Buts et hymnes à la joie

En foot, si le jeu lui-même n’a guère évolué en dix ou quinze ans (pas étonnant que les médias, vous, moi, causions du jeu pour ne rien dire…), tout ce qui l’entoure n’arrête pas de proliférer : les avocats, les directs télé, les droits-télé, les salaires, les transferts, les plaintes pour racisme, les tatouages, les managers, les WAGs (*), les paris louches, les pilosités innovantes dont le pape est Djibril Cissé,… et les manifestations de joie des buteurs qui viennent de buter, c’est à elles que je voulais en venir !

Quand j’étais gamin, était-ce sobre ou monotone, le buteur ayant su buter recourait à un rituel succinct. Un sourire spontané, voire un cri mesuré. Un bond sur place en levant deux bras tendus, mains plutôt ouvertes. Une course au trot d’une dizaine de mètres, également bras tendus, avant de s’arrêter pour recevoir de ses équipiers des félicitations somme toute austères. Ou parfois, comme Jan Mulder dans mon souvenir, une battue sur un pied durant le trot, synchronisée avec le levé d’un seul bras poing fermé, propulsé une seule fois d’arrière en avant, un rien rageusement… C’était tout, c’était bien.

Mais la panoplie d’attitudes victorieuses dont dispose le buteur de l’an 2008 s’est multipliée à fond la caisse depuis une quinzaine d’années : en comparaison, Jésus, ta vieille multiplication des pains, c’était de la petite bière ! Aujourd’hui, les comportements d’après-but varient à foison, comme si l’imagination du buteur avait muté : à croire que ça l’excite moins d’être créatif pour marquer un but, que de l’être pour étaler sa joie d’avoir marqué ce but !

J’enlève mon maillot pour montrer mes poils, mes pectos et mes tattoos. J’enlève mon maillot pour qu’on voie le t-shirt sur lequel je souhaite bonne fête à maman. Je pointe le doigt au ciel vers grand-père mort. Je mets le doigt sur la bouche pour faire taire ceux qui m’ont emmerdé. Je fais l’avion en même temps que le buteur masqué. Je fais Bebeto car ma femme a fait un bébé. Je glisse sur les genoux, buste en arrière. J’offre la jambe à mon pote pour qu’il me lustre mon pied magique. Je danse du ventre. Je cours montrer ma dentition à la caméra la plus proche. Je fais la chenille. Je surprends tout mon monde en n’exprimant rien, comme si je m’en foutais d’avoir scoré. Je m’appuie peinard au piquet de corner, comme si j’attendais le bus, en attendant qu’on vienne me féliciter. J’effectue un saut périlleux simple, double ou vrillé. Je pointe le doigt vers mon pote du banc et je fonce vers lui pour l’étreindre, comme s’il m’avait sauvé de la mort par torture. Je slalome plus vite qu’en match, pour éviter les étreintes de mes potes. Je m’étale sur le dos et je les invite à former sur moi un gros mille-pattes par agglutination…

Restons-en là, mais la liste n’est pas close… Depuis qu’ils se savent télévisés, les buteurs sont devenus des acteurs, interprétant le répertoire avec plus ou moins de talent. Seule la peur de la sanction (geste obscène=carton jaune) bride encore l’imagination : sans quoi nous admirerions quelques gestuelles plus hard, sans quoi tout buteur venant de réussir un doublé exhiberait depuis longtemps sa paire de fesses métaphorique… N’empêche que, chaque saison, le répertoire s’étoffe d’une découverte ou l’autre. Récemment chez nous, François Sterchele popularisait la trouvaille de Luca Toni, main ouverte oscillant près de l’oreille : la symbolique étant qu’il faut être un peu cinglé pour buter beaucoup.

Mais l’innovation de 2007-2008, partout en Europe, est incontestablement ce geste par lequel le buteur empoigne d’une main le tissu de son maillot à la hauteur de sa poitrine, et tire dessus pour le décoller du torse. A partir de là, deux variantes : soit il le montre simplement aux supporters, soit il le leur montre tout en baissant la tête pour y déposer un baiser. Symbolique apparemment limpide :  » C’est mon club, c’est votre club, je l’aime comme vous l’aimez, et je vous aime aussi  » mime fièrement le buteur… Symbolique pourtant paradoxale, car l’attitude n’était jusqu’il y a peu pas systématisée : et voilà qu’apparaît la vogue… à une époque où le buteur agissant de la sorte peut fort bien se tailler du club le lendemain, pour un oui pour un non, pour du pognon ou un coup de gueule ! D’accord, le geste est sympa, il émeut qui souhaite être ému. Mais la symbolique effective est peut-être plus souterraine, du genre :  » C’est le club qui me paie grassement. C’est votre fric. Je vous en remercie sincèrement. Et pardonnez-moi d’être un mercenaire…  » Communion vraie… ou petite gêne et stratégie de communion ? Qu’importe le flacon du joueur, pourvu que le supporter ait l’ivresse…

(*) Wives and girlfriends, acronyme utilisé par les tabloïds anglais, pour désigner les gonzesses des footballeurs. »

par bernard jeunejean

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