Brûlé par la gloire

Le centre-avant des Rouches était tout le temps à fond : sur le terrain et en dehors.

Avant la gloire, on lui aurait volontiers donné le bon dieu sans confession. Normal pour un interne au petit séminaire de Saint-Trond dont l’ambition était d’entrer un jour dans les ordres. Elève appliqué en semaine, passionné de grec et de latin, Roger Claessen, petit dernier d’une famille de six enfants, originaire de Warsage, près des Fourons, se muait tour à tour, le week-end, en enfant de ch£ur et en boy-scout dans la patrouille des castors.

Jusqu’au jour où son frère Joseph, séduit par les qualités footballistiques qu’il étalait en compétitions interscolaires, le poussa vers l’un des clubs situés non loin de la ferme parentale : l’Etoile Dalhem, d’obédience catholique alors que l’autre entité du cru, l’Elan, avait une connotation socialiste. C’était la seule manière de convaincre papa et maman, davantage branchés sur le culte que sur le sport…

Alors que d’autres se solidarisaient déjà au ballon rond en Minimes, le petit Roger, lui, était déjà Cadet à l’heure de signer sa carte d’affiliation. Les matches du dimanche, au demeurant, se déroulaient les trois quarts du temps sans lui. Logique, les permissions de rentrer à la maison étaient parfois espacées de six semaines. Dans ces conditions, le jeune homme n’avait guère l’occasion de s’entraîner avec ses coéquipiers et ses sélections pouvaient se compter sur les doigts d’une seule main. Mais avec ou sans lui, la différence n’en était pas moins sensible. Car Claessen, titularisé au centre-avant, avait cette faculté de transformer la moindre opportunité en but. Du pied droit, du gauche et, surtout de la tête car il était déjà doté d’une détente impressionnante. Sa réputation eut d’ailleurs tôt fait de dépasser le cadre de sa catégorie d’âge et, lorsque l’un des titulaires de la Première du club, Florent Demonceau, fut transféré au Standard, il ne se fit pas faute de renseigner à la direction liégeoise ce jeune attaquant qui faisait flèche de tout bois.

Au Standard pour 300.000 francs

Roger Petit, le secrétaire des Rouches, dut débourser la somme de 300.000 francs pour son acquisition. Un montant plutôt coquet, à la fin des années 50, pour un footballeur en herbe de 14 ans à peine. Il n’empêche que le jeu en valait manifestement la chandelle car avec les Cadets provinciaux, le nouveau venu réussit à inscrire 101 goals en l’espace de 20 rencontres. Chez les Scolaires, l’intéressé ne disputa guère plus de 5 matches au total. Marquant comme à la parade, la plupart des observateurs étaient d’avis qu’il perdait son temps à ce niveau et que la difficulté devait être corsée pour lui. Sans transiter par les Juniors, Claessen passa alors directement en Réserve où il allait faire montre d’un même instinct de goleador : 25 buts en 6 matches. Ses débuts en A eurent lieu le 12 décembre 1958 à la faveur d’un derby liégeois contre Tilleur au Pont d’Ougrée, remporté 1-2. Il avait 17 ans à peine et côtoyait déjà quelques cadors qui venaient, six mois plus tôt, de décrocher le tout premier titre de l’histoire du club principautaire : Denis Houf, MarcelPaeschen, Jean Mathonet de même que Popeye Piters. Cette saison-là, il fut appelé huit fois en équipe fanion, inscrivant son premier but lors d’un autre derby, face aux Sang et Marine. L’entraîneur Geza Kalocsay le retint aussi, par la suite, comme doublure lors des deux joutes de CE1 contre le Stade Reims.

On pensait Claessen définitivement lancé mais la confirmation se fit attendre en 1959-60, une campagne au cours de laquelle il ne livra, en tout et pour tout, que deux maigres rencontres. Deux facteurs étaient de nature à l’expliquer : d’une part la mort de sa s£ur Berthe, qui avait toujours été une deuxième mère pour lui, et d’autre part le début de la célébrité : le pensionnat trudonnaire avait entre-temps cédé le relais à la vie d’externe au collège Saint-Adelin de Visé, que fréquentait également un certain Léon Semmeling. Avec P’tit Léon et un autre régional, disparu trop tôt également, Lucien Spronck, le citoyen de Warsage effectuait, en bus, les trajets entre la province et la Cité Ardente afin de se rendre aux séances de préparation des Rouches. Le soir, le trio rebroussait chemin de concert, parfois avec un cornet de frites en main. Et, avant de se disperser, les jeunots n’omettaient jamais de boire le verre de l’amitié, en compagnie galante ou non. Car être joueur au Standard, c’était quelque chose !

17 fois Diable Rouge

L’exercice 1960-61 marqua la véritable entame de carrière de celui qui allait devenir le JoueurduSiècle des Rouches. Toujours teenager à ce moment-là, Claessen commença par frapper fort en Réserve avec un total de 21 buts en 4 matches. Le coach hongrois des Rouches ne pouvait évidemment plus se priver des services de pareil buteur patenté et, dès ce moment, le numéro 9 lui fut attribué pour de bon. Le joueur lui-même remercia à sa façon en propulsant les Standardmen vers leur deuxième titre après un coude à coude homérique avec le voisin de Rocourt. Un sacre qui fut acquis à Sclessin, lors de l’avant-dernière journée après que les Sang et Marine eurent été battus à l’Antwerp tandis que ceux du RSCL s’imposaient sur leurs terres devant le Daring. Claessen, juché sur les épaules des sympathisants rouge et blanc, eut droit à son premier bain de foule cette après-midi-là. En quelques mois, grâce à son sens du but et du spectacle, il avait conquis de manière définitive le public de la rue de la Centrale.

Au cours de cette même campagne, le 20 mai 1961, Claessen effectua son maiden-match chez les Diables Rouges lors d’une rencontre qualificative pour la Coupe du Monde 62, à Lausanne, face à la Suisse. Il y sauva même l’honneur de nos représentants, vaincus sur la marque de 2-1. Lors des trois rencontres suivantes, face à la Suède, la France et les Pays-Bas, il réussit la gageure d’inscrire quatre buts au total, avant de devoir déclarer forfait contre la Bulgarie car il s’était blessé à l’Union Saint-Gilloise…

C’est son nouvel entraîneur ( Jean Prouff avait succédé à Kalocsay) qui le pria de décliner la sélection. Une mesure qui devait encore être prise quelquefois, par la suite, par le grand patron du Standard, Roger Petit. Il n’appréciait pas que ses joueurs fréquentent leurs homologues d’Anderlecht en sélection. Pour les décourager, celui qui parlait d’anderlechtisation du foot belge, allait même jusqu’à mettre ses joueurs à l’amende pour tout entraînement loupé en club pour cause de sélection nationale… On comprend que le total des caps récoltées par les Jean Nicolay et autre Léon Semmeling ne soutenait pas la comparaison par rapport aux Sportingmen.

Nu sur la terrasse

En tout et pour tout, Claessen en resta finalement à 17 sélections. Un maigre bilan dû non seulement à l’oukase de sa direction mais aussi aux sanctions disciplinaires dont il fut l’objet. Car, à deux reprises, le forward du Standard fut suspendu pour une durée de 24 mois par les instances fédérales pour les équipes nationales. A chaque coup pour motif disciplinaire. La première fois, c’était après un match au Luxembourg pour le compte de l’équipe belge B. Claessen avait alors fêté la victoire, jusqu’aux petites heures, avec son complice de Saint-Trond, Odilon Polleunis. Le duo, il est vrai, n’avait rien trouvé de mieux que de rejoindre les autres, le matin, sur le quai de la gare. Censé se racheter une conduite s’il ne voulait pas encourir les foudres de l’URBSFA, Claessen ne fit guère mieux lors de la revanche face à ces mêmes Grands-Ducaux, à Jambes, puisqu’en lieu et place de regagner sa chambre, il préféra aller se sustenter avec une fille à Wépion avant de lui faire découvrir Namur by night.

Repris en ces deux circonstances précises seulement dans les rangs des Diablotins, le Liégeois n’avait guère été plus performant chez les Jass (internationaux militaires). Pour les besoins d’un tournoi du CISM en Grèce, il fut même renvoyé subito presto au pays en compagnie d’un autre militaire : le gardien Maurice Jamin. En cause, l’attitude du duo qui s’était permis de prendre un bain de soleil sur sa terrasse en tenue d’Adam ! Et comme si cette scène ne suffisait pas, Claessen en remit encore une couche en enfermant son compère, ainsi qu’une femme de chambre, dans un placard. La dame en était d’autant plus outrée qu’elle était mariée et mère de cinq enfants ! De retour au pays, la sanction ne se fit pas attendre : huit jours de cachot et la mise à la porte de l’équipe nationale militaire. Dans l’intervalle, sans ses deux  » exhibitionnistes « , la sélection du colonel Jean Wendelen avait perdu l’épreuve, suite à des revers successifs contre la Turquie et le pays organisateur.

Pour Claessen, ces jours de balle à l’armée constituèrent la découverte de la vie derrière les barreaux. Après coup, il tâta encore à quelques reprises de la prison, notamment à Saint-Léonard. Les motifs étaient quasiment toujours les mêmes : désordre sur la voie publique, tapage nocturne ou encore conduite en état d’ébriété. Il n’y avait pas que sur le terrain que Claessen se livrait à fond. Au volant ou au bistro, il ne faisait jamais les choses à moitié non plus. Résultat des courses : une demi-douzaine d’Alfa Romeo pliées et quelques solides gueules de bois. La petite histoire veut d’ailleurs que Michel Pavic, qui l’eut sous ses ordres avant de céder le relais à René Hauss, attrapa ses premiers cheveux blancs à cause de notre homme. Le soir venu, le Yougo n’hésitait pas, en tout cas, à faire le tour des bistrots pour raisonner celui que ses nombreux copains avaient entre-temps affublé du sobriquet de Roger-la-Honte. Mais à peine celui-ci avait-il regagné son domicile qu’il repartait de plus belle dès que la voie était libre.

Whisky pour oublier son bras cassé

Ses frasques lui étaient toutefois d’autant plus volontiers pardonnées qu’elles n’avaient d’égale que son extraordinaire bravoure sur le terrain. Claessen n’hésitait pas à mettre la tête là où d’autres mégotaient à mettre le pied. Avec pour conséquence quelques solides bobos : fractures des côtes, du nez, de la mâchoire, sans parler des commotions consécutives à ses nombreux accidents de la route. Mais la blessure qui fit à coup sûr de lui un héros aux yeux des supporters du Standard fut celle qui eut pour cadre un match de Coupe des Coupes contre le Vasas Györ, le 8 mars 1967. Les Liégeois avaient réussi à limiter la casse en Hongrie, où ils s’étaient inclinés par 2-1 grâce à un but de P’tit Léon. Le retour eut tôt fait de tourner au véritable combat de rue et, à un moment donné, Claessen regagna le vestiaire avec le bras cassé suite à un coup d’un arrière magyar. Malgré l’interdiction du docteur Henri Gernay, Claesen reprit part au jeu, non sans avoir avalé une rasade de whisky, pour oublier la douleur. Le bras en écharpe, le numéro 9 des Principautaires était à peine remonté sur le terrain qu’il marqua le but, synonyme de qualification pour le Standard, avant d’amener le deuxième pour Cajou. Le mythe Claessen était né…

Un peu plus d’une année plus tard, fort de deux titres nationaux et d’autant de demi-finales européennes, le tout agrémenté de 22 buts en 29 participations sur cette scène, Claessen décida, à près de 27 ans, de quitter le Standard. Il estimait avoir fait le tour du propriétaire dans son club ainsi qu’en Belgique et supportait de moins en moins d’être la cible toute désignée de certains arbitres. Comme cette fois où il fut suspendu pour une période de six mois par le Comité Sportif pour avoir soi-disant touché le juge de touche Van Hellemont lors d’une finale de Coupe de Belgique perdue 3-2 contre Anderlecht. De 16 à 23 ans, il était passé à une douzaine de reprises devant le Comité Sportif, écopant tantôt d’un simple blâme, mais plus fréquemment de longues suspensions.

Claessen s’enfuit donc à l’Alemannia Aix-la-Chapelle où, pendant deux saisons, il allait être encouragé, en fonction des affiches proposées, par 3 à 5.000 fans du Standard. Du jamais vu ! Sa première campagne chez les Jaune et Noir fut bonne mais, durant la deuxième, les sorcières s’acharnèrent sur lui sous la forme de plusieurs blessures. Au bout du compte, Claessen décida de rentrer en Belgique, à destination du Beerschot plus précisément où il signa pour deux ans.

Défenseur au Crossing

Au Kiel, la poisse continua à l’accabler sous la forme d’une tendinite au genou, mal soignée, qui se doubla finalement d’une opération. A peine remis sur pied, ce fut la rechute et l’exercice 1970-71 se termina donc, pour lui, avant même d’avoir réellement débuté. La saison suivante ne se révéla pas plus heureuse. Les maux se succédèrent à tel point que les dirigeants anversois insistèrent auprès de la Faculté pour déclasser le joueur. Ce fut peine perdue et ils furent en définitive tout heureux de transférer le joueur au Crossing de Schaerbeeck. Après avoir finalisé le dossier, certains d’entre eux rirent sous cape, convaincus que le nouveau transfuge des Anes n’allait pas disputer plus de trois matches au Parc Josaphat. Un pronostic qui allait être faux sur toute la ligne puisque Claessen disputa l’intégralité des 30 matches en 1972-73. Il est vrai que le coach, Charles Flam, l’avait fait reculer dans le jeu pour éviter de l’exposer aux sévices de l’adversaire. Roger-la-Honte, appelé parfois aussi Roger-la-Foudre termina donc sa trajectoire au plus haut niveau comme défenseur. Le braconnier était devenu garde-chasse.

Après les Vert et Blanc, Claessen descendit en D3 à Bas-Oha, comme joueur d’abord, puis comme joueur-entraîneur. Par après, il dispensa encore le foot à Saint-Vith puis à Queue du Bois avant de boucler la boucle au Standard, en tant qu’adjoint de Mathieu Bollen auprès des Minimes. Il avait 37 ans mais sa popularité auprès des petits et des grands était plus que jamais intacte…

par bruno govers

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