Bugatti Veyron, prime de champion !

Avec Mehdi Carcela, arrivé depuis peu, ils sont trois anciens acteurs de notre championnat à avoir rallié les rangs de l’équipe-phare du Daguestan. Nous les avons retrouvés dans leur luxueux complexe d’entraînement à Ramenskoye, dans la grande banlieue moscovite.

Joao Carlos a fait office de pionnier. En signant à l’Anzhi Makhachkala en janvier dernier, l’arrière brésilien du Racing Genk a ouvert une brèche dans laquelle se sont engouffrés tour à tour deux autres Belgicains, Mbark Boussoufa et Mehdi Carcela.

Nous sommes allés à leur rencontre au centre d’entraînement du club à Ramenskoye, dans la grande banlieue de Moscou. La bonne humeur, consécutive à un tennis-ballon (opposant Joao Carlos et Boussoufa d’un côté à Roberto Carlos et Samuel Eto’o de l’autre) aussi emballant qu’hilarant, était au rendez-vous. Il est vrai qu’avec des Africains et des Brésiliens, le rire est toujours garanti.

Que vous inspire votre expérience jusqu’à présent ?

Joao Carlos : En l’espace de quelques semaines, j’ai eu la chance de gagner à deux reprises au Lotto. Financièrement d’abord, sous la forme d’un contrat magnifique. Sportivement ensuite, car je n’ai jamais été aussi bien entouré dans ma carrière. Je me suis déjà pincé quelquefois pour vérifier si le Roberto Carlos, qui partage ma chambre lors de nos retraites, est bien le même que celui que j’ai toujours idolâtré ( il rit).

Mbark Boussoufa : Idem pour moi avec Samuel Eto’o. Je me suis toujours dit que dans le meilleur des cas, on serait adversaires un jour dans le cadre d’une rencontre internationale entre le Cameroun et le Maroc. J’étais loin de m’imaginer qu’avant d’en arriver là, nous serions coéquipiers. C’est un privilège de pouvoir jouer avec le meilleur footballeur africain de tous les temps. Je savoure tous les jours.

Lors du tennis-ballon, vous aviez franchement l’air de tous vous régaler !

Boussoufa : Pour les besoins de la photo, on s’était fait la réflexion qu’une petite partie serait sympa. Pour être trois contre trois, on y a associé Jucilei et Balazs Dzsudzsak. Sam (Eto’o) et Bob (R. Carlos) pensaient régler notre compte en dix minutes avant de rejoindre la piscine, mais c’est Joe (Joao Carlos) et moi qui avons triomphé. Comme il était hors de question pour eux de quitter le terrain sur un échec, ils ont voulu une revanche et l’ont remportée à leur tour. Tout s’est finalement terminé par une belle interminable…

Carlos : C’est fou, chaque fois qu’on marchandait un point, ils piquaient une crise ( il rit). Comme quoi, ils ont beau avoir tout vécu, tous deux restent d’incroyables compétiteurs. Aux matches d’entraînement, c’est le même topo : ils ne plient bagage que lorsqu’ils ont gagné. Voilà pourquoi on s’éternise souvent sur la pelouse ici. Quand mon épouse m’engueule parce que je rentre plus tard que prévu à la maison, je lui dis toujours que c’est la faute de ces deux-là. Ou du trafic… c’est un bon alibi aussi.

 » A Makhachkala, les gens préfèrent parler de ballons que de balles « 

La circulation est dingue à Moscou. Pourquoi avoir choisi d’y habiter alors que Bous loge non loin du centre d’entraînement ?

Carlos : Mes enfants fréquentent une école internationale de la capitale, d’où mon choix. Mais faire la route n’est pas évident tous les jours. Parfois, il me faut deux heures, voire davantage, pour couvrir les 52 kilomètres qui séparent mon domicile du complexe. Heureusement, j’ai un chauffeur pour effectuer tous ces trajets. Sans quoi, je serais crevé avant de monter sur l’aire de jeu. Cette situation n’a toutefois pas que des inconvénients : au contact du conducteur, qui ne parle que le russe, j’ai déjà appris l’un ou l’autre mot. Au départ, ce n’était vraiment pas compliqué. Je trouvais que ça ressemblait au néerlandais, da signifiant ja et njet voulant dire non. Mais ne me demandez pas comment on traduit peut-être. C’est déjà plus compliqué.

Boussoufa : On m’a proposé de m’établir dans la capitale mais les routes bondées m’en ont rapidement dissuadé. Je me suis installé à Belle-Berek, à 10 minutes du centre d’entraînement. J’y gagne en repos car ici, on bouge sans cesse. C’est bien simple, je passe plus de temps dans l’avion que dans la voiture.

Comment se déroule une semaine-type ?

Boussoufa : On ne rallie Makhachkala que la veille des matches. Le reste du temps se passe dans nos installations, à Ramenskoye. Pour effectuer les 1.600 kilomètres jusqu’au Daguestan, le président Suleyman Kerimov met à la disposition de l’équipe son avion personnel.

Carlos : Une merveille pourvue de fauteuils au lieu de simples sièges. On met deux heures à l’aller et une heure cinquante au retour car les vents nous poussent toujours en direction de Moscou ( il rit). Pourtant, ce n’est pas qu’on soit pressés de rentrer. L’accueil est toujours fantastique là-bas.

Le Daguestan est pourtant fréquemment synonyme de troubles ?

Boussoufa : On en entend quelquefois parler mais jamais encore on n’y a été confrontés. Au contraire, j’ai plutôt l’impression que le football unit tout le monde là-bas. A chacun de nos matches, c’est la ferveur. Même aux entraînements. Il n’est pas rare que la moitié du stade soit remplie pour assister à notre dernier galop avant le match. C’est dingue. A Makhachkala, manifestement, les gens préfèrent parler de ballons que de balles.

Carlos : Le stade ne peut abriter que quinze mille spectateurs mais ils mettent de l’ambiance comme s’ils étaient six fois plus. Après neuf mois, j’ai déjà joué à peu près partout en Russie. Ce qui m’autorise à dire que nos fans sont les meilleurs du pays. Ils nous poussent vers le but adverse pendant toute la rencontre.

Qu’en est-il du racisme ? Une banane envoyée en direction de Roberto Carlos, lors du match à Samara, avait suscité l’indignation générale en juin dernier.

Carlos : Au Zenit, un supporter avait également brandi une banane vers le joueur. Il a écopé d’une solide amende et est interdit de stade désormais. Ici, on ne badine pas avec la discipline.

Boussoufa : Les étrangers sont souvent l’objet de coups de sifflet. Mais il faut les mettre sur le compte de la jalousie plutôt que du racisme.

 » Samuel Eto’o suscite davantage la fierté que la jalousie « 

Le Daguestan n’est pas la république la plus prospère du pays. Comment les gens composent-ils avec des joueurs grassement payés. Comme Samuel Eto’o, justement, qui palpe 20,5 millions d’euros par an ?

Carlos : Ils sont fiers que Sam ait choisi l’Anzhi plutôt qu’une autre destination. Davantage qu’avec les clubs moscovites, ils veulent se démarquer des voisins du Terek Grozny. Quand ils ont appris que Mbark avait préféré l’un à l’autre, c’était la liesse. A partir de ce moment-là, c’était gagné pour lui. D’ailleurs, avant que Sam ne débarque, il était déjà la coqueluche des supporters.

Boussoufa : Je ne peux vraiment pas me plaindre. J’étais bien sur ce point à Anderlecht. Ici, c’est pareil. Mais la concurrence est de plus en plus rude. Car il n’y a pas que Sam. Roberto Carlos, ce n’est pas n’importe qui non plus. Sans oublier Joao Carlos, bien sûr ( il rit).

Si les fans admettent cette situation, comment est-elle vécue par vous-mêmes, qui ne jouissez pas des mêmes largesses ?

Boussoufa : L’argent, c’est la reconnaissance de ta valeur. Et je n’ai pas la moindre difficulté à admettre que Sam est un joueur autrement plus précieux que moi. Il suffit de comparer nos palmarès respectifs pour s’en rendre compte. Moi, j’ai été footballeur de l’année en Belgique. Lui a raflé le même titre mais à l’échelon africain. La nuance est de taille. Moi, je n’ai jamais dû me contenter non plus que des miettes en Coupes d’Europe. Lui a gagné la plus prestigieuse d’entre toutes, la Ligue des Champions. N’est-il pas logique, dans ces conditions, qu’il y ait un écart entre nous ?

Carlos : Il n’y a pas de jaloux car chacun est capable de faire la part des choses. Sam suscite davantage la fierté que la jalousie, tant auprès des gens que parmi les joueurs. Les seuls moments où il est question d’argent entre nous, c’est quand il faut parler de primes au président. Car en cas de bonne prestation contre une équipe huppée, il n’est pas rare qu’on obtienne de lui un petit bonus. Que dis-je : un fameux bonus. Et là, tout le monde, sans exception, est logé à la même enseigne, qu’il ait joué l’intégralité du match ou une partie seulement.

Parlons donc du président, Suleyman Kerimov. Quel genre d’homme est-il ?

Boussoufa : Il y a deux facettes au personnage. En premier lieu, le businessman, classé parmi les plus grosses fortunes au monde et qui, en tant que tel, est toujours entouré d’une flopée de gardes du corps. Et puis il y a le président, homme très simple, qui est capable de te recevoir chez lui sans chichis.

Carlos : C’est quelqu’un d’extrêmement généreux. Pour nous remercier d’avoir battu le Lokomotiv Moscou en déplacement, 1-2, il nous a fait la surprise de nous emmener tous, dans la foulée, à Wembley, pour assister à la finale de la Ligue des Champions entre Manchester United et le FC Barcelone. Un cadeau qui a dû lui coûter un pont en toute dernière minute. Mais il est vrai qu’il en a les moyens.

 » L’Anzhi est l’équipe à battre, davantage que les grands clubs de Moscou ou le Zenit « 

La preuve : en avril dernier, il avait organisé une fête à l’occasion de l’anniversaire de Roberto Carlos. Dont coût : 3 millions d’euros. Avec, en prime, une Bugatti customisée d’une valeur de 900.000 euros pour le joueur.

Carlos : Quand il peut faire plaisir, sa générosité est sans limite. Il nous a d’ailleurs promis à chacun une Bugatti Veyron (plus de 2 millions de dollars…) le jour où on fera un truc. Comme gagner le championnat, par exemple.

Boussoufa : C’était mon anniversaire le 15 août dernier. Je n’ose pas dire quel cadeau il m’a offert. Ce serait indécent.

Carlos : Pas de chance, mon anniversaire, c’était le 1er janvier. Et j’ai signé mon contrat à la fin du mercato d’hiver ce mois-là. Je le signalerai au président dans trois mois. Ainsi, j’aurai peut-être droit à un double cadeau ( il rit). Surtout si je continue à bien jouer.

Qu’en est-il du niveau de la compétition ?

Carlos : Le championnat est très disputé car une demi-douzaine de formations se tiennent de près. Une victoire de plus ou de moins signifie parfois un gain ou une perte de trois places au classement. On n’a pas grand-chose à envier aux grands noms traditionnels que sont le Zenit Saint-Pétersbourg et les trois grands du football moscovite, le CSKA, le Dynamo et le Lokomotiv. Mais plus encore que ceux-là, on fait figure d’équipe à battre. Surtout dès l’instant où des stars se sont ajoutées.

Boussoufa : On traite quasiment d’égal à égal avec tous ces ténors. Mais c’est plus compliqué pour nous face à des oppositions plus modestes comme Tom Tomsk, Rostov ou Amkar Pern. Ceux-là érigent un double rideau devant leur goal. C’est autre chose encore que les sans-grade en Belgique. Il est très difficile de passer dans ces conditions. J’ai connu des teams en Jupiler Pro League qui étaient toujours motivées contre Anderlecht. Comme Saint-Trond, Westerlo ou Malines à domicile, par exemple. Mais ici, ça dépasse l’entendement. Car tous les moyens sont bons pour arriver à leurs fins.

Une des équipes mal classées est le Terek Grozny où évolue un certain Jonathan Legear…

Boussoufa : Je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de le contacter car il a changé de numéro. Comme d’habitude. Mais c’est toujours sympa de retrouver une vieille connaissance. Je me doutais qu’il allait quitter Anderlecht. Il en avait l’intention depuis pas mal de temps. Et je ne suis pas étonné non plus qu’il ait finalement abouti en Russie. Car ça fait des années que des clubs le courtisent ici. En définitive, c’est le Terek Grozny qui a grillé tout le monde.

Vous auriez pu être son coéquipier là-bas ?

Boussoufa : C’est souvent la deuxième option qui se révèle la bonne. Joao Carlos a d’abord été approché par Krasnodar, que dirige Slavoljub Muslin, avant de choisir l’Anzhi Makhachkala. Moi-même, j’ai eu des contacts avec le Terek Grozny avant d’aboutir ici. Et pour Mehdi Carcela itou : c’était d’abord le Spartak qui avait fait le forcing et au final il est venu nous rejoindre.

Carlos : Il faut dire qu’on l’a quand même poussé à venir. D’ailleurs, tu me dois toi-même une fière chandelle car si je ne t’avais pas chaudement recommandé au président, tu jouerais peut-être au Terek Grozny actuellement (il rit).

Boussoufa : C’est vrai. Mais n’oublie pas que j’ai essayé de faire la même chose avec toi à Anderlecht.

 » A Anderlecht, personne ne voit mieux le football qu’Ariel Jacobs « 

Pardon ?

Boussoufa : Cela fait des années que le Sporting cherche un bon arrière central, capable de sortir judicieusement le ballon de la défense. Quand j’ai été interrogé un jour à ce propos par la direction, j’ai glissé le nom de Joao Carlos. Je n’étais d’ailleurs pas le seul. Sans que je le sache, Ariel Jacobs, qui avait travaillé avec lui, avait mentionné son nom aussi. Mais l’affaire n’a, hélas, jamais été finalisée.

Pourquoi ?

Carlos : Parce que Herman Van Holsbeeck avait ses doutes à mon sujet.

Boussoufa : Quand Ariel Jacobs dit que tel ou tel joueur est bon, tu peux être sûr qu’il est bon. Malheureusement, sa voix importe peu au Parc Astrid. Dommage, car personne ne voit mieux le football que lui là-bas. J’en ai eu pas mal d’exemples.

On peut en avoir un ?

Boussoufa : Quand on a été évincés par BATE Borisov en 2008. En début de campagne de préparation, on marquait à la parade avec deux jeunes attaquants : Kanu et Matias Suarez. Je me disais que c’était prometteur. Lui m’a immédiatement averti : avec eux, on va payer cash notre manque d’expérience devant. Il avait vu juste.

Au fond, pourquoi avoir quitté Anderlecht ?

Boussoufa : L’élimination face à l’Ajax Amsterdam en Europa League m’avait fait très mal. Un an plus tôt, on avait fait jeu égal avec mon ancien club et j’avais l’impression qu’on venait d’effectuer un fameux pas vers l’avant. Cette impression allait d’ailleurs être confirmée par la suite face à l’Athletic Bilbao et Hambourg. Mais douze mois plus tard, il n’en restait plus rien. Au contraire, j’étais d’avis qu’on avait régressé. Il fallait à nouveau reporter les ambitions d’un an. Dans la vie d’un club, ce n’est pas grand-chose mais dans la carrière d’un joueur, ça peut compter.

Pourquoi le Sporting avait-il reculé ?

Boussoufa : Il n’y a pas de secret. Si on veut rester au sommet, il faut garder les meilleurs et y ajouter l’un ou l’autre extra. Au cours des années que j’ai passées à Anderlecht, j’ai vu partir pas mal de bons joueurs. Je songe à Mémé Tchité, à Ahmed Hassan ou Nicolas Pareja notamment. Mais, pour les remplacer, le club n’a pas vraiment fait appel à des joueurs du même calibre. On se dit toujours que ça va aller mais on ne remplace pas impunément les cadres. A l’image de Jelle Van Damme en début de saison passée.

 » A Anzhi, les rêves deviennent réalité « 

Cette saison, c’est différent.

Boussoufa : Manifestement, puisque le RSCA a acquis des grosses pointures qui connaissent parfaitement le championnat, comme Milan Jovanovic, Dieumerci Mbokani et Ronald Vargas. Je suis persuadé que cette méthode sera payante. Il est simplement regrettable que les dirigeants n’aient pas fait preuve de la même ambition quand j’étais encore chez eux.

Ce jeudi, Anderlecht affrontera le Lokomotiv Moscou. Serez-vous présents au stade ?

Boussoufa : Oui, bien sûr.

Carlos : J’accompagnerai Bous, sans problème.

Le Sporting a-t-il une chance contre l’équipe moscovite ?

Boussoufa : Pourquoi pas ? On a fait 1-2 contre eux. Si le Sporting y croit, il peut ramener un bon résultat.

Carlos : Dans un groupe avec le Lokomotiv, l’AEK Athènes et le Surm Graz, Anderlecht doit être en mesure de s’imposer.

Etes-vous surpris par les résultats d’ensemble des clubs belges lors de la première journée de l’Europa League ? Aucun n’a perdu.

Boussoufa : Non, car cette compétition est taillée sur mesure pour les clubs belges.

Carlos : L’ambition doit être d’y prendre le plus de points possible pour faire augmenter le coefficient européen. Car je trouve que la Belgique mérite quand même un représentant chaque année en Ligue des Champions.

Il aurait pu s’agir du Racing Genk. Pas de regrets ?

Carlos : Non, pas du tout. Je suis heureux de ce qui est arrivé au club mais cette page-là est tournée. Tout ce que je veux, c’est réaliser d’autres choses avec l’Anzhi à présent.

Boussoufa : Des rêves qui deviennent réalité, c’est possible ici.

Même gagner la Ligue des Champions, comme le soutient Samuel Eto’o ?

Carlos : Tâchons d’abord de remporter notre première Bugatti ( il rit).

Boussoufa : Après, seulement, on pourra songer à la deuxième ( il rit).

PAR BRUNO GOVERS, À MOSCOU – PHOTOS: REPORTERS /HERCHAFT

 » Je n’ose pas dire quel cadeau d’anniversaire j’ai reçu du président Suleyman Kerimov. Ce serait indécent.  » (Mbark Boussoufa) » Je me pince parfois pour vérifier si le Roberto Carlos que je côtoie est bien celui que j’ai toujours idolâtré. « 

(Joao Carlos)

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