Les Dragons ont misé sur Thierry Pister après le crash de Gand et avant la visite de Genk au Tondreau : histoire d’un faux départ.

A Gand, Mons s’est retrouvé dans la peau d’un pilote automobile qui coule cinq bielles avant d’aborder pour la première fois le Raidillon du Grand Prix de Belgique de Formule 1. Cela ne peut que susciter les questions dans les paddocks.

Il faut enquêter, cerner les responsabilités et se mettre au boulot tout de suite si ce n’était pas un accident. Au CharlesTondreau, la réaction ne s’est pas fait attendre. PhilippeSaint-Jean a déposé son tablier. On n’avait quasiment jamais vu cela en Belgique. Il faut remonter à 1989 pour vivre quelque chose d’aussi étonnant avec la mise à l’écart au Standard d’ UrbainBraems au profit de Georg Kessler le jour de la présentation de l’équipe à la presse.

Philippe Saint-Jean a probablement renoncé à ses rêves de réussite en D1. Ce monde impitoyable est-il d’ailleurs fait pour ce perfectionniste et cet éternel tracassé ? On peut se poser la question en ce qui concerne ce formateur hors pair. Toutes proportions gardées, il a peut-être vécu la même histoire que Robert Waseige après le Mondial 2002. Au Japon, le technicien liégeois a offert toute son énergie à ses joueurs : ce fut une merveilleuse aventure qui laissa des traces physiques et mentales. La note fut bien trop salée quand on lui endossa toute la responsabilité d’une mise à feu ratée au Standard. C’est la loi du football : on peut être adulé un jour et voué aux gémonies le lendemain. Philippe Saint-Jean a réalisé le miracle de la multiplication des pains à Tubize. Son tour final de D2 fut magnifique avec une équipe à son image et à sa ressemblance. On ne termine pas un tel marathon sans y laisser toutes ses forces.

Et l’homme ne s’en était pas caché : il n’entendait pas remettre le couvert dans le rôle de coach. C’était trop éprouvant de recommencer sans cesse à zéro. Ses propos n’ont pas été bien compris à Tubize où il était souvent qualifié, à juste titre ou pas,  » d’emmerdeur pessimiste jamais content qui doute de tout et même de son équipe. « 

La vérité se situe à mille lieues de cette analyse sommaire. C’était plus la fin d’une histoire d’amour qu’autre chose. Même si la vaisselle a été brisée, Tubize et Saint-Jean étaient pourtant faits l’un pour l’autre comme Albert Cartier pour Mons : cherchez l’erreur de casting.

En homme intelligent, Saint-Jean rêvait d’un rôle de manager sportif à Tubize. Cette case était vide et il était certain de rendre des services appréciables à son ancien club. Son caractère torturé l’a éloigné de ce poste. Or, il y avait un vide à ce niveau. Louis Derwa ne pouvait pas tout faire. A la fin de l’épopée du tour final, le héros était donc las. Le corps ne suivait plus. Les émotions et le travail avaient ravagé son visage et sa santé. La défaillance le guettait comme elle le fait pour un coureur, qui a franchi le Ventoux en tête mais en panne d’énergie.

Après le para-commando Cartier, le contraste fut saisissant

Après avoir quitté Tubize, il fut contacté par Mons. Saint-Jean n’avait pas eu le temps de se reposer, de digérer ce qui s’était passé à Tubize. Il fallait y aller, bosser, remettre l’ouvrage sur le métier, crier, exiger, revendiquer, mettre au point. Il rêvait du poste de directeur technique. Mons ne veut plus prévoir cette case dans son organigramme. C’est cher. Le Germinal Beerschot a mis un terme à la même aventure avec Aimé Anthuenis. Saint-Jean n’avait pas le choix : c’était coach ou rien. Il a cédé, c’était une erreur. Le burn-out l’a attaqué au plus mauvais moment de sa carrière. Injuste mais prévisible ? Jeune, il avait été opéré à la colonne vertébrale et les suites d’une hernie cervicale l’ennuient, le bloquent sur le banc. Saint-Jean aurait dû mesurer tout cela avant de replonger dans le grand bain. Une année sabbatique n’aurait-elle pas été salutaire ?

Après le passage de l’ouragan Cartier, Mons avait besoin de la même puissance pour tenir la route. Entre le para-commando qui plonge sans hésiter entre les piranhas du fleuve Amazone et Saint-Jean, le contraste fut saisissant. L’officier français avait sans cesse le couteau entre les dents et secouait ses hommes comme des pruniers d’Agen. Cela avait marqué les esprits. C’est ce qui marche en D1. Et qu’est-ce que Philippe Saint-Jean pouvait offrir après cette bombe atomique ? Un petit pétard allumé à Tubize, sa gentillesse, sa classe et surtout, hélas, une grande fatigue. Malheureusement, dans un vestiaire, il n’y a pas de place pour les états d’âme et les coups de mou. On y dévore les doux et les faibles.

Les joueurs, dit-on là-bas, attendaient un dur à cuire. Saint-Jean n’arrêta pas de leur parler de la D2 et des secrets de la réussite de Tubize. Ils n’en avaient rien à caller de cette montée qui ne les concernait pas du tout. A la longue, au fil des images vidéo, cela les éloigna d’un coach dont la tête était restée en D2. Or, eux, ils vivaient en D1 et pas ailleurs. Certainement pas à Tubize qui leur courrait sur le haricot. Et les soucis étaient nombreux dans la mesure où les Dragons s’étaient séparés de joueurs très importants comme Benjamin Nicaise, Duarte ou Wilfried Dalmat. C’était de la hargne, du métier et de la vitesse en moins. Les messages de Saint-Jean ne furent pas bien reçus par l’effectif.

Le langage n’était pas le même et le choix d’un système tactique précis se fit vainement attendre durant la campagne de préparation. Saint-Jean travaillait en formateur comme à Tubize où l’effectif avait tout à découvrir, s’isolait et même son T2, Thierry Pister, mesura le danger. Il aurait aimé être plus impliqué dans les choix stratégiques de son patron. La confiance dans la méthode s’évapora assez rapidement. Tout le monde devinait que quelque chose clochait. Saint-Jean doutait des qualités de son effectif. Le divorce était proche. Ce fut assez visible à Gand où l’équipe s’est effondrée d’une seule pièce, surtout en défense. Les marquages étaient absents, la présence dans le trafic aérien inexistante, etc. Sur le banc, Saint-Jean, absent, encaissait les coups sans broncher. Son mental le lâchait.

Fallait-il intervenir plus tard ou tout de suite ? Avant de trancher, Saint-Jean se retira dans son bureau où on le vit la tête entre les mains : -A Gand, c’était dur mais Genk est encore cinq fois plus fort. Que vais-je faire ? Il savait, même si Pister dément, que le vestiaire n’était pas derrière lui. L’a-t-il jamais été ? Les joueurs français ne l’appréciaient guère. Les clans étaient une source de divisions.

Saint-Jean décida finalement et sagement de penser à lui et à sa santé en présentant sa démission. Le président Dominique Leone a été très étonné avant de comprendre et d’accepter la réalité des choses. Cette saison avec la réduction de la D1 à 16 équipes est trop importante pour prendre des risques. Les bruits les plus alarmants ont circulé à propos de l’état de santé de Philippe Saint-Jean. Il a tenu à préciser qu’il ne souffrait pas d’un cancer. Pister a suivi cette étonnante évolution avec une pointe de tristesse et de regret.

 » Les discours sans fin ne plaisent pas dans les vestiaires  » (Thierry Pister)

 » J’endosse moi aussi la responsabilité de ce qui s’est passé à Gand « , dit Pister.  » Je fais partie du groupe. Pourtant, je demandais ce que je faisais vraiment à Mons. J’étais T2 sans l’être vraiment. Philippe me consultait rarement. Or, j’avais des tas de choses à lui dire ou à lui expliquer car je connais tout et tout le monde dans ce club qui a tant progressé. Personne ne l’a saboté. Il y a tout ici pour être heureux : un bon outil de travail, un effectif qui ne descendra pas en D2, etc. Je lui ai parlé des hantises du vestiaire où les joueurs se confiaient à moi. Il n’entendait pas. J’ai tout fait pour l’aider. Quand la décision est tombée, j’ai apprécié la confiance que Mons a placée en moi. Pour moi, il est essentiel de retrouver une bonne organisation. Les discours sans fin ne plaisent pas dans les vestiaires. C’était aussi un de nos problèmes. Les joueurs de Mons ont du vécu. Ils connaissent leur valeur. Je serai direct et précis comme je l’ai toujours été. Chaque joueur doit connaître son job et ce qu’on attend de lui dans un cadre précis. Saint-Jean avait des doutes sur les atouts du groupe. Moi, je vous affirme qu’on détient toutes les qualités nécessaires pour réussir. Personnellement, je préfère coacher qu’entraîner. J’adore organiser un concept, étudier un adversaire, réagir quand une difficulté se présente. En tant que joueur, j’étais impressionné par le coaching d’ ArieHaan. C’était le plus fort. Il voyait tout avant tout le monde. Il lui suffisait parfois de remplacer ou de déplacer un pion pour gagner un match.  »

par pierre bilic – photos :belga

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