu, a déjà retrouvé un club. Laurent Delorge pas : c’est flou, non ?

Pas du tout. Marius Mitu a certes été exclu de son club. Il joue désormais en Ukraine. L’Union Belge ne pouvait pas le bloquer. Si sa culpabilité est prouvée, nous demanderons à l’UEFA d’internationaliser le champ d’application de la peine. Il n’y aura jamais de suspension à vie. Mais ce sera exemplaire, j’espère, en cas de preuves irréfutables. En ce qui concerne Laurent Delorge, nous n’avons pas reçu de demande de transfert international du club hollandais s’intéressant à lui. Ce n’est pas le nombre de matches truqués qui me préoccupe. Non, il faut punir tous ceux qui ont des responsabilités dans cette affaire.

Ne craignez-vous pas que la justice, plus lente que vous, puisse dans deux ou trois ans, blanchir des joueurs que vous auriez punis disciplinairement, ce qui équivaudrait à une culpabilité alors que certains sont peut-être aussi des victimes ?

Ce risque existe. Il y a quelques années, nous avons condamné Marc Cox et Koen Burg pour des faits de corruption avérés. Plus tard, la justice abonda dans notre sens, ce qui prouvait que l’enquête de notre parquet fédéral avait été bien menée. Un fait me frappe. En 1984, une enquête judiciaire s’intéressant à des caisses noires révéla une affaire de corruption. Cette fois, des malversations sportives dévoilent aussi des tripotages financiers et autres fraudes.

Pietro Allatta a été vu dans la tribune de Charleroi. Des tas de personnages ayant eu de gros problèmes avec la justice sont présents un peu partout, dans et autour des clubs ? Comment éviter cela ? Comment restaurer l’éthique dans le monde du football ?

J’ai aussi été interpellé par cette présence. Cela dit, le football attire des bandits intéressés par l’argent. Notre comité stratégique a avancé des idées afin de mieux contrôler les clubs, les trésoreries. Il faut éviter les dérives. L’avenir de la D1 passe par une réduction à 12 clubs. Cela leur assurera une plus grande assiette financière en évitant des problèmes ou tentations.

Stéphane Demol s’est ridiculisé

Les journalistes défendent l’éthique sportive auprès des jeunes alors qu’il y a des  » équipes de brigands  » dans certains stades : pas évident…

Je comprends. Mais quand quelqu’un a payé sa dette à l’égard de la société, on n’a plus rien à lui reprocher. Dans le cas d’Allatta, il aurait dû être gêné d’être là.

D’après vous, est-ce que Sergio Conceiçao aurait dû prendre part au match à Charleroi après son comportement contre Zulte Waregem ?

Non. La suspension de manière préventive a été prononcée trop tardivement. Dans les séries provinciales, quand il y a voie de fait sur un arbitre, le rapport du match est lu en début de semaine et une sanction est prise le mercredi. Il faut arriver à cela en D1 aussi. Pour les cartes jaunes, la suspension est immédiate après trois avertissements. Il faudrait aller aussi vite avec les rouges : suspension immédiate et passage devant le comité sportif dans les plus brefs délais.

Stéphane Demol a affirmé que le vent avait poussé le maillot de Conceiçao à la figure de l’arbitre.

Stéphane Demol s’est ridiculisé en lançant cela et il a ridiculisé son club. Il le sait et je le lui ai dit.

A votre avis, le football se remettra- t-il de sa crise ?

Oui, j’en suis sûr. Je l’ai déjà dit : on en sort et tout sera clair et net à la fin de la saison. Et le football s’étend bien au-delà de la D1. Il y a les 2.200 autres clubs où l’amour du football est plus fort que tout. C’est le magnifique vivier de ce sport. Sans cela, le football n’existerait même pas. C’est le passé, le présent et l’avenir…

Si vous pouviez tourner votre C’est arrivé demain, par quel mot aimeriez-vous qu’on résume votre passage à l’Union Belge après votre départ de la présidence en juin prochain ?

C’est difficile. Si je dois choisir, ce sera tout simple : honnête.

PIERRE BILIC

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