Buffalo sur le gril

Le prof norvégien sait pourquoi son équipe traverse un gros passage à vide.

Août plein pot : La Gantoise de Trond Sollied (48 ans) a entamé le championnat à fond la caisse en gagnant ses 3 premiers matches. Ensuite, septembre et octobre noirs : 5 nuls et une raclée sur le terrain du Cercle. Et ce week-end, c’est le déplacement à Anderlecht.

Aller à Anderlecht quand l’équipe ne tourne plus, ça ne vous fait pas peur ?

Trond Sollied : Je n’aurai pas de problème pour motiver mes joueurs, c’est positif. Le côté négatif, c’est que certains risquent d’être un peu paralysés par l’environnement et le prestige de l’affiche.

On vous cite régulièrement comme possible futur entraîneur d’Anderlecht…

Il doit avoir une centaine de coaches sur sa liste. Il n’y a jamais eu de contact.

Avez-vous une explication cohérente au passage à vide de votre équipe ?

Notre gros problème, c’est le manque d’expérience. J’ai énormément de jeunes dans mon noyau. Comptez le nombre de joueurs de la tranche 25-30 ans, et ceux de la tranche 30-35. Le club a fait un choix stratégique et financier, il fait venir des jeunes en espérant les vendre à un bon prix quand ils auront fait leurs preuves. C’est une question de management.

Vous voulez dire que l’équipe était meilleure lors de votre premier passage à Gand ?

Oui, parce que j’avais beaucoup d’expérience à ce moment-là. Frank Dauwen, Gunther Schepens, Ole-Martin Aarst, Edin Ramcic, Frédéric Herpoel : ils avaient un fameux vécu. La colonne vertébrale de La Gantoise était bourrée d’expérience alors que ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui.

Est-ce facile d’accepter des erreurs classiques de débutants à des moments clés de vos matches ?

Qu’est-ce que je peux faire ? Sortir une arme et tuer tout le monde ? Non, j’ai encore besoin d’eux. Ils doivent progresser, c’est un processus sur le long terme. Mais je ne peux pas négliger le très court terme non plus : gagner des matches.

Vous avez signé assez tard et vous ne connaissiez pas du tout votre noyau ?

Très peu. Mes seules connaissances, c’étaient les quatre ou cinq matches que j’avais vus au deuxième tour de la saison dernière. Bref, je n’étais vraiment pas riche. Mais ça ne m’a posé aucun problème.

Vous n’avez pas demandé de renforts particuliers ?

Non parce que toute la campagne des transferts avait déjà été faite par Georges Leekens. Là encore, pas de problème mais j’ai directement expliqué aux dirigeants les problèmes précis que nous allions rencontrer. Et tout cela s’est déjà vérifié.

Vous pourriez accuser le recrutement à chaque occasion pour justifier les résultats décevants.

Nos résultats ne sont pas décevants. On nous a volé 4 points. We’ve been fucked off. Avec ces points-là, nous serions à la deuxième place.

Comment, ça, 4 points volés ?

Contre Roulers, l’arbitre nous annule un but valable : hors-jeu complètement imaginaire. Au Germinal Beerschot, le type offre à l’adversaire un penalty qui n’existe pas. Vous pouvez être aussi bon que vous le voulez, il y a toujours des paramètres que vous ne maîtrisez pas. En attendant, ça nous prive de 4 points. En Allemagne, un arbitre a été condamné parce qu’il avait truqué des matches pour une mafia étrangère.

Que voulez-vous dire ?

Je ne dis rien… Je me contente de signaler qu’on nous a volé 4 points et qu’à cause de cela, nous ne sommes pas à la place où nous devrions être.

 » Pourquoi bétonner contre nous ? Gand n’est pas le Real « 

Vous avez été très critique après le nul contre Zulte Waregem. Vous avez notamment déclaré que cette équipe avait joué à la façon d’un bandit qui attaque une banque en pleine journée !

Les journalistes étaient déçus après avoir vu un match pareil. Je leur ai répondu qu’il ne me viendrait jamais à l’idée de jouer comme ça.

Vous devez comprendre que pour les petits clubs, c’est important de prendre un point chez les grands. Quelle que soit la manière.

(Ironique). Pas de problème, alors, je comprends. Je dis seulement que Gand n’est pas un épouvantail ou une toute grande équipe. Il ne faut pas tout confondre : ce n’est pas le Real.

Vous ne le feriez jamais ? Vraiment?

Si mon équipe a absolument besoin de 3 points à 4 matches de la fin pour assurer quelque chose, éventuellement. Mais ce que Zulte Waregem a fait chez nous, c’était purement miser sur la chance. Elle leur a souri parce que Geert De Vlieger a fait un match de fou. Mais si ça n’avait pas été le cas, ils auraient pris 4 ou 5 buts. Enfin bon, je n’ai même pas été étonné. J’avais prévenu mes joueurs que Zulte Waregem allait bétonner à fond.

Vous ne jouerez donc pas comme ça le week-end prochain à Anderlecht ?

Jamais de la vie. On ne peut jamais remporter un match en évoluant de cette façon, et moi, je veux gagner chaque rencontre. Dont celle que nous allons jouer à Anderlecht. Le football doit être un show en toutes circonstances. Malheureusement, il arrive que le show ait lieu après les matches, lors des conférences de presse de certains entraîneurs. Alors qu’on l’attend sur le terrain.

Vous vous êtes privé de Christophe Grondin pour les derniers matches alors qu’il était un des meilleurs joueurs de La Gantoise en début de saison. Tout cela parce qu’il faisait le ramadan !

Que faites-vous quand vous n’avez plus que quelques gouttes d’essence dans le réservoir de votre voiture ? Vous la prenez en sachant que vous allez tomber en panne après quelques kilomètres, ou vous prenez le train. Un footballeur qui ne s’est pas alimenté pendant la journée est comme une voiture à la limite de la panne sèche. On n’arrivera jamais à me convaincre qu’il est possible de rester performant pendant une heure et demie en n’ayant rien dans le corps. Rien qu’en concentration, la perte est énorme. Grondin a commencé le match contre le Standard, mais après 20 minutes, il ne savait plus où il devait courir ou se placer.

Grondin a accepté votre décision ?

Je ne lui ai pas demandé son avis.

Vous n’avez pas essayé de le convaincre de s’alimenter ?

Je n’ai pas à essayer de convaincre un footballeur de changer de religion. Il a fait un choix, il l’assume.

Aucun de vos joueurs ne faisait le ramadan à l’Olympiacos ?

Un seul, mais les matches commençaient à 10 heures du soir, donc il avait eu le temps de manger avant le coup d’envoi.

Vous auriez eu du mal à entraîner à Dubaï…

Non parce que dans les pays musulmans, tout est adapté en fonction du ramadan. Les entraînements des footballeurs ont lieu très tard pendant cette période. Mais dans le football belge, on ne s’en préoccupe pas, évidemment.

 » Les risques pour un défenseur qui monte continuellement : radar et gros PV « 

Grondin a sauté, Alin Stoica aussi !

J’aligne les joueurs qui me prouvent qu’ils sont les meilleurs. Peu m’importent les noms. Et j’ai un certain luxe dans l’entrejeu. Quand tout le monde est disponible, je pourrais faire jouer deux lignes médianes du même niveau, et c’est un bon niveau. Stoica a été contrarié par une blessure, maintenant c’est à lui de me montrer qu’il est indispensable. Beaucoup de joueurs pensent qu’après être restés trois semaines à l’infirmerie, ils redeviennent performants du jour au lendemain. A ceux-là, je dis : -Stop, arrête de te faire des illusions, va t’entraîner. Moi, je ne sélectionne personne : ce sont mes joueurs qui se sélectionnent eux-mêmes. Ils le savent très bien.

Vous aviez entraîné Stoica à Bruges : a-t-il vraiment changé ?

Oui. Aujourd’hui, il est un des meilleurs défenseurs de mon entrejeu. Il est plus performant sans la balle qu’avec le ballon. Plus intelligent aussi.

On sait qu’il est très bon avec le ballon : donc, il est aujourd’hui tout à fait complet !

Un footballeur n’est jamais complet. C’est une vue de l’esprit. Une vraie utopie.

Grégoire fait le début de saison de sa vie : cela vous étonne ?

C’est un des meilleurs médians du football belge. Top class. Quand on a son talent et sa mentalité, on peut viser plus haut.

En défense aussi, vous avez de sérieux espoirs. Guillaume Gillet et Massimo Moia, c’est tout bon !

Une chose m’avait frappé chez Gillet, la saison passée : dès qu’il arrivait à hauteur de la ligne médiane, il s’arrêtait, se cabrait. Comme s’il était convaincu qu’il n’était pas en mesure d’aller plus haut. Il a entre-temps compris qu’il pouvait se lâcher. Mais à doses homéopathiques. Si vous vous donnez plein gaz tout le temps, vous le payez. Comme sur une autoroute : un radar et c’est le gros PV ! Moia, je l’ai découvert en reprenant le noyau : je ne le connaissais pas du tout.

Le point faible de votre équipe n’est-il pas la défense centrale ?

Nous n’avons pas pris tant de buts. Si vous retirez le 4-1 au Cercle, nous avons une des meilleures défenses de D1. L’axe n’est sans doute pas le compartiment fort de l’équipe mais je suis condamné à attendre le retour de Dario Smoje.

Ne regrettez-vous pas que Frédéric Herpoel ne soit plus là ?

Tout était décidé quand j’ai signé ici. Il n’y avait plus rien à faire.

 » Je suis beaucoup plus compétent que je l’étais lors de mon premier passage à Gand « 

Trouvez-vous que le football belge a changé depuis votre premier séjour chez nous ?

Pas tellement. Il y a de plus en plus de jeunes et d’étrangers dans le championnat mais je ne suis pas étonné parce que c’est la réalité dans beaucoup d’autres pays, dont la Norvège. A partir du moment où les bons Belges deviennent hors de prix, les clubs se braquent sur le scouting à l’étranger et on ne peut pas leur en vouloir.

Cela doit d’autant moins vous déranger que vous aviez été le premier entraîneur de l’histoire du championnat de Belgique à aligner 11 étrangers, lors de votre premier passage à Gand.

J’ai même été le deuxième dans le monde. Gianluca Vialli l’a fait… 15 jours avant, avec Chelsea. Mais tous mes joueurs belges valables étaient blessés ou suspendus : je n’avais pas le choix.

Est-ce vrai que vous avez demandé un salaire de fou à La Gantoise en étant persuadé qu’avec des exigences pareilles, le club laisserait tomber ?

Il n’y a rien de plus faux. Nous n’avons jamais parlé d’argent. Quand nous sommes tombés d’accord pour que je revienne, le manager m’a dit : -Tu prendras autant. Et j’ai pris ce qu’on me donnait. Je n’ai jamais choisi un club pour l’argent.

Qu’est-ce qui vous a motivé à revenir, alors ?

J’avais simplement envie de retravailler pour ce club. Je n’ai sûrement pas tranché par dépit. Rien ne pressait, je n’avais pas besoin – d’un point de vue financier – de retrouver un club.

Si vous aviez donné la priorité à l’aspect financier, vous auriez sans doute signé à Gençlerbirligi, en Turquie ?

Même pas : je serais alors parti en Arabie Saoudite, où on me proposait encore bien plus.

Vous n’y êtes pas allé à cause du ramadan ?

(Il rigole). Non, il y avait d’autres raisons. Notamment le fait qu’on ne joue que 6 mois par an là-bas.

On dit que Gençlerbirligi a refusé que vous emmeniez vos adjoints (Chris Van Puyvelde et Cedomir Janevski) et que les négociations ont capoté à cause de cela.

J’ai refusé l’offre des Turcs, mais les vraies raisons, je les garde pour moi.

Il y a peut-être aussi des raisons familiales, avec votre compagne qui est gantoise et préférait sûrement revenir ici ?

Non. Elle est prête à refaire ses valises demain.

Après votre premier séjour à Gand, il y a eu le Club Bruges puis l’Olympiacos, avec des trophées et des Coupes d’Europe. N’avez-vous pas l’impression de repartir de zéro aujourd’hui ?

Un entraîneur ne repart jamais de zéro. Je suis beaucoup plus compétent que je l’étais lors de mon premier passage à Gand.

L’année passée, vous entraîniez par exemple Rivaldo à l’Olympiacos. Aujourd’hui, vous bossez avec des jeunes complètement inconnus. Dur ?

It’s part of my job. C’est parfois plus plaisant de voir un jeune progresser que de diriger des stars mondiales.

95 % de chances d’être viré sur un match de l’Olympiacos.

La Grèce ne vous manque pas ?

Il n’y a qu’une chose qui me manque : le soleil.

Il vous a fallu du temps pour digérer votre licenciement, en décembre de l’année dernière !

Non. Il a été facile à digérer parce que je m’y attendais. Avant le match de Ligue des Champions décisif – pour moi – contre le Shakhtar Donetsk, je savais que j’avais 95 % de chances d’être viré. Mentalement, j’étais donc prêt au pire. Si l’Olympiacos gagnait ce match-là, nous terminions troisièmes du groupe et passions en Coupe de l’UEFA. Et je restais. Tout autre résultat était synonyme de C4. Le Shakhtar a arraché le nul grâce à un but marqué de la main : j’étais dehors. Ce soir-là, tout s’est passé comme je l’avais prédit. Nous savions que ce serait difficile avec un arbitre anglais, Steve Bennett qui sifflait son tout dernier match européen et avait comme par hasard dirigé un match du championnat d’Ukraine entre le Dynamo Kiev et le Shakhtar. La Fédération ukrainienne prend parfois des arbitres étrangers pour éviter les problèmes de corruption… Quand je vous dis que votre équipe peut être la meilleure sur le terrain mais qu’il y a toujours des paramètres non maîtrisables !

Vous étiez vraiment certain de rester en place si l’Olympiacos s’était qualifié pour l’UEFA ?

Complètement sûr. La veille du match, j’ai dit à mes adjoints : -Tomorrow is D-Day. We qualify or we are sacked.

Donc, votre sort dépendait d’un seul match ? Difficile à accepter ?

Pas du tout. Je suis depuis suffisamment longtemps dans le football, je sais comment ça marche. Si vous n’acceptez pas cette règle du jeu, vous devez aller jouer au golf.

Vous imaginez votre vie sans le football ?

Bien sûr. Il y a plein d’autres choses que j’ai envie de faire.

Lesquelles ?

Vous n’auriez pas assez de pages pour les passer en revue…

Vous pourriez redevenir enseignant ?

J’enseigne tous les jours.

Mais à quels métiers pensez-vous ?

J’adore écrire. Je l’ai déjà fait pour un journal norvégien et j’ai l’art d’imaginer des trucs que personne d’autre ne pense à écrire. J’ai aussi été consultant pour la télé de mon pays, elle me relance régulièrement pour donner mon avis en direct lors des matches de l’équipe nationale mais c’est difficile à organiser. Je me verrais bien, aussi, dans un rôle de directeur technique. I’m a decision maker. J’ai la faculté de dire très vite oui ou non, c’est un atout crucial.

En matière de discipline, vous êtes complètement différent de Georges Leekens : il contrôlait tout alors que vous laissez les joueurs se débrouiller comme des grands.

J’ai été militaire, je sais ce qu’est une bonne discipline.

Vous vous moquez complètement qu’un joueur arrive avec 10 minutes de retard dans le vestiaire ou à table : c’est rare !

Si un joueur a 10 minutes de retard tous les jours, là, il y a un problème.

Et vous prenez alors des sanctions ?

Je lui conseille d’aller s’acheter une nouvelle montre. C’est ce que j’avais fait à Bruges avec Nzelo Lembi.

Vous pensez qu’un entraîneur reçoit plus de ses joueurs s’il leur laisse beaucoup de liberté ?

C’est en leur accordant de la liberté qu’on les rend plus créatifs. Il faut des règles, des principes, mais on ne peut pas passer des journées entières à discuter de tout cela.

par pierre danvoye – photos: reporters

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