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 » Bruxelles est un puzzle très compliqué « 

Débarqué au Parc Duden juste après le rachat du club bruxellois par l’Anglais Tony Bloom, le nouveau CEO Philippe Bormans (31 ans) doit faire de l’Union Saint-Gilloise un club véritablement professionnel. Rencontre.

Comme d’habitude, le calme règne sur la chaussée de Bruxelles, en cette fin de matinée maussade, à quelques jours de la première des trois confrontations prévues en janvier entre l’Union Saint-Gilloise et Malines, une en championnat et deux en demi-finale de la Coupe de Belgique. Un triptyque éprouvant pour les Bruxellois qui ne perturbe pas Philippe Bormans qui nous accueille, avec le sourire, au coeur du stade Marien.

Vous n’avez que 31 ans et pourtant vous êtes déjà actif dans le monde du football depuis pas mal d’années. Comment êtes-vous arrivé dans le milieu ?

PHILIPPE BORMANS : C’était lors de la saison 2008-2009, Saint-Trond venait de descendre en D2. Moi, j’étais encore à l’école et j’ai eu l’opportunité de travailler pour le club. J’étais amateur de foot, j’étais fan de Saint-Trond mais je ne connaissais rien au monde du ballon rond à cette époque-là. J’ai d’abord travaillé dans l’organisation des matches, le ticketing puis j’ai été le correspondant qualifié du club.

Par la suite, quand Roland Duchâtelet est parti au Standard, sous la présidence de Bart Lammens, j’ai été nommé directeur général, en 2014. J’ai toujours bien collaboré avec mes différents patrons et dans le monde du football, ça peut aller vite. Et ça a été très vite pour moi. Mais on n’est jamais fort que grâce aux gens qui nous entourent et à ce niveau-là, j’ai toujours eu de la chance. J’ai travaillé avec des gens très motivés et j’ai d’ailleurs encore beaucoup de contacts avec la plupart d’entre eux.

Vous avez vous-même joué ?

BORMANS : Non. Enfin, quand j’étais petit mais jamais à un véritable niveau.

Pourquoi avoir quitté Saint-Trond après tant d’années passées dans ce club ?

BORMANS : On avait construit une équipe et une manière de travailler qui fonctionnait bien. De la dame chargée du nettoyage jusqu’au coach, Roland Duchâtelet, Marieke Höfte, la présidente, tout le personnel et moi. Une fois que les nouveaux investisseurs japonais sont arrivés, il était normal qu’ils aient leurs propres idées, leur propre manière de fonctionner.

Pour moi, c’était donc le moment d’essayer quelque chose de différent. Et pour eux, c’était également plus simple sans moi. Pour tout le monde, c’est plus clair. Sinon, il reste toujours deux structures différentes : l’ancienne et la nouvelle. On a annoncé que je quittais le club début 2018 et l’accord était que je reste encore six mois pour aider à la mise en place des nouveaux propriétaires, comme consultant externe. En juillet, ma mission était donc terminée.

 » L’Union, c’est un projet sur le long terme  »

Comment s’est déroulée votre arrivée au poste de CEO de l’Union Saint-Gilloise ?

BORMANS : En juin, Tony Bloom a racheté l’Union Saint-Gilloise. Une société de chasseurs de tête était en charge de trouver quelqu’un pour le poste de CEO. Ils m’ont contacté et j’ai accepté de rencontrer les investisseurs anglais pour discuter du projet.

Qu’est-ce qui vous a convaincu ?

BORMANS : Il y a deux raisons principales. D’abord, ils m’ont donné l’autorisation de construire une équipe. Non seulement sur le terrain, ça c’est normal quand des investisseurs arrivent : ils mettent de l’argent dans le sportif. Ils ont d’ailleurs engagé Alex Hayes, notre directeur sportif, qui s’occupe de cet aspect.

Mais ils m’ont également démontré qu’ils voulaient que l’Union devienne un club professionnel à tous les niveaux, en dehors du terrain aussi. Un club qui fait de bonnes choses pour les supporters, pour l’environnement ici autour du stade, pour la commune, pour l’école des jeunes, avec un rôle social, etc. Ils étaient également prêts à investir dans ces domaines-là et c’était quelque chose d’important pour moi. Ça veut dire que c’est un projet sur le long terme.

Deuxièmement, il y a beaucoup d’investisseurs étrangers qui arrivent ou sont déjà présents en Belgique et tout le monde rêve d’être champion. Eux ont montré, en Angleterre, avec Brighton, qu’ils étaient capables de faire grandir un club. Ils étaient en D3 et ils ont atteint la Premier League, sans doute la compétition la plus dure du monde !

Vous connaissiez l’Union avant d’y travailler ? Vous étiez déjà venu ?

BORMANS : Un petit peu parce qu’avec Saint-Trond, on avait joué contre l’Union en play-offs 2 ( en 2017, ndlr). Et puis, je connaissais Monsieur Baatzsch ( l’ancien président de l’Union, ndlr). Je connaissais un peu le club mais évidemment la période de gloire de l’Union date d’avant ma naissance. Comme beaucoup de gens, j’avais une certaine sympathie pour l’Union mais je ne connaissais pas le club en détail.

Si la question est : est-ce que vous voulez partir, déménager dans un autre stade ? Je vous dis : non, on veut rester ici.  » Philippe Bormans

Lorsque l’Union a disputé les PO2, le club jouait au Stade Roi Baudouin. Vous n’étiez donc jamais venu au stade Marien ?

BORMANS : Non, je suis venu ici au stade pour la première fois au mois d’août. Je pense avoir eu la même première impression que tout le monde. Quand tu vois le stade, tu te dis que c’est très beau. Après, une fois que tu dois travailler dedans, il y a pas mal de choses qui sont très compliquées.

 » On doit encore créer le produit Union  »

Ça doit vous changer du Stayen ?

BORMANS : Oui, mais là-bas c’était la même chose au départ. On a construit un nouveau stade petit à petit. Je pense qu’ici, il faut prendre le temps et observer. Voir comment, si on progresse, si on monte en D1A par exemple, on va améliorer le stade, améliorer l’accueil des supporters en tout cas. C’est aussi la raison pour laquelle on investit beaucoup. On l’a déjà fait énormément cette saison bien que les revenus, eux, n’ont pas encore vraiment augmenté. Il y a une légère augmentation parce qu’il y a beaucoup de supporters qui viennent au stade mais ce n’est pas là qu’on veut aller chercher l’argent, ça c’est clair.

On n’a pas encore beaucoup travaillé sur le sponsoring non plus mais c’est parce que je veux prendre le temps de bien connaître le produit. Ses points forts, ses faiblesses aussi. Ensuite, on verra comment on peut offrir aux sponsors, aux supporters, un produit de qualité. Aujourd’hui, ce n’est pas encore le cas. On doit encore créer ce produit. C’est ce qu’on est en train de faire. Sportivement, ça se passe bien et les supporters répondent présent. Le reste doit venir petit à petit.

Vous avez été surpris par l’ampleur du travail ou vous vous y attendiez ?

BORMANS : C’est difficile. Je veux dire : ce n’est pas Saint-Trond ici. Dans une ville de moins de 100.000 habitants, le foot prend un rôle proéminent. Ici, tu es dans une métropole de plus d’un million d’habitants. Ça veut dire qu’il n’y a pas que le foot. On m’a dit que chaque année, il y a 10% de gens qui habitent à Bruxelles qui déménagent. On est de retour, ici au Parc Duden, après deux saisons au Heysel. On est, en quelque sorte, un nouveau voisin.

Pour beaucoup de gens qui habitent le quartier, la situation est neuve : il y a des matches, les rues sont fermées, il y a des policiers, les places de parking sont prises, etc. Ça cause des frictions, et je le comprends très bien. Il faut que les gens fassent connaissance avec le club, qu’il y ait une communication entre nous. Et ça vaut aussi pour les pompiers, les policiers, les autorités locales, les deux bourgmestres. C’est une situation particulière. On doit composer avec Saint-Gilles, qui bénéficie du nom et des retombées positives, mais aussi avec Forest, où nous nous trouvons et qui supporte beaucoup de contraintes.

Notre stade donne une ambiance spécifique aux matches : c’est un point fort. Par contre, il n’y a pas de toit. On est dans un parc et d’après ce qu’on m’a dit, c’est impossible d’en installer un. En Coupe, contre Knokke, une équipe amateur, il y avait 4.000 supporters. Or, quelques jours avant, en championnat contre Westerlo, alors qu’on jouait la tête, ils n’étaient que 1.000. Mais, de la première à la dernière minute, il a plu. Je pense que le lendemain, tout le monde était malade. Il y a forcément beaucoup de gens qui se disent : par ce temps, je n’ai pas envie d’aller passer 90 minutes sous la pluie à l’Union.

On en revient au produit. Il faut pouvoir offrir un produit de qualité, stable. Que les gens ne doivent pas attendre 30 minutes dans la file avant d’entrer au stade, qu’ils ne doivent pas attendre 20-30 minutes pour avoir une bière, ou sortir du stade pour aller aux toilettes… Ce sont des choses que l’on sait, on essaye de trouver des solutions à court terme et à long terme. C’est vraiment du boulot. Quelqu’un qui arrive ici, qui voit le stade, il ne voit pas ça. Ça, tu ne le sais que quand tu es supporter ou quand tu travailles au club. Ça fait partie des chantiers sur lesquels on travaille.

 » C’est un puzzle très compliqué  »

Votre objectif est d’accéder à la D1A. C’est possible de s’y installer de façon durable dans ce stade ?

BORMANS : Aujourd’hui, non. Avec le stade dans son état actuel, ce n’est pas le cas. Maintenant, si on peut améliorer le stade sur certains points, en concertation avec les autorités locales, oui. Si la question est : est-ce que vous voulez partir, déménager dans un autre stade ? Je vous dis : non, on veut rester ici. C’est clair. Mais bon, il y a des solutions à trouver sur plusieurs aspects et dans l’état actuel des choses, c’est un puzzle très compliqué.

Contre Genk, en Coupe, le stade était sold out.

BORMANS : C’était un test pour nous. Tant au niveau sportif qu’au niveau de l’organisation. Je suis content de ce que j’ai vu. On a mieux organisé la question du parking. On a pu disposer du parking de Forest National. Mais bon, ce n’est pas toujours possible. Il se passe aussi des trucs là-bas ( il sourit). On est un club qui a un petit rôle dans une grande ville où il y a beaucoup de choses qui se passent.

C’est la différence majeure avec votre travail à Saint-Trond ?

BORMANS : Oui. Mais Anderlecht aussi rencontre ce genre de problèmes. Autre exemple, notre match contre le Beerschot s’est disputé à guichets fermés et cette décision n’a été prise que trois jours avant la rencontre. La police craignait que des hooligans de la marche contre Marrakech ne viennent. Ce n’était qu’à 2-3 kilomètres, je le comprends à 100% mais on a dû rapidement organiser la vente des tickets. Et ça tombait en même temps que la vente pour le match contre Genk. Le premier jour de la vente des places de Genk, il y avait des files d’une heure au ticketing. Je comprends, qu’on fasse demi-tour. Ce sont des trucs qui doivent être mieux organisés. Le ticketing online c’est absolument nécessaire et ça devrait encore être instauré cette saison.

Philippe Bormans :
Philippe Bormans :  » On trouvera des solutions tant que tout le monde est positif et veut collaborer. « © BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

J’ai d’ailleurs commandé une étude de l’Université de Bruxelles pour savoir ce que les supporters pensent des sujets comme la mobilité, le stade, le confort, la communication, le ticketing, … Il faut écouter les gens. J’imagine qu’il y a des supporters qui se disent : ils sont déjà là depuis mai et il y a encore des files, il n’y a toujours rien d’organisé pour améliorer l’accès aux boissons ou aux toilettes. On veut prendre notre temps et changer les choses de manière à être sûr à 100% que c’est pour le mieux.

Comme je l’ai déjà dit, c’est un puzzle très compliqué, qu’on ne peut pas résoudre à deux-trois personnes. Mais avec de la communication, du dialogue, en voyant les intérêts de tous, je pense qu’il y a toujours possibilité de trouver des compromis. Et je constate qu’il y a une perception positive du club. C’est quelque chose de très bien, on doit continuer à travailler sur ce point-là, c’est vraiment important.

 » Pourquoi ne pas rêver d’une finale ?  »

Sportivement, l’équipe se porte bien. Elle est même toujours en lice pour une montée en D1A dès la saison prochaine.

BORMANS : Oui sportive ou extra-sportive.

Dans l’hypothèse où l’Union montait en D1A dès la saison prochaine, ce serait très compliqué pour vous.

BORMANS : Oui, compliqué mais faisable. De toute façon, que ce soit maintenant, dans un an ou dans deux ans, ce sera complexe. Mais on trouvera des solutions tant que tout le monde est positif et veut collaborer. On l’a prouvé contre Genk et on le prouvera encore contre Malines, en demi-finale de la Coupe.

Justement, comment avez-vous vécu ce parcours en Coupe ?

BORMANS : Jouer contre Anderlecht, c’était super, surtout pour les supporters. Le parcours en Coupe était déjà réussi après leur élimination. Après, Knokke, ça devait être faisable même si ça n’a clairement pas été un match facile. Puis Genk à domicile, c’était vraiment LE match pour les supporters. On n’imaginait pas éliminer le leader de la D1A. Maintenant, on est en demi-finale contre Malines, une équipe de D1B comme nous : on a nos chances. Pourquoi ne pas rêver d’une finale ? C’est le foot, on a 50% de chance d’y arriver. Mais la Coupe n’est jamais vraiment un objectif pour une équipe de D1B. Le championnat reste prioritaire. À long terme, on veut accéder à la D1A.

Les investisseurs anglais ont montré, avec Brighton, qu’ils étaient capables de faire grandir un club.  » Philippe Bormans

Il n’y a qu’un montant par saison.

BORMANS : Oui et le niveau de la D1B a augmenté suite à la réforme et à la reprise de nombreux clubs de cette série. Je pense qu’il n’y a plus de différence de niveau entre les clubs classés de la 10e à la 16e place en D1A et les quatre premiers de D1B. Est-ce que c’est une bonne chose ? Oui et non. On a sous-estimé l’impact du descendant unique. En D1A, certains clubs sont à l’aise. Ils font une mauvaise saison, virent 2-3 coaches mais se sauvent quand même.

Dans le même temps, en D1B, tout le monde ne pense qu’à monter. Mais il n’y en a qu’un qui y arrive et les autres essuient de lourdes pertes. C’est une situation qui n’est pas bonne pour le football belge, ce n’est pas un modèle très positif. Quand quelqu’un investit dans un club de D1B, tant dans le sportif que l’extra-sportif, qu’il a un projet bien ficelé et qu’il se donne disons 5 ans pour monter, il devrait être sûr à 80% d’y arriver.

 » On n’est pas obligé de vendre  »

Avec l’arrivée de Tony Bloom à la tête du club, vous avez désormais de gros moyens. Ils sont illimités ?

BORMANS : Non, certainement pas mais il n’y a pas de dépense fixe. On regarde tout, au cas par cas, chaque saison. Là, nous sommes dans une phase d’investissement. On sait que le bilan sera dans le rouge mais c’est nécessaire car on vient de loin. Ensuite, il faudra faire augmenter les revenus, c’est un processus. Mais c’est du foot, ça peut varier d’une année à l’autre en fonction de plein de facteurs. Mais c’est clair qu’avoir quelqu’un avec des moyens permet de faciliter la gestion. C’est une force, ça permet de prendre des risques. C’était pareil à Saint-Trond avec Roland Duchâtelet.

On est en plein mercato, on doit s’attendre à beaucoup de mouvements ?

BORMANS : On va engager des joueurs mais pas vraiment mettre des moyens importants pour renforcer l’équipe pour monter absolument cette saison. On regarde surtout sur le long terme.

Et en terme de départs ? Certains joueurs se sont mis en vue.

BORMANS : Oui mais les budgets ont beaucoup augmenté en D1B. Ce n’est pas si évident de venir chercher des joueurs dans ce championnat parce qu’ils gagnent pas mal, ont des contrats à long terme et il faut payer une somme de transfert. Ce n’est plus aussi simple qu’avant. On peut attendre et réfléchir en cas de belle offre, on n’est pas obligé de vendre.

Philippe Bormans :
Philippe Bormans :  » Un jour, on voit quelqu’un avec sa casquette de président de club et le lendemain on le voit avec sa casquette de la Pro League. Ça ne va pas. « © BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Jouer un rôle social est le minimum qu’on puisse faire  »

Vous insistez sur les investissements extra-sportifs, notamment l’école des jeunes et le rôle social du club.

PHILIPPE BORMANS : Oui, ce sont des aspects importants où nous avons beaucoup de travail à fournir. On est le seul club à ne pas avoir le label élite pour les jeunes. Je pense que si tu veux être un club sérieux, c’est nécessaire. Sinon, tu n’as jamais de jeunes qui montent en équipe première. Le volet social est également très important, surtout dans une ville comme Bruxelles. On doit être une structure qui doit pouvoir aider les jeunes, les gens en difficultés.

Les clubs ont des privilèges, jouer un rôle social est le minimum qu’on puisse faire. Pour moi, ça devrait même faire partie des critères pour l’obtention de la licence. Tout comme le fait de disposer d’un stade compatible pour jouer l’Europe. En disant cela aujourd’hui, je parle actuellement contre mon club. Mais on veut que tout ça soit en ordre, on y travaille. Cela permettrait d’éviter que des gens débarquent dans des clubs belges à court terme pour gagner un peu d’argent ou faire des choses malhonnêtes.

Vous avez récemment été désigné par la Pro League comme remplaçant temporaire de Johan Timmermans, pour la D1B, au Comité exécutif de l’Union belge.

BORMANS : Honnêtement, j’ai fait ça pour aider. J’espère que Johan Timmermans pourra revenir, ça voudra dire qu’il n’a rien fait. Ce que j’aimerais, c’est qu’il y ait une séparation stricte entre la fédération et le Pro League. Aujourd’hui, la Pro League est gérée par les clubs. Un jour, on voit quelqu’un avec sa casquette de président de club et le lendemain on le voit avec sa casquette de la Pro League. Ça ne va pas. Il faut que la Pro League devienne plus autonome. Et c’est pareil pour la commission des licences. Niels Van Branteghem, le manager des licences travaille très bien mais il est payé par la Pro League. Je pense que c’est un problème.

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