But ultime

Akpagoal meilleur buteur de D1 ? On sera fixé ce week-end.

Joseph Akpala (21 ans) montre fièrement les bouteilles de champagne qui trônent dans une cage vitrée de son appartement : cinq fois déjà, depuis le début de cette saison, il a reçu une bouteille récompensant l’homme du match.  » Je ne suis pas musulman mais je ne bois pas, alors je les offre « , lâche l’attaquant nigérian. Et il rigole. Comme toujours, car cette bonne humeur semble inscrite dans ses gènes. Sur le terrain aussi, ça rigole pas mal pour lui, surtout depuis quelques semaines avec en tête de grands projets : la première place finale du classement des buteurs et les Jeux Olympiques. Entre les deux, il y aura peut-être un transfert. Akpagoal fait le point sur son aventure carolo et sur ses prochaines ambitions.

Vous terminez la saison en boulet de canon après être resté près de trois mois sans marquer : quelle est l’explication ?

Joseph Akpala : Pour moi, ça s’explique surtout par la multiplication des entraînements spécifiques. Avec Mario Notaro, Raymond Mommens et Thierry Siquet, j’ai passé des heures et des heures dans le rectangle du terrain d’entraînement : réception, frappe ! Ce travail avait un objectif bien précis : m’apprendre à mieux sentir la cage. Quand il a les yeux fermés, un grand buteur doit être capable de dire où est le goal. Je le sens de mieux en mieux.

Vous avez connu ce passage à vide juste après avoir pris la première place du classement des buteurs, à la fin du mois d’octobre : trop de pression ?

Non. Rien n’avait changé pour moi. Je me retrouvais en tête de ce classement, on parlait subitement de moi mais je le vivais très bien, j’étais toujours le même homme. C’est toute l’équipe qui s’est retrouvée dans un creux. Dès le moment où nous avons compris que nous ne pourrions pas concrétiser les grandes ambitions, comme le titre, nous avons accusé le coup. Il y avait un malaise global, les défaites ont commencé à s’enchaîner, plus rien n’allait. Et j’étais un acteur de ce malaise. Mais je ne me suis jamais posé de questions. Si j’avais douté, je ne jouerais pas la tête du classement des buteurs à une journée de la fin.

Comment expliquez-vous le sursaut soudain de l’équipe à une dizaine de matches de la fin de la saison ?

Il y a eu une réaction dans l’équipe. Au moment où nous accumulions les défaites, nous avons compris qu’il n’y avait pas 36 solutions pour atteindre le dernier objectif réalisable, le Top 7 ou le Top 6 : il fallait recommencer à jouer ensemble, arrêter de penser à notre petite personne. Il n’y avait plus d’équipe sur le terrain mais une somme d’individualités. En continuant comme ça, nous allions droit dans le mur. Siquet nous a tenu un discours très clair : il fallait que ça change, très vite. Football is a team work : si vous avez 8 gars qui décident de jouer ensemble et les 3 autres qui la jouent perso, ça ne peut pas marcher. C’est comme dans un orchestre : il suffit que deux ou trois musiciens jouent faux et ça casse toute l’harmonie. Tout le monde l’a compris, et aujourd’hui, Charleroi aligne de nouveau un bloc sur le terrain.

Vous vous êtes par moments énervé sur certains médians qui ne donnaient pas assez vite le ballon devant…

Nous avons surtout des joueurs d’entrejeu qui adorent recevoir, toucher et conserver le ballon. Pour un attaquant, ça donne confiance d’avoir dans son dos des footballeurs pareils, qui vont rarement le perdre. Mais c’est vrai que je m’énerve parfois, quand j’estime qu’ils tardent trop à la donner.

Quand on voit les résultats des dernières semaines, on se dit que Charleroi aurait pu viser mieux que le Top 6.

That’s right ! Le Top 4 était dans nos cordes, voire le Top 3. Mais pour cela, il aurait fallu que tout le monde attaque et défende. Pendant une longue période, les attaquants râlaient parce que les médians ne les accompagnaient pas près de la zone de vérité. Et les défenseurs en voulaient aux attaquants et aux médians qui ne participaient pas au travail défensif. L’exemple à suivre en Europe, c’est Liverpool. Ce n’est pas la meilleure équipe mais c’est le prototype du 11 dans lequel tout le monde combine travail défensif et offensif. Pour un puriste, c’est très beau à voir.

 » Je ne me sentais pas visé par le retour de Théréau « 

Vous auriez pu douter après le match à domicile contre le Brussels, fin mars, quand le public de Charleroi vous a bien sifflé ! Vous aviez raté plusieurs occasions plus faciles à mettre dedans qu’à côté…

J’ai vécu une soirée très particulière. En quittant le terrain, je me suis dit que j’étais occupé à passer un gros test. Je devais réussir à ne pas entendre ces sifflets, ou en tout cas à ne pas en tenir compte. C’était le bon moment pour savoir si j’étais fort dans ma tête. Je suis rentré chez moi, j’ai regardé les images à la télé et je n’en revenais pas d’avoir raté des occasions pareilles. Siquet m’a appelé le soir même pour me rassurer. J’ai reçu plein de SMS. Et j’ai appelé mes parents pour leur dire : -Ne vous en faites pas mais ça ne va pas, je ne suis pas bien du tout. Je n’ai pas su dormir avant 5 h du matin, les images repassaient sans arrêt dans ma tête.

Comment expliquez-vous une aussi mauvaise soirée ? Manque de concentration ?

Non, I was willing to score. Mais ça ne voulait pas rentrer. Je me suis retrouvé trois fois seul devant Olivier Werner mais il a tout arrêté. J’en ai vite tiré des leçons : pendant la semaine qui a suivi, j’ai énormément travaillé mes situations en face à face. Je ne me suis pas donné tout ce mal pour rien. Le week-end suivant, je marquais deux fois à Dender. Une semaine plus tard, j’en plantais trois contre Genk. Puis dans le match suivant, encore un à Zulte Waregem !

Vous marquez plus facilement depuis que Cyril Théréau a un peu reculé dans le jeu. Avant cela, vous vous marchiez sur les pieds ? C’est en tout cas l’avis de Siquet.

L’entraîneur le dit, donc il doit avoir raison. Théréau est derrière moi, il voit où je vais, et c’est vrai que ça fonctionne bien.

Charleroi l’a transféré en janvier parce qu’il n’y avait pas de tueur devant : on a l’impression que ça vous a complètement relancé.

Je n’ai jamais raisonné comme ça. Théréau est revenu à Charleroi parce qu’il en avait assez de ne pas jouer à Anderlecht. Je ne me suis jamais dit qu’il revenait pour combler une grosse panne de buteur chez nous. Je ne me sentais pas visé. En fin de premier tour, il y avait cinq attaquants dans le noyau : Orlando, Brice Jovial, Habib Habibou, Michael N’Dri et moi. Plus personne ne parvenait à faire la différence, cela voulait bien dire que le problème était global.

On attendait quand même que Théréau soit la star du deuxième tour, mais la vedette de la fin de saison, c’est vous.

Si vous le dites. (Il éclate de rire). Non, vraiment, c’est quand on est sous contrat dans un club comme Anderlecht qu’on mérite d’être qualifié de star.

Dans le match à domicile contre Genk, vous avez tué Elyaniv Barda : vous avez marqué trois buts, ce qui vous a permis de le rejoindre en tête du classement des buteurs. Il s’est énervé en fin de match et a pris deux cartes jaunes, synonymes d’une journée de suspension. Vous ne vous êtes pas, dit, ce soir-là, que le classement final venait de basculer ?

Mais je n’ai jamais voulu tuer personne… (Il se marre). Je n’ai même pas l’impression que Barda s’est rendu compte, pendant ce match, que je venais de le rejoindre à 15 buts. Il a pris deux cartons stupides en quelques secondes parce qu’il ne comprenait pas qu’on annule son but. C’était de la frustration, il a été cynique avec le juge de ligne qui l’avait signalé hors-jeu. Mais il était bel et bien hors-jeu. Je peux comprendre son énervement : pour lui comme pour moi, la première place au classement des buteurs est le grand objectif de la fin de saison. Mais cette exclusion l’a privé du match de la semaine suivante alors que moi, j’ai joué et marqué à Zulte Waregem. Ainsi, je me suis retrouvé seul en tête. C’était peut-être une justice : moi, je ne m’en prends jamais aux arbitres. Je n’ai jamais eu de carte rouge dans ma carrière et je me sens tout à fait capable de ne jamais en recevoir jusqu’au dernier jour où je serai sur un terrain.

Qu’avez-vous pensé, dans le match contre Genk, quand Siquet vous a remplacé à la 85e minute ? Il restait 5 minutes en plus des arrêts de jeu : vous auriez pu en profiter pour marquer encore un petit but de plus !

Peut-être que j’aurais encore marqué. Peut-être que je me serais blessé, aussi. Je n’ai pas été surpris parce que je suis toujours très fataliste. Je me suis dit : -J’ai déjà deux copains qui sont sortis, maintenant c’est mon tour. Je n’ai pas réfléchi plus loin. La décision de l’entraîneur avait aussi quelque chose de très positif : en sortant, j’ai reçu une standing ovation de tout le stade alors que deux semaines plus tôt, j’avais quitté le terrain sous les sifflets, contre le Brussels.

Chaque fois qu’un joueur d’un club moyen finit meilleur buteur du championnat de Belgique, il part directement vers une plus grande équipe, en Belgique ou à l’étranger. Pensez-vous que votre carrière basculera dès cet été si vous remportez le classement ?

Probablement. Si je reçois des offres intéressantes, ce serait sans doute raisonnable d’essayer autre chose, de découvrir un autre club, éventuellement dans un autre championnat.

Saint-Etienne est sur le coup ?

Ce club a déjà contacté mon conseiller plus d’une fois. Un transfert là-bas pourrait être sympa. La Ligue 1 est quand même d’un autre niveau que le championnat belge. Mais je ne veux pas m’encombrer la tête avec toutes ces questions avant la fin du dernier match. A ce moment-là, je mettrai tous les éléments dans la balance et je prendrai une décision.

Fou des Jeux depuis le titre nigérian en 1996

Vous espériez aller à la dernière Coupe d’Afrique mais vous n’avez finalement pas été repris. Berti Vogts a entre-temps quitté son poste de sélectionneur : une bonne nouvelle pour vous ?

Je n’avais aucun problème avec Vogts. D’ailleurs, je n’ai jamais eu de souci avec mes entraîneurs. Je n’ai jamais reproché à personne de ne pas me faire jouer. Quand on m’annonce que je ne suis pas repris, que ce soit en équipe nationale ou dans mon club, je suis déçu puis je tourne très vite le bouton. C’est vrai que j’espérais être convoqué au moins pour le stage préparatoire à la CAN, mais je n’en ai pas fait une maladie quand j’ai compris que je ne ferais pas partie de l’aventure. Je sais que si je continue à être bon avec mon club, ma chance viendra tôt ou tard. Plus que de Joseph Akpala, l’équipe du Nigeria a actuellement besoin de stabilité. Elle ne l’a pas trouvée avec Vogts qui a dû démissionner après la CAN parce que, pour la première fois depuis une vingtaine d’années, le pays ne s’était pas hissé au moins en demi-finale. Les attentes étaient énormes. Mais ça ne jouait pas bien et les résultats ne suivaient pas, donc Vogts a dû partir et la Fédération a nommé un nouveau coach provisoire : Siasia Samson, l’ancien joueur de Lokeren. Avec Daniel Amokachi comme adjoint. C’est terrible, là-bas, quand la sélection est dans le trou : on met une pression infernale, on insulte les joueurs, on remplace le coach, etc. Le manque de patience est un des gros problèmes de la fédé nigériane.

Et les Jeux Olympiques, c’est pour vous ?

Là, vraiment, j’en rêve. Je fais partie des 40 présélectionnés, le verdict tombera bientôt. J’y pense depuis quatre ans : le jour où le Nigeria avait été éliminé aux JO d’Athènes, je me suis dit que je devais absolument participer à la prochaine édition. It would be so exciting ! J’ai aujourd’hui l’âge idéal pour y aller. J’aurai encore souvent l’occasion de participer à la Coupe d’Afrique, alors que ce ne sera pas vrai pour les Jeux.

Qu’est-ce qui vous fait rêver comme ça des Jeux ?

Au Nigeria, tout le monde parle encore du titre olympique de 1996 à Atlanta. Je n’avais que 10 ans mais j’en ai gardé des souvenirs extraordinaires. La demi-finale contre le Brésil commençait à 2 h du matin pour nous. Tout le monde s’était levé pour se scotcher à la télé. Le Brésil a commencé très fort et a mené 3-0. Beaucoup de gens sont alors retournés au lit. Moi, je suis resté dans le canapé, collé à mon père qui m’avait éveillé pour que je ne rate rien du spectacle. Le Nigeria a fait 3-1, puis 3-2 par Victor Ikpeba. Le coach brésilien ne s’inquiétait pas, il a retiré Bebeto parce qu’il voulait le préserver pour la finale. Mais Nwankwo Kanu a fait 3-3, puis 4-3 : on était en finale, et là, c’est l’Argentine qui a découvert le Nigeria. Quelle équipe ! Il y avait Kanu et Ikpeba, mais aussi Amokachi, Taribo West, Celestine Babayaro, Jay-Jay Okocha, Sunday Oliseh. Cette médaille d’or a provoqué des scènes de liesse incroyables. Après la demi-finale, puis après la finale, on a rouvert les commerces. En pleine nuit. Tout le monde était dehors, on se serait cru à la veillée de Noël. Quand j’y repense, je meurs vraiment d’envie d’aller à Pékin. Il y aura toujours quelque chose de magique dans les Jeux. Ce n’est pas pour rien que le grand Kaka veut y aller avec le Brésil.

par pierre danvoye – photos : reporters / buissin

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