Buteur isolé

Cyril Théréau peut-il devenir une des plus fines gâchettes de l’histoire des Zèbres ?

La phase de jeu se situe la 61e minute d’une rencontre que les Rouches ne contrôlaient pas du tout. Monté au jeu un peu plus tôt à la place du méritant et courageux Abdelmajid Oulmers, Grégory Christ délivra un assist en profondeur dont il a le secret de fabrication. Cyril Théréau plongea, grilla son garde-chiourme, le rude Felipe, se déporta sur la droite et canonna en croisant bien son tir.

Comme tout le stade, Sinan Bolat, battu, retint son souffle durant une interminable fraction de seconde après son plongeon. Le boulet de ballon mit le feu au montant du but liégeois mais pas aux filets. C’était le tournant de la rencontre : si le contre était passé, le Standard aurait été sonné, compté 10, knock-out pour de bon. L’apport du réalisateur français ne se limita évidemment pas à ce seul fait d’armes. Depuis le début de la saison, faite pour lui de hauts intéressants mais aussi d’une période creuse en plein hiver, il est bel et bien le joueur le plus important de sa formation.

A Sclessin, il a souvent décroché pour se placer entre les deux arrières centraux du Standard et leur aspirateur, Eliaquim Mangala.  » Il n’y a que là que je pouvais entrer en possession du ballon « , dit le Zèbre.  » Le coach a effectué un choix tactique que je peux comprendre. Il a pris des précautions défensives et cela a failli marcher mais je préférerais, de loin, avoir plus de soutien en pointe. Pelé Mboyo et Alessandro Cordaro ont bien travaillé sur les ailes mais leur mission première consista à fermer le passage dans les corridors. Je suis plus favorable à une occupation de terrain en 4-4-2. C’est quand même plus facile quand on peut fixer une défense à deux. J’aimerais bien tourner autour d’un pivot ou faire office de relais, dévier le jeu, être un inventeur d’espace pour mon binôme. Seul, je dois beaucoup travailler et j’hypothèque une fraîcheur qui me serait utile dans le dernier geste. Je signe une bonne saison mais, comme toute l’équipe, j’ai eu un passage à vide. Mon rôle d’attaquant de pointe solitaire était encore plus éprouvant à assumer sur les terrains lourds.  »

Même si ce ne fut pas toujours évident pour lui, Théréau s’élève petit à petit dans la galerie des grands buteurs de Charleroi. Il y figure actuellement à la 17e place (24 buts), loin derrière des gloires comme René Thirifays, Charly Jacobs, Claude Bissot, Jean Boulet, Rainer Gebauer, Didier Beugnies, Nebojsa Malbasa, Dante Brogno, etc. Sa moyenne de buts par match indique cependant qu’il détient tous les atouts pour monter très vite les marches de ce hit-parade des artificiers carolos. Les Zèbres ne comptent que deux meilleurs buteurs de D1 de 1946 à 2010 (Thirifays 26 buts en 1949, Joseph Akpala avec 18 réalisations en 2008) mais fabriquent régulièrement de bons attaquants.

 » Théréau est plus complet qu’Akpala  » (Didier Beugnies)

 » Le tableau de chasse actuel de Théréau a de l’allure « , note l’ex-joueur devenu entraîneur Didier Beugnies, qui ne travaille plus au Mambourg mais reste un supporter des Zèbres.

 » Je suis cependant totalement persuadé que son bilan aurait pu être meilleur. Il lui a parfois manqué un zeste de chance et de lucidité dans le dernier geste. Théréau aurait pu être sacré meilleur buteur de D1 haut la main. Il paye au prix fort son énorme débauche d’efforts. Je ne connais pas d’autres attaquants de pointe de D1 obligés de se replier aussi bas. Je suis tous les matches de Charleroi à domicile et son travail défensif me sidère. Il bosse 90 minutes, aide tout le monde et, à la longue, cela pèse. J’aimerais qu’il soit associé un jour à un pivot du style de Moussa Koita. Si ce dernier pouvait trouver ses marques en D1, ce couple occasionnerait de gros dégâts dans les défenses adverses. Pour moi, Théréau est un joueur plus complet qu’Akpala. Joseph passe plus en force et le rectangle est sa principale zone d’expression. Théréau est incapable d’attendre patiemment sa seconde de vérité au point de penalty. Ce n’est pas un renard des rectangles ou un voleur de buts comme je l’étais. Théréau a besoin de toucher souvent le ballon pour bien vivre son match.

Ce n’est donc pas un attaquant de pointe dans la définition classique de cette expression. Il adore venir de plus loin mais pas de trop bas,… comme c’est le cas dans une équipe qui craignait pour son avenir en D1. On dit parfois que Théréau ne peut réussir qu’en exploitant les grands espaces. Je ne suis pas d’accord. Bien que de belle taille, il bénéficie d’une technique individuelle intéressante. Théréau fait bien jouer les autres. Il est très à l’aise dans le jeu court. Ses détracteurs évoquent son échec à Anderlecht. D’autres attaquants que lui n’ont pas réussi à Anderlecht. N’est-ce pas le cas de Tom De Sutter pour le moment ? Dans un contexte particulier, Théréau n’a pas bénéficié de la même patience. Cette aventure l’a marqué au fer rouge. Il a ramé après son retour au Mambourg. Sa saison passée a été catastrophique mais il a su transformer ces soucis en expériences positives. Théréau est désormais un des attaquants les plus intéressants de D1. Il lui reste à progresser et à multiplier les matches références dans une équipe qui assume sa part du jeu. Si Théréau y arrive, il sera alors prêt pour une aventure à un niveau plus élevé.  »

 » Il est prêt pour s’imposer en France  » (Dante Brogno)

Le goalgetter français était totalement inconnu quand il déposa ses bagages dans le hall du stade du Pays de Charleroi. A cette époque, Dante Brogno était T2 au Mambourg.

 » Cyril était une promesse qui n’avait pas pu faire son trou en France. Il avait fréquenté des centres de formation mais le travail n’était pas terminé. Il lui restait à être plus présent et efficace en zone de vérité. J’étais là lors de son premier entraînement. Le staff y a cru tout de suite. Le matériel de départ était intéressant. Sa technique de base était excellente. Le ballon restait collé à ses pieds et combiner avec les autres ne lui posait pas de problèmes. Mais le dernier geste faisait défaut. Il présentait alors un déficit d’habileté, d’explosivité quand il faut exploser l’adversaire. On peut retourner le problème dans tous les sens : c’est dans le rectangle et pas ailleurs qu’un attaquant mérite son bulletin. Il faut mettre le ballon au fond des filets sans se soucier de rien d’autre. C’est une habitude, ce sont des automatismes, presque une raison de vivre. Nous avons répété sans cesse les mêmes gestes : plongées au premier montant, feintes dans les petits espaces, frappes, vitesse d’action, trafic aérien, etc.

Théréau avait du potentiel et Jacky Mathijssen l’a bien exploité en match. Même s’il ne resta que quelques semaines avant de filer au Steaua Bucarest, on a mesuré que ce joueur intelligent et surtout très courageux pouvait faire du chemin. Non, il n’est pas parti trop vite ou au mauvais moment. Quand on a une telle offre, on ne la refuse pas. Et on essaye d’apprendre le plus possible. Je le trouve désormais plus complet que lors de son premier passage à Charleroi. Il a acquis une belle dose de maturité même si ce ne fut pas rigolo tous les jours. Maintenant, pour atteindre le top, il devra mieux doser ses efforts durant les matches. Théréau est désormais plus complet, plus serein, plus fort. Si Charleroi veut exploiter toutes ses qualités, il faut qu’il joue plus haut. Un buteur doit garder une certaine fraîcheur mais Théréau recule trop et passe une grosse partie de son temps à travailler pour les autres. Il est très collectif. Or, à sa place, il faut aussi jouer sa carte en prenant ses responsabilités. En Belgique, on a rarement cinq occasions de but… On lui demande de décrocher, de plonger sur les ailes, de fixer une défense et de marquer : c’est trop. Il a besoin d’aide en pointe et derrière lui. A ma plus belle époque, Charleroi faisait le jeu et Pär Zetterberg ravitaillait les attaquants. C’était un plaisir d’être servi par le Suédois. Nebosja Malbasa et moi, nous nous sommes régalés. Théréau n’a pas cette chance et vit trop seul sur son île. Il a souvent 60 m dans les jambes quand il doit conclure après s’être coltiné seul une défense. Il peut franchir un cap. Il est quasiment prêt pour une nouvelle aventure à l’étranger. A mon avis, il pourrait maintenant s’imposer en France.  »

Mais est-il comparable aux buteurs d’autrefois ou aux derniers grands cogneurs que Brogno a connus au Sporting ?

 » Chaque époque a sa vérité « , explique Brogno.  » Les joueurs sont des passants. J’ai joué 15 ans en D1 à Charleroi. Ce n’est plus envisageable de nos jours. Akpala n’a disputé que 61 matches avant de partir. Joseph ne lâche rien. Il y croit, est venu en Belgique pour se faire un nom et ne se laisse abattre par rien. A Charleroi, il voulait apprendre, apprendre, apprendre. Cette rage ajoutée à ses acquis athlétiques lui a permis de passer en force. Mais il a eu la chance d’être dégrossi à Charleroi. Ce travail spécifique avec du talent à dégrossir, c’est une spécialité maison. Ailleurs, un autre T1 que Mathijssen se serait peut-être découragé après trois mois. A force de taper sur le clou, il en est resté quelque chose de bon. Même s’il a finalement bien rebondi, Théréau n’a pas toujours affiché le même mental qu’Akpala. Le Français présente cependant un jeu plus varié. François Sterchele avait plus de présence et de charisme. Sterchele enthousiasmait au premier coup d’£il parce qu’on le voyait surtout dans le rectangle. Il choisissait parfaitement ses moments, sentait les bons coups. On ne peut les comparer. Mais, à deux, ils auraient enflammé la D1. Sterchele ne pouvait pas faire l’impossible seul, Théreau non plus.  »

 » Il aurait inscrit 10 buts de plus dans un club du top  » (Grégory Christ)

Abdelmajid Oulmers partage ce point de vue :  » On fait beaucoup de tam-tam en Belgique avec des attaquants qui ont moins de mérite que lui. Il ne faut pas oublier que la première phase de championnat a été délicate pour nous. Le stress est encore plus pesant pour les buteurs. Je le classe dans le top 3 des meilleurs attaquants de D1. Dieumerci Mbokani et Romelu Lukaku sont au-dessus du lot. Mais qui après eux est meilleur que Théréau. Ah… oui, il ne joue qu’à Charleroi. A Sclessin, il a mobilisé trois adversaires à lui seul : Momo Sarr, Felipe et Mangala. Et avec un peu de veine, il aurait été le grand héros de la soirée.  »

Pour Christ, il est le joueur clef de Charleroi :  » C’est notre David Trezeguet. Il a l’art de susciter les espaces. Au Standard, j’ai vu où il voulait s’engouffrer. Dans ces conditions, on ne peut que tout faire pour bien le servir en profondeur. Théréau a marqué 12 buts à Charleroi. Il aurait inscrit 10 de plus dans un club du top. A mon avis, il devrait changer d’air en fin de saison : il est prêt pour un grand défi.  »

Théréau est sous contrat jusqu’en fin 2011. Son agent, Didier Frenay, recevra certainement pas mal d’offres :  » Il n’y a pas urgence. Il vit la juste récompense de ses efforts. S’il y est arrivé, c’est aussi grâce à Mehdi Bayat qui l’a beaucoup soutenu lors de sa traversée du désert. Théréau a vécu une aventure unique au monde. En juin 2006, personne ne le connaissait. Le coach français Patrick Remy l’avait vu à l’£uvre à Angers. Je l’ai présenté à Charleroi et trois mois plus tard il jouait avec le Steaua Bucarest contre le Real Madrid en Ligue des Champions. Il a réussi en Roumanie. Quand Anderlecht est venu le chercher à Bucarest, c’était pour être la doublure de Nicolas Frutos. Théreau était blessé au pied (Anderlecht le savait) et l’Argentin eut immédiatement de nouveaux pépins. Théréau n’était pas rétabli mais a dû jouer. C’était impossible pour lui et ce fut l’échec. Il était arrivé à Anderlecht au mauvais moment. Sa déception fut très vive et Théréau a su en tirer les leçons. Il s’est remis au travail et cela a payé, c’est aussi simple que cela.  »

En attendant que se dessine son avenir, il remonte petit à petit le classement des meilleurs buteurs de l’histoire des Zèbres.

par pierre bilic

« Je le classe dans le top 3 des meilleurs attaquants de D1. (Majid Oulmers) »

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